PLUME DE POÉSIES
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 Anatole France (1844-1924) PUTOIS, I

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Anatole France (1844-1924) PUTOIS, I Empty
MessageSujet: Anatole France (1844-1924) PUTOIS, I   Anatole France (1844-1924) PUTOIS, I Icon_minitimeDim 3 Fév - 13:23


PUTOIS, I

Ce jardin de notre enfance, dit M. Bergeret, ce
jardin qu'on parcourait tout entier en vingt pas,
fut pour nous un monde immense, plein de sourires et
d'épouvantes.
-Lucien, tu te rappelles Putois? Demanda Zoé en
souriant à sa coutume, les lèvres closes et le nez sur
son ouvrage d'aiguille.
-si je me rappelle Putois!... de toutes les
figures qui passèrent devant mes yeux quand j'étais
enfant, celle de Putois est restée la plus nette
dans mon souvenir. Tous les traits de son
visage et de son caractère me sont présents
à la mémoire. Il avait le crâne pointu...

-le front bas, ajouta mademoiselle Zoé.
Et le frère et la soeur récitèrent alternativement,
d'une voix monotone, avec une gravité baroque, les
articles d'une sorte de signalement:
-le front bas.
-les yeux vairons.
-le regard fuyant.
-une patte d'oie à la tempe.
-les pommettes aiguës, rouges et luisantes.
-ses oreilles n'étaient point ourlées.
-les traits de son visage étaient dénués de toute
expression.
-ses mains, toujours en mouvement, trahissaient
seules sa pensée.
-maigre, un peu voûté, débile en apparence...
-il était en réalité d'une force peu commune.
-il ployait facilement une pièce de cent sous entre
l'index et le pouce.
-qu'il avait énorme.
-sa voix était traînante...
-et sa parole mielleuse.

Tout à coup M. Bergeret s'écria vivement:
-Zoé! Nous avons oublié "les cheveux jaunes et le
poil rare. "recommençons.

Pauline, qui avait entendu avec surprise cette
étrange récitation, demanda à son père et à sa tante
comment ils avaient pu apprendre par coeur ce
morceau de prose, et pourquoi ils le récitaient comme
une litanie.

M. Bergeret répondit gravement:
-Pauline, ce que tu viens d'entendre est un texte
consacré, je puis dire liturgique, à l'usage de la
famille Bergeret. Il convient qu'il te soit
transmis, pour qu'il ne périsse pas avec ta tante et
moi. Ton grand-père, ma fille, ton grand-père éloi
Bergeret, qu'on n'amusait pas avec des niaiseries,
estimait ce morceau, principalement en considération
de son origine. Il l'intitula: "l'anatomie de Putois. "
et il avait coutume de dire qu'il préférait, à
certains égards, l'anatomie de Putois à l'anatomie de
Quaresmeprenant. "si la description faite par
Xénomanes, disait-il, est plus savante et plus riche
en termes rares et précieux, la description de Putois
l'emporte de beaucoup pour la clarté des idées et la
limpidité du style. "il en jugeait de la sorte parce
que le docteur Ledouble, de Tours, n'avait pas
encore expliqué les chapitres trente, trente-un et
trente-deux du quart livre de Rabelais.

-je ne comprends pas du tout, dit Pauline.
-c'est faute de connaître Putois, ma fille. Il faut
que tu saches que Putois fut la figure la plus
familière à mon enfance et à celle de ta tante Zoé.
Dans la maison de ton grand-père Bergeret on parlait
sans cesse de Putois. Chacun à son tour le croyait
voir.

Pauline demanda:
-qu'est-ce que c'était que Putois?
Au lieu de répondre, M. Bergeret se mit à rire, et
mademoiselle Bergeret aussi rit, les lèvres closes.
Pauline portait son regard de l'un à l'autre. Elle
trouvait étrange que sa tante rît de si bon coeur, et
plus étrange encore qu'elle rît d'accord et en
sympathie avec son frère. C'était singulier, en effet,
car le frère et la soeur n'avaient pas le même tour d'esprit.

-Papa, dis-moi ce que c'était que Putois. Puisque tu
veux que je le sache, dis-le moi.
-Putois, ma fille, était jardinier. Fils
d'honorables cultivateurs artésiens, il s'établit
pépiniériste à Saint-omer. Mais il ne contenta pas sa
clientèle et fit de mauvaises affaires. Ayant quitté
son commerce, il allait en journée. Ceux qui
l'employaient n'eurent pas toujours à se louer de lui.

A ces mots, mademoiselle Bergeret, riant encore:
-tu te rappelles, Lucien: quand notre père ne
trouvait plus sur son bureau son encrier, ses plumes,
sa cire, ses ciseaux, il disait: "je soupçonne
Putois d'avoir passé par ici. "

-ah! Dit M. Bergeret, Putois n'avait pas une
bonne réputation.

