PLUME DE POÉSIES
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 Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 4

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Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 4 Empty
MessageSujet: Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 4   Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 4 Icon_minitimeLun 7 Mai - 14:43

LIVRE 4




Mais Orleans à peine a veu sa delivrance,
Que l'avis incroyable en vole par la France;
Et le peuple asservy sous le joug estranger,
L'esprouve, à ce bruit seul, plus doux et plus leger.
Par les faits plus-qu'humains de la sainte pucelle,
Dans les coeurs abatus l'espoir se renouvelle,
Et chacun desormais, d'un bras si redouté,
Ainsi que sa vengeance, attend sa liberté.



La seule infortunée et sensible Marie
Ne peut voir par ce bras relever sa patrie;
Seule elle l'apprehende, et pleine de douleur
Plus que ne fait l'anglois, l'estime son malheur.
Les superbes rameaux de sa tige natale
Sont unis aux rameaux de la souche royale,
Et non moins florissans, non moins ambitieux,
S'eslevent à-l'envy vers la voute des cieux.
À son port, à son geste, à sa voix, à sa mine,
On la juge d'abord une chose divine,
Et, par l'unique Agnes, le prix de la beauté
Luy peut estre icy bas justement disputé.
Sur son front descouvert, tranquille et sans nüage,
En deux torrens egaux sa tresse se partage,
Et ses cheveux chastains, en boucles annellés,
Flottent negligemment sur son col avalés.
Dans l'ouverte prison de ses blanches paupieres,
Deux soleils animés renferment leurs lumieres,
Et, parmy les eclats de leurs feux violens,
Conservent la douceur à leurs rayons bruslans.
Un air grave, mais doux, regne en tout son visage,
Rien ne se voit en luy, que riant, et que sage,
Et l'on trouve meslés, en chacun de ses traits,
Cent attraits inconnus, et cent charmes secrets.
Mais, comme en toute chose elle se monstre belle,
Il n'est point de vertus, qui ne brillent en elle,
Les cieux en sa faveur prodiguant leurs thresors,
Pour embellir son ame à l'egal de son corps.



Avant que la Bourgogne, unie à l'Angleterre,
Eust rallumé le feu de cette horrible guerre,
Ses yeux, astres nouveaux de l'empire d'amour,
Mesme des leur lever, esbloüirent la cour.
Leur flamme sceut brusler, des l'âge le plus tendre,
De leurs puissans rayons nul ne se put defendre,
Et quiconque aperceut un si divin objet,
N'eut le sein que de roche, ou devint son sujet.
En vain de mille amans elle fut recherchée,
On ne la vit jamais de leurs larmes touchée,
Et, si jamais Paris n'eust veu le grand Dunois,
L'amour en vain sur elle eust vuidé son carquois.
Dunois luy ravit seul le titre d'invincible,
Seul à sa passion la fit estre sensible,
Et, sans aucun effort, de sa glace vainqueur,
Put tout seul obtenir d'estre roy de son coeur.
Par le puissant effet de la douce influence,
Qui les avoit conjoints, au point de leur naissance,
Pour faire à leurs esprits mesme feu concevoir,
Il ne leur fallut rien, que naistre, et que se voir.
L'ardeur parut en eux soudaine et mutüelle,
Elle brusla pour luy, comme il brusla pour elle,
Et dans un mesme instant, par les traits de leurs yeux,
Tous deux furent vaincus, tous deux victorieux.
Tant que dura la paix, on vit leurs jeunes ames,
Nourrir paisiblement leurs legitimes flammes,
Et, sans rien refuser à leurs chastes desirs,
Gouster ce que l'amour a d'innocens plaisirs.



Mais lors que la discorde, avec toute sa rage,
Vint rallumer la guerre au françois heritage,
Et que le champ des lys, en deux parts divisé,
Fut inhumainement à soy-mesme opposé;
Philippes, rendu maistre en la ville maistresse,
Pres de l'antique reyne y trouva la princesse,
L'y trouva, le coeur triste et le corps abatu,
Mais sousmis l'un et l'autre à l'austere vertu.
Niepce du bourguignon, et, sans pere et sans mere,
Exposée aux travaux, aux soins, à la misere,
De luy seul, contre tout, elle fit son appuy,
Et n'eut, dans sa conduite, autre regle que luy.
Ni la vertu pourtant, ni l'estroit parentage,
N'en purent adoucir le barbare courage;
Sa passion l'aigrit, il improuva ses voeux,
Et, non moins que l'estat, tyrannisa ses feux.
Mais malgré tant de maux, la miserable amante
Conserva son amour genereuse et constante,
Entretint son brasier de memoire et d'espoir,
Ne vit plus son amant, et l'ayma sans le voir.
Cent fois, par le conseil de son amour fidelle,
Elle voulut quiter la muraille rebelle,
Cent fois un frein puissant de crainte et de pudeur,
La destourna de croire à sa fidelle ardeur.
La pudeur et la crainte, arbitres de son ame,
Rompoient tous les desseins qu'avoit formé sa flamme,
Et le severe honneur faisoit que sa raison
Jugeoit la liberté pire que la prison.



À de si rudes loix sousmise et condannée,
La princesse en langueur passa plus d'une année,
Et rien ne l'empescha de mourir sous ces loix,
Que de ne douter point de la foy de Dunois.
Ainsi quand, aux beaux jours de la saison nouvelle,
Se sent prise au lacet l'amante tourterelle,
Et qu'elle voit son pair, de l'embusche eschappé,
Avoir de l'oyseleur l'artifice trompé;
Seulette elle gemit, elle languit seulette,
Elle hait la clarté, la mort elle souhaite,
Et si rien desormais luy fait souffrir le jour,
C'est de croire son pair fidelle en son amour.
Non loin du grand Paris, vers la fertile plaine,
Où les flots de l'Yonne enflent ceux de la Seine,
Une espaisse forest d'arbres hauts et serrés,
Couvre un sterile fonds de sables alterés.
De cerfs et de chevreuls mille trouppes sauvages,
Habitent de ses forts les verdoyans ombrages,
Et la terrible dent des farouches sangliers
Brosse dans ses buissons, et tranche ses halliers.
C'est là le lieu fameux des champestres delices,
Que reservent les roys pour leurs doux exercices;
Et c'est là que leurs bras ensanglantant leurs traits,
Representent la guerre au milieu de la paix.
Dans le centre du bois, en un champ solitaire,
Sourd entre les rochers une fontaine claire,
Qui, cavant par son cours un naturel canal,
Roule sur le gravier son liquide crystal.



Ses eaux, quand de leur source elles sont respanduës,
Ne semblent pas des eaux, mais des perles fonduës,
Avec qui lentement coulent entremeslés,
Des diamans dissous, des saphirs distillés.
C'est un miroir celeste, et jamais l'oeil du monde
Ne se trouve si beau que dans cette belle onde;
Elle est vive, elle est pure, et telle est sa beauté,
Que ce bois a son nom d'elle seule emprunté.
De costaux monstrüeux, cette illustre fontaine
Descouvre à-l'entour d'elle une superbe scene,
De rocs, qui, vers les cieux en pointe s'eslevans,
Offrent leur teste nuë aux attaques des vents.
À l'effroyable aspect de leur rustique masse,
Le coeur le plus hardy se transit et se glace,
L'oeil en refuit l'horreur, et demeure surpris,
De voir un grand desert si pres du grand Paris.
Mais un vaste palais d'architecture rare,
Adoucit de ce lieu l'objet rude et barbare,
Et, durant les beaux jours que rameine l'esté,
Rend de princes chasseurs le desert frequenté.
Philippes mescontent, et plein d'inquietude,
Avoit fait sa retraitte en cette solitude,
Et, par la solitude aigrissant sa douleur,
Ne pensoit qu'aux moyens de venger son malheur.
La perte d'Orleans tourmentoit sa memoire.
Tel se monstre un taureau, plein d'amour et de gloire,
Qu'un autre plus vaillant, jaloux de son bonheur,
A par force privé de maistresse et d'honneur.



