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 Victor HUGO (1802-1885) Croyez-vous donc, songeurs qui vous apitoyez

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Victor HUGO (1802-1885) Croyez-vous donc, songeurs qui vous apitoyez Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Croyez-vous donc, songeurs qui vous apitoyez   Victor HUGO (1802-1885) Croyez-vous donc, songeurs qui vous apitoyez Icon_minitimeSam 31 Déc - 13:32

Et vous ne voulez pas que nous disions : assez!
Que nous tendions les mains pour tous ces insensés,
Que nous avions pitié de ces impitoyables!
Que nous demandions grâce aux destins immuables,
A Dieu, pour ceux qui n'ont point fait grâce, et qui sont
Tombés faibles et nus dans le pouvoir sans fond!
Et vous ne voulez pas que, pesant ces deux chaînes,
L'une qui tient le corps captif dans les géhennes,
L'autre qui fait de l'âme elle-même un caveau,
L'une étreignant le bras, et l'autre le cerveau,
Sentant nos yeux mouillés, notre coeur qui se serre,
Nous disions, inclinés sur l'énigme misère,
Et de tous les cachots comparant la noirceur :
L'opprimé le plus sombre, hélas, c'est l'oppresseur!

Si vous ne plaignez pas ces êtres sur qui pèse
Une fatalité morne et que rien n'apaise,
Ces haïs, ces maudits, qu'est-ce que vous plaindrez?
Refusez-vous le baume aux plus désespérés?
Avez-vous des pitiés décroissant à mesure
Qu'on voit la douleur croître et grandir la blessure?
Reculez-vous devant l'étrange extrémité
Où le malheur devient de la calamité?






Oh! soyons bons surtout pour les cruels. C'est triste
Que la bonté, si belle alors qu'elle persiste,
Vis-à-vis des méchants soit si prompte à l'oubli!
Le méchant, c'est le coeur d'amertume rempli.
Vous cherchez les souffrants; il est le véritable.
Oh! le cri de cette âme est le plus, lamentable.
Être le guérisseur, le bon samaritain
Des monstres, ces martyrs ténébreux du destin,
Leur panser leur puissance et leur laver leur crime,
Entre les devoirs saints c'est le devoir sublime.
Est-il donc impossible, ô Dieu, de secourir,
D'assoupir, de calmer, d'aider, de faire ouvrir
A la sainte pitié ses ailes toutes grandes?
Homme, on t'a fait le mal; ce qu'il faut que tu rendes,
C'est le bien; vis, réponds à la haine en aimant,
Et c'est là tout le dogme et tout le firmament.

Quoi! l'amour est fragile et la haine est durable!
Quelle est donc cette loi du deuil inexorable?
O ciel sombre! on a beau se révolter, vouloir
Briser cet anankè, rompre ce désespoir,
L'âpre loi reparaît toujours, sourde et glacée.
Va, philosophe, essaie, insurge la pensée,
La raison, la sagesse humaine, la clarté,
Contre la nuit, l'horreur et la fatalité,
Appelle en aide et mêle à ces saintes émeutes
Job, les Esséniens, Philon, les Thérapeutes,
Voltaire, Diderot, Vicô, Beccaria;
Toujours Satan revient avec le paria,
Toujours l'enfer vomit, comme une doublé lave,
Le démon dans le ciel, sur la terre l'esclave,
Le mal dans l'infini, le malheur ici-bas.
Plaindre Jésus, c'est bien; mais plaindre Barabbas,
C'est aussi la justice; et la grandeur éclate
A relever Caïphe, à consoler Pilate,
Et c'est là le sommet le plus haut des vertus
Que Socrate expirant soit bon pour Anitus.

Oui! les désolateurs, ceux-là sont les plus tristes.

