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 Victor HUGO (1802-1885) Le premier jour gens de guerre et gens d'église

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James
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Victor HUGO (1802-1885) Le premier jour  gens de guerre et gens d'église Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Le premier jour gens de guerre et gens d'église   Victor HUGO (1802-1885) Le premier jour  gens de guerre et gens d'église Icon_minitimeDim 25 Sep - 18:43

LE PREMIER JOUR

GENS DE GUERRE ET GENS D'ÉGLISE

Je suis triste. Pourquoi ? Princes, que vous importe !
Vous êtes joyeux, vous. Je refermais ma porte,
J'allais mettre la barre et tirer les verrous,
Pourquoi m'appelez-vous et que me voulez-vous ?
Pourquoi me pousser hors de l'ombre volontaire ?
Pourquoi faire parler celui qui veut se taire ?
Roi d'Arles, tant qu'il reste au vieillard une dent,
Lui faire ouvrir la bouche est toujours imprudent.
On n'est pas sûr qu'il soit de l'avis qu'on désire.
Vous avez un conseil de jeunes hommes, sire,
Fort galants, fort jolis, fort blonds, convenez-en ;
Pourquoi m'y faire entrer, moi le vieux paysan
Que la rude fierté des vieilles moeurs pénètre ?
Et depuis quand a-t-on l'habitude de mettre
Une pièce de cuir aux pourpoints de velours ?
Pour marcher devant vous, rois, mes pas sont bien lourds.

Si vous ne savez pas de quel nom je me nomme,
Je m'appelle Elciis, et je suis gentilhomme
De la ville de Pise, âpre et sévère endroit.
Je n'ai point à Pavie étudié le droit,
Et je n'ai pas l'esprit d'un docteur de Sorbonne.
Donc, sire, si la guerre est en soi chose bonne,
Je n'en sais rien ; mais, bonne ou mauvaise, je dis
Qu'il faut la faire en gens sincères et hardis,
Et que l'honnêteté publique est en détresse,
Princes, de voir qu'on fait une guerre traîtresse,
Une guerre humble, habile aux besognes de nuit,
Achetant des félons et des lâches sans bruit,
Faisant moins résonner l'estoc que la cymbale,
Ayant des espions, des colporteurs de balle,
Des moines mendiants et des juifs pour appuis,
Et l'empoisonnement des sources et des puits.

Les hommes de mon temps faisaient la guerre franche.
Tout l'arbre tressaillait quand ils cassaient la branche,
Et, quand ils coupaient l'arbre avec leur couperet,
C'était au tremblement de toute la forêt ;
Car ces hommes étaient des bûcherons sublimes.
Les survivants, et ceux que nous ensevelîmes,
Sont dans le souvenir des peuples à jamais.
Les hommes de mon temps hantaient les hauts sommets ;
Ils allaient droit au mur et donnaient l'escalade ;
Ils méprisaient la nuit, le piége, l'embuscade ;
Quand on leur demandait : Quel compagnon hardi
Emmenez-vous en guerre ? ils disaient : Plein midi.
C'étaient, sous l'humble serge ou l'hermine royale,
Les bons et grands enfants de la guerre loyale.
Ils n'étaient pas de ceux qui s'endorment longtemps ;
Hors du danger auguste ils étaient mécontents ;
Ils ne quittaient l'épieu que pour prendre la hache ;
Car l'immobilité ne sied point au panache,
Ni la rouille à l'éclair du glaive, et le repos
N'est pas fait pour les plis orageux des drapeaux.
Quand ils s'en revenaient des combats, leurs armures
Étaient rouges ainsi que des grenades mûres,
Et leurs femmes trouvaient le soir sous leur pourpoint
De larges trous saignants dont ils ne parlaient point.
De tout bien mal acquis ils disaient : qu'on le rende !
Ils ne trouvaient jamais de distance assez grande
Entre eux et le mensonge abject, ni de cloison
Assez épaisse entre eux, sire, et la trahison ;
Ils parlaient haut, étant des fils des grandes races ;
Leurs poitrines avaient le dédain des cuirasses ;
Leur galop rendait fous les libres étriers.
Il n'était pas besoin d'envoyer des fourriers
Pour leur dire : Il convient de se mettre en campagne.
Un noir se tord moins vite autour des reins son pagne
Qu'ils ne bouclaient l'estoc à leur robuste dos.
Ils donnaient peu de temps aux paters, aux credos,
Priant Dieu bonnement, comme fait le vulgaire ;
Droits, hommes de parole, ils ne s'embrouillaient guère
Aux finesses du clerc qui ment au nom des cieux,
Et dédaignaient l'argot du moine chassieux
Qui crache du latin et fait des hexamètres,
Étant des gens de guerre et non des gens de lettres.
C'est avec la gaîté du rire puéril
Qu'ils se précipitaient au plus noir du péril ;
Il sortait de leur casque un souffle d'épopée ;
Quand on disait : l'épée est d'acier, leur épée,
Fière et toujours au vent, répondait : l'homme aussi.
Au chaume misérable ils accordaient merci.
Ces vaillants devenaient doucement barbes grises,
Ayant pour toute joie, après les villes prises
Et les rois rétablis et tous leurs fiers travaux,
De regarder manger l'avoine à leurs chevaux.
Oh ! je les ai connus ! dès que les couleuvrines,
Dogues des tours, fronçaient leurs sinistres narines,
Dès que l'altier clairon sonnait, ils étaient prêts.
Ils étaient curieux d'aller tout voir de près ;
Jusque dans le sépulcre ils avançaient la tête ;
Et ces hommes, joyeux surtout dans la tempête,
Sans trop d'étonnement et sans trop de souci
Auraient suivi la mort leur criant : par ici !

