Le Jour des Morts
Je prends ces fleurs, dont les corolles
Ont encor des souffles vivants,
Et sur l'aile des brises folles
Je les disperse aux quatre vents.
Dans l'ombre où, tombés avec joie,
Vous frissonnez pâles et nus,
C'est à vous que je les envoie,
O soldats! ô morts inconnus!
soldats morts pour la patrie!
Qui, déjà glacés et mourants,
L'avez acclamée et chérie,
O mes frères! ô mes parents!
O ma généreuse famille!
O parure de nos malheurs!
Ces fleurs dont la corolle brille,
Je vous les offre avec mes pleurs.
O mobiles, gais et superbes,
Si voisins de l'enfance encor,
Avec vos visages imberbes
Et vos cheveux aux reflets d'or!
Cavaliers, soldats de la ligne,
Turcos, par le soleil brûlés,
Vétérans au courage insigne,
Chasseurs d'Afrique aux fronts hâlés!
Où dormez-vous? Pour vous sourire,
Où peut-on se mettre à genoux,
Héros qui voliez au martyre
Et qui l'avez souffert pour nous?
Nous l'ignorons. C'est là peut-être.
Qui peut le dire? Et c'est pourquoi,
Lorsque enfin nous allons renaître,
Pleins de bravoure et pleins de foi,
Après ces longs jours de souffrance,
De haine et de meurtre exécré,
Le sol tout entier de la France
Nous sera désormais sacré.
Foule par la guerre immolée,
Nous adorerons en tout temps
Cette terre partout mêlée
A votre cendre, ô combattants!
Et quand la Paix aux mains fleuries
Aura, nourrice des chansons,
Ravivé l'herbe des prairies
Et les fleurettes des buissons,
Vos soeurs, vos mères, vos amantes
Viendront dans les champs embaumés,
Parmi les campagnes charmantes,
Chercher la place où vous dormez,
Pâles d'une espérance folle,
Et, rêveuses, suivant des yeux
Le ruisseau pourpré qui s'envole
Avec un bruit mystérieux,
La colline où frémit le tremble,
Le nid d'où l'oiseau s'envola
Et la place où le rosier tremble,
Se diront: C'est peut-être là!