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 Victor HUGO (1802-1885) La femme , les deux trouvailles de Gallus Acte premier Lison scéné première

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James
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James


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Victor HUGO (1802-1885) La femme , les deux trouvailles de Gallus Acte premier Lison scéné première Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) La femme , les deux trouvailles de Gallus Acte premier Lison scéné première   Victor HUGO (1802-1885) La femme , les deux trouvailles de Gallus Acte premier Lison scéné première Icon_minitimeDim 18 Sep - 15:13

LA FEMME , LES DEUX TROUVAILLES DE GALLUS , ESCA , ACTE



PREMIER : LISON , SCENE PREMIERE .

Gallus, se penchant à la portière du carrosse.
Oh ! La charmante fille !
Lison, se penchant à la fenêtre de la chaumière.
Oh ! La belle voiture !
Le carrosse passe et disparaît à droite. La charrette s' arrête.
Harou en descend,
son fouet à la main. Il dégringole par le sentier qui abrège,
court à la chaumière
et frappe à la porte d' un coup de sabot. Il a son fouet à la
main.



Harou.
Il est neuf heures.
Lison, par la fenêtre.
Ah ! C' est vous.
Harou.
Oui, ma future.
Lison.
C' est bon.
Elle jette un fichu sur ses épaules nues, et elle ouvre la porte.
Harou entre.
Harou.
Vous n' êtes pas encor prête ?
Lison.
Pardi !
Harou.
Mais monsieur le curé nous attend à midi.
Lison.
Bien.
Harou.
L' autel est paré. C' est comme aux grandes fêtes.
Lison.
Bon.
Harou.
De cette cabane isolée où vous êtes,
jusqu' à l' église...
Lison.
Eh bien ?
Harou.
C' est encor loin. Allons,
vite. Habillez-vous.



Lison.
Oui.
Harou.
J' aurai deux violons.
Lison.
Bien.
Harou.
Je vais décharger mon fumier, puis je rentre
vous prendre en ma charrette avec Thibaut, le chantre.
Lison.
Soit.
Harou.
Mamz' elle Lison...
Lison.
Dites Lisa.
Harou.
Lisa.
Vous êtes vertueuse, et c' est pour ça.
Lison.
Pour ça,
que quoi ?
Harou.
Que je vous aime et que je vous épouse.
Vous avez du bonheur, hein ? Plus d' une est jalouse.
Vous sentez bien que moi qui suis un gros fermier,
ayant acquêts et baux francs de droit coutumier,
c' est à qui m' aura. Vous, vous êtes sans famille.
être madame Harou, quel sort pour une fille !
Avoir six cents arpents de blé, trois cents de foin !
Et dire, en regardant tout le pays très loin :
c' est à moi ! Voyez-vous, vous êtes orpheline,
pas un brin d' herbe n' est à vous sur la colline,



et vous êtes sans dot comme la fleur des champs.
Cela n' amuse pas les gens qui sont méchants
de voir que je vous prends pour femme. ça les fâche.
Vous n' étiez qu' une pauvre ouvrière à la tâche,
seule, et dont les parents sont morts sur des grabats,
gagnant six sous par jour à ravauder des bas.
Vous allez devenir bourgeoise, et cette chambre
où vous gelez, pas vrai, dès le mois de novembre,
vous l' allez changer contre un bon logis, ma foi,
où vous serez chez vous bien qu' en étant chez moi,
et d' où vous pourrez voir la mare avec les vignes,
et des canards si gros qu' on les prend pour des cygnes !
Ah ! Les commères font du train ! Moi, bon luron,
tout ce tas d' oiseaux noirs qui bat de l' aileron,
parce qu' elles voudraient être ce que vous êtes,
me fait rire. Piaillez, mesdames les chouettes !
Quand demain, bras dessus dessous, nous passerons,
cela fera sortir du trou leurs gros yeux ronds.
ça sera farce. Et vous, vous prendrez un air crâne,
vous direz : ma maison, mon champ, mon pré, mon âne.
Et puis du cidre ! Et puis du pain, plein le buffet !
Moi, j' ai de l' amitié pour vous. C' est ce qui fait
que j' épouse. Sur vous, du reste, rien à dire.
Vous n' avez qu' un défaut, c' est que vous savez lire.
Moi pas. Ah ! Par exemple, il faudra travailler.
étant maîtresse, on est servante. S' éveiller
au chant du coq, couper le seigle ou la fougère,
être bonne faucheuse et bonne ménagère,
manier gentiment la fourche à tour de bras,
laver les murs, laver les lits, laver les draps,
donner à boire aux gars ayant au dos leurs pioches,
blanchir l' âtre, écumer le pot, moucher les mioches,
porter, si le chemin est long et raboteux,
ses souliers à la main, les pieds s' usant moins qu' eux,
et vivre ainsi pieds nus et riche, heureuse en somme
d' être une brave femme et d' avoir un brave homme.
Nos bans sont publiés. Je vous ai fait cadeau