Qu'est-ce que vous voulez maintenant qu'on vous dise ?
Ce temps-ci me répugne et sent la bâtardise.
Quand venaient les hiboux, jadis l'aigle émigrait ;
Je m'en vais comme lui. Barons, c'est à regret
Qu'on voit se refléter jusque dans vos repaires
Ce grand rayonnement des anciens et des pères
Au-dessus de votre ombre au fond des cieux épars.
Vous vous croyez lions, tigres et léopards ;
Les lions tels que vous sont pris aux souricières.
Les marmots nus qu'on porte ou qu'on mène aux lisières
Seraient dans le danger moins bégayants que vous.
Vous avez dans vos coeurs implacables et mous
Le dédain des vieux temps que vous osez proscrire ;
Vous nous faites frémir et nous vous faisons rire.
Vous avez l'oeil obscur, l'âme plus louche encor
Vous faites chevaliers avec des chaînes d'or
Des trahisseurs ou bien des pages de Sodomes,
Des gueux, des affranchis, de ces espèces d'hommes
Qu'on vend publiquement dans la rue à l'encan.
Où je vois le collier, je cherche le carcan.
Princes, mon coeur se serre en vous voyant, car j'aime
Le soleil sans brouillard, l'homme sans stratagème.
Vous avez l'appétit large, le front étroit,
Le mépris de tout frein, la haine de tout droit,
Et pour sceptre un couteau de boucher. Quelle histoire !
Quels jours ! Les gros butins se citent comme gloire.
Vous régnez en tuant sans jamais dire : assez !
Ô pillards, si souvent de meurtre éclaboussés
Que la rouille vous vient plus haut que la jambière !
Toujours ivres ; buveurs de vin, buveurs de bière,
Buveurs de sang ; couards en même temps ; vivant
Dans on ne sait quel luxe abject, lâche, énervant ;
Car la férocité, que la volupté mine,
Devient facilement chair molle et s'effémine ;
Aujourd'hui tout déchoit dans notre fier métier ;
Pour faire une cuirasse on prend un bijoutier,
De sorte que l'armure a peur d'être battue.
C'est ordinairement par derrière qu'on tue.
Vos plus fameux exploits et vos plus triomphants
Sont des dépouillements de femmes et d'enfants,
Des introductions dans les pays par fraude,
Les brusques coups de dent de la fouine qui rôde,
D'attaquer ceux qu'on a d'abord bien endormis,
D'arriver ennemis sous des masques d'amis ;
Faits honteux pour l'épée et pour la seigneurie,
Vils, et dont je vous veux laisser la rêverie.
Quant à moi, si j'étais l'un des rois que voilà,
Je ne porterais point légèrement cela ;
Je frémirais, à l'heure où l'ombre étend ses voiles,
D'être ainsi misérable et noir sous les étoiles.

Je ne vous cache pas que je suis attristé.
Tout pâlit, tout déchoit ! et, même la beauté,
Dernier malheur ! s'en va. Toute la grâce humaine
C'est la langue toscane et la bouche romaine ;
Et l'on parle aujourd'hui je ne sais quel jargon.