-c'est tout? Demanda Pauline.
-non, ma fille, ce n'est pas tout. Putois eut ceci
de remarquable, qu'il nous était connu, familier, et
que pourtant...
-... il n'existait pas, dit Zoé.
M. Bergeret regarda sa soeur d'un air de reproche:
-quelle parole, Zoé! Et pourquoi rompre ainsi le
charme? Putois n'existait pas. L'oses-tu dire,
Zoé? Zoé, le pourrais-tu soutenir? Pour affirmer
que Putois n'exista point, que Putois ne fut jamais,
as-tu assez considéré les conditions de l'existence et
les modes de l'être? Putois existait, ma soeur. Mais
il est vrai que c'était d'une existence particulière.

-je comprends de moins en moins, dit Pauline
découragée.

-la vérité t'apparaîtra clairement tout à l'heure, ma
fille. Apprends que Putois naquit dans la maturité de
l'âge. J'étais encore enfant, ta tante était déjà
fillette. Nous habitions une petite maison, dans un
faubourg de Saint-omer. Nos parents y menaient une
vie tranquille et retirée, jusqu'à ce qu'ils fussent
découverts par une vieille dame audomaroise, nommée
madame Cornouiller, qui vivait dans son manoir de
monplaisir, à cinq lieues de la ville, et qui se
trouva être une grand'tante de ma mère. Elle usa d'un
droit de parenté pour exiger que notre père et notre
mère vinssent dîner tous les dimanches à monplaisir,
où ils s'ennuyaient excessivement. Elle disait qu'il
était honnête de dîner en famille le dimanche et que
seuls les gens mal nés n'observaient pas cet ancien
usage. Mon père pleurait d'ennui à monplaisir. Son
désespoir faisait peine à voir. Mais madame
Cornouiller ne le voyait pas. Elle ne voyait rien.
Ma mère avait plus de courage. Elle souffrait autant
que mon père, et peut-être davantage, et elle
souriait.

-les femmes sont faites pour souffrir, dit Zoé.
-Zoé, tout ce qui vit au monde est destiné à la
souffrance. En vain nos parents refusaient ces
funestes invitations. La voiture de madame
Cornouiller venait les prendre chaque dimanche,
après midi. Il fallait aller à monplaisir ; c'était
une obligation à laquelle il était absolument
interdit de se soustraire. C'était un ordre établi,
que la révolte pouvait seule rompre. Mon père enfin
se révolta, et jura de ne plus accepter une seule
invitation de madame Cornouiller, laissant à
ma mère le soin de trouver à ces refus des
prétextes décents et des raisons variées, c'est ce
dont elle était le moins capable. Notre mère ne savait
pas feindre.

-dis, Lucien, qu'elle ne voulait pas. Elle aurait pu
mentir comme les autres.

-il est vrai de dire que, lorsqu'elle avait de bonnes
raisons, elle les donnait plutôt que d'en inventer de
mauvaises. Tu te rappelles, ma soeur, qu'il lui
arriva un jour de dire, à table: "heureusement que
Zoé a la coqueluche: nous n'irons pas de longtemps
à monplaisir. "

-c'est pourtant vrai! Dit Zoé.
-tu guéris, Zoé. Et madame Cornouiller vint dire un
jour, à notre mère: "ma mignonne, je compte bien que
vous viendrez avec votre mari dîner dimanche à
monplaisir. "notre mère, chargée expressément par son
mari de présenter à madame Cornouiller un valable
motif de refus, imagina, en cette extrémité, une
raison qui n'était pas véritable. "je regrette
vivement, chère madame. Mais cela nous sera
impossible. Dimanche, j'attends le jardinier. "
"à cette parole, madame Cornouiller regarda, par la
porte-fenêtre du salon, le petit jardin sauvage, où
les fusains et les lilas avaient tout l'air d'ignorer
la serpe et de devoir l'ignorer toujours. "vous
attendez le jardinier! Pourquoi? -pour travailler
au jardin. "

"et ma mère, ayant tourné involontairement les yeux
sur ce carré d'herbes folles et de plantes à demi
sauvages, qu'elle venait de nommer un jardin,
reconnut avec effroi l'invraisemblance de son
invention. "cet homme, dit madame Cornouiller,
pourra bien venir travailler à votre...
jardin lundi ou mardi. D'ailleurs, cela
vaudra mieux. On ne doit pas travailler le dimanche. -
il est occupé dans la semaine. "

"j'ai remarqué souvent que les raisons les plus
absurdes et les plus saugrenues sont les moins
combattues: elles déconcertent l'adversaire. Madame
Cornouiller insista, moins qu'on ne pouvait
l'attendre d'une personne aussi peu disposée qu'elle
à démordre. En se levant de dessus son fauteuil, elle
demanda: "comment l'appelez-vous, ma mignonne, votre
jardinier? -Putois ", répondit ma mère sans
hésitation.

"Putois était nommé. Dès lors il exista. Madame
Cornouiller s'en alla en ronchonnant: "Putois! Il
me semble bien que je connais ça. Putois? Putois!
Je ne connais que lui. Mais je ne me rappelle pas...
où demeure-t-il? -il travaille en journées. Quand
on a besoin de lui, on le lui fait dire chez l'un ou
chez l'autre. -ah! Je le pensais bien: un fainéant
et un vagabond... un rien du tout. Méfiez-vous de lui,
ma mignonne. "

"Putois avait désormais un caractère.

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