AMOURETTES LE SERVAGE VOLONTAIRE
Stances.
La fille.
Que cuisant est le feu qui me brusle le coeur!
Que l' invincible amour à d' apas et de charmes!
Un esclave vaincu est ore mon vainqueur,
Et sans rendre combat je luy quitte les armes.
Ô mon brave françois, dedans le champ de Mars,
La fortune te fit prisonnier de mon pere:
Mais au premier abord de tes jeunes regards
Amour, pour te vanger me fit ta prisonniere.
Or ce qui plus m' afflige en mes afflictions,
C' est de voir garrotter de chaines douloureuses
Celuy dont les vertus et les perfections
Sont les plus beaux chainons des ames amoureuses.
Aussi, toy regrettant la douce liberté
Tu as à contre-coeur ton infame servage,
Et moy je me plais tant en ma captivité
Que j' en baise les fers et beny le cordage.
Victorieuses mains, que vos charmes puissans
Ne brisent-ils ce fer qui meurtrit vos joinctures?
Belles mains que j' adore en mes ans innocens
Que je souffre pour vous de cruelles tortures!
Pere autre et cruel, tes desirs et les miens
Sont bien contre-pointez, ton avarice immonde
Sordidement te porte à donner pour des biens
Celuy que j' aime mieux que tous les biens du monde.
Si ses fers se pouvoient amollir par mes pleurs,
Je ferois de mes yeux ruisseler deux fontaines,
Mais, quoy! Le delivrant je croistrois mes malheurs,
Et de ses fers rompus je grossirois mes chaines.
Dy moy mon cher Philandre, est-il rien sous les cieux
Qui se puisse égaler au mal qui me possede?
Mon heur gist au malheur de ce que j' ayme mieux,
Et j' aprehende moins mon mal que mon remede.
Car si quelque seigneur par ton nom espandu
Rachete à prix d' argent ta jeunesse asservie
Tu te pourras vanter d' estre bien cher vendu,
Puis que ta liberté m' aura cousté la vie.
J' espere toutesfois pour flatter mes douleurs,
Qu' amour soigneux des siens, malgré les destinées,
Convertira bien tost tes espines en fleurs,
Tes fers en chaines d' or, tes larmes en risées.
L' esclave.
Belle qui sur Venus gaignez la pomme d' or,
Puis que vous daignez bien soulager ma détresse,
Je me dy bien-heureux, et bien-heureux encor,
D' estre esclave deux fois de si belle maistresse.
Puis donc qu' amour et Mars (puissantes deïtez)
M' ont tous deux mis au rang de vos humbles esclaves
Je vien sacrifier à vos divinitez,
Mes armes, mes liens, mes fers, et mes entraves.
Je vous suis doublement prisonnier ce beau jour,
Par le droict de l' amour, par le droict de la guerre,
Mais mon ame est si fort estreinte par l' amour
Que mon corps ne sent point la chaine qui le serre.
Seroit-ce point aussi que l' amour et la mort,
Auroient changé de traicts aujourd' huy par envie?
Car le traict de l' amour me laisse demy-mort,
Et le traict de la mort me donne amour et vie.
Les fers me sont legers mon servage m' est doux,
Assaisonnez qu' ils sont de si tendres delices,
Il ne reste qu' un poinct, c' est que je suis jaloux
Que vos compassions excedent mes supplices.
Quel bon-heur ma tramé ceste felicité?
Quel destin ma conduit en ce loing-tain rivage?
Si gagnant vostre amour je perds ma liberté,
Mon profit est-il pas plus grand que mon dommage?
Il ne falloit donc point tant de fers douloureux
Pour obliger mes jours pres de vous (ma déesse)
Amour qui m' emprisonne en vos yeux amoureux,
D' autre chaine ne veut que vostre blonde tresse.
Soit donc le malheureux maudit de mille morts,
Qui me retirera d' une prison si belle
Hé! Que luy servira de delivrer mon corps,
Puis qu' il mettra mon ame en prison eternelle?