Chant De Vertu, Et Fortune.
A Monsieur C. de l'Estrange, Abbé de la Celle.
Au sein de mon ennemie
Jadis ma muse endormie
Par somnolente paresse,
Ignare estimoit cela,
Ne voulant ailleurs que là
Rire, ny faire caresse:
Mais regardoit droictement
Vers l'oeil qui sa flamme attise,
Ainsi que le dur aymant
(Guide au nocher) vers la Bise.
Jusques à ce que la tienne,
Par ses vers tira la mienne
Du fond de l'aveugle somme:
Et à ce nouveau reveil,
Luy donna ennuy pareil
Que le jour aux yeux de l'homme:
Quand sa plus vive splendeur
Se present' à luy subite,
Sortant de la profondeur
Des prisons, ou il habite.
Lors un desir qui s'allume
Sur le pinceau de ma plume,
M'invita à paindre un' Ode:
Encor ne pouvoy choisir
Le doux repos du loisir
Lieu, propos, ny temps commode:
Toutesfois le reculer
Trop long, envers toy m'accuse:
Et au long dissimuler
Trouver je ne puis excuse.
Plume qui bassement volles,
Et bas traynes mes parolles
Prens l'aer froissant la closture:
Contre le rebelle frain,
Va ores d'un front serain
Jusques au ciel de Mercure:
Et vise de ne saillir
En grand precipic', et honte,
Que de poeur fasses pallir
Le noir esmail de la fonte.
Tout oyseau prend la vollée
Sans peril en la vallée,
(Le vol trop haut ne prospere)
Icare sceut bien cela,
Quand ses aisles esbranla
Contre le veuil de son pere.
Qui trop haut se veut renger,
Sa fin est tousjours douteuse,
Vivre ne peut sans danger,
Et sa cheute est plus honteuse.
Ait il l'aisle forte, ou molle
Oyseau est dict, mais qu'il volle,
Et brancher aux hayes puisse:
Ceux là, ceux là sont des miens,
Aussi entre pigméens
Estre petit n'est pas vice:
C'est dont en bas styl' icy
Chanter veux la controverse
De ta grand' vertu, aussi
De Fortun' à moy adverse.
Bien que la chose merite
Estre depainct' et escripte
Par autre main que la mienne,
Au moins de l'une des trois,
Desquelles je ne voudrois
Choisir autre que la tienne,
Paignant les vers bien uniz
Et les Rithmes immortelles,
De la plume du phenix
La plus riche de ses aisles.
Vertu princesse asservie
Aux aguillons de l'envie,
En ses pas simple, et modeste
Fixe tousjours s'entretient,
Et la vie qu'elle tient
Est tesmoing de tout le reste:
Mais (car souz un voille noir
Envie la rend obscure)
Le monde ne la peut veoir:
Ou si la veoid, n'en ha cure.
Sa beauté sans fard se monstre,
De soymesme elle s'accoustre,
De soymesme ell' est aornée:
Et ses filz pleins de bon heur,
Merite, gloire, et honneur
La tiennent environnée.
Mais comme bastardz, conceuz
En grand vituper', et honte
Sont rejettez, et d'iceux
Le monde n'en fait point compte.
D'ailleurs fortune logée
En place mal assiegée,
Tenant geste sourcilleuse,
Un de ses piedz va haulsant,
A tous costez balancant
En son estre perilleuse:
Toujours crolle cà, et là
Sa pierre mobile, et ronde:
Et semble que l'oeil ell' ha
Dessus tout l'univers monde.
Des fiers lions ha la gueule,
Aussi devor' elle seule
Les plus hauts biens: et son ventre
Sent le bouq, bouq est aussi
Chacun, et se sent ainsi
Qui en prosperité entre:
Serpente est l'extremité
De mortel venin noircie,
Des pieds ha la sommité
Semblant au nom de Licie.
De ses deux mains l'une est bresve,
L'autre longue ayant un glaive
Pour diviser les richesses:
Mais (trop aveugl' en son faict)
N'egalle les parts que fait
Du butin de ses largesses.
Ceux à qui visage humain
Elle monstre (la perverse)
Les eléve d'une main,
Et de l'autre les renverse.
Les chefz Royaux environne
De mainte, et mainte coronne
Qu'elle ourdist: Et des hautz sceptres
Garnit leurs mains: Et leurs filz
Souvent ne sont point assis
Au trosne de leurs ancestres.
L'un mect bas, l'autr' en hautz lieux
Pour un temps donne l'entrée:
L'un ha pir' et l'autre mieux
Bien qu'ilz soyent d'une ventrée.
Ceste folle ha grand' sequelle
De gens qui vont apres elle
Pour dorer leur esperance,
Mais comme fumée au vent
S'evapore bien souvent
Avec sa perseverance:
De ses thresors embellit
Les piedz legers de sa fuytte,
En qui l'espoir s'envieillit
Courant tousjours à la suitte.
Elle me tir' à grand' force
Par la corde que j'ay torse
D'un desir, mais l'effrontée
La faveur que me promet,
De moy encor ne permet
Que soit experimentée:
Dont puis que veut tant vexer
Des desirs la vieille trouppe,
Certes mieux vaut la laisser
Et que la corde je couppe.
Mes jours serains luy desplaisent,
Et mes plus obscurs luy plaisent
(De mon bien trop offencée)
Ce que je veux ne veut point,
Et voudroit bien en ce poinct
Mettre loy à ma pensée:
C'est pourquoy usant du fin
Contre la volonté mienne,
Je desire mal, à fin
Que le contraire m'advienne.
Vertu en mespris tenue
De fortun', est revenue
Posseder sa digne place:
Mais la felonn', ha bien sceu
La chasser avec le feu
De sa temerair' audace:
Souz les piedz, encor plus bas
La tient esclav': et l'envie
En est garde, et ne veut pas
Qu'on manifeste sa vie.
Qui souz vertu se veut mettre
Ne peut que droicturier estre:
Car elle n'est point coustiere:
Il vainc les maux angoisseux,
(Vertu aussi entr' iceux
Demeure saine et entiere)
De maints soucis est battu,
Et pauvreté l'importune:
On void aussi la vertu
A la porte de Fortune.
Nonobstant leur resistence,
Avec toy font residence
Par amour appariées:
Mais c'est le vouloir de Dieu
Qui veut qu'en si digne lieu
On les trouve mariées:
Toutesfois les parts des biens
Sont encores trop petites,
Car plus grands seroyent les tiens
Les librant à tes merites.
Ma muse encor alourdie
De son vieil somme, ha ordie
L'Ode que je te presente,
Tesmoing de ma volonté
De te veoir plus haut monté
Que ta fortune presente:
Et venu aux derniers bords
De ton heur, si prend envie
Aux soeurs, ne me chaut si lors
Couppent le fil de ma vie.