Au fond du bois obscur, loin de son pasturage,
Il rumine sa perte, et s'enflamme de rage;
Ses desseins sont crüels, contre son fier rival,
Et le lieu solitaire envenime son mal.
Vers le prince irrité, la princesse affligée,
Au bruit de son courroux, s'estoit soudain rangée,
Et, croyant ce desordre utile à ses desirs,
D'une ombre de plaisir, flatoit ses desplaisirs.
Elle jugeoit qu'alors devoient entrer en guerre
L'orgueilleuse Bourgogne, et la fiere Angleterre,
Qu'à Charles desormais Philippes se joindroit,
Et que leur union son Dunois luy rendroit.
Son aymable Dunois desja, dans sa pensée,
La venoit consoler de sa langueur passée,
Par cent et cent sermens l'assuroit de sa foy,
Et luy juroit de vivre et mourir sous sa loy.
Son espoir endormy se resveillant en elle,
Fait qu'aux yeux de Dunois elle veut estre belle;
Elle redonne l'ordre à ses cheveux espars,
Et rallume le feu dans ses sombres regards.
Elle aiguise les traits, dont l'atteinte agreable
Puisse blesser Dunois, d'une playe incurable,
Et, pour le confirmer à se plaire en ses rets,
Prepare contre luy mille nouveaux attraits.
Ce jour mesme, exposant sa beauté sans seconde,
Au tranquille miroir de la source profonde,
Et consultant ses eaux, pour sçavoir quels appas
Pouvoient le mieux donner un amoureux trespas;



Elle voit accourir la discrette Yolante,
De ses plus chers secrets fidelle confidente,
Et crier; à ce coup le grand siege est levé,
Betford a pris la fuitte, et Dunois est sauvé.
Marie, à ce discours, ne peut cacher sa joye,
Le plaisir sur son front, eclate et se desploye,
Et sa riante bouche, et ses yeux eclatans,
Font voir à quel exces ses esprits sont contens.
Il est vray, dit la fille; et là, sans plus rien dire,
Elle baisse la veüe, et tristement souspire;
Son visage se trouble, et, changeant de couleur,
L'accuse de celer quelque insigne malheur.
La princesse en fremit, et, confuse et craintive,
N'ose luy commander qu'elle parle et poursuyve;
Puis tout à coup l'en presse, et, la voyant trembler,
Prend de son tremblement sujet de redoubler.
Alors, et toute en pleurs; il est vray, luy dit-elle,
Que Dunois, envers vous, passe pour infidelle,
Et que le bruit commun veut qu'en ce changement
D'une simple bergere il se soit fait amant.

Par ces funestes mots la princesse abatüe,
Sent au fond de son sein, la douleur qui la tüe,
Elle perd force et voix, et le feu de ses yeux
S'esteint, et luy ravit la lumiere des cieux.
De mesme le poisson, qu'attire l'apparence,
Vers le morceau flotant famelique s'elance,
Et prenant l'hameçon, sous le trompeur appas,
Au lieu de nourriture y trouve le trespas.



Son coeur est impuissant à soustenir sa peine;
Elle tombe pasmée au bord de la fontaine,
Et, dans cet accident, son immobile corps
N'est dissemblable en rien des mourans ou des morts.
Yolante s'escrie, et se jette sur elle,
À leurs premiers devoirs ses puissances rappelle,
Et par l'eau de la source, et celle de ses pleurs,
La ravit à la parque, et la rend aux douleurs.
Ah! Luy dit-elle alors, d'une voix languissante,
Quel discours m'as-tu fait, inhumaine Yolante?
Pourquoy venir, helas! Par de si tristes mots,
Destruire mon espoir, et troubler mon repos?
À croire un si grand mal ton ame est trop legere,
La bouche qui l'a dit, sans doute, est mensongere,
Non, non, de l'equité les cieux sont trop amis,
Pour souffrir que Dunois ait ce crime commis.
Mais quoy? Tout est possible; amante infortunée,
Donques de mon amant serois-je abandonnée?
Ah! Soyons, sans tarder, de ce doute eclaircis,
Et la mort, s'il est vray, finisse nos soucis.
Là s'arreste Marie, et sa morne pensée
Sans se resoudre encor demeure balancée,
Elle craint, elle espere, et craint plus, toutesfois,
Qu'elle n'ose esperer de la foy de Dunois.
Mais de son changement la funeste nouvelle,
Se confirme à la fin, par un courrier fidelle,
Et la princesse apprend que, d'un divin objet,
L'objet de son amour est devenu sujet.



Elle apprend, qu'une sainte et vaillante bergere,
Vient de le garantir de la force estrangere,
Et qu'estant par ses faits en liberté remis,
À son glorieux joug il a le col sousmis.
De son dernier malheur à ce coup assurée,
Et d'un depit mortel violemment outrée,
Elle eclate en ces mots ardens et furieux,
Et n'a pour tous tesmoins qu'Yolante et les cieux.
Il est donc vray, dit-elle, amant faux et parjure,
Que tu m'as bien pu faire une si grande injure;
Donc ce coeur de heros, autresfois si vanté,
A bien pu consentir à cette lascheté.
Est-ce ainsi que le mien reçoit la recompense
De son bruslant amour, de sa perseverance?
Est-ce ainsi que les maux qu'il a pour toy cheris,
Par ta reconnoissance, à la fin sont gueris?
J'ay pour toy sur les bras la France et l'Angleterre,
La Bourgogne, pour toy, m'a declaré la guerre,
Et je me suis, pour toy, fait autant d'ennemis,
Que les traits de mes yeux m'ont de princes sousmis.
Ils ont tous veu, pour toy, leurs flammes negligées,
Et, sur moy cependant, nul ne les a vengées;
Toy seul, pour qui ma foy produisoit leurs travaux,
As puny ton amante, et vengé tes rivaux.
Traistre, dissimulé, que sous un doux visage
Tu m'as caché long-temps ce barbare courage!
Ton coeur, en mes liens, languissoit feintement,
Et, pour me trahir mieux, contrefaisoit l'amant.



Mais en brisant mes fers, aveugle volontaire,
De quelle autre beauté te rens-tu tributaire?
Quelle rare vertu, quelle auguste splendeur
Allume dans ton sein cette nouvelle ardeur?
Ah! Trop lasche Dunois, une fille champestre
Est l'illustre beauté, dont les yeux l'ont fait naistre;
C'est elle, dont les yeux ont bien pu t'engager
À desdaigner ma flamme, et la tienne changer.
Pour escarter de toy les tempestes guerrieres,
J'ay conceu mille voeux, j'ay fait mille prieres;
C'est par moy que tu vis, et l'objet de tes feux,
S'il te possede, helas! Ne te doit qu'à mes voeux.
Les cieux m'ont exaucée, helas! Pour ma rivale;
Ô cieux! Ne gardés plus cette ame desloyale,
Laissés l'ingrat en proye à son mauvais destin,
Que des mesconnoissans il rencontre la fin;
Qu'en guerre desormais la fortune ennemie
L'accable de malheurs, le couvre d'infamie,
Et que le feu nouveau, dont il est embrasé,
Par ce nouvel objet, demeure mesprisé.
D'une mortelle peine à ce mot oppressée,
Elle sent, sur son coeur, sa plainte repoussée;
Dans sa gorge, à sa voix elle sent un retien,
Et, pour vouloir trop dire, elle ne dit plus rien.
Tout le reste du jour passe dans le silence,
Sans que de sa fureur cesse la violence;
À la fin, vers la nuit, ce transport vehement
Laisse regner en elle un plus doux mouvement.



Comme apres que le sud, tyran des mers profondes,
A sens dessus dessous bouleversé les ondes,
Et jusques dans les cieux, à secousses et bonds,
En montagnes d'escume elevé leurs boüillons;
Par ses rudes efforts la vague tourmentée,
D'un souffle moins superbe est enfin agitée;
Le grand orage cesse, et l'art des matelots
Sent moins de resistance en la rage des flots.
Le devoir d'une fille, et sa vertu passée,
Reviennent tout à coup s'offrir à sa pensée,
Et son sens moins troublé juge que son ardeur
La portée au delà des loix de la pudeur.
Dans son sein ebranslé, l'amoureuse tourmente
Tousjours de plus en plus se rend moins violente;
Tousjours plus la sagesse, apres ce grand travail,
De son sens egaré reprend le gouvernail.
Mais bien que la tempeste, ou cesse, ou diminüe,
Son ame toutesfois en est encore emeüe,
Et tout ce qu'elle obtient de ses vives douleurs,
C'est de pouvoir se plaindre, et respandre des pleurs.
À ses pleurs retenus elle lasche la bonde,
De leur debordement son visage s'inonde,
Son coeur se sent, par eux, allegé d'un grand poids,
Et sa langue müette en recouvre la voix.
Alors de son beau sein tristement elle tire
Le portrait du crüel, qui cause son martyre;
Gage autresfois donné d'un amour eternel,
Maintenant devenu perfide et criminel.



