PLUME DE POÉSIES
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 Gérard De Nerval (1808-1855)IIe lettre. Le château d'Ermenonville.

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Inaya
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Inaya


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Gérard De Nerval (1808-1855)IIe lettre. Le château d'Ermenonville. Empty
MessageSujet: Gérard De Nerval (1808-1855)IIe lettre. Le château d'Ermenonville.   Gérard De Nerval (1808-1855)IIe lettre. Le château d'Ermenonville. Icon_minitimeJeu 30 Aoû - 22:24

IIe lettre. Le château d'Ermenonville. - Les Illuminés. Le roi de Prusse. -
Gabrielle et Rousseau. - Les tombes. Les abbés de Châalis.

En quittant Châalis, il y a encore à traverser quelques bouquets de bois, puis
nous entrons dans le Désert. Il y a assez de désert pour que, du centre, on ne
voie point d'autre horizon, - pas assez pour qu'en une demi-heure de marche on
n'arrive au paysage le plus calme, le plus charmant du monde... Une nature
suisse découpée au milieu du bois, par suite de l'idée qu'a eue René de Girardin
d'y transplanter l'image du pays dont sa famille était originaire.
Quelques années avant la Révolution, le château d'Ermenonville était le rendez-
vous des Illuminés qui préparaient silencieusement l'avenir. Dans les soupers
célèbres d'Ermenonville, on a vu successivement le comte de Saint-Germain,
Mesmer et Cagliostro, développant, dans des causeries inspirées, des idées et
des paradoxes dont l'école dite de Genève hérita plus tard. - Je crois bien que
M. de Robespierre, le fils du fondateur de la loge écossaise d'Arras, - tout
jeune encore, - peut-être encore plus tard Sénancour, Saint-Martin, Dupont de
Nemours et Cazotte, vinrent exposer, soit dans ce château, soit dans celui de Le
Pelletier de Mortfontaine, les idées bizarres qui se proposaient les réformes
d'une société vieillie, laquelle dans ses modes mêmes, avec cette poudre qui
donnait aux plus jeunes fronts un faux air de la vieillesse, indiquait la
nécessité d'une complète transformation.
Saint-Germain appartient à une époque antérieure, mais il est venu là. C'est lui
qui avait fait voir à Louis XV dans un miroir d'acier son petit-fils sans tête,
comme Nostradamus avait fait voir à Marie de Médicis les rois de sa race, dont
le quatrième était également décapité.
Ceci est de l'enfantillage. Ce qui révèle les mystiques, c'est le détail
rapporté par Beaumarchais, que les Prussiens, - arrivés jusqu'à Verdun, - se
replièrent tout à coup d'une manière inattendue d'après l'effet d'une apparition
dont leur roi fut surpris, et qui lui fit dire: "N'allons pas outre!" comme en
certains cas disaient les chevaliers.
Les Illuminés français et allemands s'entendaient par des rapports
d'affiliation. Les doctrines de Weisshaupt et de Jacob Boehme avaient pénétré,
chez nous, dans les anciens pays francs et bourguignons, par l'antique sympathie
et les relations séculaires des races de même origine. Le premier ministre du
neveu de Frédéric II était lui-même un Illuminé. Beaumarchais suppose qu'à
Verdun, sous couleur d'une séance de magnétisme, on fit apparaître devant
Frédéric-Guillaume son oncle, qui lui aurait dit: "Retourne!" comme le fit un
fantôme à Charles VI.
Ces données bizarres confondent l'imagination; seulement, Beaumarchais, qui
était un sceptique, a prétendu que, pour cette scène de fantasmagorie, on fit
venir de Paris l'acteur Fleury, qui avait joué précédemment aux Français le rôle
de Frédéric II, et qui aurait ainsi fait illusion au roi de Prusse, lequel,
depuis, se retira, comme on sait, de la confédération des rois ligués contre la
France.
Les souvenirs des lieux où je suis m'oppressent moi-même, de sorte que je vous
envoie tout cela au hasard, mais d'après des données sûres. Un détail plus
important à recueillir, c'est que le général prussien qui, dans nos désastres de
la Restauration, prit possession du pays, ayant appris que la tombe de Jean-
Jacques Rousseau se trouvait à Ermenonville, exempta toute la contrée, depuis
Compiègne, des charges de l'occupation militaire. C'était, je crois, le prince
d'Anhalt: souvenons-nous au besoin de ce trait.
