II
Il est des soirs de lassitude où l'on se dit :
« Au lieu de déclarer le plaisir interdit,
Pour assouplir un art qui nulle part ne mène,
Au lieu de s'entêter des jours et des semaines
À rendre par des mots un élan virtuel,
Qu'il ferait bon d'atteindre, à chaque effort, un ciel,
D'inventer, en flânant, des romans fantastiques,
De s'entourer de fleurs, de femmes, de musique,
D'écouter sur le bord du fleuve, les grillons :
Qu'il serait doux d'avoir l'âme d'un papillon! »
Et l'on s'en va musant.
Mais, ô Matière épaisse.
Matière envahisseuse, enlisante maîtresse,
On ne s'approche pas impunément de toi.
Le Rêve délaissé devient désir étroit,
Lentement le regard de poussière se voile,
Les mots perdent leur don d'imagiers, une voile
N'évoque plus les beaux paysages lointains.
La pensée apparaît un labeur surhumain,
On l'écarte et bientôt, n'en sachant plus l'usage,
On est forcé d'entendre en soi le bavardage
De tous les appétits bornés et primitifs.
Les minuscules fais et les besoins chétifs
Forment une broussaille opaque, où l'on végète
Dans la trouble stupeur de l'herbe et de la bête.
Un jour on se revoit comme au temps merveilleux
Où se traçaient dans l'air des symboles de feu,
Où des actes obscurs démasquaient leur puissance,
Où l'on tendait les bras, ivre de connaissance,
Où l'on improvisait des chants à la Beauté.
Lors, maudissant sa chute à l'animalité,
On reprend, forcené, l'assaut des altitudes.
Jusqu'à ce qu'on retombe, un soir de lassitude.