De noeuds de diamans, et de chaisnes dorées,
Il avoit les deux mains estroitement serrées;
De chaisnes et de noeuds son col estoit pressé,
Et le nom de Marie y brilloit enlacé.
Fixe elle l'envisage, et long-temps considere
Ce glorieux captif, cette teste si chere,
Attache à cet objet ses regards languissans,
Et d'une douce erreur laisse abuser ses sens.
Dans le trouble, où la tient son ardeur enflammée,
Voyant au naturel cette image exprimée,
Elle croit voir present l'autheur de son ennuy,
Et, parlant au portrait, pense parler à luy.
Ces liens, luy dit-elle, amant foible et volage,
T'engageoient à me rendre un eternel hommage,
Rien ne les devoit rompre, et tu les romps pourtant;
Une autre t'asservit, et te rend inconstant.
Une autre, mais quelle autre? Ah! Guerrier sans courage,
Preferer à mes fers cet infame servage;
Qui l'eust jamais pu croire? à ce mot souspirant,
De pleurs, sur le portrait, elle verse un torrent.
Mais au milieu des maux, dont son ame est pressée,
L'amour ingenieux vient flater sa pensée,
Et, par un beau retour, tasche à luy faire voir
Reluire en ce malheur quelque rayon d'espoir.
Qui sçait, dit-elle, ingrat, si ta flamme nouvelle
T'a sousmis tout entier au joug de la pucelle?
Et qui sçait si ton coeur, à mon coeur attaché,
A pu dans cet effort m'estre tout arraché?



Non, tu ne m'as pu faire un si barbare outrage;
Ton coeur, bien que changé, garde encor mon image;
Le feu qui l'enflamma n'est pas encore mort;
Il se peut rallumer, plus ardent et plus fort.
J'espere encore en toy, parce que je t'estime;
Tu n'as pas un esprit, à se soüiller d'un crime,
Tu conçois la raison, tu cheris l'equité,
Et n'as rien en horreur, comme la lascheté.
Excite ta vertu, romps les indignes chaisnes,
Qu'autant qu'à mon dommage, à ta honte tu traisnes;
Sois juste envers Marie, et rens à ses liens,
Ton coeur, son fugitif, le plus grand de ses biens.
La princesse, à ce mot, finit sa plainte amere;
La fille, qui l'escoute, et qui voit qu'elle espere,
Veut esperer aussi, que le coeur de Dunois
Ne sera pas en tout affranchy de ses loix.
Elle veut croire au moins qu'un vigoureux langage
Peut, dans ses premiers fers, rengager le volage,
Et, par cette croyance allegeant son ennuy,
À Marie, en ces mots, offre d'aller vers luy.
Donnés soulagement à vostre ame oppressée;
Je viens de concevoir une noble pensée,
Une entreprise haute, et qui peut succeder,
Si par mon zele ardent vous vous laissés guider.
Il faut qu'avant le jour, en homme deguisée,
Du camp victorieux je prenne la brisée,
Et que, me presentant à ce cher ennemy,
Je resveille pour vous son amour endormy.



Je sçay l'art de flechir ce superbe courage,
Je sçay ce qui l'emeut, je sçay ce qui l'engage,
Ma liberté luy plaist, et mes fermes discours
À tout ce que je veux le disposent tousjours.
Souffrés que, pour un peu, je m'esloigne, et vous quitte;
De tenter ce projet ma foy me sollicite;
Vous ne hazardés rien, souffrés-le seulement,
Et n'attendés de moy que du contentement.
D'un dessein si hardy la princesse offensée,
D'Yolante, d'abord, rejette la pensée,
Mais son coeur amoureux d'esperance flaté,
À la seconde fois, est par elle emporté.
Elle s'y determine, et, je me rens, dit-elle,
Aux puissantes raisons que t'inspire ton zele;
Je n'espere qu'en luy, dans mon aspre douleur,
Et veux seul l'opposer aux traits de mon malheur.
Je ne te prescris rien; seule tu peux elire,
Et ce qu'il faudra faire, et ce qu'il faudra dire;
Seule je t'establis maistresse de mon sort,
Et remets, en tes mains, et ma vie, et ma mort.
Va donc, et, sans tarder, à partir te prepare;
Pour s'aller preparer la fille se separe;
La princesse qui souffre, et ne peut reposer,
Par le portrait chery, fait sa peine amuser.
La nuit en cet estat se coule toute entiere;
Elle aperçoit en fin le ciel gros de lumiere,
Et par tout desormais l'horizon blanchissant
Sous les premiers rayons du soleil renaissant.



Vers elle, en habit d'homme, alors vient Yolante,
Presse, pour son envoy, la malheureuse amante,
Et dit qu'avant six jours, cet esclave leger
Pour jamais à ses pieds, reviendra se ranger.
Pars donc, respond Marie, et trouve ce volage,
Presente à ses regards cette amoureuse image,
À ton ferme discours, joins sa müette voix,
Et que Dunois te serve à me rendre Dunois.
Pars, et pour mieux agir, songe que je te fie
L'espoir de mon repos, et celuy de ma vie;
Parle avec tant d'addresse, avec tant de bonheur,
Que je paroisse amante, et conserve l'honneur.
La fille, sur ce mot, à ses genoux se baisse,
Luy prend la belle main, la baise, puis la laisse,
Et, traversant du bois la plus sombre espaisseur,
Commence son voyage, et le poursuit sans peur.
Mais, dans les forts conquis, la triomphante armée
À peine est par ses chefs esparse et renfermée,
Que la sainte aussi-tost va, d'un rapide cours,
Annoncer à son roy l'effet du saint secours.
Elle veut l'informer, et par sa bouche mesme,
Des exploits dont l'eclat luy rend le diademe,
Et veut, de vive voix, le presser ardemment,
De s'apprester au sacre, et d'armer puissamment.
Pour ces nobles desseins, les trouppes elle quitte,
Et soudain vers le roy sa course precipite;
Rodolfe l'accompagne, et dans moins de deux jours,
Le sourcilleux Chinon les voit entre ses tours.



Là, le prince elle aborde, et de zele remplie;
J'ay, dit-elle, ô grand roy, ma promesse accomplie;
Les cieux ont par ce bras, et le bras de Dunois,
Garanty ta cité des estrangeres loix.
La justice des cieux, sur l'injuste Angleterre,
Par nos fragiles mains, a lancé le tonnerre,
Voicy de ton bonheur le retour arrivé,
Betford a pris la fuitte, Orleans est sauvé.
Mais c'est peu qu'Orleans soit remis en franchise,
Plus loin, que son salut, s'estend nostre entreprise;
Ce coup n'est que l'essay d'un plus heureux destin;
Qu'il nous faut constamment pousser jusqu'à sa fin.
Nous devons, au travers des terres usurpées,
Faire par nostre coeur passage à nos espées,
Sans donner paix, ni tréve, à nos vaillantes mains,
Que l'onction des cieux ne t'ait sacré dans Rheims.
Cet honneur te manquant, à peine tes provinces
T'osent-elles conter au nombre de leurs princes;
Ton regne, sans le sacre, est un regne imparfait,
Et sans luy le tyran ne peut estre desfait.
Donques, pour l'obtenir, excite ton courage,
Excite tes soldats à ce divin ouvrage,
Mets le feu dans leurs coeurs, haste leur partement,
Et n'apprehende rien que le retardement.
Mais, pour ce grand projet, que ta plaine est deserte!
Elle qui d'escadrons devroit estre couverte;
Ah! Par de nouveaux soins, et de nouveaux courriers,
Repare la lenteur de tes apprests guerriers.



Charles hors de luy-mesme, à la grande nouvelle,
Redouble son respect, pour l'illustre Pucelle,
Et dit, fille admirable, en ton bras redouté,
J'adore le pouvoir de la divinité.
Orleans secouru, les anglois mis en fuitte,
Font trop voir à mes yeux la celeste conduitte,
Ce miracle evident prouve trop desormais,
Que le dieu des combats est l'autheur de tes faits.
Mon espoir, je l'avoüe, ô genereuse sainte,
S'est trouvé jusqu'icy balancé par ma crainte;
Avant ce haut succes, j'ay bien pu croire en toy,
Mais ç'a tousjours esté d'une tremblante foy.
Maintenant je croy tout, et je veux tout attendre,
Du bras par qui le ciel est venu me defendre;
Je suis prest de le suyvre, et de le seconder,
Hazarder tout sous luy, ce n'est rien hazarder.
J'iray seul, si tu veux, ou si tu me demandes,
Que je joigne à ton bras ceux de toutes mes bandes,
Dans moins de dix soleils, tu verras tout ce champ
Caché sous les drappeaux d'un innombrable camp.
Attens donc en ces murs cette vaste puissance,
Qui doit ayder la tienne à delivrer la France;
Laisse-nous, dans tes yeux, charmer un peu nos maux,
Et respire un moment, apres tant de travaux.
Non, prince belliqueux, repart la guerriere,
Je ne doy reposer qu'au bout de la carriere;
Je ne puis dans mon cours un instant m'arrester,
C'est un ordre d'enhaut, qu'il faut executer.