Roi, qui cherche un lézard peut trouver un dragon ;
Vous vouliez un flatteur de plus qui vous caresse
Et rie, et tout à coup la vérité se dresse.

Vous avez reconnu que les hommes trop prompts
Courent parfois grand risque en vengeant leurs affronts ;
Aussi vous n'avez pas de colère soudaine.
Défié par Venise, on regarde Modène.
Vous pesez le péril, rois, quoique altiers et vains.
Vous ne guerroyez pas sans l'avis des devins ;
Un astrologue baisse ou lève vos visières.
Ô princes, vous allez consulter des sorcières
Sur le degré d'honneur et d'amour du devoir
Et de témérité qu'il est prudent d'avoir ;
Vous combattez de loin derrière des machines ;
Et vous frottez vos bras, vos reins et vos échines,
Moins propres, sur mon âme, aux harnais qu'aux licous,
D'huile magique à rendre invulnérable aux coups.
Je voudrais bien savoir, princes, si Charlemagne
Qui, se dressant, donnait de l'ombre à l'Allemagne,
Et si le grand Cyrus et le grand Attila
Se sont graissé leurs peaux avec cet onguent-là.

Vous avez fait sans peine, ô clients des Sibylles,
Marcheurs de nuit, tendeurs d'embûches, gens habiles,
Quoique chétifs de coeur et chétifs de cerveau,
Avec le vieil empire un empire nouveau.
L'empaillement d'un aigle est chose bien aisée ;
Davus remplace Alcide et Thersite Thésée.

Rois, la fraude est vilaine et donne un profit nul ;
Mentir ou se tuer c'est le même calcul ;
Le fourbe est transparent, tout regard le pénètre ;
La trahison devient la chair même du traître ;
Il se sent sur les os un mépris corrosif ;
Dès qu'on est malhonnête on est rongé tout vif
Par son mauvais renom et par sa perfidie
Visible à tous les yeux et toujours agrandie ;
On est renard, la haine et l'effroi du troupeau ;
On a l'ombre et le mal pour robe et pour drapeau ;
Et Carthage a péri dans sa sombre tunique
De mensonge, de dol, de nuit, de foi punique.

La ciguë en vos champs croît mieux que le laurier.
Je verrais sans colère, ô rois, un serrurier
Bâtir, sans oublier de griller les fenêtres,
Entre vos probités et mon argent, mes maîtres,
Une porte solide aux verrous bien fermants.
Quant à votre parole et quant à vos serments,
Plutôt que m'assoupir sur votre signature
Et sur vos jurements par la sainte écriture,
Plutôt que me fier à vous, je me fierais
Aux jaguars, aux lynx, aux tigres des forêts,
Et j'aimerais mieux, rois, me coucher dans leur antre
Et mettre pour dormir ma tête sur leur ventre.
Ah ! ce siècle est d'un flot d'opprobre submergé !

Autre plaie ; et fâcheuse à montrer, - le clergé.

Puisque j'expose ici la publique infortune,
Puisque j'étale aux yeux nos hontes, c'en est une
Que le prêtre ait grandi plus haut que notre droit,
Et que l'église ait pris l'allure qu'on lui voit.

De mon temps, grand, petit, riche ou gueux, vieux ou jeune,
On observait l'avent, les vigiles, le jeûne,
On priait le bon Dieu, mains jointes, fronts courbés ;
Mais on tenait la bride assez haute aux abbés.
On avait l'oeil sur eux, on était économe
De baisers à leur chape, et l'on craignait peu Rome ;
Sire, ce que voyant, Rome se tenait coi.

Aujourd'hui Rome, à tout, dit : comment ? et pourquoi ?
On laisse les bedeaux sortir des sacristies ;
Qui touche aux clercs est plein de piqûres d'orties.
C'est fini, plus de paix. Ils sont partout. Veut-on
D'un évêque trop lourd raccourcir le bâton ?
Querelle. Pour blâmer les luxures d'un moine,
Pour un prieur à qui l'on ôte un peu d'avoine,
Pour troubler dans son auge un capucin trop gras,
Foudre, anathème ; on a le pape sur les bras.
Un seul fil remué fait sortir l'araignée.

Rome a sur tous les points la bataille gagnée.
On lui cède ; on la craint.

