160 ÉLÉGIES.
ÉLÉGIE XXXVIII.
JE suis né pour l'amour, j'ai connu ses travaux,
Mais, certes, sans mesure il m'accable de maux
A porter ce revers mon ame est impuissante.
Eh quoi! beauté divine, incomparable amante,
Je vous perds! Quoi, par vous nos liens sont rompus,
Vous le voulez; adieu, vous ne me verrez plus:
Du besoin de tromper ma fuite vous délivre.
Je vais loin de vos yeux pleurer au lieu de vivre,
Mais vous fûtes toujours l'arbitre de mon sort;
Déjà vous prévoyez, vous annoncez ma mort.
Oui, sans mourir, hélas! on ne perd point vos charmes,
Ah! que n'êtes-vous là pour voir couler mes larmes!
Pour connaître mon coeur, vos fers, vos cruautés,
Tout l'amour qui m'embrâse et que vous méritez.
Pourtant que faut-il faire? on dit (dois-je le croire)
Qu'aisément de vos traits on bannit la mémoire;
Que jusqu'ici vos bras inconstans et légers
Ont reçu mille amans comme moi passagers;
Que l'ennui de vous perdre où mon ame succombe,
N'a d'aucun malheureux accéléré la tombe.
Comme eux j'ai pu vous plaire, et comme eux vous lasser;