Tandis que, de cent lieux, en ce lieu, tu ramasses
Le camp, qui doit vers Rheims suyvre tes nobles traces,
Gergeau, Meun, Baugency, retraitte des fuyards,
Par mes mains à tes loix sousmettront leurs rempars.
Charles à ce discours reprime son envie;
Comme lors qu'à cingler le vent propre convie,
Et que le fier Neptune applanissant ses flots,
Promet un cours facile aux ardens matelots;
Si du sage nocher la famille amoureuse
Tasche à le retenir sur la plage escumeuse,
Au perilleux voyage il la fait consentir,
En luy monstrant le ciel qui l'oblige à partir.
Le rameau le plus grand de la royale souche,
Alençon, dont l'orgueil rend la vertu farouche,
Boüillant, ambitieux, ennemy du repos,
De la fille et du prince entendit les propos.
Mais, de la sainte fille entendant le langage,
Il sentit d'un feu saint enflammer son courage,
Se sousmit à son joug, et voulut desormais
Prendre part à l'honneur de ses illustres faits.
Humblement il l'approche, humblement il la prie
De souffrir qu'avec elle il serve sa patrie;
La guerriere l'agrée, et le roy l'approuvant,
Ils partent, et leur vol previent celuy du vent.
Cependant la fidelle en homme desguisée,
Par les champs descouverts de la Beausse embrasée,
Vient aux murs delivrés, et sur un boulevard
Voit Dunois, qui pensif se promeine à l'escart.



Seul, d'abord, à ses yeux la fortune le monstre,
Elle tient à miracle une telle rencontre,
En tire un bon augure, et, flatant son ennuy,
Au prince se descouvre, et s'avance vers luy.
Il reconnoist la fille, et ne peut à sa veüe
Cacher le mouvement dont son ame est emeüe;
Il rougit, il paslit; elle s'en apperçoit,
Et d'un succes heureux l'esperance conçoit.
Au guerrier estonné, feignant de l'ignorance
Du tort qu'à sa maistresse a fait son inconstance,
Elle tient dans son coeur son desplaisir enclos,
Luy sousrit, le va joindre, et luy parle en ces mots.
Je viens, parfait amant, des lieux où ta princesse
A passé, loin de toy, ses beaux jours en tristesse,
Non, pour te reprocher les maux que, dans les fers,
Sous l'angloise insolence, elle a pour toy soufferts.
Son amour est trop noble, et ta gloire sublime
Allume, dans son sein, un feu trop magnanime,
Pour permettre à sa voix, mesme dans le trespas,
De se plaindre des maux que tu ne souffres pas.
Du bonheur que le ciel à tes armes envoye,
Je viens t'apprendre icy sa veritable joye,
Et te dire qu'en fin s'approche l'heureux temps,
Où tes pudiques voeux doivent estre contens.
Tu n'as plus d'ennemis, Betford, Betford luy-mesme,
Sans resource, est tombé sous ta valeur supreme,
Et Philippes luy-mesme, au gré de tes desirs,
Semble avoir oublié ses cuysans desplaisirs.



Ton coeur ne voit plus rien qui sa flamme importune,
Tu touches de la main à ta bonne fortune,
Il ne tiendra qu'à toy, d'aspirer desormais
À l'accomplissement de tes chastes souhaits.
C'est ce que ta princesse, et ta chere esperance,
Est preste d'accorder à ta perseverance,
Sans que l'injuste bruit, qui te nomme inconstant,
Pres d'elle, t'ait fait tort, non pas mesme un instant.
Apres cent et cent voeux de n'estimer rien qu'elle,
Elle sçait que ta foy ne peut estre infidelle,
Et ne croira jamais, qu'aucune autre beauté
Ait pu, dans ses liens, prendre ta liberté;
Bien moins une bergere, un prodige d'audace,
Dont l'effort, je le veux, a sauvé cette place,
Mais qui, par sa bassesse, est mal propre à pouvoir
Forcer ton grand courage à trahir son devoir.
Durant tout ce discours, la fille accorte et sage,
D'un regard attentif, le guerrier envisage,
Et voit dans son teint pasle, et dans ses yeux ardens,
De sa confusion les signes evidens.
Elle voit sur son front, elle voit en sa veüe,
Cent divers mouvemens d'une ame irresolüe,
Elle le voit, qui tremble, et d'un tacite aveu,
Confesse que son sein brusle d'un nouveau feu.
Pardon enfin, dit-il, pardon, chere Yolante,
Si ma voix est craintive, et ma parole lente,
J'ay balancé long-temps, et me suis veu tenté,
D'adjouster la feintise à la legereté.



Mais si, par le defaut de l'humaine foiblesse,
J'ay bien pu faire injure à ma belle princesse,
Je n'ay pu, ni voulu, d'un silence insolent,
Accroistre mon offense en la dissimulant.
J'ay failly, je l'avoüe, et j'ay pu dans mon ame
Allumer pour une autre une amoureuse flamme,
Je me suis laissé prendre, et l'objet qui m'a pris
Est celuy que tu crois si digne de mespris.
J'ay failly, mais, croy moy, la faute est pardonnable,
À la considerer d'un esprit equitable,
J'ayme ces deux objets, et sans estre changé,
Mon amour seulement entre eux est partagé.
Croy moy, si de Dunois tu peux jamais rien croire,
Ma princesse a tousjours sa place en ma memoire;
Tout captif que je suis de ce nouveau vainqueur,
Elle possede encor la moitié de mon coeur.
Yolante à ces mots perd toute retenüe,
Et ne peut endurer que Dunois continüe,
De sa foible defense elle interrompt le cours,
Le regarde en fureur, et luy tient ce discours.
Il est donc vray, perfide, et c'est ta bouche mesme,
Qui, contre ton honneur, profere ce blasfeme,
Tu manques à Marie, et tu la peux laisser;
Ah! C'estoit une faute à ne point confesser.
Mais de mille raisons tu colores ton crime;
Marie en ton esprit conserve son estime,
Tu luy gardes encor la moitié de ta foy;
Ô grand effort d'amour, qui n'appartient qu'à toy!



Ô grand coeur de Dunois, le plus grand de la terre!
Qui, sans peine, en luy seul deux grands amours enserre;
Coeur adroit, qui dans soy, par des moyens aisés,
Peut seul unir en paix deux amours opposés.
Non, non, n'allegue point ces excuses frivoles,
Il n'est plus temps de croire à tes vaines paroles,
Ton esprit est trompeur, tes discours superflus,
Nous te creusmes jadis, nous ne te croyons plus.
Ô que par le transport d'une ardeur desreglée,
La raison des humains est souvent aveuglée!
Que le vice est peu sage! Et que facilement,
En suyvant sa conduitte, on perd le jugement!
Ne recours point, Dunois, à ces mauvaises ruses;
Te pensant excuser, toy mesme tu t'accuses;
Entre ces deux objets te dire partagé,
C'est dire qu'au premier tu n'es plus engagé.
De ces deux, ô crüel, pese bien les merites;
Voy celuy que tu prens, voy celuy que tu quittes;
Connoy quel est leur prix, et quel est ton devoir;
Mais je te presse, en vain, de connoistre et de voir.
Par la folle valeur de l'illustre effrontée,
Ton esprit est charmé, ta veüe est enchantée;
Et qui sçait mesme encor, si, pour t'en rendre amant,
Elle n'a point usé d'un pire enchantement?
Je crains, avec sujet, que ces superbes armes
Ne cachent, pour ton mal, quelques magiques charmes;
Je crains un sortilege à ta vertu fatal;
Tu sçais quel est l'endroit, d'où t'est venu ce mal.



Sous un visage humain une noire furie
A ravy ton amour à l'amour de Marie;
La sorciere a, sur toy, fait ce puissant effort,
Et tout ton changement n'est que l'effet d'un sort.
Enyvrant ton esprit d'un amoureux bruvage,
De la droitte raison elle t'oste l'usage,
Et ton sens desormais, ne discernant plus rien,
Prend le bien pour le mal, et le mal pour le bien.
Quitter une princesse, et suyvre une bergere!
En la place d'un ange, elire une megere!
Un coeur si magnanime, un esprit si parfait,
De son mouvement seul ne l'auroit jamais fait.
Le prince se rassure, à cette voix accorte,
Et se monstre agité d'une peine moins forte;
Yolante l'observe, et de ce changement
Juge à son avantage, et suit adroittement.
Mais, soit crime ou malheur, sortilege ou foiblesse,
Qui t'ait mis sous le joug de cette autre maistresse;
Ce joug est trop indigne, et le brave Dunois
Ne peut estre sans honte asservy sous ces loix.
Sus donc, affranchy-toy de cette servitude,
Qui mesle en toy l'opprobre avec l'ingratitude,
Brise ces derniers fers, infames, odieux,
Et reprens les premiers justes et glorieux.
Rentre dans la prison de cette infortunée,
Qu'à souffrir, pour toy seul, les cieux ont condannée,
Et qui, dans ses plus longs et plus aspres tourmens,
T'a tousjours conservé ses plus chers sentimens.



