PLUME DE POÉSIES
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 Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.*

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MessageSujet: Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.*   Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.* Icon_minitimeVen 13 Jan - 21:07

XXIII La Corvée.*

Le soir tombe sur la tranchée. Pendant toute la journée, il s’est approché,
invisible comme la fatalité, et maintenant, il envahit les talus des longs
fossés comme les lèvres d’une plaie infinie.

Au fond de la crevasse, depuis le matin, on a parlé, on a mangé, on a dormi, on
a écrit. À l’arrivée du soir, un remous s’est propagé dans le trou sans bornes,
secouant et unifiant le désordre inerte et les solitudes des hommes éparpillés.
C’est l’heure où l’on se dresse pour travailler.

Volpatte et Tirette s’approchent ensemble.

-Encore un jour de passé, un jour comme les autres, dit Volpatte en regardant la
nue qui se fonce.

-T’en sais rien, not’ journée n’est pas finie, répond Tirette.

Une longue expérience du malheur lui a appris qu’il ne faut pas, là où nous
sommes, préjuger même de l’humble avenir d’une soirée banale et déjà entamée. .
.

-Allons, rassemblement!

On se réunit dans la lenteur distraite de l’habitude. Chacun s’apporte avec son
fusil, ses cartouchières, son bidon, et sa musette garnie d’un morceau de pain.
Volpatte mange encore, la joue pointue et palpitante. Paradis grognonne et
claque des dents, le nez violâtre. Fouillade traîne son fusil comme un balai.
Marthereau regarde puis remet dans sa poche un triste mouchoir bouchonné,
empesé.

Il fait froid, il bruine. Tout le monde grelotte.

On entend psalmodier, là-bas:

-Deux pelles, une pioche, deux pelles, une pioche. . .

La file s’écoule, vers ce dépôt de matériel, stagne à l’entrée et en repart,
hérissée d’outils.

-Tout le monde y est? Hue! dit le caporal.

On dévale, on roule. On va vers l’avant, on ne sait pas où. On ne sait rien,
sinon que le ciel et la terre vont se confondre dans un même abîme.

On sort de la tranchée déjà noircie comme un volcan éteint, et on se trouve sur
la plaine dans le crépuscule nu.

De grands nuages gris, pleins d’eau, pendent du ciel. La plaine est grise,
pâlement éclairée, avec de l’herbe bourbeuse et des balafres d’eau. De place à
autre, des arbres dépouillés ne montrent plus que des espèces de membres et des
contorsions.

On ne voit pas loin autour de soi, dans la fumée humide. D’ailleurs, on ne
regarde que par terre, la vase où l’on glisse.

-Mince de bouillasse!

À travers champs, on pétrît et on écrase une pâte à consistance visqueuse qui
s’étale et reflue sans cesse devant les pas.

-D’la crème au chocolat. . . D’la crème au moka!

Sur les parties empierrées -les ex-routes effacées, devenues stériles comme les
champs -la troupe en marche broie, à travers une couche gluante, le silex qui se
désagrège et crisse sous les semelles ferrées.

-Tu dirais que tu marches sur du pain grillé avec du beurre dessus!

Parfois, sur la pente d’une butte, c’est de l’épaisse boue noire, profondément
crevassée, comme il s’en accumule à l’entour des abreuvoirs dans les villages.
Dans les creux: des flaques, des mares, des étangs, dont les bords irréguliers
semblent en loques.

Les quolibets des loustics qui, frais et neufs au départ, criaient « coin, coin
» quand il y avait de l’eau, se raréfient, s’assombrissent. Peu à peu, les
loustics s’éteignent. La pluie se met à tomber dru. On l’entend. Le jour
diminue, l’espace embrouillé se rapetisse. Par terre, dans l’eau, un reste de
clarté jaune et livide se vautre.

À l’ouest se dessine une silhouette embuée de moines sous la pluie. C’est une
compagnie du 204, enveloppée de toiles de tentes. On voit, en passant, leurs
faces hâves et déteintes, leurs nez noirs, à ces grands loups mouillés. Puis on
ne les voit plus.

Nous suivons la piste qui est, au milieu des champs confusément herbeux, un
champ glaiseux rayé d’innombrables ornières parallèles, labouré dans le même
sens par les pieds et les roues qui vont vers l’avant et qui vont vers
l’arrière.

On saute par-dessus des boyaux béants. Ce n’est pas toujours facile: les bords
en deviennent gluants, glissants, et des éboulements les évasent. De plus, la
fatigue commence à nous peser sur les épaules. Des véhicules nous croisent à
grand bruit et à grand éclaboussement. Les avant-trains d’artillerie piaffent et
nous aspergent de gerbes d’eau lourde. Les camions automobiles emportent des
espèces de roues liquides qui tournoient autour des roues et giclent dans le
rayon de chaque tumultueuse roulotte.

