PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Pour les idées

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James
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MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Pour les idées   Victor HUGO (1802-1885) Pour les idées Icon_minitimeDim 25 Sep - 17:12

POUR LES IDÉES.

Et c'est pourquoi, dans l'air par la brume obscurci,
Depuis ces temps de deuil, d'angoisse et de souffrance,
Au-dessus de la foule, au-dessus de la France,
Comme sur Babylone on distingue Babel,
On voit, dans le Paris de Philippe-le-Bel,
On ne sait quel difforme et funèbre édifice.
Tas de poutres hideux où le jour rampe et glisse,
Lourd enchevêtrement de poteaux, de crampons,
Et d'arcs-boutants pareils aux piles des vieux ponts.
Terrible, il apparaît sur la colline infâme.
Les autres monuments, où Paris met son âme,
Colléges, hôpitaux, tours, palais radieux,
Sont les docteurs, les saints, les héros et les dieux ;
Lui, misérable, il est le monstre. Fauve, il traîne
Sur sa pente d'où sort une horreur souterraine,
Son funeste escalier qui dans la mort finit ;
Tout ce que le ciment, la brique, le granit,
Le fer, peuvent avoir de la bête féroce,
Il l'a ; ses piliers bruts, runes d'un dogme atroce,
Semblent des Irmensuls livides, et ses blocs
Dans l'obscurité vague ébauchent des Molochs ;
Baal pour le construire a donné ses solives
Où flottaient des anneaux que secouaient les dives,
Saturne ses crochets, Teutatès ses menhirs ;
Tous les cultes sanglants ont là leurs souvenirs ;
Si le lierre ou le houx dans ses dalles végète,
Si quelque ronce y croît, la feuille horrible jette
Une ombre onglée et noire, affreux stigmate obscur,
Qui ressemble aux cinq doigts du bourreau sur le mur.
Vil bâtiment des temps fatals fatal complice !
Il est la colonnade immonde du supplice,
L'échafaud que le Louvre a pour couronnement,
La caresse au tombeau, l'insulte au firmament ;
Et cette abominable et fétide bâtisse
Devant le ciel sacré se nomme la Justice,
Et ce n'est pas la moindre horreur du monument
De s'appeler l'autel en étant l'excrément.
Morne, il confine moins aux Paris qu'aux Sodomes.
Spectre de pierre ayant au front des spectres d'hommes,
Inexorable plus que l'airain et l'acier,
Il est, il vit, farouche et sans se soucier
Que le monde à ses pieds souffre, existe ou périsse,
Et contre on ne sait quoi dans l'ombre il se hérisse ;
À de certains moments ce charnier qui se tait
Frissonne, et comme si, triste, il se lamentait,
Mêle une clameur sourde aux vents, et continue
En râle obscur le bruit des souffles dans la nue ;
Là grince le rouet sinistre du cordier.
Du cadavre au squelette on peut étudier
Le progrès que les morts font dans la pourriture ;
Chaque poteau chargé d'un corps sans sépulture
Marque une date abjecte, et chaque madrier
Semble le signe affreux d'un noir calendrier.



La nuit il semble croître, et dans le crépuscule
Il a l'air d'avancer sur Paris qui recule.



Rien de plus ténébreux n'a jamais été mis
Sur ce tas imbécile et triste de fourmis
Que la hautaine histoire appelle populace.
Ô pâle humanité, quand donc seras-tu lasse ?