Artus et Lyonnel, que je nomme entre mille,
Pour eux, l'ont esprouvée à l'amour indocile,
Et, quoy que la fortune ait sceu luy presenter,
Pour te manquer de foy, rien ne la pu tenter.
Pour luy manquer de foy, coeur remply de foiblesse,
Tu t'es laissé tenter; et par quelle maistresse?
Dunois, à ce reproche amer et furieux,
D'un nüage nouveau se recouvre les yeux.
La fille s'apperçoit que son projet s'avance,
Et poursuit, en ces mots, avec plus d'esperance;
Non, ne te trouble point, sois sans crainte, c'est moy,
Moy seule, qui te blasme, et doute de ta foy.
Ouy, c'est moy toute seule, et non pas ton amante,
Qui croit ta passion, et fidelle et constante,
Et dement les avis, qui devant sa bonté,
T'accusent d'inconstance et d'infidelité.
Ce miracle d'amour, pour ta bonne fortune,
Combat, en ta faveur, la creance commune,
Et te croit bien plustost semblable à ce portrait,
Que tel que je te trouve, et que le bruit te fait.
Elle te croit encor lié de cette chaisne,
Elle se croit encor ta maistresse et ta reyne,
Elle croit du vray bruit le tesmoignage vain,
Et t'en donne, icy mesme, un gage de sa main.
Yolante, à ce mot, le portrait luy presente;
Le prince le reçoit, mais d'une main tremblante,
En tremblant le regarde, et dans son action,
De son coupable coeur fait voir l'emotion.



Son coeur, à cet objet, plus que devant se trouble;
La rougeur sur son front s'accroist et se redouble;
Mais un plus grand desordre agite ses esprits,
Lors qu'il voit, au dessous, ces quatre vers escrits.
Dis ce que tu voudras, trompeuse renommée,
Seule de mon amant je suis tousjours aymée,
Nulle autre dans ses fers ne le tient engagé,
Et ce n'est que des miens qu'il peut estre chargé.
D'abord il reconnoist les charmans characteres,
Qui servirent jadis aux amoureux mysteres,
Et poussé d'un instinct, qu'il ne peut maistriser,
Sur chacun d'eux imprime un amoureux baiser.
Sa vieille passion luy fait cette surprise;
À chaque mot qu'il lit son brasier se rattise,
Chaque trait le reblesse, et, d'instant en instant,
Rameine à son devoir son esprit inconstant.
La fille le remarque, et de sa repentance
Concevoit desormais une ferme esperance,
En faisoit voir sa joye, et se sentoit flatter
De celle qu'à Marie elle croyoit porter.
Quand la sainte, en ce lieu, sur ce moment, arrive,
Et d'un clin de ses yeux d'esperance la prive;
Le prince, quoy que d'elle à-demy diverty,
À peine la revoit qu'il reprend son party.
Il alloit sur le champ satisfaire à Marie,
Mais voyant la guerriere aussi-tost il s'escrie;
Yolante, j'ay tort, je ne m'en defens pas;
Mon crime, ou mon erreur, merite cent trespas.



Tu m'avois convaincu, je voulois te complaire;
Cet objet m'en destourne, et m'engage au contraire;
Le droit et la raison cedent à son pouvoir;
Il le falloit voir moins, pour suyvre son devoir.
Pardonne à la fureur, qui m'enflamme et m'agite,
Je l'ay veu, je le suys. Il finit, et la quitte;
Yolante confuse, et pleine de douleur,
Retourne à la princesse, et pleure son malheur.
Ainsi lors qu'un nocher, apres un grand naufrage,
Entre des monts de flots, perdant force et courage,
D'une antenne rompüe, ou d'un mast fracassé,
Voit un eclat, vers luy, par les vagues poussé;
Au point que, pour le prendre, il s'anime et s'elance,
Et qu'il croit desormais l'avoir en sa puissance;
Souvent un coup de mer, par un contraire effort,
Pour jamais l'en separe, et le rend à la mort.
Par son mesme chemin, et sur ses mesmes pistes,
Mais avec des pensers plus sombres et plus tristes,
Yolante retourne au superbe sejour,
Où la triste princesse attendoit son retour.
L'infortuné succes de l'amoureux message,
Luy fait apprehender la fin de son voyage;
Marie espere encore, et c'est son desespoir,
N'ayant rien que d'horrible à luy faire sçavoir.
Elle arrive pres d'elle, et plus morte que vive,
En luy voulant parler, sent sa langue captive,
Sent estouffer sa voix, par son mal violent,
Mais, bien que sans parler, son silence est parlant.



Des yeux seuls, la princesse entend ce qu'il veut dire,
Elle y voit prononcé l'arrest de son martyre,
Elle y voit clairement son amour rejetté,
Et dans d'autres liens son amant arresté.
L'excessive grandeur de sa peine enflammée,
Ne peut estre assés bien, par sa voix, exprimée,
Son coeur, dans ses replis, en retient les eclats,
Et croit se plaindre mieux, de ne se plaindre pas.
Sur le bord de son lit, plus qu'à demy couchée,
Et l'immobile veüe à la terre atachée,
Elle paroist un corps autresfois animé,
Qu'un puissant desplaisir en roche a transformé.
Ses beaux yeux, où l'amour avoit mis tous ses charmes,
Ne sont plus desormais que deux sources de larmes,
Qui, d'un flux eternel coulant amerement,
Au defaut de la voix, expliquent son tourment.
La fille l'acompagne en ses larmes ameres,
Et, pour la soulager, partage ses miseres;
Elles pleurent sans cesse, et le cours de leurs pleurs,
Loin d'adoucir leur peine, en accroist les douleurs.
Cependant la guerriere accourant au volage;
Aux armes, luy dit-elle, achevons nostre ouvrage,
Ce peuple, ces remparts, ne sont francs qu'à demy,
Si la Loire est encor sous le joug ennemy.
Au dessus, au dessous, son onde assujetie
Demande que sa chaisne en fin soit rallentie,
Et tient à deshonneur, que, sous des fugitifs,
Ses flots imperieux roulent tousjours captifs.



Gergeau, Meun, Baugency, conjurent nos courages,
D'aller de leurs tyrans nettoyer leurs rivages;
Pour terracer l'anglois foible et desesperé,
Le françois triomphant n'a que trop respiré.
Pour forcer sa foiblesse en ces murs renfermée,
Attendroient-ils les bras de la royale armée?
Eux qui, par leurs bras seuls, et par leurs seuls efforts,
Ont pris si vaillamment ses imprenables forts.
Prevenons sa venüe, et hastons la victoire,
Empeschons sa valeur d'offusquer nostre gloire;
Et que seul, avec nous, entre tous ses guerriers,
Le vaillant Alençon partage nos lauriers.
Alençon, à ces mots, s'incline et la revere;
Dunois ne respond rien, mais s'appreste à bien faire,
L'esprit inquieté, par un jaloux soupçon,
D'avoir en son amour pour rival Alençon.
En chacun des quartiers à l'instant mesme il passe;
Il fait des-lors à tous endosser la cuirasse,
Et recommande aux chefs, qu'au point du jour suyvant,
Leurs corps mettent, par tout, les estandards au vent.
Puis d'instrumens divers, de diverses machines,
De ce qui peut servir à faire des rüines,
À remüer la terre, à couvrir les soldats,
Il fait un innombrable et diligent amas.
Le soleil cependant se rallume, et se leve;
Le camp de tous les forts s'assemble sur la greve,
Et la Loire tranquille, en ses humides bords,
De cent corps differens voit assembler un corps.



À destruire l'anglois chaque trouppe s'excite,
L'eclatante trompette au depart les invite,
Et tous, d'un mesme temps, contre le cours de l'eau,
Marchent, apres la sainte, aux remparts de Gergeau.
Un escadron s'avance, et, sous la forte place,
Pousse les ennemis, et leur donne la chasse;
Suffort son defenseur, menageant ses efforts,
Evite le combat, et quitte les dehors.
Il met, en son mur seul, toute son esperance,
Il tient sur tout le mur ses drappeaux en defense,
Il couronne ses tours, et d'archers, et de traits,
Et cache ses creneaux sous des piles de grais.
Ainsi le laboureur, qui, le long d'un rivage,
Sillonne, aux jours d'hyver, son fertile heritage,
Si du foible torrent le boüillon elevé
S'avance pour couvrir ce qu'il a cultivé;
Sans attendre le flot, qui desja court la plaine,
De ses boeufs decouplés l'attelage il remmeine,
Gaigne son toit rustique, et là se renfermant
Oppose sa muraille au pront debordement.
En suitte vient l'armée, et sans trouble, et sans peine,
Non loin des boulevards se loge sur l'arene,
Ouvre plus d'un travail dans le sable mouvant,
Les meine, à droit, à gauche, et tousjours en avant.
Avec des pieux fichés, et des planches couchées,
Elle soustient, par tout, ses mobiles tranchées;
Les pics cavent le champ, et les pelles soudain,
Du costé des remparts rejettent le terrain.