À mesure que la nuit s’accentue, les attelages secoués et d’où se soulèvent des
encolures de chevaux et les profils des cavaliers avec leurs manteaux flottants
et leurs mousquetons en bandoulière, se silhouettent d’une façon plus
fantastique sur les flots nuageux du ciel. À un moment, il y a un encombrement
de caissons d’artillerie. Ils s’arrêtent, piétinent, pendant qu’on passe. On
entend un brouillement de cris d’essieux, de voix, de disputes, d’ordres qui se
heurtent, et le grand bruit d’océan de la pluie. On voit fumer, par-dessus une
mêlée obscure, les croupes des chevaux et les manteaux des cavaliers.

-Attention!

Par terre, à droite, quelque chose s’étend. C’est une rangée de morts.
Instinctivement, en passant, le pied l’évite et l’oeil y fouille. On perçoit des
semelles dressées, des gorges tendues, le creux de vagues faces, des mains à
demi crispées en l’air, au-dessus du fouillis noir.

Et nous allons, nous allons, sur ces champs encore blêmes et usés par les pas,
sous le ciel où des nuages se déploient, déchiquetés comme des linges à travers
l’étendue noircissante qui semble s’être salie, depuis tant de jours, par le
long contact de tant de pauvre multitude humaine.

Puis on redescend dans les boyaux.
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MessageSujet: Re: Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.*   Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.* Icon_minitimeVen 13 Jan - 21:07

Ils sont en contre-bas. Pour les atteindre on fait un large circuit, de sorte
que ceux qui sont à l’arrière-garde voient à une centaine de mètres l’ensemble
de la compagnie se déployer dans le crépuscule, petits bonshommes obscurs
accrochés aux pentes, qui se suivent et s’égrènent, avec leur outil et leur
fusil dressés de chaque côté de leurs têtes, mince ligne insignifiante de
suppliants qui s’enfoncent en levant les bras.

Ces boyaux, qui sont encore en deuxième ligne, sont peuplés. Au seuil de leurs
abris où pend et bat une peau de bête, ou une toile grise, des hommes accroupis,
hirsutes, nous regardent passer d’un oeil atone, comme s’ils ne regardaient
rien. Hors d’autres toiles, tirées jusqu’au bas, sortent des pieds et des
ronflements.

-Nom de Dieu! C’que c’est long! commence-t-on à grogner parmi les marcheurs.

Un remous, un refoulement.

-Halte!

Il faut s’arrêter pour en laisser passer d’autres. On s’amoncelle en vitupérant,
sur les côtés fuyants de la tranchée. C’est une compagnie de mitrailleurs avec
ses étranges fardeaux.

Ça n’en finit plus. Ces longues pauses sont harassantes. Les muscles commencent
à tirer. Le piétinement prolongé nous écrase.

À peine s’est-on remis en marche qu’il faut reculer jusqu’à un boyau de
dégagement pour laisser passer la relève des téléphonistes. On recule, comme un
bétail malaisé.

On repart plus lourdement.

-Attention au fil!

Le fil téléphonique ondoie au-dessus de la tranchée qu’il traverse par places
entre deux piquets. Quand il n’est pas assez tendu et que sa courbe plonge dans
le creux, il accroche les fusils des hommes qui passent, et les hommes pris se
débattent, et déblatèrent contre les téléphonistes qui ne savent jamais attacher
leurs ficelles.

Puis, comme l’enchevêtrement fléchissant des fils précieux augmente, on suspend
le fusil à l’épaule la crosse en l’air, on porte les pelles tête basse, et on
avance en pliant les épaules.

Un soudain ralentissement s’impose à la marche. On n’avance plus que pas à pas,
emboîtés les uns dans les autres. La tête de la colonne doit être engagée dans
une passe difficile.

On arrive à l’endroit: une déclivité du sol mène à une fissure qui bée. C’est le
Boyau Couvert. Les autres ont disparu par cette espèce de porte basse.

-Alors, faut entrer dans c’boudin?

Chacun hésite avant de s’engloutir dans la mince ténèbre souterraine. C’est la
somme de ces hésitations et de ces lenteurs qui se répercute dans les tronçons
d’arrière de la colonne, en flottements, en engorgements avec parfois des
freinages brusques.

Dès les premiers pas dans le Boyau Couvert, une lourde obscurité nous tombe
dessus et, un à un, nous sépare. Une odeur de caveau moisi et de marécage nous
pénètre. On distingue au plafond de ce couloir terreux qui nous absorbe,
quelques rais et trous de pâleur: les interstices et les déchirures des planches
du dessus; des filets d’eau en tombent par places, abondamment, et, malgré les
précautions tâtonnantes, on trébuche sur des amoncellements de bois; on heurte,
de flanc, la vague présence verticale des madriers d’étai.

L’atmosphère de cet interminable passage clos trépide sourdement: c’est la
machine au projecteur qui y est installée et devant laquelle on va passer.

