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 Pierre François Lacenaire (1803-1836) Ode à la guillotine

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Pierre François Lacenaire (1803-1836) Ode à la guillotine Empty
MessageSujet: Pierre François Lacenaire (1803-1836) Ode à la guillotine   Pierre François Lacenaire (1803-1836) Ode à la guillotine Icon_minitimeDim 14 Aoû - 17:00

ODE À LA GUILLOTINE



Terra suscepit sanguinem fratris tui de manu tua.
Genèse, IV, 11.


I


Longtemps après le jour qui vit notre naissance,
Lorsque loin du berceau s’échappa notre enfance,
Lorsque sans être un homme on n’est plus un enfant,
De l’avenir, dit-on, se soulève le voile ;
Et nous pouvons dans notre étoile
Lire le sort qui nous attend.

Alors la destinée à nos yeux se révèle,
Rêve affreux, que la mort apporte sur son aile,
Qui de l’homme endormi plisse le front d’effroi ;
Car ainsi que Macbeth, on aperçoit trois femmes,
Qui, par des cris affreux, épouvantant nos âmes,
Nous laissent pour adieux ces mots : Tu seras roi !



II


On dit qu’il sommeillait... peut-être en une orgie :
Où de vin répandu, la table était rougie ;
Une femme parut, qui pressait dans sa main
Des roses et des fleurs, fumier du lendemain.
Cette femme riait d’une effrayante joie ;
Comme un peuple qui rit près d’un trône qu’il broie.
Mais son front était beau, mais on y pouvait voir
Le passé sans remords, l’avenir sans espoir,
Et de haine et d’amour un horrible mélange,
Un regard de démon, dans une larme d’ange ;
Et celui qui dormait tout à coup tressaillit ;
L’amour lui vint au cœur; l’insensé le lui dit.

« Jeune homme, pour m’aimer ton âme est impuissante ;
Mon amour doit tuer ceux dont je suis l’amante.
Fuis, les autres amants ont, pour mourir, un lit !
Les miens n’ont, à leur mort, qu’une foule qui rit ;
Les autres ont des fers qu’ils trouvent pleins de charmes
Et mes fers sont rouillés, mais rouillés par les larmes,
Et mon mari jaloux siège sur l’échafaud ;
C’est le soutien des rois, il se nomme bourreau !

« Fuis, car de mon amour tu serais la victime,
Car je veux être aimée, et m’aimer est un crime ;
Et, des mille fureurs qui viennent m’enflammer,
Ma plus grande fureur est de me faire aimer. »

Cette femme, pourtant, avait touché son âme,
Cette femme était belle, il aimait cette femme !

« Quoi ! t’aimer est un crime ! Et moi, si je t’aimais,
Si je t’aime, faut-il te laisser pour jamais ?
Ton regard est si beau, que le feu qui l’anime
Me force à demander : Femme, qu’est-ce qu’un crime ? »

« Un crime, c’est un mot qui s’élève bien haut ;
La moitié touche au sol, et l’autre à l’échafaud ;
Mais il descend plus bas, car la tête qui tombe.
Roule dans le linceul pour dormir dans la tombe. »

« Ma vie est donc en jeu ? Soit ! mais j’ai ton amour.
L’enfer est à Satan ; sois à moi sans retour ! »
Puis un baiser sanglant vint humecter sa bouche.
Comme un homme blessé qui s’éveille farouche,
Tout prêt à blasphémer, il se leva soudain,
Car il se réveillait au sein d’une audience,
Quand une voix criait, au milieu du silence :
Mort à celui qui fut seize fois assassin !



III


Quelle était cette femme ?... Était-ce la Vengeance,
Qui rit à sa victime, et pour qui l’existence
Bien souvent n’est qu’un dé qu’on retourne au hasard !
La Vengeance qui met moins de foi, d’espérance
Dans son Dieu que dans son poignard !
C’était... on ne le sait... Mais c’était le génie
Qui conduisit cet homme à l’affreuse agonie
Qui fait mourir avant le temps,
Mourir jeune !... Et pourtant, même avant la vieillesse,
L’homme qui dans le crime aspira tant d’ivresse,
N’a respiré que trop longtemps.



IV


Hélas ! à ce malheur qui donc put le conduire ?
— Quand on voit le mépris où brillait le sourire,
Quand ceux qui vous aimaient trouvent dans votre cœur
Le premier dos forfaits, du malheur ;
Quand la foule qui passe, à vous voir condamnée,
À votre aspect souffrant se détourne étonnée,
Froide comme un refus à quelque enfant jeté
Lorsqu’il vous tend la main après avoir chanté,

Entre vivre et mourir on voit un mot livide
Se dresser, et ce mot : c’est crime ou suicide.
Devant ces deux forfaits amené pour choisir,
Brûlant de se venger plutôt que de mourir.

Il prit le crime, lui !... le crime, quel partage !
— Écrire avec du sang sa vie à chaque page !
Se dire, je tuerai, je tuerai... c’est mon sort !
Attendre chaque jour que vienne la vengeance,
Être martyr ainsi sans ciel pour récompense.
Et pour sa fiancée oser choisir la mort ;
Défier le mépris et rechercher la haine,
N’avoir rien dans le cœur de la nature humaine ;
En face du trépas, hélas ! n’espérer rien,
Penser qu’on viendra voir, ainsi qu’à quelque fête.
Son souris infernal quand tombera sa tête !
Quel sort !... et c’est le sien.

Pourtant il s’était dit : L’avenir me réclame !
Oui... pour mettre à ton nom une auréole infâme ;
Oui, tu vivras, tandis que l’homme qui n’aura
Jeté sur son chemin que des bienfaits, mourra.

Car, si vous n’avez point fait pleurer sur la terre,
Si vous avez passé consolant, solitaire,
Si vous n’avez séché ni fait couler de pleurs,
Rien ne reste de vous ; lorsque l’orage gronde,
Du jour qui détruit tout, la trace est plus profonde,
Que du jour qui mûrit les fleurs.



V


Alors que la jeunesse est une pure flamme,
Le premier sentiment du crime sur notre âme,
C’est un désir subit de vengeance et de mort ;
La tristesse plus tard remplace la colère,
Puis vient l’indifférence à la robe étrangère,
Passant, sans du coupable interroger le sort ;
Mais quand la passion, bouillonnant dans la tête,
Du jour le plus affreux vous fait un jour de fête,
Quand vers tout être étrange on élève les bras,
Alors il n’est pour nous rien de beau, rien d’infâme
Alors on sent au cœur, où vient mourir le blâme,
Un respect calculé pour les grands scélérats !


Paris, janvier 1836.
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Pierre François Lacenaire (1803-1836) Ode à la guillotine
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