Mesme pendant la nuit, l'ouvrage continüe,
À l'oeil, de plus en plus, l'espace diminüe,
Et, devant que le jour soit deux fois effacé,
En chacun des travaux on perce le fossé.
Puis on cherche en tous lieux, à l'ayde de la sonde,
Quels ont le fond plus ferme, et l'eau la plus profonde,
Et roulant de grands sacs, pleins de menus cailloux,
À la hauteur du reste, on en comble les trous.
Des taillis abatus on y joint le branchage;
L'un et l'autre affermit le tremblant marescage,
Et, pour tenter l'assaut, le soldat valeureux
N'y trouve plus de bourbe, et n'y sent plus de creux.
Mais, bien que tout soit prest, la paresseuse aurore
Aux portes d'orient ne paroist point encore,
L'ombre couvre tousjours le dormant univers,
Et ne fait qu'un aspect de tant d'aspects divers.
Alençon plein d'ardeur conjure la Pucelle,
De souffrir qu'à la place il dresse son eschele;
Dunois l'en importune, outré de desplaisir
Qu'Alençon le premier ait monstré ce desir.
Il pense voir en luy naistre la mesme flamme,
Que les yeux de la sainte ont produite en son ame,
Et son esprit jaloux ne sçauroit, sans douleur,
Voir, en un tel rival, ces marques de valeur.
Coulouces, Archambauld, Termes et Villandrade,
La pressent à l'envy d'ordonner l'escalade;
Giresme, Chasteau-Brun, Amador et Paumy,
Mesme sans son congé, vont chercher l'ennemy.



Mais par ces graves mots la sainte les reprime;
Invincibles guerriers, jeunesse magnanime,
Maistrisés ce transport, et suspendés un peu
Les exploits qu'à vos mains promet un si beau feu.
Quand vous ne craindriés point de ternir vostre gloire,
Ne remportant icy qu'une obscure victoire,
Croiriés-vous le pouvoir, durant l'air tenebreux?
Ne contez-vous pour rien ces boulevards affreux?
Derriere eux l'estranger veille en pleine assurance,
Il est leur defenseur, comme ils sont sa defense,
François, avant le jour les vouloir escheler,
C'est vouloir aux anglois sa valeur immoler.
Au fort de leur chaleur, ces remonstrances sages
Moderent les boüillons de leurs masles courages;
Saintrailles et Gaucourt, de tous les vieux suyvis,
D'une commune voix approuvent cet avis.
On attend la lumiere, et durant cette attente,
La guerriere dispose une attaque prudente;
L'ordre vole en tous lieux, et marque les endroits
Par où chaque drappeau doit assaillir l'anglois.
Le feu de l'aube en fin, se degageant de l'onde,
Commence à reblanchir les tenebres du monde;
L'ombre se decolore, et se desespaissit,
Et d'instant en instant l'horizon s'esclaircit.
Il est temps desormais, dit alors la Pucelle,
Allés cueillir la palme au sommet de l'eschele,
Le ciel vous la promet, si vostre brave coeur,
Icy, comme par tout, veut bien estre vainqueur.



Soudain aux boulevards tous vont porter la guerre,
Par les chemins creusés dans l'areneuse terre;
Les premiers sont choisis entre les cavaliers,
Et s'avancent de front, sous de larges boucliers.
Par le rang qui les suit, les escheles portées,
Dans le moite sablon fermement sont plantées,
Et leur faiste branslant, sur les creneaux panché,
S'y tient par deux crampons fermement accroché.
L'anglois qui voit venir ce belliqueux orage,
Pour l'esloigner des murs invoque son courage,
Accourt à la defense, et contre l'assaillant
Sa puissance recueille, et se monstre vaillant.
Suffort, de tous costés, à combattre l'anime;
Voicy le lieu, dit-il, qui nous rendra l'estime,
Repoussons à grands coups le superbe françois,
Et s'il nous a vaincus, vainquons-le à cette fois.
Dans ces murs, l'Angleterre est toute renfermée;
Si nous sommes forcés, sa gloire est opprimée;
Elle n'a plus d'espoir qu'en l'effort de nos dards;
Ah! Sauvons l'Angleterre, en sauvant ces remparts.
Barat et Corneillan, d'une pareille audace,
Avoient à leurs crochets fait mordre la terrace,
Et, pour se signaler, dans le mortel assaut,
D'un menaçant regard, en mesuroient le haut.
Ils montoient, à grands pas, vers la cime effroyable,
Quand un eclat de poutre en tombant les accable;
Ils tombent tout froissés, et de sang tout couverts,
Tous deux les pieds en haut, et la teste à l'envers.



Au robuste Caussade, à l'ardent Hauterive,
Loin du sommet encor, mesme fortune arrive,
Et sous deux gros chevrons, sur leur teste poussés,
Ils tombent à l'envers, et sanglans, et froissés.
Mais, pour ces tristes morts, la guerriere jeunesse
Ne va pas, vers la cime, avec moins d'allegresse,
Le bouclier à la gauche, à la droite le dard,
Contremont elle vole, et joint la force à l'art.
Le mur par tout la voit, l'attaque est generale;
Tous, pour se le sousmettre, y vont d'ardeur egale;
Les timides anglois rassurés par Suffort,
Resistent en tous lieux, et d'un semblable effort.
À peine l'assaillant a paru sur l'eschele,
Qu'il sent fondre sur luy les cailloux du rebelle;
Sous leur pesante cheute, et leurs coups redoublés,
Les plus foibles, d'abord, demeurent accablés.
La pluspart, toutesfois, portés de leur courage,
Ne baissent point le front sous l'homicide orage,
Se soustiennent dans l'air, et, s'elevant tousjours,
Brillent pres du sommet des creneaux et des tours.
Alors, de traits perçans, et de fleches pointües,
Les trouppes sont de pres vivement combatües,
Hallebardes, espieux, demy-piques et dards,
Les tiennent esloignés du haut des boulevards.
Comme quand, au milieu du pluvieux autonne,
Sur le sombre horizon le ciel eclaire et tonne,
Et, menaçant par tout la moisson des vergers,
Descharge sa fureur, sur un bois d'orangers;



Le fruit, qui de son or couronne chaque plante,
Esprouve la rigueur de la gresle bruyante;
Chacun tombe à l'entour, de plus d'un coup atteint,
Et la terre, à regret, s'en tapisse, et s'en peint.
Il faut qu'à tant de traits la valeureuse bande
Des murs, presque conquis, se renverse, ou descende;
Sa valeur est forcée, et voit ses vains exploits
Suyvis de cris moqueurs, et d'insolentes voix.
L'on la couvre de dards, de cailloux et de fleches,
Et l'on luy fait, par tout, d'irreparables breches;
Aucun d'eux n'est sans playe, et Rodolphe, entre tous,
Trebuche sous les dards, les fleches, les cailloux.
Il trebuche sanglant, et l'invincible sainte,
D'une amere douleur, en sent son ame atteinte;
Mais elle se maistrise, en un si grand malheur,
Et, d'un coeur magnanime, estouffe sa douleur.
Six bataillons d'archers, pour monstrer leur vaillance,
Attendoient le signal, avec impatience;
La guerriere le donne, et tous, d'un pas pressé,
Marchent, à descouvert, jusqu'au bord du fossé.
Aux boulevards anglois chacun d'eux prend sa mire,
Et la fleche empennée a son oreille tire;
Deçà, delà, par tout, on voit les traits ailés,
Vers leur but, en sifflant, de leurs arcs envolés.
Pas un n'addresse à faux, pas un ne manque à faire
Rouler le sang fumeux sur le mur adversaire;
Sans cesse les archers renouvellent leurs coups;
Alençon les anime, et reluit entre tous.