Au bout d’un quart d’heure qu’on tâtonne, noyés là-dedans, quelqu’un, excédé
d’ombre et d’eau, et las de se cogner à de l’inconnu, grogne:

-Tant pis, j’allume!

Une lampe électrique fait jaillir son point éblouissant. Aussitôt, on entend
hurler le sergent:

-Vingt dieux! Quel est l’abruti complètement qui allume! T’es pas dingo? Tu
n’vois donc pas qu’ça s’voit, galeux, à travers l’parquet!

La lampe électrique, après avoir éveillé, dans son cône lumineux, de sombres
parois suintantes, rentre dans la nuit.

-C’est rare que ça s’voit, gouaille l’homme, on n’est pas en première ligne,
tout de même!

-Ah! ça s’voît pas!. . .

Et le sergent qui, inséré dans la file, continue à se porter en avant, et, on le
devine, se retourne en marchant, entreprend une explication heurtée.

-Espèce d’noeud, bon Dieu d’acrobate. . .

Mais, soudain, il brame à nouveau:

-Encore un qui fume! Sacré bordel!
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MessageSujet: Re: Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.*   Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.* Icon_minitimeVen 13 Jan - 21:07

Il veut s’arrêter cette fois, mais il a beau se cabrer et se cramponner en
ahanant, il est obligé de suivre le mouvement, précipitamment, et il est emporté
avec les vociférations rentrées qui le dévorent, tandis que la cigarette, cause
de sa fureur, disparaît en silence.

Le tapement saccadé de la machine s’accentue, et une chaleur s’épaissit autour
de nous. À mesure qu’on avance, l’air tassé du boyau en vibre de plus en plus.
Bientôt, la trépidation du moteur nous martèle les oreilles et nous secoue tout
entiers. La chaleur augmente: c’est comme un souffle de bête qui nous vient à la
face. Nous descendons vers l’agitation de quelque infernale officine, par la
voie de cette fosse ensevelie, dont une rambleur rouge sombre, où s’ébauchent
nos massives ombres, courbées, commence à empourprer les parois.

Dans un crescendo diabolique de vacarme, de vent chaud et de lueurs, on roule
vers la fournaise. On est assourdis. On dirait maintenant que c’est le moteur
qui se jette à travers la galerie, à notre rencontre, comme une motocyclette
effrénée, et qui approche vertigineusement avec son phare et son écrasement.

On passe, à demi aveuglés, brûlés, devant le foyer rouge et le moteur noir, dont
le volant ronfle comme l’ouragan. On a à peine le temps de voir là des
remuements d’hommes. On ferme les yeux, on est suffoqués au contact de cette
haleine incandescente et tapageuse.

Ensuite, le bruit et la chaleur s’acharnent en arrière de nous et
s’affaiblissent. . . Et mon voisin ronchonne dans sa barbe:

-Et c’t’idiot-là qui disait qu’ma lampe, ça s’voyait!

Voici l’air libre! Le ciel est bleu très foncé, de la couleur à peine délayée de
la terre. La pluie donne de plus belle. On marche péniblement dans ces masses
limoneuses. Tout le soulier s’enfonce et c’est une meurtrissure aiguë de fatigue
pour retirer le pied chaque fois. On n’y voit guère dans la nuit. On voit
cependant, à la sortie du trou, un désordre de poutres qui se débattent dans la
tranchée élargie: quelque abri démoli.

Un projecteur arrête en ce moment sur nous son grand bras articulé et féerique,
qui se promenait dans l’infini -et on découvre que l’emmêlement de poutres
déracinées et enfoncées, et de charpentes cassées, est peuplé de soldats morts.
Tout près de moi, une tête a été rattachée à un corps agenouillé, avec un vague
lien, et lui pend sur le dos: sur la joue une plaque noire dentelée de gouttes
caillées. Un autre corps entoure de ses bras un piquet et n’est qu’à moitié
tombé. Un autre, couché en cercle, déculotté par l’obus, montre son ventre et
ses reins blafards. Un autre, étendu au bord du tas, laisse traîner sa main sur
le passage. Dans cet endroit où l’on ne passe que la nuit car la tranchée,
comblée là par l’éboulement, est inaccessible le jour -tout le monde marche sur
cette main. À la lumière du projecteur, je l’ai bien vue, squelettique, usée
vague nageoire atrophiée.

La pluie fait rage. Son bruit de ruissellement domine tout. C’est une désolation
affreuse. On la sent sur la peau; elle nous dénude. On s’engage dans le boyau
découvert, tandis que la nuit et l’orage reprennent à eux seuls, et brassent
cette mêlée de morts échoués et cramponnés sur ce carré de terre comme sur un
radeau.

Le vent glace sur nos figures les larmes de la sueur. Il est près de minuit.
Voilà six heures qu’on marche dans la pesanteur grandissante de la boue.

