Chant Funebre De Feu Anne Philiponne, Damoyselle.
A M. Albert, Seigneur de Sainct Alban.
Si en ma langu' estoit le dueil
Et que visible fut à l'oeil
Comm' au cueur secret je le porte,
De regret que Pluton auroit
Encor' un coup il ouvriroit
Les verroux qui ferment sa porte,
Permettant en tirer l'esprit
De ton erudic', ou abonde
Tant d'honneur: mais laissant le monde
Son chemin en ces lieux ne prit.
Et croy bien que le piteux son
Qui de mon triste cueur derive.
Esmouvroit aussi le poisson
Qui porta Arion à rive
A rompre les flotz du soucy,
Lesquelz se pressent tout ainsi
Que sur mer quand le vent arrive.
Mon ame doncques flestrissant
D'ennuy qui tant la va pressant
Pour un temps ha esté ravie,
Et au corps qu'elle abandonnoit
Attachée ne se tenoit
Que du moindre fil de la vie:
Mais d'un train royde s'en volla
Sur les aisles de sa pensée,
Et comme si fust insensée
Divers chemins prind cà et là:
Se hastant par les vagues lieux
Trop plus que l'aigle avec sa proye
Allant jadis offrir aux Dieux
La plus rare beauté de Troye:
Et panchée à son corps disoit
Heureuse ceste Ecthase soit,
Qui le jour des secretz m'octroye.
Ores bas, ores volloit haut
Par dessus l'element plus chaud
En vollant la sente embrasée:
Et souz elle laissoit loing, loing
L'arc qui fut de la paix tesmoing
Quand l'eau eut la terre rasée.
Et de là se plongeant en l'aer
Le fendit d'une aisle baissée,
Sans que vers sa maison laissée,
Encores desirast aller:
Mais allant front à front du vent
Vint par rencontr' en la montaigne
Qui bien haut son chef va levant,
Et en mer ses racines baigne:
Mais si loingtain estoit cela
Que Navire onq n'aborda là,
Fust la Caranelle d'Espaigne.
Tout ce que plus à l'homme nuict
Prend vigueur souz la froyde nuict
De ce mont, ou des nuictz la pire
Pour ne recepvoir le clair jour
Les rideaux de son long sejour
(Tant soit peu) jamais ne retire.
Des crys qu'on y oyt, vient horreur,
De l'horreur poeur, de poeur la fuyte,
Mais mon ame fit grand' poursuite
De scavoir d'ou venoit l'erreur
Parquoy trenchant l'aer obscursi,
D'un vol contrainct est arrivée
A l'huis de mort: la mort aussi
En ce lieu tousjours est trouvée,
Et subgectz au pouvoir qu'elle ha,
Faut que trestous passent par là
Quand la chair de vie est privée.
L'huis est grand, et grand faut qu'il soit
Causant les tourbes qu'il recoit
De ceux qui la vie abandonnent.
Là est le grand nombre arresté
De tous les maux qui ont esté,
(Ceux j'entendz qui la mort nous donnent.
Là se combattent les humeurs,
La fievre aussi sans cesse y tremble,
Et du venin qu'illeq' s'assemble,
Se font prestiferes tumeurs:
Les trois soeurs, en pareil y sont
Par qui l'am' est du corps ravie,
Ou de leurs cizeaux rouillez font
Les coups qui abbregent la vie:
Quand l'une la veut allonger
L'autre s'efforce à l'abbreger,
Esmeues de contraire envie.
Celle des petis et des Roys
Est torse par l'une des trois:
L'autre charpit, et l'inhumaine
Couppe de son mortel cizeau
Le filet ou pend le fuseau
Ou se plie la vie humaine,
Dont pareil nombr' on trouve là
Que de vivans, sans la grand' trouppe
Que de jour en jour elle couppe
Mais compte ne faict de cela.
Ceux qui sont de maux entachez,
Leur filace est de noudz garnie,
Et les vices y attachez
La rendent grosse, et mal unie.