Lugubre vision ! au-dessus d'un mur blanc
Quelque chose d'informe et qui paraît tremblant
Se dresse ; chaos morne et ténébreux ; broussaille
De silence, d'horreur et de nuit qui tressaille ;
On ne voit le nuage, et l'ombre aux vagues yeux,
Et le blêmissement formidable des cieux,
Et la brume qui flotte, et l'astre qui flamboie,
Qu'à travers une vaste et large claire-voie
De poutres, dont chacune est un sanglant barreau ;
On dirait que Satan, l'infâme ange bourreau,
Dont la rage et la joie et la haine, acharnées,
Exécutent Adam depuis six mille années,
Sur ces fauves piliers a posé de sa main
La grande claie où fut traîné le genre humain.
C'est, dans l'obscurité lugubrement émue,
De la terreur, bâtie en pierre, et qui remue ;
C'est délabré, croulant, lépreux, désespéré ;
Les poteaux ont pour toit le vide ; le degré
Aboutit à l'échelle et l'échelle aux ténèbres ;
Le crépuscule passe à travers des vertèbres
Et montre dans la nuit des pieds aux doigts ouverts ;
Entre les vieux piliers, de moisissure verts,
Blêmes quand les rayons de lune s'y répandent,
Là-haut, des larves vont et viennent, des morts pendent,
Et la fouine a rongé leur crâne et leur fémur,
Et leur ventre effrayant se fend comme un fruit mûr ;
Si la mort connaissait les trépassés, si l'homme
Valait que le tombeau sût comment il se nomme,
Si l'on comptait les grains du hideux chapelet,
On dirait : - Celui-ci, c'est Tryphon, qui voulait
Fêter le jour de Pâques autrement qu'Irénée ;
Ceux-là sont des routiers, engeance forcenée,
Gueux qui contre le sceptre ont croisé le bâton ;
Cet autre, c'est Glanus, traducteur de Platon ;
Celui-ci, que des lois frappa la prévoyance,
Osa propager l'art du sorcier de Mayence,
Et jeter à la foule un Virgile imprimé ;
C'est Pierre Albin ; l'oubli sur lui s'est refermé ;
Cet autre est un voleur, cet autre est un poëte.
Derrière leur tragique et noire silhouette,
L'azur luit, le soir vient, l'aube blanchit le ciel ;
Le vent, s'il entre là, sort pestilentiel ;
Chacun d'eux sous le croc du sépulcre tournoie ;
Et tous, que juin les brûle ou que janvier les noie,
S'entreheurtent, fameux, chétifs, obscurs, marquants,
Et sont la même nuit dans les mêmes carcans ;
Le craquement farouche et massif des traverses
Accompagne leurs chocs sous les âpres averses,
Et, comble de terreur, on croirait par instant
Que le cadavre, au gré des brises s'agitant,
Avec son front sans yeux et ses dents sans gencives,
Rit dans la torsion des chaînes convulsives ;
L'exécrable charnier, sous ses barres de fer,
Regardant du côté de Rome et de l'enfer,
Dans l'étrange épaisseur des brumes infinies
Semble chercher au loin ses soeurs les gémonies,
Et demander au gouffre où nul astre n'a lui
Si Josaphat sera plus sinistre que lui ;
Et toujours, au-dessus des clochers et des dômes,
Le vent lugubre joue avec tous ces fantômes,
Hier, demain, le jour, la nuit, l'été, l'hiver ;
Et ces morts sans repos, où fourmille le ver
Plus que l'abeille d'or dans le creux des yeuses,
Cette agitation d'ombres mystérieuses,
L'affreux balancement de ces spectres hagards,
Ces crânes sans cheveux, ces sourcils sans regards,
Ce grelottement sourd de ferrailles funèbres,
Chassent dans la nuée, à travers les ténèbres,
Les purs esprits de l'aube et de l'azur, venus
Pour s'abattre au milieu des vivants inconnus,
Pour faire leur moisson sublime dans la foule,
Dire au peuple le mot du siècle qui s'écoule,
Et leur jeter une âme et leur apporter Dieu ;
Et l'on voit, reprenant leur vol vers le ciel bleu,
La sainte vérité, la pensée immortelle,
L'amour, la liberté, le droit, heurtant de l'aile
Le Louvre et son beffroi, l'église et son portail,
Fuir, blancs oiseaux, devant le sombre épouvantail.


_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

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