C’est l’heure où, dans les théâtres de Paris, constellés de lustres et fleuris
de lampes, emplis de fièvre luxueuse, de frémissements de toilettes, de la
chaleur des fêtes, une multitude encensée, rayonnante, parle, rit, sourit,
applaudit, s’épanouit, se sent doucement remuée par les émotions ingénieusement
graduées que lui a présentées la comédie, ou s’étale, satisfaite de la splendeur
et de la richesse des apothéoses militaires qui bondent la scène du music-hall.

-Arrivera-t-on? Nom de Dieu, arrivera-t-on jamais?

Un geignement s’exhale de la longue théorie qui cahote dans les fentes de la
terre, portant le fusil, portant la pelle ou la pioche sous l’averse sans fin.
On marche; on marche. La fatigue nous enivre et nous jette d’un côté, puis d’un
autre: alourdis et détrempés, nous frappons de l’épaule la terre mouillée comme
nous.

-Halte!

-On est arrivés?

-Ah ben ouiche, arrivés!

Pour le moment, une forte reculade se dessine et nous entraîne, parmi laquelle
une rumeur court:

-On s’est perdus.

La vérité se fait jour dans la confusion de la horde errante: on a fait fausse
route à quelque embranchement, et maintenant, c’est le diable pour retrouver la
bonne voie.

Bien plus, le bruit arrive, de bouche en bouche, que derrière nous est une
compagnie en armes qui monte aux lignes. Le chemin que nous avons pris est
bouché d’hommes. C’est l’embouteillage.

Il faut, coûte que coûte, essayer de regagner la tranchée qu’on a perdue et qui,
paraît-il, est à notre gauche, en y filtrant par une sape quelconque.
L’énervement des hommes à bout de forces éclate en gesticulations et en
violentes récriminations. Ils se traînent, puis jettent leur outil et restent
là. Par places, il en est des grappes compactes -on les entrevoit à la blancheur
des fusées -qui se laissent tomber par terre. La troupe attend, éparpillée en
longueur du sud au nord, sous la pluie impitoyable.

Le lieutenant qui conduit la marche et qui nous a perdus arrive à se frayer un
passage le long des hommes, cherchant une issue latérale. Un petit boyau
s’ouvre, bas et étroit.

-C’est par là qu’il faut prendre, y a pas d’erreur, s’empresse de dire
l’officier. Allons, en avant, les amis!

Chacun reprend en rechignant son fardeau. . . Mais un concert de malédictions et
de jurons s’élève du groupe qui s’est engagé dans la petite sape.

-C’est des feuillées!

Une odeur nauséabonde se dégage du boyau, en décelant indiscutablement la
nature. Ceux qui étaient entrés là s’arrêtent, se butent, refusent d’avancer. On
se tasse les uns sur les autres, bloqués au seuil de ces latrines.

-J’aime mieux aller par la plaine! crie un homme.

Mais des éclairs déchirent la nue au-dessus des talus, de tous les côtés, et le
décor est si empoignant à voir, de ce trou garni d’ombre grouillante, avec ces
gerbes de flammes retentissantes qui le surplombent dans les hauteurs du ciel,
que personne ne répond à la parole du fou.

Bon gré, mal gré, il faut passer par là puisqu’on ne peut pas revenir en
arrière.

-En avant dans la merde! crie le premier de la bande.

On s’y lance, étreints par le dégoût. La puanteur y devient intolérable. On
marche dans l’ordure dont on sent, parmi la bourbe terreuse, les fléchissements
mous.

Des balles sifflent.

-Baissez la tête!

Comme le boyau est peu profond, on est obligé de se courber très bas pour n’être
pas tué et d’aller, en se pliant, vers le fouillis d’excréments taché de papiers
épars qu’on piétine.

Enfin, on retombe dans le boyau qu’on a quitté par erreur. On recommence à
marcher. On marche toujours, on n’arrive jamais.

Le ruisseau qui coule à présent au fond de la tranchée lave la fétidité et
l’infâme encrassement de nos pieds, tandis que nous errons, muets, la tête vide,
dans l’abrutissement et le vertige de la fatigue.

Les grondements de l’artillerie se succèdent de plus en plus fréquents et
finissent par ne former qu’un seul grondement de la terre entière. De tous les
côtés, les coups de départ ou les éclatements jettent leur rapide rayon qui
tache de bandes confuses le ciel noir au-dessus de nos têtes. Puis le
bombardement devient si dense que l’éclairement ne cesse pas. Au milieu de la
chaîne continue de tonnerres on s’aperçoit directement les uns les autres,
casques ruisselants comme le corps d’un poisson, cuirs mouillés, fers de pelle
noirs et luisants, et jusqu’aux gouttes blanchâtres de la pluie éternelle. Je
n’ai jamais encore assisté à un tel spectacle: c’est, en vérité, comme un clair
de lune fabriqué à coups de canon.
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MessageSujet: Re: Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.*   Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.* Icon_minitimeVen 13 Jan - 21:08

En même temps une profusion de fusées partent de nos lignes et des lignes
ennemies, elles s’unissent et se mêlent en groupes étoilés; il y a eu, un
moment, une Grande Ourse de fusées dans la vallée du ciel qu’on aperçoit entre
les parapets -pour éclairer notre effrayant voyage.