Combattre des soldats
Oh ! tant que vous voudrez ! mais des prêtres, non pas !
La cave du lion est effrayante, et l'aire
De l'aigle a je ne sais quel aspect de colère ;
On trouve là quelqu'un d'altier qui se défend ;
Sire, attaquer cela, c'est beau, c'est triomphant ;
Le bec est flamboyant, la gueule est colossale ;
On sent que l'aquilon dont l'Afrique est vassale,
Que l'ouragan qui gronde et qui des cieux descend,
Est dans les crins de l'un encor tout frémissant,
Et qu'aux pattes de l'autre il reste de la foudre ;
L'adversaire est superbe et plaît. Mais se résoudre
À mettre ses deux mains dans des fourmillements,
Poursuivre au plus épais des cloaques dormants
La bête de la bave et celle de la fange,
Avoir pour ennemi l'être plat qui se venge
De son écrasement par sa fétidité,
C'est hideux ; et j'ai honte et peur, en vérité,
D'attaquer une larve au fond d'une masure,
Et de combattre un trou d'où sort une morsure !

De là l'empiétement des moûtiers, des couvents,
Des hommes tonsurés et noirs sur les vivants,
Et le frémissement du monde qui recule.

Rome a tendu sa toile au fond du crépuscule.
La vaste lâcheté des moeurs est son trésor.
Tout à Rome aboutit. Prostituée à l'or,
Rome cote, surfait, pare, étale, brocante
Son absolution que le vice fréquente ;
Le saint-père est le grand mendiant indulgent ;
Les choses en sont là qu'on a pour son argent
Plus ou moins de pitié, plus ou moins de prière,
Et que l'église en est la sinistre usurière.
Rome a dessous l'ordure, et la pourpre dessus.
Pour être petit, pauvre, humble, comme Jésus
Le commandait à Jacque, à Simon, à Didyme,
Le pape a le décime, et l'évêque a la dîme.
Tout est occasion fiscale, jubilé,
Sabbat, la chaise offerte et le cierge brûlé,
Cloches, confession, amulettes, jurandes,
La desserte du pain, la desserte des viandes,
Droit de manger du boeuf, droit de manger du porc,
Exorcismes, tonlieux, mortuaire, déport,
Sermons, pâque fleurie, eau bénite, corvées,
Saint chrême, enfants perdus ou filles retrouvées,
Procès, citation devant l'official.
Partout du créancier le profil glacial.
Le fisc ne quitte pas des yeux la femme grosse ;
L'enfant paie. Êtes-vous dans une basse-fosse,
Le saint-père quémande à travers vos barreaux.
Vous plaît-il de fonder un hôpital ? Vingt gros.
Une bonne action paie un droit ; rien n'échappe ;
Un juste non payant ferait loucher le pape ;
Dix gros pour que l'abbé dise : sois bienvenu !
Pour faire devant soi porter un glaive nu,
Cent gros ; pour acheter le blé des turcs, dispense ;
Tant pour avoir le droit de penser ce qu'on pense ;
Tant pour faire le mal, tant pour s'en repentir ;
Péage pour entrer, péage pour sortir ;
Le baptême, c'est tant ; n'oubliez pas l'annate ;
Tant pour l'enfant de coeur à la robe incarnate ;
Tant pour vous marier ; ah ! vous mourez ; c'est tant.
Corruption ! Toujours une main qui se tend !
Dès que le père expire ou que la mère est morte,
Les enfants orphelins s'en vont de porte en porte
Mendier pour payer le prêtre, et, sans remord,
Un marchand sacré vend sa pourriture au mort.
Rome sur tout prélève une part, s'attribue
Sur deux mules la bonne et laisse la fourbue,
Taxe le berger, tond la brebis, prend l'agneau,
Goûte la fille au lit, le vin dans le tonneau,
Flaire la cargaison du vaisseau dans le havre,
Et mange avant les vers le meilleur du cadavre.
Jésus disait aimer ; l'église dit : payer.

Le ciel est à qui peut acquitter le loyer,
On y sera logé bien ou mal, mieux ou guère,
Selon qu'on sera riche ou pauvre sur la terre ;
Arrière le haillon ! place au riche manteau !
Au mur du paradis Rome a mis écriteau.