Rousseau n'a séjourné que peu de temps à Ermenonville. S'il y a accepté un
asile, c'est que depuis longtemps, dans les promenades qu'il faisait en partant
de l'Ermitage de Montmorency, il avait reconnu que cette contrée présentait à un
herborisateur des familles de plantes remarquables, dues à la variété des
terrains.
Nous sommes allés descendre à l'auberge de la Croix-Blanche, où il demeura lui-
même quelque temps, à son arrivée. Ensuite, il logea encore de l'autre côté du
château, dans une maison occupée aujourd'hui par un épicier. M. René de Girardin
lui offrit un pavillon inoccupé, faisant face à un autre pavillon qu'occupait le
concierge du château. Ce fut là qu'il mourut.
En nous levant, nous allâmes parcourir les bois encore enveloppés des
brouillards d'automne, que peu à peu nous vîmes se dissoudre en laissant
reparaître le miroir azuré des lacs. J'ai vu de pareils effets de perspective
sur des tabatières du temps... Je revis l'île des Peupliers, au delà des bassins
qui surmontent une grotte factice, sur laquelle l'eau tombe, quand elle tombe...
Sa description pourrait se lire dans les idylles de Gessner.
Les rochers qu'on rencontre en parcourant les bois sont couverts d'inscriptions
poétiques. Ici:
Sa masse indestructible a fatigué le temps.
ailleurs:
Ce lieu sert de théâtre aux courses valeureuses
Qui signalent du cerf les fureurs amoureuses,
ou encore, avec un bas-relief représentant des Druides qui coupent le gui:
Tels furent nos aïeux dans leurs bois solitaires!
Ces vers ronflants me semblent être de Roucher... Delille les aurait faits moins
solides.
M. René de Girardin faisait aussi des vers. - C'était en outre un homme de bien.
Je pense qu'on lui doit les vers suivants, sculptés sur une fontaine d'un
endroit voisin, que surmontent un Neptune et une Amphitrite, légèrement
décolletée comme les anges et les saints de Châalis:
Des bords fleuris où j'aimais à répandre
Le plus pur cristal de mes eaux,
Passant, je viens ici me rendre
Aux désirs, aux besoins de l'homme et des troupeaux.
En puisant les trésors de mon urne féconde,
Songe que tu les dois à des soins bienfaisants,
Puissé-je n'abreuver du tribut de mes ondes
Que des mortels paisibles et contents!
Je ne m'arrête pas à la forme des vers; - c'est la pensée d'un honnête homme que
j'admire. L'influence de son séjour est profondément sentie dans le pays. Là, ce
sont des salles de danse, - où l'on remarque encore le banc des vieillards; là,
des tirs à l'arc, avec la tribune d'où l'on distribuait des prix... Au bord des
eaux, des temples ronds, à colonnes de marbre, consacrés soit à Vénus génitrice,
soit à Hermès consolateur. Toute cette mythologie avait alors un sens
philosophique et profond.
La tombe de Rousseau est restée telle qu'elle était, avec sa forme antique et
simple, et les peupliers, effeuillés, accompagnent encore d'une manière
pittoresque le monument, qui se reflète dans les eaux dormantes de l'étang.
Seulement la barque qui y conduisait les visiteurs est aujourd'hui submergée...
Les cygnes, je ne sais pourquoi, au lieu de nager gracieusement autour de l'île
préfèrent se baigner dans un ruisseau d'eau bourbeuse, qui coule, dans un
rebord, entre des saules aux branches rougeâtres, et qui aboutit à un lavoir,
situé le long de la route.
Nous sommes revenus au château. - C'est encore un bâtiment de l'époque de Henri
IV, refait vers Louis XV, et construit probablement sur des ruines antérieures,
- car on a conservé une tour crénelée qui jure avec le reste, et les fondements
massifs sont entourés d'eau, avec des poternes et des restes de ponts-levis.
Le concierge ne nous a pas permis de visiter les appartements, parce que les
maîtres y résidaient. - Les artistes ont plus de bonheur dans les châteaux
princiers, dont les hôtes sentent qu'après tout, ils doivent quelque chose à la
nation.