On s’est de nouveau perdus. Cette fois, on doit être bien près des premières
lignes; mais une dépression de terrain dessine dans cette partie de la plaine
une vague cuvette parcourue par des ombres.

On a longé une sape dans un sens, puis dans l’autre. Dans la vibration
phosphorescente du canon, saccadée comme au cinématographe, on aperçoit au-
dessus du parapet deux brancardiers essayant de franchir la tranchée avec leur
brancard chargé.

Le lieutenant, qui connaît tout au moins le lieu où il doit conduire l’équipe
des travailleurs, les interpelle:

-Où est-il, le Boyau Neuf?

-J’sais pas.

On leur pose, des rangs, une autre question: « À quelle distance est-on des
Boches? » ils ne répondent pas. Ils se parlent.

-J’m’arrête, dit celui de l’avant. J’suis trop fatigué.

-Allons! avance, nom de Dieu! fait l’autre d’un ton bourru en pataugeant
pesamment, les bras tirés par le brancard. On va pas tester à moisir ici.

Ils posent le brancard à terre sur le parapet, l’extrémité surplombant la
tranchée. On voit, en passant par-dessous, les pieds de l’homme étendu; et la
pluie qui tombe sur le brancard en dégoutte noircie.

-C’est un blessé? demande-t-on d’en bas.

-Non, un macchab, grogne cette fois le brancardier, et i’ pèse au moins quatre-
vingts kilos. Des blessés, j’dis pas -d’puis deux jours et deux nuits, on n’en
déporte pas -mais c’est malheureux d’s’esquinter à trimbaler des morts.

Et le brancardier, debout sur le bord du talus, jette un pied sur la base du
talus qui fait face, par-dessus le trou, et, les jambes écartées à fond,
péniblement équilibré, empoigne le brancard et se met en devoir de le traîner de
l’autre côté; et il appelle son camarade à son secours.

Un peu plus loin, on voit se pencher la forme d’un officier encapuchonné. Il a
porté la main à sa figure et deux lignes dorées ont apparu à sa manche.

Il va nous indiquer le chemin, lui. . . Mais il parle: il demande si on n’a pas
vu sa batterie, qu’il cherche.

On n’arrivera jamais.

On arrive pourtant.

On aboutit à un champ charbonneux, hérissé de quelques maigres piquets; et sur
lequel on grimpe et on se répand en silence. C’est là.

Pour se mettre en place, c’est une affaire. À quatre reprises différentes, il
faut avancer, puis rétrograder pour que la compagnie s’échelonne régulièrement
sur la longueur du boyau à creuser et que le même intervalle subsiste entre
chaque équipe d’un piocheur et de deux pelleteurs.

-Appuyez encore de trois pas. . . C’est trop. Un pas en arrière. Allons, un pas
en arrière, êtes-vous sourds?. . . Halte!. . . Là!. . .

Cette mise au point est conduite par le lieutenant et un gradé du génie surgi de
terre. Ensemble ou séparément, ils se démènent, courent le long de la file,
crient leurs commandements à voix basse dans la figure des hommes qu’ils
prennent par le bras, parfois, pour les guider. L’opération, commencée avec
ordre, dégénère, en raison de la mauvaise humeur des hommes épuisés qui ont
continuellement à se déraciner du point où ils sont affalés, en houleuse cohue.

-On est en avant des premières lignes, dit-on tout bas autour de moi.

-Non, murmurent d’autres voix, on est juste derrière.

On ne sait pas. La pluie tombe toujours, moins fort cependant qu’à certains
moments de la marche. Mais qu’importe la pluie! On s’est étalés par terre. On
est si bien, les reins et les membres posés sur la boue moelleuse, qu’on reste
indifférents à l’eau qui nous pique la figure, nous passe sur la peau, et au lit
spongieux qui nous tient.

Mais c’est à peine si on a le temps de souffler. On ne nous laisse pas
imprudemment nous ensevelir dans le repos. Il faut se mettre au travail
d’arrache-pied. Il est deux heures du matin: dans quatre heures il fera trop
clair pour qu’on puisse rester ici. Il n’y a pas une minute à perdre.

-Chaque homme, nous dit-on, a à creuser 1 m. 50 de longueur sur 0 m. 70 de
largeur et 80 cm. de profondeur. Chaque équipe a donc ses 4 m. 50. Et mettez-en
un coup, je vous le conseille: plus tôt ce sera fini, plus tôt vous vous en
irez.

