PLUME DE POÉSIES
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 Henri Barbusse. (1873-1935) XVI Idylle.*

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Henri Barbusse. (1873-1935) XVI Idylle.* Empty
MessageSujet: Henri Barbusse. (1873-1935) XVI Idylle.*   Henri Barbusse. (1873-1935) XVI Idylle.* Icon_minitimeVen 13 Jan - 20:52

XVI Idylle.*

-De vrai, me dit Paradis qui était mon voisin de marche, tu m’croiras si tu
voudras, mais j’suis éreinté, j’suis surmonté. . . J’ai jamais eu marre d’une
marche comme j’ai de celle-là.

Il tirait le pied et penchait dans le soir son buste carré embarrassé d’un sac
dont le profil élargi et compliqué et la hauteur paraissaient fantastiques. À
deux reprises, il buta et trébucha.

Paradis est dur. Mais il avait toute la nuit couru dans la tranchée en qualité
d’homme de liaison pendant que les autres dormaient, et il avait des raisons
d’être rendu.

Aussi grognait-il:

-Quoi? Ils sont en caoutchouc, ces kilomètres, pas possible autrement.

Et il rehaussait brusquement son sac tous les trois pas, d’un coup de reins, et
ça tirait et il soufflait, et tout l’ensemble qu’il formait avec ses paquets
ballottait et geignait comme une vieille patache surchargée.

-On arrive, dit un gradé.

Les gradés disent toujours cela, à tout propos. Or -nonobstant cette affirmation
du gradé -on arrivait, en effet, dans le village vespéral où les maisons
semblaient dessinées à la craie et à gros traits d’encre sur le papier bleuté du
ciel, et où la silhouette noire de l’église -au clocher pointu, flanqué de deux
tourelles plus fines et plus pointues -était celle d’un grand cyprès.

Mais, quand il fait son entrée dans le village où il doit cantonner, le troupier
n’est pas au bout de ses peines. Il est rare que l’escouade ou la section
arrivent à se loger dans le local qui leur a été assigné: malentendus et doubles
emplois, qui s’embrouillent et se débrouillent sur place, et ce n’est qu’au bout
de plusieurs quarts d’heure de tribulations que chacun est mené à son définitif
gîte provisoire.

Nous fûmes donc, après les errements habituels, admis à notre cantonnement de
nuit: un hangar soutenu par quatre madriers et ayant pour murs les quatre points
cardinaux. Mais ce hangar était bien couvert: avantage appréciable. Il était
occupé déjà par une carriole et une charrue, à côté desquelles on se casa.
Paradis, qui n’avait cessé de maugréer et de geindre pendant l’heure des
piétinements et allées et venues, jeta son sac, puis se jeta lui-même à terre,
et resta là un bout de temps, assommé, se plaignant qu’il avait les membres sans
connaissance et que la semelle de ses pieds lui faisait mal; et toutes ses
coutures aussi, du reste.

Mais voici que la maison dont dépendait le hangar, et qui s’élevait juste devant
nos yeux, s’éclaira. Rien n’attire le soldat comme, dans le gris monotone du
soir, une fenêtre derrière laquelle il y a l’étoile d’une lampe.

-Si on faisait une virée! proposa Volpatte.

-Tout de même, dit Paradis.

Il se soulève, se lève. Boitant de fatigue, il se dirige vers la fenêtre dorée
qui a fait son apparition dans l’ombre; puis vers la porte.

Volpatte le suit et moi je viens après.

On entre, et on demande au vieux bonhomme qui nous a ouvert et qui présente une
tête clignotante, aussi usée qu’un vieux chapeau, s’il a du vin à vendre.

-Non, répond le vieux en secouant son crâne où un peu d’ouate blanche pousse par
places.

-Pas de bière, de café? quelque chose, quoi. . .

-Non, mes amis rien de rien. On n’est pas d’ici, on est des réfugiés, vous
savez. . .

-Alors, pisqu’il n’y a rien, mettons-les.

On fait demi-tour. On a tout de même, pendant un moment, profité de la chaleur
qui règne dans la pièce, et de la vue de la lampe. . . Déjà, Volpatte a gagné le
seuil et son dos disparaît dans les ténèbres.

Cependant, j’avise une vieille, affaissée au fond d’une chaise, dans l’autre
coin de la cuisine et qui a l’air très occupée à un travail.

Je pince le bras de Paradis:

-Voilà la belle du logis. Va lui faire la cour!

Paradis a un geste superbe d’indifférence. Il se fiche pas mal des femmes,
depuis un an et demi que toutes celles qu’il voit ne sont pas pour lui. Du
reste, quand bien même elles seraient pour lui, il s’en fiche aussi.

-Jeune ou vieille, peuh! me dit-il en commençant de bâiller.

Par désoeuvrement, par paresse de partir, il va à la bonne femme.

-Bonsoir, grand-mère, marmonne-t-il en finissant de bâiller.

-Bonsoir, mes enfants, chevrote la vieille.

De près, on la voit en détail. Elle est ratatinée, pliée et repliée dans ses
vieux os, et elle a la figure toute blanche d’un cadran d’horloge.

Et que fait-elle? Calée entre sa chaise et le bord de la table, elle s’escrime à
nettoyer des chaussures. C’est une grosse besogne pour ses mains d’enfant: ses
gestes ne sont pas sûrs et elle lance parfois un coup de brosse à côté; de plus,
les chaussures sont fort sales.

Voyant qu’on la considère, elle nous chuchote qu’il lui faut bien cirer, ce soir
même, les bottines de sa petite-fille, qui est modiste à la ville, et s’y rend
dès le matin.
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Henri Barbusse. (1873-1935) XVI Idylle.* Empty
MessageSujet: Re: Henri Barbusse. (1873-1935) XVI Idylle.*   Henri Barbusse. (1873-1935) XVI Idylle.* Icon_minitimeVen 13 Jan - 20:52

Paradis s’est penché pour regarder mieux les bottines, et, tout à coup, il tend
la main vers elles.

-Laissez ça, grand-mère, j’vas vous les astiquer en trois temps, les p’rits
croqu’nots de vot’ jeune fille.

La vieille fait signe que non, en secouant sa tête et ses épaules.

Mais mon Paradis prend d’autorité les chaussures, tandis que la grand-mère,
paralysée par sa faiblesse, se débat, et nous montre un fantôme de protestation.

Il a saisi une bottine dans chaque main, il les tient doucement et les contemple
un instant, et même on dirait qu’il les serre un peu.

-Sont-elles petites! fait-il avec une voix qui n’est pas la voix ordinaire qu’il
a avec nous.

Il s’est emparé aussi des brosses, et se met à frotter avec ardeur et avec
précaution, et je vois que, les yeux fixés sur son travail, il sourit.

Puis, quand la boue est enlevée des bottines, il prend du cirage à l’extrémité
de la brosse double pointue, et il les caresse avec, très attentif.

Les chaussures sont fines. Ce sont bien des chaussures de jeune fille coquette:
une rangée de petits boutons y brille.

-Il n’en manque pas un, de bouton, me souffle-t-il, et il y a de la fierté dans
son accent.

Il n’a plus sommeil, il ne bâille plus. Au contraire, ses lèvres sont serrées;
un rayon jeune et printanier éclaire sa physionomie et, lui qui allait
s’endormir, on dirait qu’il vient de s’éveiller.

Et il promène ses doigts, où le cirage a mis du beau noir, sur la tige qui,
s’évasant largement du haut, décèle un tout petit peu la forme du bas de la
jambe. Ses doigts, si adroits pour cirer, ont tout de même quelque chose de
maladroit, tandis qu’il tourne et retourne les souliers, et qu’il leur sourit,
et qu’il pense -au fond, au loin -et que la vieille lève les bras en l’air et me
prend à témoin.

-Voilà un soldat bien obligeant!

C’est fini. Les bottines sont cirées, et fignolées. Elles miroitent. Plus rien à
faire. . .

Il les pose sur le bord de la table, en faisant bien attention, comme si
c’étaient des reliques; puis, enfin, il en sépare ses mains.

Il ne les quitte pas tout de suite des yeux, il les regarde, puis, baissant le
nez, regarde ses brodequins, à lui. Je me souviens qu’en faisant ce
rapprochement, ce gros garçon à destinée de héros, de bohémien et de moine,
sourit encore une fois de tout son coeur.

. . . La vieille s’agita dans le fond de sa chaise. Elle avait une idée.

-J’vais lui dire! Elle vous remerciera, monsieur. Eh! Joséphine! cria-t-elle en
se retournant dans la direction d’une porte qui était là.

Mais Paradis l’arrêta d’un large geste que je trouvai magnifique.

-Non. C’est pas la peine, l’ancienne, laissez-la où elle est. On s’en va, nous
autres. C’est pas la peine, allez!

Il pensait si fort ce qu’il disait que son accent avait de l’autorité, et la
vieille, obéissante, s’immobilisa et se tut.

Nous nous en allâmes nous coucher dans le hangar, entre les bras de la charrue
qui nous attendait.

Et Paradis se remit alors à bâiller, mais, à la lueur de la chandelle, dans la
crèche, un bon moment après, on voyait qu’il lui restait encore du sourire
heureux sur la face.





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