COMPLAINTE DE LA FRANCE
Complainte de la France en l' an mil six cents quinze.
Jusqu' à quand esprits factieux
Resemblerez-vous la vipere
En deschirant seditieux
Les flancs de vostre propre mere?
Rebelles, que vous ay-je faict?
Suis une marastre cruelle?
Apres m' avoir sucçé le laict
Faut-il m' arracher la mamelle?
Ne sera jamais vostre faim,
De mon sang innocent repuë?
Faut-il que j' aye dans mon sein
Nourry le serpent qui me tuë?
Ingrats, est-ce la le support
Que vous devez à la patrie?
Pourquoy me donnez vous la mort:
Vous ay-je pas donné la vie?
Me ferez vous servir tousjours,
De fable à l' estrangere terre?
D' ou pourray-je esperer secours
Sy mes enfans me font la guerre?
Pensez-vous bastir desormais
Vos fortunes sur mes ruynes?
Non, non, vous n' enterez jamais
Des roses dessus mes espines.
Si mon navire coule bas
En quel port vous irez-vous rendre?
Sy je brusle, serez-vous pas
Ensevelis dessous ma cendre?
Je souffre des maux inhumains:
Mais ceste peine m' est bien deuë,
Car j' ay livré entre vos mains
Les verges dont je suis battuë.
Ceux que j' ay le plus obligez
Sont ceux qui m' ont le plus troublée,
Ainsi les chevaux plus chargez
N' ont pas l' avoine mieux criblée.
Mon roy mort: me voyant rester
Entre tant de chiens toute seule
Je m' adviseray de leur jetter
À chacun un pain dans la gueule.
Croyans par ceste intention
À mon service les contraindre,
Mais, ce brazier d' ambition
En si peu d' eau n' a peu s' esteindre.
Ains pour mieux assouvir leur faim
Sur mon corps se sont voulus prendre
Lors que je n' avois plus de pain
N' y de baston pour me deffendre.
Par ce pain et par ce baston
J' entens les tresors que j' enserre
Car l' or et l' argent (ce dit-on)
Sont les nerfs plus forts de la guerre.
Quand vivoit mon restaurateur
Vous n' osiez jouër telles farces,
Mais Dieu a frappé le pasteur
Et les brebis se sont esparces.
L' un de ses yeux pour ses amis
S' embloit en charmes se resoudre,
Mais l' autre sur ses ennemis
Pleuvoit la tempeste et le foudre.
Tel n' eust ozé le voir vivant,
Qui mort, le mord et le deschire,
Ainsi le liévre souvent
Au lion mort la barbe tire.
Mon grand Henry l' avoit bien dit
(prevoyant les maux que je souffre)
Qu' aux grands donner tant de credit
C' est approcher le feu du souffre.
Pauvre orpheline je me mis
Princes, à l' abry de vos armes,
Mais, ce que j' ay semé en ris:
Je ne le moissonne qu' en larmes.
À voir vos gestes triomphans
J' esperois fortune prospere,
Mais, on a veu que tant d' enfans
N' ont fait que destruire la mere.
Si bons enfans vous desiriez
Voir ma gloire un jour sans seconde,
Planter mes bornes vous yriez
Au delà des bornes du monde.
Je serois peinte en mille vers
Tracez du fer de vostre lance,
La France seroit l' univers,
Et l' univers seroit la France.
Tous estes d' accord contre moy,
Mais, à part chaqu' un est contraire,
Et je ne sçay qui seroit roy
Sy vous avez les lots à faire.
Je verrois démembrer mon corps,
En autant de parts que de princes,
Voire j' aurois par vos discors
Autant de roys que de provinces.
Mais, si j' enten bien mon calcul,
Si le cerf on juge aux fumées:
Tels geant prez de mon Hercul'
Ne me semblent que des pygmées.
Les princes sont grand, je le croy,
Ce sont petits dieux que j' adore,
Mais, font-ils la guerre à mon roy
Ce sont des demons que j' abhorre.
Que leur sert de voir d' un plein salut,
Au ciel leurs grandeurs parvenuës
Puis qu' Ephialte creust si haut
Qu' il fut assommé dans les nuës?
Grand princes que la vanité
Ne vous enfle point le courage,
Plus le soleil est haut monté
Moins sur la terre il fait d' ombrage.
Quoy! Me saccagez vous, affin
D' acquerir un renom prophane?