On connaît le boniment. Il n’y a pas d’exemple dans les annales du régiment
qu’une corvée de terrassement soit partie avant l’heure où il fallait
nécessairement qu’elle vidâ t les lieux pour ne pas être aperçue, repérée et
détruite avec son ouvrage.
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Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.* Empty
MessageSujet: Re: Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.*   Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.* Icon_minitimeVen 13 Jan - 21:08

On murmure:

-Oui, oui, ça va. . . C’est pas la peine de nous la faire. Économise.

Mais -sauf quelques dormeurs invincibles qui tout à l’heure seront obligés de
travailler surhumainement -tout le monde se met à l’oeuvre avec courage.

On attaque la première couche de la ligne nouvelle: des mottes de terre
filandreuses d’herbe. La facilité et la rapidité avec lesquelles s’entame le
travail -comme tous les travaux de terrassement en pleine terre -donnent
l’illusion qu’il sera vite terminé, qu’on pourra dormir dans son trou, et cela
ravive une certaine ardeur.

Mais soit à cause du bruit des pelles, soit parce que quelques-uns, malgré les
objurgations, bavardent presque haut, notre agitation éveille une fusée, qui
grince verticalement sur notre droite avec sa ligne enflammée.

-Couchez-vous!

Tout le monde s’abat, et la fusée balance et promène son immense pâleur sur une
sorte de champ de morts.

Lorsqu’elle est éteinte, on entend, çà et là, puis partout, les hommes se
dégager de l’immobilité qui les cachait, se relever, et se remettre au travail
avec plus de sagesse.

Bientôt, une autre fusée lance sa longue tige dorée, couche et immobilise encore
lumineusement la ligne obscure des faiseurs de tranchées. Puis une autre, puis
une autre.

Des balles déchirent l’air autour de nous. On entend crier:

-Un blessé!

Il passe soutenu par des camarades; il semble même qu’il y a plusieurs blessés.
On entrevoit ce paquet d’hommes qui se traînent l’un l’autre, et s’en vont.

L’endroit devient mauvais. On se baisse, on s’accroupit. Quelques-uns grattent
la terre à genoux. D’autres travaillent allongés, peinent et se tournent et
retournent, comme ceux qui ont des cauchemars. La terre, dont la première couche
nous fut légère à enlever, devient glaiseuse et collante, est dure à manier et
adhère à l’outil comme du mastic. Il faut, à chaque pelletée, racler le fer de
la bêche.

Déjà serpente une maigre bosselure de déblais, et chacun se donne l’impression
de renforcer cet embryon de talus avec sa musette et sa capote roulée, et se
pelotonne derrière ce mince tas d’ombre lorsqu’une rafale arrive. . .

On transpire quand on travaille; dès qu’on s’arrête, on est transpercé de froid.
Aussi est-on obligé de vaincre la douleur de la fatigue et de reprendre la
tâche.

Non, on n’aura pas fini. . . La terre devient de plus en plus lourde. Un
enchantement semble s’acharner contre nous et nous paralyser les bras. Les
fusées nous harcèlent, nous font la chasse, ne nous laissent pas remuer
longtemps; et, après que chacune d’elles nous a pétrifiés dans sa lumière, nous
avons à lutter contre une besogne plus rétive. C’est avec une lenteur
désespérante, à coup de souffrances, que le trou descend vers les profondeurs.

Le sol s’amollit, chaque pelletée s’égoutte et coule, et se répand de la pelle
avec un bruit flasque. Quelqu’un, enfin, crie:

-Y a d’la flotte!

Ce cri se répercute et court tout le long de la rangée de terrassiers.

-Y a d’la flotte. Rien à faire!

-L’équipe où est Mélusson a creusé plus profond, et c’est de l’eau. On arrive à
une mare.

-Rien à faire.

On s’arrête, dans le désarroi. On entend, au sein de la nuit, le bruît des
pelles et des pioches qu’on jette comme des armes vides. Les sous-officiers
cherchent à tâtons l’officier pour réclamer des instructions. Et, par places,
sans en demander davantage, des hommes s’endorment délicieusement sous la
caresse de la pluie et sous les fusées radieuses. . .

C’est à peu près à ce moment autant qu’il me souvient -que le bombardement a
commencé.

Le premier obus est arrivé dans un craquement terrible de l’air, qui a paru se
déchirer en deux, et d’autres sifflements convergeaient déjà sur nous lorsque
son explosion souleva le sol vers la tête du détachement au sein de la grandeur
de la nuit et de la pluie, montrant des gesticulations sur un brusque écran
rouge.

Sans doute, à force de fusées, ils nous avaient vus et avaient réglé leur tir
sur nous. . .