La chaire de Saint-Pierre autrefois si sublime,
Espèce de tribune énorme de l'abîme,
Dont le dais formidable, au mystère mêlé,
Semblait s'évanouir dans un gouffre étoilé,
Est aujourd'hui l'obscure et lugubre boutique
Où le bien et le mal, la messe et le cantique,
Le vrai, le faux, le jour, la nuit, l'ombre et le vent,
Les anges, l'infini, la tombe, tout se vend !
Pourvu qu'il ait son crime en ducats dans son coffre,
L'homme le plus pervers voit le prêtre qui s'offre ;
Et le plus noir bandit qui soit sous le ciel bleu
Fouille à sa poche et dit au pape : Combien Dieu ?
Vous êtes un brigand, un gueux, un maniaque
De meurtres ; bien ; un tel, prêtre simoniaque,
Crible vos actions dans son hideux tamis,
Se signe, et dit : Allez, vos torts vous sont remis.

C'est triste d'être absous par ces viles engeances. -
Rois, si j'avais sur moi de telles indulgences,
De celles qui se font marchander et payer,
Je dirais à mon chien, pour me bien nettoyer,
De lécher le pardon d'abord, le crime ensuite.

Mais vous ne réglez pas ainsi votre conduite,
Et vous ne tombez pas dans ces scrupules vains.
Toujours, dans vos hauts faits de nuit et de ravins,
Comme vous entendez que Dieu vous soit commode,
Et comme parmi vous, en outre, il est de mode
Que la vipère prête au tigre son venin,
Vous avez près de vous un curé qui, bénin,
Vous conseille et vous sert dans toutes vos escrimes,
Qui trouve des raisons en latin à vos crimes,
Qui vous bénit après vos guets-apens, et coud
Un tedeum infâme à chaque mauvais coup.
D'où la difformité de la raison publique.
Caïphe et Busiris se donnent la réplique.
Quel est le faux ? quel est le vrai ? Qui donc a tort ?
C'est l'honnête homme. À bas le droit ! gloire au plus fort !
Le ciel a le rayon, mais le prêtre a le prisme.
La vérité bégaie et crache le sophisme ;
La probité n'est plus qu'un enrouement confus.
Veut-on protester, vivre, essayer un refus ?
On s'arrête, empêché dans l'immense argutie
Qu'en foule autour de vous le clergé balbutie ;
On a le prêtre, là, dans le fond du gosier ;
Et quand la conscience humaine veut crier
Ou parler haut, elle a l'église pour pituite.

Oh ! le ciel grand ouvert, la prière gratuite,
Le prêtre pauvre au point de ne distinguer plus
Le cuivre d'un liard de l'or d'un carolus,
L'autel et l'évangile ignorant le péage
Et la monnaie, ainsi que l'astre et le nuage,
C'était beau, c'était grand, c'était ainsi jadis,
Dans le temps qu'on était des jeunes gens hardis,
Et que, libre, on allait chanter dans la montagne !
Est-ce que c'en est fait dans le deuil qui nous gagne ?
Est-ce que les bons coeurs et les hommes de bien
Ne verront plus cela sous les cieux : Dieu pour rien ?

Rome n'a qu'un regret, c'est que la bête échappe
À l'ombre monstrueuse et large de sa chape,
Que l'animal soit franc de son pouvoir jaloux,
Que l'ours rôde en dehors du fisc, et que les loups
Respirent l'air des cieux depuis le temps d'Évandre
Sans qu'on puisse trouver moyen de le leur vendre.
Dieu vole la nature au prêtre ; il la soustrait ;
Il lui dit : Sauve-toi dans la vaste forêt !
C'est son tort. Le soleil est de mauvais exemple ;
Il ne réserve pas sa dorure au seul temple ;
Il empourpre les toits laïcs, grands et petits,
Les maisons, les palais, les cabanes, gratis.
Quoi ! le brin d'herbe est libre et donne ce scandale
De croître effrontément aux fentes de la dalle !
La folle avoine, auprès du lierre son voisin,
Pousse, sans acquitter le droit diocésain !
Quoi ! depuis que l'Etna s'assied sur sa fournaise,
Géant sombre, il n'a pas encor payé sa chaise !
Quoi ! l'éclair passe, va, revient, sans rien donner !
Quoi ! l'étoile ose luire, éclairer, rayonner,
Sans qu'on lui puisse enfin présenter la quittance !
Le pape est avec Dieu tête à tête, et le tance.
Quoi ! l'on ne peut au lys des champs, pris au collet,
Dire : pour les besoins du culte, s'il vous plaît !
Quoi ! la vague, lavant les gouffres insondables,
Couvre l'énormité des plages formidables,
Quoi ! l'écume jaillit jusqu'à cette hauteur
Sans retomber liard dans la main du quêteur !
Oh ! si le prêtre enfin pouvait jeter sa serre
Sur la vie, et la prendre à Dieu, son adversaire !
Quel hosanna le jour où la fleur, le buisson,
Le nid, devraient payer au curé leur rançon !
Le jour où l'on pourrait mettre une bonne taxe
Sur l'usage que fait le pôle de son axe,
Chicaner sa caverne au lion, et tricher
L'eau que boit le moineau dans le creux du rocher !