d' un parapluie, afin que, s' il tombe trop d' eau,
on ne s' en serve point, parce qu' il est en soie.
Et nous nous marions tantôt. Vive la joie !
Donc, mamz' elle, à midi, l' église. à minuit...
Il fait claquer ses doigts.
--bien !
Vous êtes un peu maigre. Ah ! Cela ne fait rien.
En mangeant du gigot, de la soupe bien chaude,
du lard, avec le temps vous deviendrez rougeaude.
La viande, voyez-vous, c' est ça qui fait la chair.
Vous étiez mal nourrie. Au fait, tout est si cher !
Le moyen qu' une fille, en mangeant peu, soit belle !
Sans chardon, l' âne geint. Sans pré, le mouton bêle.
Nous serons très heureux. Moi, j' aurai soin des boeufs,
vous des cochons. Des fois, l' étable, c' est bourbeux,
dame, on pataugera dans la paille mouillée.
Bah !
Lison, à part.
On nous a souvent, le soir, à la veillée,
dit des contes de fée où l' on voit qu' au printemps
il arrive parfois aux filles de vingt ans
de trouver au milieu de leur chambre un jeune homme
portant un astre au front, qui leur dit : je me nomme
le prince Azur, je t' offre un palais où tout rit,
chante et danse, je t' aime, et je suis un esprit.
Considérant maître Harou.
Ce n' est pas ça.
Harou.
Je veux vous donner douze, oui, douze !
Chemises en bon fil.
Montrant sa manche.
Pareilles à ma blouse.
Lison, à part.
En toile à torchon !



Harou.
Moi...
Gallus et Gunich, enveloppés de manteaux, passent au fond du
théâtre
et s' arrêtent derrière les arbres, en observation.
Lison, regardant Harou et reculant.
Quelle odeur !
Harou.
Moi, fermier,
je...
Lison.
Que sentez-vous donc ? Pouah !
Harou.
Rien. C' est le fumier.
ça ne sent pas mauvais.
Il s' approche d' elle galamment.
Vous n' êtes pas commode.
J' aime ça. L' autre jour, j' ai, puisque c' est la mode,
voulu vous embrasser, moi mauvais chenapan,
mais vous m' avez donné juste en plein museau, pan !
Une pichenette ! Ah ! Comme vous m' attrapâtes !
Il rit et cherche à l' embrasser ; elle recule.
Lison, le repoussant.
Ah ! Pardon. Vous avez des mains !
Harou, riant plus fort.
De bonnes pattes,
hein ?
Il rit et étale ses mains.
ça travaille.
Il les retourne toutes hâlées des deux côtés.
C' est de la bonne noirceur.
Lison se remet à se peigner.



Lison.
Dire que je n' ai pas une mère, une soeur,
pour m' habiller le jour de ma noce !
Harou.
L' usage
est qu' une du pays lace votre corsage.
Lison.
Je ne veux de personne.
Harou.
Oui. Vous êtes ainsi.
Quelle sauvage humeur de vous loger ici !
Seule, en cette cabane au bout de la vallée !
Lison.
J' ai ce choix : ici seule ; au village isolée.
étant pauvre, on n' a pas d' amis, et j' aime mieux
voir le désert au fond des bois qu' au fond des yeux.
Harou.
Vous avez un parler trop haut. ça vient, je gage,
des livres. Quand on lit, ça gâte le langage.
Mais j' y mettrai bon ordre. Ah ! Dans le temps ancien...
Lison, pensive et regardant un livre qui est sur sa table.
En fait de livre ici, je n' ai qu' un paroissien.
à part.
Savoir lire, à quoi bon ? Pour lire de la messe !
Fi !
Harou, faisant claquer son fouet.
Je serai le maître, et j' en fais la promesse.
Il rit.
çà, pour vous épouser il faut que je sois fou,
moi qui suis riche, et vous qui n' avez pas le sou ;



