PLUME DE POÉSIES
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 Gérard De Nerval (1808-1855) Premier Château.III. La reine de Saba

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Inaya
Plume d'Eau
Inaya


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Gérard De Nerval (1808-1855) Premier Château.III. La reine de Saba Empty
MessageSujet: Gérard De Nerval (1808-1855) Premier Château.III. La reine de Saba   Gérard De Nerval (1808-1855) Premier Château.III. La reine de Saba Icon_minitimeJeu 30 Aoû - 18:28

III. La reine de Saba

Revenons-y. - Nous avions désespéré d'attendrir la femme du commissaire. - Son
mari, moins farouche qu'elle, avait répondu, par une lettre fort polie; à
l'invitation collective que nous leur avions adressée. Comme il était impossible
de dormir dans ces vieilles maisons, à cause des suites chorégraphiques de nos
soupers, - munis du silence complaisant des autorités voisines, - nous invitions
tous les locataires distingués de l'impasse, et nous avions une collection
d'attachés d'ambassades, en habits bleus à boutons d'or, de jeunes conseillers
d'Etat, de référendaires en herbe, dont la nichée d'hommes déjà sérieux, mais
encore aimables, se développait dans ce pâté de maisons, en vue des Tuileries et
des ministères voisins. Ils n'étaient reçus qu'à condition d'amener des femmes
du monde, protégées, si elles y tenaient, par des dominos et des loups.
Les propriétaires et les concierges étaient seuls condamnés à un sommeil troublé
- par les accords d'un orchestre de guinguette choisi à dessein, et par les
bonds éperdus d'un galop monstre, qui, de la salle aux escaliers et des
escaliers à l'impasse, allait aboutir nécessairement à une petite place entourée
d'arbres, - où un cabaret s'était abrité sous les ruines imposantes de la
chapelle du Doyenné. Au clair de lune, on admirait encore les restes de la vaste
coupole italienne qui s'était écroulée, au XVIIIe siècle, sur les six malheureux
chanoines, - accident duquel le cardinal Dubois fut un instant soupçonné.
Mais vous me demanderez d'expliquer encore, en pâle prose, ces six vers de votre
pièce intitulée Vingt ans:
D'où vous vient, ô Gérard! cet air académique?
Est-ce que les beaux yeux de l'Opéra-Comique
S'allumeraient ailleurs? La reine du Sabbat,
Qui, depuis deux hivers, dans vos bras se débat,
Vous échapperait-elle ainsi qu'une chimère?
Et Gérard répondait: "Que la femme est amère!"
Pourquoi du Sabbat..., mon cher ami? et pour jeter maintenant de l'absinthe dans
cette coupe d'or, moulée sur un beau sein?
Ne vous souvenez-vous plus des vers de ce Cantique des cantiques, où
l'Ecclésiaste nouveau s'adresse à cette même reine du matin:
La grenade qui s'ouvre au soleil d'Italie
N'est pas si gaie encore, à mes yeux enchantés,
Que ta lèvre entr'ouverte, ô ma belle folie!
Où je bois à longs flots le vin des voluptés.
La reine de Saba, c'était bien celle, en effet, qui me préoccupait alors, - et
doublement. - Le fantôme éclatant de la fille des Hémiarites tourmentait mes
nuits sous les hautes colonnes de ce grand lit sculpté, acheté en Touraine, et
qui n'était pas encore garni de sa brocatelle rouge à ramages. Les salamandres
de François Ier me versaient leur flamme du haut des corniches, où se jouaient
des amours imprudents. Elle m'apparaissait radieuse, comme au jour où Salomon
l'admira s'avançant vers lui dans les splendeurs pourprées du matin. Elle venait
me proposer l'éternelle énigme que le Sage ne put résoudre, et ses yeux, que la
malice animait plus que l'amour, tempéraient seuls la majesté de son visage -
Qu'elle était belle! non pas plus belle cependant qu'une autre reine du matin
dont l'image tourmentait mes journées.
Cette dernière réalisait vivante mon rêve idéal et divin. Elle avait, comme
l'immortelle Balkis, le don communiqué par la huppe miraculeuse. Les oiseaux se
taisaient en entendant ses chants, - et l'auraient suivie à travers les airs.
La question était de la faire débuter à l'Opéra. Le triomphe de Meyerbeer
devenait le garant d'un nouveau succès. J'osai en entreprendre le poème.
J'aurais réuni ainsi dans un trait de flamme les deux moitiés de mon double
amour. - C'est pourquoi, mon ami, vous m'avez vu si préoccupé dans une de ces
nuits splendides où notre Louvre était en fête. - Un mot de Dumas m'avait averti
que Meyerbeer nous attendait à sept heures du matin.
IV. Une femme en pleurs
Je ne songeais qu'à cela au milieu du bal. Une femme, que vous vous rappelez
sans doute, pleurait à chaudes larmes dans un coin du salon, et ne voulait, pas
plus que moi, se résoudre à danser. Cette belle éplorée ne pouvait parvenir à
cacher ses peines. Tout à coup elle me prit le ras et me dit:
- Ramenez-moi, je ne puis rester ici.
Je sortis en lui donnant le bras. Il n'y avait pas de voiture sur la place. Je
lui conseillai de se calmer et de sécher ses yeux, puis de rentrer ensuite dans