De tant de dures morts, Suffort remply de rage,
Vient sur les assaillans reparer le dommage;
Alexandre, son frere, en rage l'imitant,
Pousse, vers les creneaux, ses archers à l'instant.
La vengeance à l'instant, vers le françois, revole,
Et, par autant de morts, de leurs morts les console;
Le françois y respond, et le nombre des traits,
Par les routes de l'air, forme un nüage espais.
Alençon, sur ce temps, apperçoit la Pucelle,
Qui, du bas du fossé, le regarde et l'appelle;
Alors, se retournant au brave Clerembauld,
La sainte, luy dit-il, me convie à l'assaut.
Prens ma place, j'y cours. Clerembauld prend sa place,
Et soudain un grand dard le perce et le terrace;
Le dard cherchoit le prince, et pour luy fut lancé;
Son amy tint sa place, en sa place percé.
Le prince voit le coup, en ressent la blessure,
Serre son javelot, et la vengeance jure;
Il va joindre la sainte, et la sainte, à l'abord,
Dieu, dit-elle, par moy t'a sauvé de la mort.
Pour le bien de la France, il falloit que ta teste
Eschapast à l'effort de cette aspre tempeste,
Et que de Clerembauld le chef infortuné,
Receust le coup fatal à ton chef destiné.
Tu pleures, Alençon, cette mort deplorable;
Ah! Venge-la plustost par un coup memorable;
Alexandre est celuy, qui l'a privé du jour,
Alexandre est celuy, qui defend cette tour.



Il regarde la tour, il regarde Alexandre,
Et fait voeu de le perdre, et fait voeu de la prendre;
Il dresse son eschele, et de fureur boüillant
Monte, et fait, en tous lieux, remonter l'assaillant.
Son exemple l'invite, et luy rend l'assurance;
Il remonte, et par tout l'attaque recommence;
L'anglois, de son costé, superbe et triomphant,
Par tout, avec ardeur, du françois se defend.
Mais, plus qu'en nul endroit, la resistance est grande,
Où Dunois est present, où la sainte commande,
Où du triste Alençon la terrible valeur
Fait ses derniers efforts, pour venger son malheur.
De fleches, et de traits, une mortelle gresle
Du haut des boulevards, tombe là pesle-mesle;
Là tombent, à monceaux, les dards et les cailloux,
Et rien, en seureté, ne demeure au dessous.
Alençon, toutesfois, sur la ployante eschele,
Evite, en s'elevant, cette gresle mortelle,
Et de trois coups à peine, entre mille, effleuré,
Touche du javelot au creneau desiré.
Dunois, non moins que luy, vers la cime s'avance,
Avec sa jalousie, aiguise sa vaillance,
Et ne peut supporter qu'un si puissant rival
En courage, aux yeux saints, paroisse son egal.
Comme quand deux aiglons, au sortir de leur aire,
Vers la voute des cieux, vont d'une aile legere,
Fixement, l'un et l'autre, à-l'envy, regardant
Du soleil enflammé le feu le plus ardent;



L'aigle, qui vole entre eux, et qui d'eux est suyvie,
Seule excite en leur sein cette jalouse envie;
Ils contestent de force, et sans siller les yeux
Se preuvent dignes d'elle, à ce feu radieux.
La guerriere eschelant la muraille elevée,
Bien-tost à son sommet se fait voir arrivée,
Escarte, avec son trait, les espieux de l'anglois,
Ou les rompt, dans l'acier de son large pavois.
Quand les monstres d'enfer, en cette affreuse guerre,
Partisans obstinés de l'injuste Angleterre,
Accourent en ce lieu, pour luy donner secours,
En bordent la courtine, et remplissent les tours.
C'est desormais l'enfer, dont la trouppe invisible
Rend de ces boulevards le haut inaccessible,
Verse sur l'assaillant des montagnes de grais,
Et fait pleuvoir sur luy des deluges de traits.
Mais, malgré tant d'efforts, voyant que, de l'eschele,
Sa rage veut en vain renverser la Pucelle,
Qu'il ne fait que d'un peu son triomphe arrester,
Et qu'elle va bien-tost la terrace emporter;
Il veut que la terrace, en ce peril extreme,
De la fatale main se defende elle-mesme,
Et soudain à l'anglois inspire le penser;
D'en demolir le comble, et de le renverser.
Avec cent forts leviers, l'anglois le desracine,
Et, pour sauver le mur, le mur mesme rüine;
L'ouvrage est de cent bras, mais l'effet principal,
Dans ce travail commun, vient du bras infernal.



Les esprits tenebreux poussent, sur la guerriere,
Du faiste detaché la masse toute entiere;
L'assaillant la croit morte, il change de couleur,
Et de l'estat perdu deplore le malheur.
De l'horrible fardeau la bruyante tempeste
Tombe à plomb sur la sainte, et luy couvre la teste;
L'ennemy, qui le voit, de joye est transporté,
Tient la guerre achevée, et le françois donté.
Elle voit son trespas, mais l'ange, qui la veille,
Fait voir, en sa faveur, une rare merveille,
Aux anglois invisible, invisible aux françois,
Il supporte du mur l'insuportable poids.
Sur elle, en ce moment, se brise, comme verre,
L'espaisse dureté de ce monceau de pierre;
La nature est vaincüe, et la roche soudain
Se dissout, au toucher de l'angelique main.
Il semble aux yeux trompés, que la pesante masse,
Sur l'escu de la fille, en tombant, se fracasse;
Seule elle en sçait la cause, et, dans cet accident,
Reconnoist du seigneur le secours evident.
La roche convertie eu poussiere menüe,
Par l'angelique main, dont elle est soustenüe,
S'espand sur l'heroine, et pour un peu de temps,
Ravit à son harnois ses rayons eclatans.
Ainsi par fois, dans l'air, une vapeur grossiere
Vient du flambeau des cieux offusquer la lumiere,
Et cachant aux humains le feu dont il reluit,
Enveloppe le jour du manteau de la nuit.



Dans cet evenement, l'assistance celeste
Parut, de plus en plus, aux françois manifeste,
Et l'incredule anglois creut alors à ses yeux,
Que le bras de la sainte estoit le bras des cieux.
L'anglois, espouvanté de ce nouveau miracle,
À son cours triomphant n'apporte plus d'obstacle;
Si le rempart le quitte, il quitte le rempart,
Et fuit la mort certaine, en fuyant le saint dard.
Le mur s'ouvre à la fille, et devant son courage
Semble se separer pour luy faire passage;
Elle entre par la breche, et de son bras vainqueur
Donne aux demons la fuitte, oste aux anglois le coeur.
Dunois gaigne le mur, un moment apres elle,
Alençon tarde seul à forcer le rebelle;
Alexandre est celuy qui le peut retarder,
Mais son malheur en fin, le contraint de ceder.
Il voit la place prise, et voit devant la sainte
Ses defenseurs saisis d'une mortelle crainte;
Il les voit tous fuyans, et sur luy desormais
Du combat inegal voit tomber tout le faix.
Il quitte, et dans la tour, desormais sans defense,
Alençon, d'un plein saut, au temps mesme se lance,
Et, de son adversaire appercevant le dos,
L'appelle, et le retient par l'aigreur de ces mots.
Tourne, mauvais archer, monstre le front, arreste;
Jusques dans tes remparts je t'apporte ma teste;
De loin, tu l'as manquée; esprouve si, de pres,
Tu rendras plus heureux tes homicides traits.



Mais, pres de l'ennemy, ta main perd l'assurance,
Et tu mets en tes pieds toute ton esperance;
Tourne, lasche, ou ce dard, plus viste que tes pas,
Te va d'un coup honteux envoyer au trespas.
Le dernier de ces mots sensiblement le touche;
Il revient au combat, genereux et farouche,
Et, je viens, luy dit-il, me venger, par ta mort,
Et de ton injustice, et de celle du sort.
Voy, si je suis un lasche. En parlant il l'approche,
Et puissamment sur luy son dernier trait decoche;
Le trait siffle par l'air, et d'un vol elancé
Dans la gorge du prince alloit estre enfoncé;
Mais derobant le corps son atteinte il esquive,
Et de son juste effet adroitement le prive;
Alexandre s'estonne, et se jette à l'escart;
Alençon le poursuit, et l'atteint de son dard.
Au flanc gauche il l'atteint, et le fer, qui s'y cache,
D'un gros boüillon de sang ses claires armes tache;
Le guerrier affoibly, sans se plus menager,
Par la mort d'Alençon veut la sienne venger.
Ainsi, quand le sanglier, qu'une meute nombreuse,
A lancé du profond de sa bauge fangeuse,
Fuit lentement la chasse, et, par ses fieres dents,
Tient loin de ses costés celles des chiens ardens;
Si le hardy veneur, au dessus de la hure,
Luy fait, d'un bras puissant, une large blessure,
Il arreste sa fuitte, et, d'un brutal effort,
Au travers de l'espieu, cherche à venger sa mort.