On congnoit au contraire aussi
Ceux là qui ont leur vie icy
De vertu riche et bien munie.
Or quand la troupp' apperceu m'eut,
Un debat entr' elles s'esmeut
De la vie, en ceste guerre
Quand l'une la venoit filer,
L'autre venoit l'anichiler,
Pour rendre deserte la terre.
De sa main hideuse prenoit
A grands flottes le fil de vie,
Et de coupper non assouvye
Sa colere ne reffrenoit.
Parquoy horrible estoit à veoir
Les effortz des jumelles lames
Si grands, qu'elles avoyent pouvoir
D'un seul coup ravir cent mill' ames,
Dont cuidoy (en ayant veu tant,)
C'estre la fin que lon attend
Par les inevitables flammes.
A cest esclandre l'oeil volla
Loing, loing vers Gaulle, et congneut là
De son Roy la preuse conqueste,
Ou l'honneur d'Espaigne arrachoit,
Et ainsi qu'un lyon marchoit
Jouïssant du fruit de sa queste:
Des corps morts à son loz dressant
Les montjoyes de la victoire
Qui ja unir font à sa gloire
Les deux cornes de son croissant:
Car vers le fleuve des Germains
Desja il se recourbe, et arque:
Et si menace les Romains
Du pouvoir de ce grand Monarque:
Dont le glaive en pais allegeant,
Aux durs conflictz va soulageant
Les cizeaux de la fiere parque.
Leur fureur apres destournant,
Et contre Gaulle la tournant,
Luy survint un leger esclandre
Au pris des grands maux assemblez
Qui (comme feu parmy les blez)
Ses haineux les verront descendre:
Tant seront alors descouppez
A l'abord des forces terribles:
Et apres ces troubles horribles
Doit naistre une nouvelle paix,
Que nostre prince tresheureux
Plantera sur la terre ronde,
Et les hommes l'auront entr' eux
Tant qu'ilz seront vivans au monde.
Lors vivront tous souz mesmes loix
Ausquelles Germains, et Gaullois
Feront que leur vie responde.
Par les coups donnez à travers
Elles font de meurdres divers
Cà, et là en mainte contrée,
Et couppant leurs filetz bien tordz
La vie (helas) enclos' au corps
De Philiponn' ont rencontrée!
Qui voyant sa chair au sercueil
(Faict' à la mort nouvelle proye)
S'en rirent car toute leur joye
Est de remplir noz cueurs de dueil:
Reffroignans leurs ridez museaux
Monstroyent des dentz un, et un ordre
Rouillez non moins que leurs cizeaux,
Et moussez ainsi par trop mordre.
Et rians, là se desbatoyent
Des filetz qu'en deux partz mettoyent,
Commencez seulement de tordre.
Si pour ton ame ainsi mourant
Le regret en terre fut grand,
Pour si grand' perte inopinée,
Le ciel tant plus ayse ha esté
De veoir l'esprit en liberté
Ayant sa chair abandonnée.
Là aussi on oyoit chanter
Cantiques tous plains de louange
Pour l'honneur de ce nouveau Ange
Qui là haut se vint presenter.
Ou heureux, entre les heureux
Ou bon entre les bons eut place,
Si qu'alors je fu desireux
Que mon ame du monde lasse
En Ecthase demeurast là
Pour tousjours contempler cela
Ravie de celeste grace.
O Esprit, ô Ange nouveau
Retiré en lieu sainct, et beau
Pour jamais avec tes semblables,
Or es tu heureux mille fois
Pour les plaisirs que tu recois
Interditz aux ames coulpables:
A fin que tout cest univers
Puisse entendre si digne chose,
Au tombeau ou ton corps repose,
De ma main j'escriray ces vers.
Si quelqu'un desire scavoir
Ou est le thresor de ce temple,
Que ce sepulchre vienne veoir,
Et les vertuz d'Anne y contemple,
Son cueur ha l'honneur advancé,
Et comme morte elle ha laissé
De ses moeurs aux autres l'exemple.
Fin.