mais l' homme est un nigaud que la femme ensorcelle,
hein, mam' zelle Lison ?
Lison.
Dites mademoiselle
Lisa.
à part.
Grossier pain bis, va !
Harou.
Convenablement,
je suis moins que mari, mais je suis plus qu' amant.
Un baiser.
Il s' approche. Elle le repousse vivement.
Lison.
Jamais !
Harou, éclatant de rire.
Oh ! Jamais !
Il regarde à une grosse montre d' argent qu' il a sous sa blouse.
çà, je babille.
Il faut vous habiller. Il faut que je m' habille.
Lison, le regardant de côté.
Je crois que pour cravate il a sa corde à puits.
Harou.
Faire un brin de toilette est nécessaire, et puis,
vous, pendant ce temps-là, ma-de-moi-selle-Lise,
avec un clin d' oeil.
--est-ce ça ? --parez-vous. Puis, en route, à l' église,
gens de la noce ! --et puis, ce soir,
avec un geste galant qui l' effarouche.
Plus de fichu !
Il fait claquer son fouet. Il escalade le sentier, rejoint la
route d' en haut,
remonte dans la charrette et s' assoit sur le fumier. Il crie.
Je vais venir vous prendre en ma voiture. --hu !



Lison, seule.
Elle ôte son fichu, et n' a plus que sa chemise et un jupon.
Elle divise et natte ses cheveux.
C' est là le malaisé. Je suis une rêveuse.
Elle ouvre un tiroir de commode.
Habillons-nous.
Elle prend dans la commode quelques hardes, et s' arrête.
Ma tête est obscure, et se creuse.
Dire que je n' ai pas encor pris mon parti !
Elle tire de la commode une coiffure de mariée en fleurs d'
oranger.
Souvent d' un oui, d' un non, on s' est bien repenti.
Dans une heure il sera trop tard.
Elle déplie une robe de grosse laine neuve, propre et laide.
L' ennui me ronge !
Elle met sur un escabeau une paire de gros souliers de femme,
neufs.
Pas de destin auquel on ne préfère un songe !
Elle regarde la robe, les souliers et les fleurs d' oranger.
Que faire ?
Elle se remet à natter ses cheveux.
Ce bouvier est honnête. --et hideux.
Elle les roule en tresse.
Lui, soit.
Elle les rattache en couronne sur sa tête.
J' avais pourtant rêvé le ciel à deux !
Elle interrompt sa toilette et médite.
Aimer, comme c' est bon ! S' idôlâtrer sans cesse !
Et n' être pas trop pauvre ! Ah ! C' est beau, la richesse !
La vraie ! En plein. Oui, tout ! Pas l' épaisse façon
d' être riche à peu près qu' a ce pauvre garçon.
Sa femme ira pieds nus. Les souliers s' usent, dame !
Moi, je consens très bien aux pieds nus de la femme,
à la condition du tapis de velours.
Et ces poignets ! Ces gens de campagne sont lourds !
Il faut, pour cet hymen de l' âme avec l' étoile



qu' on nomme Amour, un lit, pas en trop grosse toile,
un nuage où l' on flotte, on ne sait quel vivant
char d' aurore emporté par le rêve et le vent,
et pas plus de travail que l' oiseau sur la branche !
Pensive.
L' oeil est d' autant plus doux que la main est plus blanche.
L' amour, dit l' Amadis de monsieur de Tressan,
c' est la vie. Et je hais le parler paysan.
Ouvrière. Orpheline. Oh ! Je songe, et Dieu laisse
entrer dans mon oeil trouble un regard de duchesse,
et j' ai des visions folles, plaire, charmer,
être libre, être belle, être adorée ! Aimer !
Elle se remet à sa toilette.
Elle prend la coiffure de mariée et regarde les quatre murs de sa
chambre.
Je n' ai pas de miroir, tant je suis misérable !
Elle sort de la chaumière, et va au puits de la source.
Si Dieu n' avait pas mis cette eau sous cet érable,
je n' aurais pas moyen de me coiffer, vraiment.
Elle se mire dans l' eau, tout en ajustant sa coiffure.
La fleur d' oranger. Peuh ! --la rose, c' est charmant.
Elle ôte le bouquet d' oranger, cueille une rose dans le rosier,
et la met dans ses cheveux. Elle se mire.
Pauvre, ou ce mariage. Ah ! La ressource est dure.
Elle ôte la rose et la regarde pensive.
Une fleur, ça se fane.
Gallus, derrière elle et sans qu' elle le voie, sort à moitié du
massif qui entoure
la source, avance le bras, et lui pose un épi de diamants dans
les cheveux.
Gallus, à demi-voix.
Un diamant, ça dure !
Il rentre vivement dans le massif.
Lison, se retournant.
Hein ? On a parlé.
Elle regarde.
Non. Personne.
Elle se mire dans la source.
Ah ! Dieu, mon Dieu !



