LE POURCEAU IMAGINAIRE
C' est du plus profond de mon ame
Que je vous rends graces, madame,
Du don que m' avez presenté,
Sans jamais l' avoir merité,
Car ce don precieux et rare
Ne vient point d' une main avare,
Tousjours la liberalité
Accompagne vostre beauté,
D' autant qu' une belle personne
Jamais rien que de beau ne donne.
C' est un admirable pourceau,
Tout sobre, tout net et tout beau,
Qui ne fut jamais de la race
De ce cruel, qui eut l' audace
D' affronter le bel Adonis:
N' y de celuy qui dans Paris
Fit choir tout mort un roy de France.
Encor moins est-il de l' engeance
De ce grand sanglier ravisseur,
Dont Meleagre le chasseur
Donna la hure à son amante,
Ny de ce grand porc d' Erimante
Vaincu d' un Hercule puissant.
Ce pourceau n' est point mal faisant,
Jamais ne mord, jamais ne gronde,
Jamais n' empoisonne le monde
Comme un tas de sales pourceaux,
Qui sont tousjours dans les ruisseaux
Et qui ne vivent que d' ordure.
Ce porc de gentille nature
Ne vit que de vents estourdis,
C' est un oyseau de paradis
Qui ne se perche qu' en la nuë,
Sa chair aussi n' est point polluë
Les juifs en peuvent bien manger.
Au reste si prompt et leger
Que pour moy je croy que Persee
Voulant Andromede laissee
Sauver du dragon lance-feux,
Et que Bellerophon le preux
Poussé d' une juste colere
Voulant mettre à mort la chimere
Qui devoroit les lyciens:
Ces deux palladins anciens
Ravis d' un genereux extase,
Mieux que sur le cheval Pegaze
Eussent fendu l' air violent
Montez sur ce pourceau volant,
Car son agilité m' enseigne
Que comme les jumens d' Espagne
D' un zephir engrossent souvent
Sa mere l' engendra de vent.
Ou du moins je gage ma vie
Que s' il y a quelque truye
Que les grecs superstitieux
Ayent colloqué dans les cieux
Ce dispos en a voulu naistre:
Ou bien qu' il aura pris son estre
De ce grand, gros, gras, gris pourceau
Que le rabeliste cerveau
Vid jettant moutarde à liffrees,
Sur les andoüilles balaffrees,
Lors que le frere Jean les fendoit
De son braquemart qui pendoit
Dessous son froc, comme en la guerre
Hector portoit son cimeterre.
En fin je croirois en effect
Que ce pourceau seroit extraict
De Boreas et d' Orithie,
Ou que quelque fée ou lamie
En voulut jadis accoucher
Sur la pointe d' un haut clocher,
Car ainsi qu' une giroüette
Ce pourceau si fort piroüette
Que le voulant prendre soudain,
Le traistre eschape de ma main,
Laissant à ma veuë enchantee
Autant de formes que Prothee,
L' imaginant en mon esprit
Tantost grand et tantost petit,
Tantost pesant, tantost alaigre,
Puis tantost gras, et tantost maigre
Tantost sain et tantost lepreux,
En fin ne m' en reste à mes yeux
Qu' un ombre, un idole, un fantosme
Que jadis l' abbé de Vendosme
Vestit de ses propres couleurs.
Vray est que le ciel, ses faveurs
Prodigue à ce porc invisible,
C' est que sa chair incorruptible
Se gardera plusieurs yvers
Sans autre sel que de mes vers,
Car la faux du temps jamais n' use
Le gentil labeur de la muse.
Donc (madame) je vous seray
Obligé tant que je vivray,
Pour le don qu' il vous plaist me faire
D' un tel pourceau imaginaire,
Car il ne faut point de boucher
Pour le tuer, et l' escorcher,
De servante à laver les tripes,
À saler les groins et les lippes,
Ny emprunter chez les voisins
Des cornets à faire des boudins,
N' y pendre au plancher la vessie,
N' y craindre que jamais la suye
Tombe sur le langué pendu,
N' y qu' un ramonneur descendu
De Lombardie ou de La Poüille
En pisse jamais sur l' andoüille.