Herostrate pour mesme fin
Brusla le temple de Diane.
Mais, soit: rendez-vous immortels,
Pour moy dans ces rigueurs si dures
Je ne sçaurois sur vos autels
Sacrifier que des injures.
C' est pour venger Henry Le Grand
Voyla le fard qui vous colore
Ravaillac le tua vivant
Et mort vous le tuez encore.
En luy s' accomplit tous les jours
La fable d' Ovide chantée,
Vous estes les cruels vautours
Et luy le pauvre Promethée.
Quand vous pointez à tous propos
Contre ses enfans vos batailles:
Est-ce pas troubler son repos
Et ronger encor ses entrailles?
C' est Dieu qui va vos coeurs touchant,
Afin de me rendre plus sage
Mais, gardez bien en me mouchant
De me diffamer le visage.
Mon beau pactole dites vous
Destourne ailleurs sa riche course:
Mais, ce ruisseau vous fut si doux,
En voulez-vous tarir la source?
Si le nil des deniers royaux
N' est plus qu' une vague petite,
Reportez y tous les ruisseaux
Dont il engraisse vostre Egypte.
Si mon tresor croît ou decroît,
Si quelqu' un j' abaisse ou je monte,
Ou trouvez vous que le roy soit
Tenu de vous en rendre conte?
Contables ne sont pas les roys,
Que ces chimeres ne vous trompent,
N' obligez point les roys aux loix,
Les roys font les loix et les rompent.
Leurs liberalitez borner,
C' est estre jaloux qu' on les serve,
C' est Apollon illuminer,
Et vouloir enseigner Minerve.
Mais mon roy dissipe le sien,
Ses mignons trop haut il advance:
Chacun de vous souffriroit bien
Qu' on luy fit present de la France.
Ce n' est pas pour vous ce morceau,
N' ayez peur que ce coup vous gréve,
Tous ceux qui ont part au gasteau,
Ne sont pas les roys de la féve.
Vous voulez c' est nostre debat
De l' estat faire à vostre guise,
Reformer l' estat hors l' estat
Et l' eglise hors de l' eglise.
Ce sont ces beaux reformateurs
Qui vous coiffent de ce pretexte,
Les croyez-vous? Sont des menteurs
Dont la glosse passe le texte.
Ces fusils de sedition,
Ces amphibenes au coeur double
N' ayment que la dissention
Affin de pescher en eau trouble.
Je sçay qu' il vous fasche beaucoup
De voir en cour tant de desordre,
Mais tout chien qui abboye au loup
N' a pas tousjours dessein de mordre.
Puis voulez-vous petits Phoebus
Dissiper ces sotizes vaines?
Dissipez premier les abus
Dont vos maisons sont toutes plaines.
Et vous petits gentils-hommeaux
Qui me vendez la paix si chere
Gardez bien que de tous ces maux
Vous ne portiez la fole-enchere.
Vous dittes mes princes avoir
Quelque raison en leur discorde,
Tenez-vous en vostre devoir
Et ne touchez pas ceste corde.
Le roy sçait bien comme il les doit
Ranger par amour ou par force,
Fol est celuy qui met son doigt
Entre le bois et son escorce.
L' aragne attrappe les bibets
Sans plus en ses toilles subtiles,
Petits larrons sont aux gibets
Et les plus gros sont dans les villes.
L' on dit que le foudre n' abat,
Que les arbres les plus superbes,
Mais, le tonnerre de l' estat
Ne fond que sur les basses herbes.
Maint phaëton regir voudroit
Le char de nostre republique,
Mais, en tresbuchant on craindroit
Qu' il ne fit de France une Affrique.
Icares, vous volez trop haut,
Vous bornez trop loin vos conquestes,
Gardez que sur un eschauffaut
L' on ne face voler vos testes.
Vous esperez vostre rachapt
Des princes, mais ne vous déplaise:
Le singe des pattes du chat
Tire les marrons de la braize.
Que chacun face son mestier,
Ce n' est aux chats a porter moufles
Parle de ses boeufs le chartier
Le cordonnier de ses pantoufles.
Bref, qui veut surgir a bon port
Durant ceste tempeste folle
Louys est l' estoille du nort
Où l' on doit tourner sa boussole.
Il sera l' astre nompareil
Qui accoizera ces orages,
Et le soleil et le seul oeil
Qui fera fondre ces nuages.