Dans le fer d'Alençon Alexandre s'enferre,
Mais du sien le reblesse, et le porte par terre;
Ils s'embrassent l'un l'autre, et par terre luttans,
Pour gaigner le dessus, contestent quelque temps.
Tous deux ont desormais peu de sang à respandre;
En fin toute vigueur abandonne Alexandre;
Invincible il rend l'ame, et ses derniers efforts
Rompent les foibles noeuds qui l'attachoient au corps.
Clerembauld, dit le prince, amy trop magnanime,
De ma sanglante main reçoy cette victime,
Et si de tout son sang tu n'es pas consolé,
Reçoy le sang qu'au sien mes veines ont meslé.
Il tombe, en achevant ce discours lamentable,
Estendu pres du mort, au mort presque semblable,
Privé de sentiment, despoüillé de chaleur,
Et n'ayant rien de vif que sa vive douleur.
Pendant l'aspre combat, Dunois et la pucelle,
Vers deux lieux opposés, courent le mur rebelle,
En chassent les anglois, et, sur les boulevards,
En cent lieux differens, plantent leurs estandards.
Le vaincu prend par tout l'espouvante et la fuitte,
Et par tout est pressé d'une ardente poursuitte,
Des soldats, ni des chefs, nul ne tourne le front,
Et tous, de tous costés, se rangent vers le pont.
Suffort, sous le françois voit succomber la place,
Dans le malheur commun plaint sa propre disgrace,
Vers le pont se retire, et là, de toutes parts,
Pour resister encor, recueille les fuyards.



À la faveur du lieu, dont l'espace se serre,
Il croit pouvoir encor renouveller la guerre,
À monstrer du courage exhorte les anglois,
Et du bras les anime, autant que de la voix.
De son corps il les couvre, et sa ferme vaillance
Aux efforts des vainqueurs seule fait resistance,
Mais, ce peu qui l'assiste estant mort ou sousmis,
Seul, il demeure en butte aux coups des ennemis.
Autour d'un homme seul, un vaste camp s'assemble,
Et le fait seul l'objet de mille traits ensemble;
Contre un camp tout entier, Suffort juge qu'en vain
Il voudroit opposer son courage et sa main,
Tous chargent; mais Renaud, plus que tous, se signale,
Tesmoigne, à l'attaquer, une ardeur sans egale,
Luy fait de tous les coups sentir les plus pesans;
Incroyable valeur en de si jeunes ans.
Il n'a gueres franchy les bornes de l'enfance,
De fille il a la voix, de fille l'apparence,
Son teint est delicat, et, du premier coton,
L'on ne voit pas encore ombrager son menton.
Suffort qui, sans espoir, ne veut plus se defendre,
Entre tous les françois, le choisit pour se rendre,
Et luy dit, jeune mars, agreable guerrier,
Je t'honnore aujourd'huy d'un superbe laurier;
Je te fay mon vainqueur. Alors l'attaque cesse,
Et desormais aucun de son dard ne le presse.
Toutesfois, reprend-il, si tu n'es chevalier,
Je ne puis, sous ton joug, ma teste humilier.



Non, luy repart Renaud, mon âge me l'envie;
Mais j'ay pretendu l'estre aux despens de ta vie.
Sois-le donc, dit Suffort, et l'accolle à l'instant,
Puis le couvre, en travers, de son fer eclatant.
Maintenant, poursuit-il, qu'à l'ombre de ce titre,
De mon funeste sort tu peux estre l'arbitre,
Abandonné de tout, je veux me rendre à toy,
Et, comme ton captif, me sousmettre à ta loy.
En prononçant ces mots, ses armes il luy donne;
Renaud, de sa fortune, en luy-mesme s'estonne,
Et, parmy ce transport, ne voit pas, sans pudeur,
Sous luy, d'un tel captif abaisser la grandeur.
Comme quand sous les flots de cette mer profonde,
Qui n'aguere a produit un autre monde au monde,
Quelque nouveau pescheur plonge, pour esprouver,
Jusqu'où peut, dans son art, son addresse arriver;
Si d'abord, et sans peine, et contre son attente,
Une perle sans prix à ses yeux se presente,
Il juge que, pour luy, ce thresor est trop grand,
Et, bien qu'aveque joye, avec doute le prend.
Sur ce temps vient la sainte, en forme de tempeste;
Tout cede; et Renaud seul, dans sa course l'arreste;
Le chef anglois, dit-il, tombé dans mes liens,
Ne s'en peut consoler, qu'en recevant les tiens.
Je l'accepte, dit-elle, et le mets en ta garde;
Puis elle suit son vol, et rien ne le retarde;
Elle cherche l'anglois, et remarque en tous lieux,
Les ennemis vaincus, les siens victorieux.



L'invincible Dunois la rejoint, l'accompagne,
Pousse, apres les fuyards, dans la vaste campagne;
Avec un petit nombre il fond sur les derniers,
Et, sans verser de sang, fait plusieurs prisonniers.
Du malheureux Suffort Pole le second frere,
Voyant le sort volage à leurs voeux si contraire,
La muraille forcée, et le pont occupé,
Suyvoit les pas errans de l'anglois dissipé.
Mais, au fort de sa course, un remors magnanime
Reprochant à son coeur, que sa fuite est un crime,
Et qu'il laisse son frere à la mercy du sort,
La honte estouffe, en luy, la frayeur de la mort.
Il tourne vers le pont, et court à toute bride,
Dunois suspend alors sa poursuitte rapide;
Il l'attend au passage, et, son bras desployant,
Le charge, et l'estourdit, d'un revers foudroyant.
Pole tombe, du coup, estendu sur la terre;
Dunois saute sur luy, le casque luy desserre,
Le trouve vif encor, l'ayde à se relever,
Et luy fait doublement sa douceur esprouver.
En luy tendant la main, il luy dit, brave Pole,
Ne plains point ta prison, elle est sur ta parole;
Je rends à ta vertu l'honneur que je luy doy,
Tu n'auras de lien que celuy de ta foy.
Il l'abandonne, et suit la trouppe fugitive,
Pole reçoit la grace, et la trouve excessive;
Il est vaincu deux fois, et son noble vainqueur
Le fait libre du corps, et prisonnier du coeur.



Sans fers il est captif, et luy mesme se garde;
Mais de quelque costé que le prince regarde,
Il ne voit desormais aucun des ennemis,
Qu'abbatu sous sa foudre, ou qu'à sa loy sousmis.
Ainsi quand, vers l'autonne, aux forests germaniques,
Les potentats voysins font leurs chasses publiques,
Et que, dans leurs grands forts, de toiles renfermés,
On a lasché par tout les dogues affamés;
Apres qu'en mille lieux, la demeure sauvage
A de ses habitans veu le triste carnage,
Les sangliers et les cerfs, eschapés à la mort,
D'effroy semblent se rendre, et sont pris sans effort.
Le triomphant guerrier retourne vers la ville,
De captifs enchaisnés suit une longue file;
La sainte, hors des murs reconquis par son bras,
Au devant du guerrier, s'avance quelques pas.
Invincible Dunois, loüons Dieu, luy dit-elle;
Sa dextre, encore un coup, à frapé le rebelle;
L'oeuvre tousjours s'avance, et le sacré destin
Tousjours, de plus en plus, l'achemine à sa fin.
Suyvons un si bon guide, et marchons sur sa trace;
Employons bien le temps que nous donne sa grace;
Repartons des l'aurore, et tousjours combatans,
Dans Meun, dans Baugency, foudroyons nos titans.
Dunois consent à tout, et s'oblige à tout faire;
Ils rentrent dans la ville, en pompe militaire;
Leur veüe y rend le calme, et fait soudainement
Cesser, par tout, le meurtre et le saccagement.



Apres tant de fureurs, et tant d'actes horribles,
Les murs à leur aspect redeviennent paisibles,
Et l'ordre desormais, au trouble succedant,
En adoucit un peu le funeste accident.
Sur cent petits bateaux, l'impetüeuse Loire
Reçoit les prisonniers qu'a produits la victoire;
Et murmure, en son cours, de voir les matelots,
Pour avancer le leur, battre ses vistes flots.
Vers Orleans, comme eux, sur la riviere mesme,
Rodolfe, tout sanglant, l'oeil mort, et le teint blesme,
Dans un bateau couvert, des autres escarté,
Par le soin de la sainte est doucement porté.
Alençon, pour guerir ses blessures profondes,
Vers les mesmes remparts, court sur les mesmes ondes,
Et son sage vaisseau, de peur de l'ebransler,
N'use point de la rame, et ne fait que couler.
Le sang si genereux, dont ses royales veines,
Sous le fer d'Alexandre, ont rougy les arenes,
Aveque la langueur et l'affoiblissement,
A laissé dans son corps un vif embrasement.
Mais si, par ce brasier, son corps est tout en flamme,
L'amour, d'un moindre feu, n'eschauffe pas son ame;
La guerriere l'allume, et sa vive splendeur,
Par ses brulans rayons, en attise l'ardeur.
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Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 4
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