le bal; elle consentit seulement à se promener sur la petite place. Je savais
ouvrir une certaine porte en planches qui donnait sur le manège, et nous
causâmes longtemps au clair de la lune, sous les tilleuls. Elle me raconta
longuement tous ses désespoirs.
Celui qui l'avait amenée s'était épris d'une autre; de là une querelle intime;
puis elle avait menacé de s'en retourner seule ou accompagnée; il lui avait
répondu qu'elle pouvait bien agir à son gré. De là les soupirs, de là les
larmes.
Le jour ne devait pas tarder à poindre. La grande sarabande commençait. Trois ou
quatre peintres d'histoire, peu danseurs de leur nature, avaient fait ouvrir le
petit cabaret et chantaient à gorge déployée: Il était un raboureur, ou bien:
C'était un calonnier qui revenait de Flandre, souvenir des réunions joyeuses de
la mère Saguet. - Notre asile fut bientôt troublé par quelques masques qui
avaient trouvé ouverte la petite porte. On parlait d'aller déjeuner à Madrid, au
Madrid du bois de Boulogne, - ce qui se faisait quelquefois. Bientôt, le signal
fut donné, on nous entraîna, et nous partîmes à pied, escortés par trois gardes
françaises, dont deux étaient simplement MM. d'Egmont et de Beauvoir; - le
troisième, c'était Giraud, le peintre ordinaire des gardes françaises.
Les sentinelles des Tuileries ne pouvaient comprendre cette apparition
inattendue qui semblait le fantôme d'une scène d'il y a cent ans, où des gardes
françaises auraient mené au violon une troupe de masques tapageurs. De plus,
l'une des deux petites marchandes de tabac si jolies qui faisaient l'ornement de
nos bals n'osa se laisser emmener à Madrid sans prévenir son mari, qui gardait
la maison. Nous l'accompagnâmes à travers les rues. Elle frappa à sa porte. Le
mari parut à une fenêtre de l'entresol. Elle lui cria:
- Je vais déjeuner avec ces messieurs.
Il répondit:
- Va-t'en au diable! c'était bien la peine de me réveiller pour cela!
La belle désolée faisait une résistance assez faible pour se laisser entraîner à
Madrid, et, moi, je faisais mes adieux à Rogier en lui expliquant que je voulais
aller travailler mon scénario.
- Comment! tu ne nous suis pas? Cette dame n'a plus d'autre cavalier que toi...
et elle t'avait choisi pour la reconduire.
- Mais j'ai rendez-vous à sept heures chez Meyerbeer, entends-tu bien?
Rogier fut pris d'un fou rire. Un de ses bras appartenait à la Cydalise; il
offrit l'autre à la belle dame, qui me salua d'un petit air moqueur. J'avais
servi du moins à faire succéder un sourire à ses larmes.
J'avais quitté la proie pour l'ombre... comme toujours!
V. Primavera
En ce temps, je ronsardisais,- pour me servir d'un mot de Malherbe. Il
s'agissait alors pour nous, jeunes gens, de rehausser la vieille versification
française, affaiblie par les langueurs du XVIIIe siècle, troublée par les
brutalités des novateurs trop ardents; mais il fallait aussi maintenir le droit
antérieur de la littérature nationale dans ce qui se rapporte à l'invention et
aux formes générales.
- Mais, me direz-vous, il faut enfin montrer ces premiers vers, ces juvenilia.
"Sonnez-moi ces sonnets", comme disait du Bellay.
Eh bien! étant admise l'étude assidue de ces vieux poètes, croyez bien que je
n'ai nullement cherché à en faire le pastiche, mais que leurs formes de style
m'impressionnaient malgré moi, comme il est arrivé à beaucoup de poètes de notre
temps.
Les odelettes, ou petites odes de Ronsard, m'avaient servi de modèle. C'était
encore une forme classique, imitée par lui d'Anacréon, de Bion, et, jusqu'à un
certain point, d'Horace. La forme concentrée de l'odelette ne me paraissait pas
moins précieuse à conserver que celle du sonnet, où Ronsard s'est inspiré si
heureusement de Pétrarque, de même que, dans ses élégies, il a suivi les traces
d'Ovide; toutefois, Ronsard a été généralement plutôt grec que latin: c'est là
ce qui distingue son école de celle de Malherbe.
Vous verrez, mon ami, si ces poésies déjà vieilles ont encore conservé quelque
parfum. - J'en ai écrit de tous les rythmes, imitant plus ou moins, comme l'on
fait quand on commence.
L'ode sur les papillons est encore une coupe à la Ronsard, et cela peut se
chanter sur l'air du cantique de Joseph. Remarquez une chose, c'est que les
odelettes se chantaient et devenaient même populaires, témoin cette phrase du
Roman comique: "Nous entendîmes la servante, qui, d'une bouche imprégnée d'ail,
chantait l'ode du vieux Ronsard:
Allons de nos voix
Et de nos luths d'ivoire
Ravir les esprits!"
Ce n'était, du reste, que renouvelé des odes antiques, lesquelles se chantaient
aussi. J'avais écrit les premières sans songer à cela, de sorte quelles ne sont
nullement lyriques. La dernière: "Où sont nos amoureuses?" est venue, malgré
moi, sous forme de chant; j'en avais trouvé en même temps les vers et la
mélodie, que j'ai été obligé de faire noter, et qui a été trouvée très
concordante aux paroles.
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