AU PEUPLE CANADIEN
A M. L. O. DAVID.
O peuple canadien, tressaille d'allégresse,
Plonge ton noble coeur dans une sainte ivresse,
Entonne des hymnes d'amour!
Déroule avec orgueil les plis de tes bannières,
Fais retentir partout tes fanfares guerrières,
Car de Saint-Jean c'est le beau jour!
L'astre d'or, ce matin, à l'horizon sans bornes,
S'est levé radieux, posant au front des mornes
Un diadème de rayons;
Le vaste Saint-Laurent roule sa vague pure,
Et les petits oiseaux cachés dans la verdure
Disent leurs plus douces chansons.
La forêt secouant sa crinière brillante,
Jette mille clameurs à la brise odorante;
Le ruisseau, serpentant dans les vallons en fleur
Mêle au concert des bois sa suave harmonie;
L'airain lance aux échos sa mâle symphonie:
Tout sous le soleil chante une hymne au Créateur!
Joignant ta voix aux voix de la nature entière,
Peuple, au pied des autels, courbant la tête altière,
Va chanter et prier ton glorieux patron.
Pour retremper ton coeur aux sources de la gloire,
Étale les feuillets de ta sublime histoire,
De tes fastes dorés rouvre le panthéon!
C'est toi qui, découvrant nos forêts et nos ondes,
Les baptisa d'un nom français,
Et c'est toi que plantas sur ces rives fécondes
Le doux symbole de la paix.
Tu rêvais pour tes fils un avenir prospère
Sur la plage que nous foulons,
Quand, un jour, contre toi la puissante Angleterre
Déchaîna ses gros bataillons.
Tu sentis bouillonner dans tes veines la sève
Vigoureuse de tes aïeux,
Et combattis longtemps sans repos et sans trève,
Mais ne fus pas victorieux.
Et ton heureux vainqueur, pour prix d'une victoire,
Pauvre peuple, te demanda
Tes villes, tes hameaux, et tout le territoire
Qui s'appelle le Canada!...
Alors, abandonné par ta mère la France,
Ou plutôt par son lâche roi,
Tu cédas ce trésor, ayant eu l'assurance
De garder ta langue et ta foi!
Peuple, en ce jour béni de la Saint-Jean-Baptiste,
Démontre avec éclat que dans ton âme existe
L'amour pur de la liberté!
Redis à l'étranger ton histoire héroïque,
Affirme hautement ta constance stoïque
Ta force et ta vitalité!
24 juin 1878.