ÉLÉGIES. 129
Verser sur le papier môn coeur et mes tendresses.
O Camille, tu dors! tes doux yeux sont fermés.
Ton haleine de rose aux soupirs embaumés
Entr'ouvre mollement tes deux lèvres vermeilles.
Mais, si je me trompais! dieux! ô dieux! si tu veilles!
Et lorsque loin de toi j'endure le tourment
D'une insomnie amère, aux bras d'un autre amant,
Pour toi, de cette nuit qui s'échappe trop vite,
Une douce insomnie embellissait la fuite!
Dieu d'oubli, viens fermer mes yeux. O dieu de paix!
Sommeil, viens; fallût-il les fermer pour jamais.
Un autre dans ses bras! ô douloureux outrage!
Un autre! O honte! ô mort! ô désespoir! ô rage!
Malheureux insensé! pourquoi, pourquoi les dieux
A juger la beauté formèrent-ils mes yeux?
Pourquoi cette ame faible et si molle aux blessures
De ces regards féconds en douces impostures?
Une amante moins belle aime mieux, et du moins
Humbleet timide à plaire, elle est pleine de soins;
Elle est tendre; elle a peur de pleurer votre absence.
Fidèle, peu d'amans attaquent sa constance;
Et son égale humeur, sa facile gaîté,
L'habitude, à son front tiennent lieu de beauté.
Mais celle qui partout fait conquête nouvelle,
Celle qu'on ne voit point sans dire: Qu'elle est belle!
Insulte, en son triomphe, aux soupirs de l'amour.
Souveraine au milieu d'une tremblante cour,
Dans son léger caprice, inégale et soudaine,
Tendre et douce aujourd'hui, demain froide et hautaine.