Les hommes se précipitèrent, se roulèrent vers le petit fossé inondé qu’ils
avaient creusé. On s’y inséra, on s’y baigna, on s’y enfonça, en disposant les
fers des pelles au-dessus des têtes. À droite, à gauche, en avant, en arrière,
des obus éclatèrent, si proches, que chacun nous bousculait et nous secouait
dans notre couche de terre glaise. Ce fut bientôt un seul tremblement continu
qui agitait la chair de ce morne caniveau bondé d’hommes et écaillé de pelles,
sous des couches de fumée et des chutes de clarté. Les éclats et les débris se
croisaient dans tous les sens avec leur réseau de clameurs, sur le champ ébloui.
Il ne s’est pas passé une seconde que tous n’aient pensé ce que quelques-uns
balbutiaient la face par terre:
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Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.* Empty
MessageSujet: Re: Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.*   Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.* Icon_minitimeVen 13 Jan - 21:08

-On est foutu, c’coup-ci.

Une forme, un peu en avant de l’endroit où je suis, s’est soulevée et a crié:

-Allons-nous-en!

Des corps qui gisaient s’érigèrent à moitié hors du linceul de boue qui, de
leurs membres, coulaient en pans, en lambeaux liquides, et ces spectres macabres
crièrent:

-Allons-nous-en!

On était à genoux, à quatre pattes; on se poussait du côté de la retraite.

-Avancez! Allons, avancez!

Mais la longue file resta inerte. Les plaintes frénétiques des crieurs ne la
déplaçaient pas. Ceux qui étaient, là-bas, au bout, ne bougeaient pas et leur
immobilité bloquait la masse.

Des blessés passèrent par-dessus les autres, rampant sur eux comme sur des
débris, et ces blessés ont arrosé toute la compagnie de leur sang.

On apprit enfin la cause de l’affolante immobilité de la queue du détachement:

-Y a un barrage au bout.

Une étrange panique emprisonnée, aux cris inarticulés, aux gestes murés,
s’empara des hommes qui étaient là. Ils se débattaient sur place et clamaient.
Mais, si petit que fût l’abri du fossé ébauché, personne n’osait sortir de ce
creux qui nous empêchait de dépasser le niveau du sol, pour fuir la mort vers la
tranchée transversale qui devait être là-bas. . . Les blessés auxquels il était
permis de ramper par-dessus les vivants risquaient singulièrement en le faisant
et à tout instant étaient frappés et retombaient au fond.

C’était vraiment une pluie de feu qui s’abattait partout, mêlée à la pluie. De
la nuque aux talons on vibrait, mêlés profondément aux vacarmes surnaturels. La
plus hideuse des morts descendait et sautait et plongeait tout autour de nous
dans des flots de lumière. Son éclat soulevait et arrachait l’attention dans
tous les sens. La chair s’apprêtait au monstrueux sacrifice!. . . L’émotion qui
nous annihilait était si forte qu’en ce moment seulement on s’est souvenu qu’on
avait déjà parfois éprouvé cela, subi ce déversement de mitraille avec sa
brûlure hurlante et sa puanteur. Ce n’est que pendant un bombardement qu’on se
rappelle vraiment ceux qu’on a supportés déjà.

Et, sans arrêt, rampaient de nouveaux blessés fuyant quand même, qui faisaient
peur et au contact desquels on gémissait parce qu’on se répétait:

-On ne sortira pas de là, personne ne sortira de là. Soudain, un vide se
produisit dans l’agglomération humaine; la masse s’aspirait vers l’arrière; on
dégageait. On a commencé par ramper, puis on a couru, courbés dans la boue et
l’eau miroitante d’éclairs ou de reflets pourprés, en trébuchant et en tombant à
cause des inégalités du fond cachées par l’eau, semblables nous-mêmes à de
lourds projectiles éclabousseurs qui se ruaient, bousculés par la foudre à ras
de terre. On arriva au début du boyau qu’on avait commencé à creuser.

-Y a pas d’tranchée. Y a rien.

En effet, dans la plaine où s’était amorcé notre travail de terrassement, l’oeil
ne découvrait pas l’abri. On ne voyait que la plaine, un énorme désert furieux,
même au coup d’aile tempétueux des fusées. La tranchée ne devait pas être loin
puisque nous étions arrivés en la suivant. Mais de quel côté se diriger pour la
trouver? La pluie redoubla. On resta là un instant, balancés dans un lugubre
désappointement, accumulés au bord de l’inconnu foudroyé, puis ce fut une
débandade. Les uns se portèrent à gauche, les autres à droite, les autres droit
devant eux, tous minuscules et ne durant qu’un instant au sein de la pluie
tonitruante, séparés par des rideaux de fumée enflammée et des avalanches
noires.

