PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LES SABOTS.

Aller en bas 
AuteurMessage
James
FONDATEUR ADMINISTRATEUR
FONDATEUR ADMINISTRATEUR
James


Masculin
Dragon
Nombre de messages : 149342
Age : 59
Localisation : Mon Ailleurs c'est Charleville-Mézières
Date d'inscription : 04/09/2007

Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LES SABOTS. Empty
MessageSujet: Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LES SABOTS.   Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LES SABOTS. Icon_minitimeVen 22 Juin - 18:09

LES SABOTS.

Je n'ai jamais eu, dans mon enfance, de soulier de Noël. Cela me fait un peu de
peine à présent, mais, dans ce temps-là, je n'y pensais pas. Je suis l'enfant
d'un pays très « mal pensant », où les gobettes et les gamins, mécréants,
eussent dit au petit Jésus en personne, descendu lumineux et blanc par la
cheminée :

-Attends ta mère, qu'elle te fichera une bonne taraudée pour t'apprend' à sortir
tout nu en chemise!

Le soir de Noël je quittais mes sabots trempés de neige, et je les portais,
comme les autres soirs, dans la cuisine, sur le fourneau tiède, où ils séchaient
jusqu'au matin. Maintenant que je vieillis, il me vient un regret tardif, hors
de saison -fleur romanesque, bouquet sentimental et démodé -le regret d'une foi
que je n'ai pas eue...

Non, je n'ai pas connu les souliers de Noël. Par-dessus mes chaussons de laine,
je remettais mes sabots au nez pointu, sans regarder, au matin de la nuit
miraculeuse, s'ils gardaient la trace dorée, le givre diamanté d'un effleurement
divin... Ils avaient ce matin-là, leur museau noir et ciré, leur bricole souple
comme d'habitude... Comme d'habitude, ils claquaient sous mon pas vif et
autoritaire, en trottant dans la neige, et glissaient sur les patinoires
miroitantes, le long du mur de l'école... Ils m'annonçaient de loin, quand je
revenais vers midi à la maison, sabotant et gambadant sur les pavés inégaux, sur
les têtes-de-chat qui rendent si dangereuses les ruelles de ma petite ville...
Je revenais toute violette de froid, essoufflée de m'être battue et roulée dans
la neige fraîche, le capuchon de travers, les mains rouges sous les mitaines
tricotées...

-Colette, tes sabots!

La voix de ma mère me rappelait à l'ordre, au moment de franchir le seuil de la
salle à manger. Docile, j'entrais sur mes chaussons muets, et, jusqu'à l'heure
où l'attrait de la neige, la folie du jeu m'entraînaient de nouveau, mes sabots
m'attendaient dans le corridor, couplés, pointus, avec l'air patient de deux
rats noirs, guettant museau contre museau...

Que de fois ils m'ont attendue, sournois, complices, jusqu'au moment de la
récréation défendue!...

À cinq heures, en décembre, sous le ciel presque noir, la neige est bleue.
Contre la fenêtre, cachée sous le rideau de mousseline, je regardais la rue. Je
savais que, sur une placette écartée, se nouait une ronde silencieuse,
frénétique de gamines déchaînées, qui s'échappaient tous les soirs pour le
plaisir intense de se rouler dans la neige, s'y colleter, s'y ensevelir, et
rentrer vers six heures, mouillées, cafardes, risquant la gifle ou la fessée...
Un nocturne diablotin me tirait par la manche, et je le suivais bientôt, mes
sabots dans la main... Dehors, mes yeux habitués à la nuit, distinguaient
d'autres ombres enfantines, portant à la main leurs sabots, légères,
démoniaques, comme de jeunes chattes du sabbat, grisées par la bise d'est et la
neige volante...

Crépuscules d'hiver, lampe rouge dans la nuit, vent âpre qui se lève après la
chute du jour -jardin deviné dans l'air noir, rapetissé, étouffé de neige,
sapins accablés qui laissiez, d'heure en heure, glisser en avalanches le fardeau
de vos bras, coups d'éventail de passereaux effarés, et leurs jeux inquiets,
leur coucher dans une poudre de cristal ténue, irisée comme la brume d'un jet
d'eau... Ô tous les souvenirs d'hivers, tous les noëls de mon enfance, que cette
rêverie de Noël vous rende à moi! Que mes souvenirs, avec une chute molle et
silencieuse de pétales, viennent un à un remplir cette mule étroite, tombée de
mon pied nu, devant un feu échevelé où ressuscite et se consume l'image d'une
enfant fraîche et saine, en tablier d'escot noir, hâlée de froid, roussie de
soleil, les pieds impatients dans ses sabots de frêne noirci, et qui ne connut
pas les sabots de Noël!...






_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LES SABOTS. Une_pa12Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LES SABOTS. Plumes19Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LES SABOTS. James_12Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LES SABOTS. Confes12


Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LES SABOTS. Sceau110
Revenir en haut Aller en bas
https://www.plumedepoesies.org
 
Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) LES SABOTS.
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) L'Ami.
» Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Ba-Tou.
» Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) La Noce.
» Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) Chats.
» Sidonie-Gabrielle Colette.(1873-1954) MA CORSETIÈRE.

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: