III.
LÉVIATHAN.
Taisez-vous, Béhémot, je suis Léviathan;
Comme un enfant mutin je fouette l'Océan
Du revers de ma large queue.
Mes vieux os sont plus durs que des barres d'airain,
Aussi Dieu m'a fait roi de l'univers marin,
Seigneur de l'immensité bleue.
Le requin endenté d'un triple rang de dents,
Le dauphin monstrueux, aux longs fanons pendants,
Le kraken qu'on prend pour une île,
L'orque immense et difforme et le lourd cachalot,
Tout le peuple squameux qui laboure le flot,
Du cétacé jusqu'au nautile;
Le grand serpent de mer et le poisson Macar,
Les baleines du pôle, à l'oeil rond et hagard,
Qui soufflent l'eau par la narine;
Le triton fabuleux, la sirène aux chants clairs,
Sur le flanc d'un rocher, peignant ses cheveux verts
Et montrant sa blanche poitrine;
Les oursons étoilés et les crabes hideux,
Comme des coutelas agitant autour d'eux
L'arsenal crochu de leurs pinces;
Tous, d'un commun accord, m'ont reconnu pour roi.
Dans leurs antres profonds, ils se cachent d'effroi
Quand je visite mes provinces.
Pour l'oeil qui peut plonger au fond du gouffre noir,
Mon royaume est superbe et magnifique à voir:
Des végétations étranges,
Éponges, polypiers, madrépores, coraux,
Comme dans les forêts, s'y courbent en arceaux,
S'y découpent en vertes franges.
Le frisson de mon dos fait trembler l'Océan,
Ma respiration soulève l'ouragan
Et se condense en noirs nuages;
Le souffle impétueux de mes larges naseaux,
Fait, comme un tourbillon, couler bas les vaisseaux
Avec les pâles équipages.
Ainsi, vous avez tort de tant faire le fier;
Pour avoir une peau plus dure que le fer
Et renversé quelque muraille;
Ma gueule vous pourrait engloutir aisément.
Je vous ai regardé, Béhémot, et vraiment
Vous êtes de petite taille.
L'empire revient donc à moi, prince des eaux;
Qui mène chaque soir les difformes troupeaux
Paître dans les moites campagnes;
Moi témoin du déluge et des temps disparus;
Moi qui noyai jadis avec mes flots accrus
Les grands aigles sur les montagnes!