POUR BACHUS
Savoureux bromien dont la liqueur vermeille
D' un saint enthousiasme eschauffe nos esprits,
Sans le friand nectar de ta vineuse treille
Oysive languiroit l' amoureuse Cypris.
Evan, Jac, Evoé, alme chasse-tristesse,
Niseen, Liseen, Bachus chasse-soucy,
Chasse-ennuy, chasse-mal, Denis donne liesse,
Donne-amour, donne-force, et donne vie aussi.
Quel stille d' Archilocq, ou rages vomissantes,
Les yambes fureurs, suffiront pour punir
De ces corbeaux infects les gueules croassantes
Qui veulent de ce dieu la loüange ternir.
Critiques refrongnez, qui pour trancher des sages
Mesprisez ce doux jus que vous cherissez tant,
Vos fronts couperosez en portent tesmoignages,
Car l' eau ne peut donner ce beau lustre esclatant.
Belle et riche couleur! Vermeille est l' escarlatte,
Vermeil l' oeillet aimé qui se va pourprissant,
Vermeil est le ruby et la fleur qui esclate,
Au lever du soleil son lustre rougissant.
Ô divine liqueur que tu és amiable!
Si tost que nos esprits ressentent ta vapeur
Nous sommes enchantez d' un sommeil agreable
Et ne faisons jamais sacrifice à la peur.
Il ne nous souvient plus de procez, de querelle,
Les lys et les oeillets croissent dessous nos pas,
Nous sommes des cresus, encore que l' escuelle
Du pauvre Diogene à peine n' avons pas.
Petit bouc trepignant quel heur ce fut aux hommes
Quand gaillard tu broutas de ce pampre aigre-doux,
Sans toy nous languirions accablez sous les sommes
Des malheurs que le ciel pleust à seaux dessus nous.
Va donc boire en enfer hydropote hypocrite,
Puisse-tu espuiser les eaux de Phlegeton,
Faire assecher le Stix, l' Acheron, le Cocythe,
Et tarir le tetin de la fiere Alecton.
Car tant que de Bachus la plante entortillée
Panchera sous le faix de son pampré raisin,
J' imitteray gaillard l' evante eschevelée,
Les chevaux boiront l' eau et je boiray le vin.