Sainte-Hélène! - leçon! chute! exemple! agonie!
L 'Angleterre, à la haine épuisant son génie,
Se mit à dévorer ce grand homme en plein jour;
Et l'univers revit ce spectacle homérique;
La chaîne, le rocher brûlé du ciel d'Afrique,
Et le Titan - et le Vautour!
Cependant ces tourments, cette auguste infortune,
Cette rage punique, implacable rancune,
Faisant saigner d'en bas le grand crucifié,
Ces affronts, qui tombaient sur toute âme hautaine,
Comme un vase profond où coule une fontaine,
Emplissaient lentement le monde de pitié.
Pitié des nobles coeurs! cri de toute la terre!
Qui t'irritaient dans l'ombre, ô geôlier d'Angleterre!
Car l'admiration, de son feu souverain,
Endurcit l 'homme vil, amollit la grande âme.
Hélas! où pleure un brave, un lâche rit, La flamme
Sèche la fange et fond l'airain.
Lui, pourtant, restait fier comme un roi chez son hôte.
On l'entendait parler dans son île à voix haute.
Il rêvait; il dictait d'illustres testaments;
Il repoussait l'oubli dont l'exil s'enveloppe;
Et, quand son oeil parfois se tournait vers l'Europe,
Il en venait encore de grands rayonnements.
Un jour - Lanne assoupi tressaillit sous son dôme;
Les quatre aigles pensifs de la place Vendôme
Frémirent en voyant passer un noir corbeau.
On regarda. La nuit était sur Sainte-Hélène.
Un guichetier anglais sous son impure haleine
Avait éteint le grand flambeau.
Vingt ans il a dormi dans cette île lointaine!
Dans les monts, près d'un saule, au bord d'une fontaine,
Sans affront, sans honneur,
Vingt ans il a dormi sous une dalle obscure,
Seul avec l'océan, seul avec la nature,
Seul avec vous, Seigneur!
Là, dans la solitude, après tant de tempêtes,
Tandis que son esprit revivait dans nos têtes,
Que l'Europe indignée exécrait sa prison,
Et que les rois, tremblant jusque dans leurs entrailles,
Voyaient le tourbillon de toutes ses batailles
Gronder confusément encore à l'horizon;
Durant les nuits, à l'heure où l'âme dans l'espace
N'entend que l'eau qui fuit, le cormoran qui passe,
Le flot des flots heurté,
L'air balayant les monts que la nuée encombre,
Et ce que dit tout bas à l'éternité sombre
La sombre immensité;
Quand la forêt frissonne au front de la colline,
Quand le ciel lentement vers l'océan s'incline,
Lorsque, brisant sa vague aux nocturnes rayons,
La mer, où vont plongeant des étoiles sans nombre,
Semble écumer dans l'ombre
Au choc étincelant des constellations;
Dans ces heures de paix, les déserts, les vallées,
Les vents, les bois, les monts, les sphères étoilées,
Chantant un divin choeur,
Couvrant d'oubli sa tombe aux bruits humains murée,
Ensemble accomplissaient la fonction sacrée
De calmer ce grand coeur.