On nous laissa seulement parcourir les bords du grand lac, dont la vue, à
gauche, est dominée par la tour dite de Gabrielle, reste d'un ancien château. Un
paysan qui nous accompagnait nous dit: "Voici la tour où était enfermée la belle
Gabrielle... tous les soirs Rousseau venait pincer de la guitare sous sa
fenêtre, et le roi, qui était jaloux, le guettait souvent, et a fini par le
faire mourir."
Voilà pourtant comment se forment les légendes. Dans quelques centaines
d'années, on croira cela. - Henri IV, Gabrielle et Rousseau sont les grands
souvenirs du pays. On a confondu déjà, - à deux cents ans d'intervalle, - les
deux souvenirs, et Rousseau devient peu à peu le contemporain d'Henri IV. Comme
la population l'aime, elle suppose que le roi a été jaloux de lui, et trahi par
sa maîtresse, - en faveur de l'homme sympathique aux races souffrantes. Le
sentiment qui a dicté cette pensée est peut-être plus vrai qu'on ne croit.
Rousseau, qui a refusé cent louis de madame de Pompadour, a ruiné profondément
l'édifice royal fondé par Henri. Tout a croulé. - Son image immortelle demeure
debout sur les ruines.
Quant à ses chansons, dont nous avons vu les dernières à Compiègne, elles
célébraient d'autres que Gabrielle. Mais le type de la beauté n'est-il pas
éternel comme le génie?
En sortant du parc, nous nous sommes dirigés vers l'église, située sur la
hauteur. Elle est fort ancienne, mais moins remarquable que la plupart de celles
du pays. Le cimetière était ouvert; nous y avons vu principalement le tombeau de
De Vic, - ancien compagnon d'armes de Henri IV, - qui lui avait fait présent du
domaine d'Ermenonville. C'est un tombeau de famille, dont la légende s'arrête à
un abbé. - Il reste ensuite des filles qui s'unissent à des bourgeois. - Tel a
été le sort de la plupart des anciennes maisons. Deux tombes plates d'abbés,
très vieilles, dont il est difficile de déchiffrer les légendes, se voient
encore près de la terrasse. Puis, près d'une allée, une pierre simple sur
laquelle on trouve inscrit: Ci-gît Almazor. Est-ce un fou? - est-ce un laquais?
- est-ce un chien? La pierre ne dit rien de plus.
Du haut de la terrasse du cimetière, la vue s'étend sur la plus belle partie de
la contrée; les eaux miroitent à travers les grands arbres roux, les pins et les
chênes verts. Les grès du désert prennent à gauche un aspect druidique. La tombe
de Rousseau se dessine à droite, et plus loin, sur le bord, le temple de marbre
d'une déesse absente, qui doit être la Vérité.
Ce dut être un beau jour que celui où une députation, envoyée par l'Assemblée
nationale, vint chercher les cendres du philosophe pour les transporter au
Panthéon. - Lorsqu'on parcourt le village, on est étonné de l'a fraîcheur et de
la grâce des petites filles; - avec leurs grands chapeaux de paille, elles ont
l'air de Suissesses... Les idées sur l'éducation de l'auteur d'Emile semblent
avoir été suivies; les exercices de force et d'adresse, la danse, les travaux de
précision encouragés par des fondations diverses, ont donné sans doute à cette
jeunesse la santé, la vigueur et l'intelligence des choses utiles.
J'aime beaucoup cette chaussée, - dont j'avais conservé un souvenir d'enfance, -
et qui, passant devant le château, rejoint les deux parties du village, ayant
quatre tours basses à ses deux extrémités.
Sylvain me dit: - Nous avons vu la tombe de Rousseau: il faudrait maintenant
gagner Dammartin, où nous trouverons des voitures pour nous mener à Soissons, et
de là, à Longueval. Nous allons nous informer du chemin aux laveuses qui
travaillent devant le château.
- Allez tout droit par la route à gauche, nous dirent-elles, ou, également, par
la droite... Vous arriverez, soit à Ver, soit à Eve, vous passerez par Othis, et
en deux heures de marche vous gagnerez Dammartin.
Ces jeunes filles fallacieuses nous firent faire une route bien étrange; - il
faut ajouter qu'il pleuvait.
La route était fort dégradée, avec des ornières pleines d'eau, qu'il fallait
éviter en marchant sur les gazons. D'énormes chardons, qui nous venaient à la
poitrine, - chardons à demi gelés, mais encore vivaces, - nous arrêtaient
quelquefois.