Le bombardement diminua sur nos têtes. C’était surtout vers l’emplacement où
nous nous étions trouvés qu’il se multipliait. Mais d’une seconde à l’autre, il
pouvait venir tout barrer et tout faire disparaître. La pluie devenait de plus
en plus torrentielle. C’était le déluge dans la nuit. Les ténèbres étaient si
épaisses que les fusées n’en éclairaient que des tranches nuageuses, rayées
d’eau, au fond desquelles allaient, venaient, couraient en rond des fantômes
désemparés. Il m’est impossible de dire pendant combien de temps j’ai erré avec
le groupe auquel j’étais resté attaché. Nous sommes allés dans les fondrières.
Nos regards tendus essayaient, en avant de nous, de tâtonner vers le talus et le
fossé sauveurs, vers la tranchée qui était quelque part, dans le gouffre, comme
un port.

Un cri de réconfort s’est enfin fait entendre à travers le fracas de la guerre
et des éléments:

-Une tranchée!

Mais le talus de cette tranchée bougeait. C’étaient des hommes confusément
mêlés, qui semblaient s’en détacher, l’abandonner.

-N’restez pas là, les gars, crièrent ces fuyards, ne v’nez pas, n’approchez pas!
C’est affreux. Tout s’écroule. Les tranchées foutent le camp, les guitounes se
bouchent. La boue entre partout. Demain matin y aura plus d’tranchées. C’est
fini d’toutes les tranchées d’ici!

On s’en alla. Où? On avait oublié de demander la moindre indication à ces hommes
qui, aussitôt qu’ils étaient apparus, ruisselants, s’étaient engloutis dans
l’ombre.

Même notre petit groupe s’émietta au milieu de ces dévastations. On ne savait
plus avec qui on était. Chacun allait: tantôt c’était l’un, tantôt c’était
l’autre qui sombrait dans la nuit, disparaissant avec sa chance de salut.

On monta, on descendit des pentes. J’entrevis devant moi des hommes fléchis et
bossus gravissant une côte glissante où la boue les tirait en arrière, d’où les
repoussaient le vent et la pluie, sous un dôme d’éclairs sourds.

Puis, on reflua dans un marécage où on enfonçait jusqu’aux genoux. On marchait
en levant très haut les pieds avec un bruit de nageurs. On accomplissait pour
avancer un effort énorme qui, à chaque enjambée, se ralentissait d’une façon
angoissante.

Là on a senti approcher la mort, mais nous avons échoué sur une sorte de môle
d’argile qui coupait le marécage. Nous avons suivi le dos glissant de ce grêle
îlot, et je me souviens qu’à un moment, pour ne pas être précipités en bas de la
crête flasque et sinueuse, nous avons dû nous baisser, et nous guider en
touchant une bande de morts qui y étaient à demi enfoncés. Ma main a rencontré
des épaules, des dos durs, une face froide comme un casque, et une pipe qu’une
mâchoire continuait à serrer désespérément.

Sortis de là, levant vaguement nos faces au hasard, nous entendîmes un groupe de
voix résonner non loin de nous.
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Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.* Empty
MessageSujet: Re: Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.*   Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.* Icon_minitimeVen 13 Jan - 21:09

-Des voix! Ah! des voix!

Elles nous ont semblé douces, ces voix, comme si elles nous appelaient par nos
noms. On s’est réunis pour s’approcher du fraternel murmure d’hommes.

Les paroles devinrent distinctes; elles étaient tout près, dans ce monticule
entrevu là comme une oasis, et pourtant on n’entendait pas ce qu’elles disaient.
Les sons s’embrouillaient; on ne comprenait pas.

-Qu’est-c’qu’i’s disent donc? demanda l’un de nous d’un ton étrange.

Nous cessâmes, instinctivement, de chercher par où entrer.

Un doute, une idée poignante nous saisissaient. Alors on perçut des mots très
nettement articulés qui retentirent:

-Achtung!. . . Zweites Geschùtz. . . Schuss. . .

Et, en arrière, un coup de canon a répondu à cet ordre téléphonique.

La stupéfaction et l’horreur nous clouèrent d’abord sur place.

-Où sommes-nous? Tonnerre de Dieu! où sommes-nous?

On a fait demi-tour, lentement malgré tout, alourdis par plus d’épuisement et de
regret, et on s’enfuit, criblés de fatigue comme d’une quantité de blessures,
tirés vers la terre ennemie, gardant juste assez d’énergie pour repousser la
douceur qu’il y aurait eu à se laisser mourir.

Nous arrivâmes dans une espèce de grande plaine. Et là, on s’arrêta, on se jeta
par terre, au bord d’un tertre; on s’y adossa, incapables de faire un pas de
plus.

Mes vagues compagnons et moi, nous ne bougeâmes plus. La pluie nous lava la
face; elle nous ruissela dans le dos et la poitrine, et pénétrant par l’étoffe
des genoux, remplit nos souliers.

On serait peut-être tués au jour, ou prisonniers. Mais on ne pensait plus à
rien. On ne pouvait plus, on ne savait plus.
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Henri Barbusse. (1873-1935) XXIII La Corvée.*
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