Qu' ai-je au front ?
Elle se redresse effarée.
Qui m' a mis cela ?
Elle se mire de nouveau.
Qu' est-ce ? Du feu ?
ça doit brûler ! --je n' ose y toucher.
Relevant la tête.
Je suis bête.
C' est cette eau qui me trompe et qui met sur ma tête
un reflet de soleil. Ce que c' est que d' avoir
une source au milieu d' un bois pour tout miroir !
Elle se retourne. Un grand miroir de Venise ovale, encadré de
vermeil ciselé,
apparaît devant elle dans le massif.
Ciel !
Stupéfaite, elle regarde le miroir. Elle porte la main au bouquet
de diamants
qu' elle a sur le front.
Ah ! Les reines sont de la sorte coiffées !
Elle regarde le miroir.
Est-ce que par hasard il passe un vol de fées
qui s' est venu poser sur les branches du bois ?
Elle regarde sa coiffure de diamants.
Ai-je peur ? Non. J' ai fait ce rêve bien des fois.
Autour de moi tout tremble et devient ineffable.
Elle approche du miroir. Elle aperçoit un petit être, espèce de
nain ou d' enfant,
vêtu de satin blanc glacé vert, qui porte le miroir et le lui
présente, et qui
disparaît presque derrière, tant il est petit et tant le miroir
est grand.
Lison, admirant l' enfant.
Qu' il est joli !
Elle le considère sans crainte et comme apprivoisée à l' aventure
.
C' est ça ! Le nain ! C' est une fable
qui m' arrive.
Elle l' admire.
Il est fée. Es-tu fée ? Oui, pour sûr !
Quelle est ta reine ?
Le nain.
Vous, madame.

p176

Lison, reculant.
C' est obscur,
mais charmant. Suis-je en vie ? Oh ! L' extase m' accable.
Suis-je morte ?
Pendant qu' elle regarde le nain, le miroir et l' épi de diamants
sur sa tête,
un collier vient se poser sur sa gorge et sur ses épaules nues.
Elle s' écrie.
Un collier tout en perles !
Elle se retourne et voit un nègre. Ce nègre vient de sortir du
massif, et c' est lui
qui lui a agrafé le collier au cou, sans être aperçu d' elle. Il
est vêtu de velours
feu. Lison le regarde, pas effarouchée.
Le diable !
Je comprends.
On entend une musique sous les arbres et une vague chanson
murmurée
qui semble chantée au loin par des passants invisibles.
Chanson.
--les lutins--dans les thyms--les hautbois--
dans les bois--les roseaux--dans les eaux--ont des voix. --
donc faisons--des chansons--et dansons. --l' aube achève--
notre rêve--et l' amour--c' est le jour. --
lison, pâmée et fascinée.
Je suis ève !
Une fumée se disperse dans les branches.
Qu' est-ce que cet encens dans l' ombre répandu ?
Je sens comme une odeur de paradis.
Gallus, paraissant.
Perdu.
Enfin ! Je tiens mon rêve !
Gallus, sorti du massif, laisse tomber son manteau. Il apparaît
vêtu de brocart
d' or de la tête aux pieds, avec son cordon bleu et sa plaque d'
ordres. Il a sur
la tête un panache couleur feu. Il se dresse devant Lison.
Lison.
Un homme fait de flamme !
On aperçoit dans les arbres Gunich au guet, caché par l' ombre
du bois.
Gallus, immobile, l' oeil fixé sur Lison. à part.
D' abord disons-lui tu. Le bonheur de la femme