Vous pleurez quand Sylla dresse ses mornes listes;
Vous plaignez les proscrits; mais vous ne savez pas
Tout ce qu'ils ont d'air pur, d'orgueil, de larges pas,
De respiration fière et de paix sublime,
Tout ce qu'ils ont d'azur au fond de leur abîme,
Et, jetés par les vents sur les écueils amers,
De ressemblance avec le libre flot des mers!
Vous ne vous doutez pas de ces immenses joies,
Subir les durs revers, suivre les âpres voies,
Être chassé, traqué, meurtri, persécuté,
Souffrir pour la justice et pour la vérité!
Vous plaignez les proscrits; occupez mieux vos larmes,
Plaignez le prescripteur. Soupçon, angoisse, alarmes,
Remords, voilà sa vie; il se redit les noms
Des bannis, des captifs plongés aux cabanons,
De ceux qu'il a jetés là-bas à l'agonie;
Le vent râle la nuit pendant son insomnie;
Pâle, il prête l'oreille; il écoute le cri
De Pathmos, de Syène ou de Sinnamari;
S'il dort, quel songe! il voit Tibère lui sourire,
Brutus rôder, Caton saigner, Tacite écrire;
Il a beau vivre, idole, au fond d'un tourbillon,
Mettre dans toute bouche ou l'hymne ou le bâillon;
Que dira l'avenir? Il se sent responsable
Des fièvres de l'exil, de la plage de sable,
Du marais, du soleil, et du zèle d'en bas,
Du geôlier harcelant ces fers et ces grabats,
Du valet tourmenteur qui crée, invente, innove,
Et le flatte en frappant la victime; Hudson Lowe
Pèse plus sur les rois que sur Napoléon.






Un jour le sacré temple humain, le Panthéon,
Jettera son éclipse auguste sur vos dômes,
Mornes villes du mal, Kremlins, Stambouls, Sodomes,
Et l'oubli couvrira de son brouillard glacé
La fourmilière étrange et noire du passé,
Pendant que l'avenir luira, fronton splendide.
Hélas, en attendant, l'homme, sans jour, sans guide,
Prend des précautions contre l'entraînement
De la fraternité, vertigineux aimant;
Il sent dans sa poitrine une chose suspecte,
Son coeur; l'homme, humble ou grand, large esprit, âme abjecte,
Tâtant le sort ainsi qu'on suit dans l'ombre un mur,
A peur de la pitié comme d'un puits obscur,
Et préfère la haine, et s'attache à la corde
Du mal pour ne pas choir dans la miséricorde.
Le pardon crie : Amour! Quel est cet inconnu?
Faire grâce épouvante, et ce mot ingénu,
Doux, clair, simple : - Aimez-vous, frères, les uns les autres! -
Est si profond qu'il n'est compris que des apôtres.






Jean Huss était lié sur la pile de bois;
Le feu partout sous lui pétillait à la fois;
Jean Huss vit s'approcher le bourreau de la ville,
La face monstrueuse, épouvantable et vile,
L'exécuteur, l'esclave infâme, atroce, fort,
Sanglant, maître de l'oeuvre obscure de la mort,
L'affreux passant vers qui les vers lèvent la tête,
Le tueur qui jamais ne compte et ne s'arrête,
Le cheval aveuglé du cabestan des lois;
Toute la ville était sur les seuils, sur les toits,
Parlait et fourmillait et contemplait la fête;
Huss vit venir à-lui cet homme, cette bête,
Cet être misérable et bas que l'effroi suit,
Espèce de vivant terrible de la nuit;
Difforme sous le faix de l'horreur éternelle,
Ayant le flamboiement des bûchers pour prunelle,
Il était là, tordant sa bouche sous l'affront;
On voyait des reflets de spectres sur son front
Où se réverbéraient les supplices sans nombre;
Toute sa vie était sur son visage sombre,
L'isolement, le deuil, Panathème, ce don
Du meurtre qu'on lui fait au-dessous du pardon,
La mort qui le nourrit du sang de sa mamelle,
Son Ut fait d'un morceau du gibet, sa femelle,
Ses enfants, plus maudits que les petits des loups,
Sa maison triste où vient regarder par les trous
L'essaim des écoliers qui s'enfuit dès qu'il bouge;
Ses poings, cicatrisés à toucher le fer rouge,
Se crispaient; les soldats le nommaient en crachant;
Il approchait, courbé, plié, souillé, méchant,
Honteux, de Péchafaud cariatide affreuse;
Il surveillait l'endroit où Pâtre ardent se creuse,
Il venait ajouter de l'huile et de la poix,
Il apportait, suant et geignant sous le poids,
Une charge de bois à l'horrible fournaise;
Sous l'oeil haineux du peuple il remuait la braise,
Abject, las, réprouvé, blasphémé, blasphémant;
Et Jean Huss, par le feu léché lugubrement,
Leva les yeux au ciel et murmura : Pauvre homme!

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