Donc, viatique, psaume et vêpres, scapulaires,
Madones à clouer sur le bec des galères,
La vertu du chrétien, la liberté du juif,
Tout est en magasin et tout a son tarif.

Et les nécessités d'exploits hideux que crée
Cette vente à l'encan de la chose sacrée !
Ces pillages où Rome a plusieurs portions !
Ces envahissements et ces extorsions
D'héritages qu'on vient d'un coup de hache fendre,
Et qui n'ont plus le bras du chef pour les défendre !
Ces fouilles de corbeaux dans le ventre des morts !
Ces guerres où, n'osant s'en prendre aux hommes forts,
Craignant le bras qui frappe et la lance qui blesse,
La couardise appelle au combat la faiblesse !

Quand on a devant soi des barons, la plupart
Bandits bien crénelés et droits sur leur rempart,
Maîtres de quelque place à d'autres usurpée,
Qu'on arrondisse un peu sa terre avec l'épée,
En jouant au plus brave et non pas au plus fin,
Cela n'est pas très bien peut-être, mais enfin
Coup pour coup, le fer bat le fer, cela se passe
Entre ma panoplie et votre carapace,
Nous sommes gens gantés d'acier, bottés d'airain,
À visière féroce, à visage serein,
En guerre ! et nous pouvons nous regarder en face.
Mais qu'on prenne aux petits pour les gros ; mais qu'on fasse
Un apanage à tel ou tel prélat câlin
Avec des biens de veuve ou des biens d'orphelin ;
Mais, au mépris des lois divines et chrétiennes,
Pour doter des frocards et des braillards d'antiennes,
Et des clercs qui, béats, par le vin attendris,
Vous disent : faites maigre ! et mangent des perdrix,
Qu'on pille son douaire à cette pauvre vieille,
Qu'à cet enfant, qui fait un murmure d'abeille
Et qui rit en voyant entrer les assassins,
On vole sa maison et son champ, par les saints !
Je dis que c'est horrible, et toute honte est bue
Autant par qui reçoit que par qui distribue !
Le meurtre vole afin d'acheter le pardon.

Rome est un champ ayant le moine pour chardon ;
Que l'âne de Jésus vienne donc et le broute !

Ces prêtres qui pour ombre ont derrière eux le doute,
Faux, masqués, emmiellant de leur perfide esprit
Le bord du vase au fond duquel le démon rit,
Traîtres du ciel, à qui l'opprobre profitable
Donne bon feu, bon lit, bon gîte et bonne table,
Ah ! ces larrons sacrés, malheur sur eux, malheur !

Oh ! que j'aime bien mieux le simple et franc voleur !
Des fauves attentats sauvage cénobite,
Il a l'ombre pour antre et pour cloître ; il habite
Les déserts, les halliers creusés en entonnoirs,
Le derrière des murs croulants, les recoins noirs
Des palais qu'on bâtit, où, la nuit, dans les pierres
On entend le choc brusque et fuyant des rapières ;
Ce brigand a du sang au front, mais pas de fard ;
Il est âpre et hideux, mais il n'est point cafard,
Mais il ne se met pas un surplis sur le râble,
Mais il risque du moins sa peau, le misérable !
Le seigneur est la grille et le prêtre est la dent.

C'est grâce à tout cela que, la débauche aidant,
L'horreur est installée en nos tours féodales.

Ah ! crimes, deuils, banquets, prêtres, femmes, scandales !
Rire et foudre mêlant leurs funèbres éclats !
Nous frissonnons de voir tout ce qu'on voit, hélas,
Dans ces vaillants manoirs si glorieux naguères,
Quand, vieux aigles blanchis, et vieux faucons des guerres,
Par les brèches que fit le glaive, nous plongeons
Nos yeux dans la noirceur lugubre des donjons !

*

Le soleil déclinait ; de leurs piques bourrues
Les soldats refoulaient le peuple au coin des rues ;
Les prêtres chuchotaient près du trône rangés.
- J'ai faim, dit Elciis. L'empereur dit : Mangez.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

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