est d' être tutoyée, et son autre bonheur
est, quand on lui dit tu, de dire monseigneur.
Il hésite et hoche la tête.
Mais diantre ! Tutoyer, c' est brusquer. C' est du style
bien familier. La nuit est l' intervalle utile.
L' amour dit vous le soir et dit tu le matin.
Il se décide.
Nuances qu' elle doit ignorer.
La regardant et l' admirant.
Quel butin !
Haut à Lison.
Que désires-tu ? Parle, et ne sois pas modeste.
Je viens combler tes voeux.
Lison, maintenant effrayée. Avec une révérence tremblante.
Monseigneur Satan...
Gallus, à part.
Peste !
C' est plus que je n' osais espérer.
Lison, éperdue.
Oui. Non. Si !
Mais je suis toute nue, et c' est plein d' yeux ici.
Un manteau de velours pourpre lui tombe sur les épaules.
C' est le nègre qui lui met ce manteau.
Lison.
Monseigneur le démon...
Le duc gallus, souriant, à part.
Elle accepte l' abîme.
Haut.
Et d' abord, descendons de ce sommet sublime.
Je ne suis pas Satan. Je suis un simple roi.
Du moins j' étais cela l' an passé ; mais l' emploi
m' ennuyait ; j' ai lâché le sceptre qui m' assomme ;



mais je suis encor prince, et même gentilhomme.
Sultan, j' ai planté là le sabre et le turban.
Lison.
Oh !
Gallus, souriant.
Tu vois un monarque en rupture de ban.
Je me refais aux champs une âme printanière,
et j' y viens à l' école. --école buissonnière.
Sois ma maîtresse.
Lison, effarouchée.
Moi !
Gallus, souriant.
D' école. Belle, il sied
d' expliquer tout. Ce nègre est mon valet de pied.
J' ai toujours avec moi ma musique de chambre,
et, même dans les bois, je fais brûler de l' ambre.
Il montre la fumée d' encens dans les arbres.
De là vient cette odeur de sainteté. Ce nain,
diabolique à peu près, tant il est féminin,
est un de mes laquais. J' ai de plus dans ma suite
un rimeur qui me dit la messe, étant jésuite ;
ce maroufle est chargé de me faire mes vers.
J' en fais moi-même aussi parfois. J' ai pour travers
de rire, et de vouloir qu' autour de moi l' on rie.
Je me fabrique un peu d' aurore et de féerie.
Je voyage en nabab de l' Inde, et mes fourgons,
que Médée aurait fait traîner à ses dragons,
contiennent en décors de quoi jouer Armide ;
je ne suis pas méchant, mais ne suis pas timide.
Qu' on nous donne un hallier, de l' ombre, et caetera,
et nous improvisons d' emblée un opéra.
Je suis riche, et j' ai pu, grâce à mes viles piastres,
te mettre sur la tête une coiffure d' astres,
ô belle, et te rouler une rivière au cou.



C' est là le réel. Point de rêve. Rien de fou,
tout est simple, et la fable en vérité s' achève.
Lison, comme somnambule et l' oeil égaré.
Ce réel est déjà très joli comme rêve.
Gallus.
Fantastique grenier d' un palais incertain,
le rêve est le cinquième étage du destin,
et la réalité, c' est le rez-de-chaussée.
Restons en bas. Je suis un prince ; ma pensée,
c' est de jouir ; je vais, tâchant de peu vieillir.
Suis-je un songe-creux ? Non. Mais je voudrais cueillir
le divin rameau d' or où l' oiseau bleu se perche.
L' homme ayant égaré le bonheur, je le cherche.
Comment t' appelles-tu ?
Lison.
Monseigneur...
Gallus, la contemplant. --à part.
C' est vraiment
mon idéal. Le diable a fait évidemment
tant de perfections pour y loger des vices.
Une telle rencontre est un des grands services
que peut rendre l' enfer à quelqu' un d' ennuyé.
Elle a tout. Front pensif, air sauvage, oeil noyé,
bouche à dents de souris qui doit haïr le jeûne,
mains qui doivent haïr le vil travail.
Lison, revenant peu à peu à la réalité. --à part.
Pas jeune.
Ce n' est pas encor ça.
Le regardant en dessous.
Tout doré. De beaux yeux.
Plus de jeunesse avec moins de dorure est mieux.
Mais il a l' air d' avoir bien de l' esprit.



Gallus.
Jolie
comme la trahison et comme la folie !
Ce petit pied, ce bras exquis, convenons-en,
cela n' était pas fait pour rester paysan.
Lison se rapproche du miroir et considère son manteau de velours
et d' hermine.
Il la regarde se mirer.
Elle sera perverse en étant bien conduite.
Rien qu' à la voir songer, j' ai compris tout de suite
qu' en cette fille pauvre et coquette j' avais
un bon assortiment de tous les goûts mauvais.
Volupté, vanité, toilette, argent, paresse.
De son ongle déjà le diable la caresse.
Croquons-la. Cette fois, je me crois bien tombé.
Une faunesse exquise et digne d' un abbé !
Il s' approche d' elle avec une admiration passionnée.
Lison, regardant le duc fixement.
Souvent le coeur est froid quand les yeux semblent ivres.
Gallus.
Comment sais-tu cela ?
Lison.
Je l' ai lu dans les livres.
Gallus, à part.
Elle sait lire ! C' est une difformité.
Ma sauvagesse sort de l' université !
Une savante ! ça trouble mes conjectures.
Il réfléchit.
Tout se répare avec un bon choix de lectures.
Faublas. Crébillon fils.
Avec un haussement d' épaules.
Aussi je lui trouvais
un certain air lettré...
Lison.
Lire ! Est-ce donc mauvais ?