Ayant fait une lieue, nous comprimes que ne voyant ni Ver, ni Eve, ni Othis, ni
seulement la plaine, nous pouvions nous être fourvoyés.
Une éclaircie se manifesta tout à coup à notre droite, - quelqu'une de ces
coupes sombres qui éclaircissent singulièrement les forêts...
Nous aperçûmes une hutte fortement construite en branches rechampies de terre,
avec un toit de chaume tout à fait primitif. Un bûcheron fumait sa pipe devant
la porte.
- Pour aller à Ver?...
- Vous en êtes bien loin... En suivant la route, vous arriverez à Montaby.
- Nous demandons Ver, - ou Eve...
- Eh bien! vous allez retourner... vous ferez une demi-lieue (on peut traduire
cela si l'on veut en mètres, à cause de la loi), puis, arrivés à la place où
l'on tire l'arc, vous prendrez à droite. Vous sortirez du bois, vous trouverez
la plaine, et ensuite tout le monde vous indiquera Ver.
Nous avons retrouvé la place du tir, avec sa tribune et son hémicycle destiné
aux sept vieillards. Puis nous nous sommes engagés dans un sentier qui doit être
fort beau quand les arbres sont verts. Nous chantions encore, pour aider la
marche et peupler la solitude, quelques chansons du pays.
La route se prolongeait comme le diable; je ne sais trop jusqu'à quel point le
diable se prolonge, - ceci est la réflexion d'un Parisien. - Sylvain, avant de
quitter le bois, chanta cette ronde de l'époque de Louis XIV:
C'était un cavalier
Qui revenait de Flandre...
Le reste est difficile à raconter. - Le refrain s'adresse au tambour, et lui
dit:
Battez la générale
Jusqu'au point du jour!
Quand Sylvain, - homme taciturne, - se met à chanter, on n'en est pas quitte
facilement. - Il m'a chanté je ne sais quelle chanson des Moines rouges qui
habitaient primitivement Châalis. - Quels moines! C'étaient des Templiers! - Le
roi et le pape se sont entendus pour les brûler.
Ne parlons plus de ces moines rouges.
Au sortir de la forêt, nous nous sommes trouvés dans les terres labourées. Nous
emportions beaucoup de notre patrie à la semelle de nos souliers; - mais nous
finissions par le rendre plus loin dans les prairies... Enfin, nous sommes
arrivés à Ver. - C'est un gros bourg.
L'hôtesse était aimable et sa fille fort avenante, - ayant de beaux cheveux
châtains, une figure régulière et douce, et ce parler si charmant des pays de
brouillards, qui donne aux plus jeunes filles des intonations de contralto, par
moments!
- Vous voilà, mes enfants, dit l'hôtesse... Eh bien! on va mettre un fagot dans
le feu!
- Nous vous demandons à souper, sans indiscrétion.
- Voulez-vous, dit l'hôtesse, qu'on vous fasse d'abord une soupe à l'oignon?
- Cela ne peut pas faire de mal, et ensuite?
- Ensuite, il y a aussi de la chasse.
Nous vîmes là que nous étions bien tombés.
Sylvain a un talent, c'est un garçon pensif, - qui, n'ayant pas eu beaucoup
d'éducation, se préoccupe pourtant de parfaire ce qu'il n'a reçu qu'imparfait du
peu de leçons qui lui ont été données.
Il a des idées sur tout. - Il est capable de composer une montre... ou une
boussole. - Ce qui le gène dans la montre, c'est la chaîne, qui ne peut se
prolonger assez... Ce qui le gêne dans la boussole, c'est que cela fait
seulement reconnaître que l'aimant polaire du globe attire forcément les
aiguilles; mais que sur le reste, - sur la cause et sur les moyens de s'en
servir, les documents sont imparfaits!
L'auberge, un peu isolée, mais solidement bâtie, où nous avons pu trouver asile,
offre à l'intérieur une cour à galeries d'un système entièrement valaque...
Sylvain a embrassé la fille, qui est assez bien découplée, et nous prenons
plaisir à nous chauffer les pieds en caressant deux chiens de chasse, attentifs
au tourne-broche, - qui est l'espoir d'un souper prochains...
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Gérard De Nerval (1808-1855)IIe lettre. Le château d'Ermenonville.
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