Gallus.
Non. Ne pas lire est mieux. Une fille n' est faite
que pour être jolie et tout changer en fête.
Le temps qu' on donne au livre on le prend à l' amour.
Aucun livre ne vaut un baiser.
à part.
Quel sot tour
on m' a fait là, d' apprendre à lire à cette fille !
L' ignorance est sur l' âme une charmante grille,
qu' il est fort amusant d' entr' ouvrir lentement.
Nouveau haussement d' épaules, comme quelqu' un qui prend son
parti.
Il se tourne vers elle.
Crois-moi d' abord en tout. C' est le commencement.
Lison.
Je crois tout ce qu' on dit, à moins qu' on ne le jure.
Gunich, en observation au fond du théâtre. à part.
Bon détail. Je mettrai ce mot dans ma brochure
sur les femmes.
Gallus, à lison.
Tu n' as toujours pas dit ton nom.
Lison.
élisabeth, qui fait Lise, ou bien Lisa.
Gallus.
Non.
Moi je te nommerai Zabeth. Te voilà née.
Je coupe en deux ton nom comme ta destinée,
et tu t' appelleras la marquise Zabeth.
Lison.
Marquise !
Gallus.
Je suis prince. Une étoile tombait,
l' amour la ramassa. Cette étoile est la joie.



Je serai ton esclave.
à part.
Et tu seras ma proie.
Soyons joyeux. Vivons. La vie est un gala.
Lison, se regardant dans le miroir. à part.
Oh ! Comme je suis belle avec ces choses-là !
à Gallus.
Monsieur ! Reprenez tout !
Gallus.
Pourquoi ?
Lison.
C' était pour rire,
n' est-ce pas ?
Gallus.
Je l' entends bien ainsi.
Lison.
Je me mire
avec des diamants, et j' oublie, ah mon Dieu !
Que je dois aujourd' hui me marier.
Gallus.
Parbleu,
tu peux...
Lison.
Dites-moi vous.
Gallus.
Madame la marquise,
vous pouvez...
Lison.
Laissez-moi ! Je suis la pauvre Lise.
On entend un bruit de violons et le claquement d' un fouet dans
la route d' en haut.
Gallus.
Votre voiture vient.



Lison.
Cette charrette !
Gallus.
à moins
que vous ne préfériez celle-ci.
Paraît la voiture dorée à quatre chevaux revenant dans la route
basse
par le côté d' où elle est sortie.
Gunich, au duc. Du fond du théâtre.
Sans témoins
fuir serait aisé.
Lison, à gallus.
Mais... --à qui donc ce carrosse ?
Gallus.
à vous !
Lison.
à moi !
Le carrosse s' arrête. Gunich ouvre la portière.
Gallus abat le marche-pied et y fait monter Lison éperdue.
Gallus.
Viens, c' est... --ta voiture de noce !
Tous sont dans le carrosse. La portière est refermée. Le carrosse
part. Au moment
où il sort, entre dans la route haute, du côté opposé, la
charrette traînée
par l' âne. On aperçoit dedans un groupe en tête duquel on voit
Harou en
habits de marié avec un gros bouquet, et deux violoneux qui
jouent du violon.

11 mars.



_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

Victor HUGO (1802-1885) La femme , les deux trouvailles de Gallus Acte premier Lison scéné première Une_pa12Victor HUGO (1802-1885) La femme , les deux trouvailles de Gallus Acte premier Lison scéné première Plumes19Victor HUGO (1802-1885) La femme , les deux trouvailles de Gallus Acte premier Lison scéné première James_12Victor HUGO (1802-1885) La femme , les deux trouvailles de Gallus Acte premier Lison scéné première Confes12


Victor HUGO (1802-1885) La femme , les deux trouvailles de Gallus Acte premier Lison scéné première Sceau110
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