PLUME DE POÉSIES
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 Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT III

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MessageSujet: Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT III   Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT III Icon_minitimeVen 2 Mar - 0:24


LUTRIGOT CHANT III

à peine est-il parti plein de ses réveries,
que ses deux chers amis s' en vont aux Tuilleries.
Là pour se garantir de l' ardente saison,
ils se plassent à l' ombre assis sur le gazon,
et comme Lutrigot occupoit leur pensée
ils parlerent d' abord de sa gloire passée,
et Rigelle disoit que pour la soûtenir,
il étoit mal-aisé de tromper l' avenir.
Quoi, doutez-vous encor, lui dit alors Garrine,
qu' il ne donne au public une piece divine?
Ce lutrin merveilleux qu' il va faire imprimer,
doit être pour le moins un poëme à charmer.
Sans doute ses heros de nouvelle structure
auront à chaque pas quelque noble adventure.
Il va nous enchanter par ses narrations,
il va nous ébloüir dans ses descriptions;
il me semble déja que cet autheur étale
ce qu' a de precieux la solide morale,
je l' admire déja méme sans l' avoir lû;
mais laissons le lutrin jusqu' à ce qu' on l' ait vû.
Disons que cet autheur malgré mille traverses,
l' emporte sur tout autre en ses oeuvres diverses.
Ce sublime censeur plein de tant de clartez,
possede eminemment de grandes qualitez.
dés l' âge de quinze ans il fut modeste, et sage,
il eût et la science, et l' esprit en partage,
il évitât toûjours ces jeunes libertins
dont les égaremens donnent tout aux destins,
jamais à des erreurs son coeur ne s' abandonne,
il croit l' ame immortelle, et que c' est Dieu qui tonne.
On ne voit point en lui de ces talens bornez,
dont les esprits communs sont contens d' être ornez;
de mille soins divers son ame est occupée,
il accorde aisément la plume avec l' épée.
Je ne veux point ici m' eriger en flateur,
mais je puis assurer que nôtre brave autheur,
voulant voir un combat avoit mis dans sa poche,
pour le voir loin des coups des lunettes d' aproche;
jamais precaution ne fut plus à propos,
et c' est marcher enfin sur les pas des heros.
Advoüons hardiment que ce rare genie
conserve en sa conduite une grace infinie.
Que son discours au roi paroît noble et charmant!
Tout s' y voit bien placé, tout s' y dit galemment,
oüi, tout ce qu' il adresse à ce vaillant monarque
d' une verve sublime est une illustre marque.
Est-il rien de si juste, et rien de si prudent
que ce que dit Pirrhus avec son confident?
Cet endroit est aimable autant qu' il le peut être,
il me semble d' oüir Jodelet, et son maître.
Et qui sans nôtre autheur, auroit jamais pensé,
qu' au lieu d' être vaillant Pirrhus fut insensé?
Lutrigot n' aime point tous ces heros de guerre
qui portent la terreur aux deux bouts de la terre,
à ces hardis desseins il n' aplaudit jamais,
il n' admire en ses vers que les heros de paix,
il veut qu' un roi s' engraisse, et que dans son empire
il goûte un doux repos, et ne songe qu' à rire,
et lui seul a trouvé mille fortes raisons
pour loger Alexandre aux petites maisons.

J' admire ce beau conte assaisonné de l' huître,
qu' il prend dans un autheur, n' importe en quel chapitre;
ce mets si delicat dont Lutrigot fit choix
fut presenté jadis au plus puissant des rois;
mais l' huître n' étant pas d' un goût trop agreable
il ne la servit plus qu' à la seconde table;
cependant ce ragoût, les amours de l' autheur,
aiguise en le lisant l' appetit du lecteur.
Le passage du Rhin a produit des merveilles,
et sur tout son grand vurts, mal né pour les oreilles ,
pour plaire également par la diversité
il méle le mensonge avec la verité.
Tantôt un dieu cachant sa barbe limoneuse
prend soudain d' un guerrier la figure poudreuse.
Tantôt au fort de Skinq animé de fureur,
son front cicatrisé donne de la terreur,
et pour peindre des faits d' eternelle memoire
Lutrigot prend la fable, et neglige l' histoire.
Ce bel esprit sçait fuïr tous les chemins batus,
et former à son gré des dieux, et des vertus.
Ce n' est pas sans raison que cet autheur se pique
de triompher par tout dans son art poëtique.

Horace, dont il est l' eternel traducteur,
seroit charmé de voir son escolier docteur,
et ne manqueroit pas dans l' ardeur de son zele,
d' admirer un regent d' une classe nouvelle.
Ses dogmes empoulez à quiconque les lit
infusent la science, et donnent de l' esprit,
il pourroit par son art aprendre aux muses mémes,
à faire de grands vers, et de parfaits poëmes,
et son penible emploi l' a sans doute empéché
de faire jusqu' ici ce qu' il nous a préché.
Qu' on ne l' accuse point d' aimer trop à médire,
il le fait sans dessein, et ne songe qu' à rire,
son ame est toute belle, et ses vers médisans,
quoiqu' assez mal polis me paroissent plaisans.
Sans ce riche talent comment eût-il pû faire
pour être regardé du peuple, et d' un libraire?
Devoit-il dans un greffe à jamais retenu
pourrir dans la poussiere, ou vivre en inconnu.
Il s' est mis dans l' éclat par sa vaste science,
on admire en tous lieux ses pieces d' eloquence;
il est pompeux, et grand dans le moindre projet,
presque en chaque satire il épuise un sujet,
chaque comparaison est toûjours sans égale.
N' estes-vous pas charmé de celle de Tantale?

Et de celle du roi d' un stile tout nouveau,
qu' il compare au bâton qui soûtient l' arbrisseau.
En vain un doux censeur oseroit entreprendre,
ou de le conseiller, ou bien de le reprendre,
à cet autheur sçavant tout doit être permis,
il ne s' amuse point à croire ses amis,
il ne peut se tromper, à bon droit il lui semble
qu' il en sçait plus lui seul que tout le monde ensemble.
Ce qu' ont pensé de beau les plus rares esprits
se trouve bien ou mal dans ses charmans escrits.
Ce genie éclairé penetre la nature,
en sage misantrope il condamne, il censure,
il connoît l' homme à fond, il en dit mille maux,
il le croit le plus sot de tous les animaux,
il dit tout ce qu' il pense, et ne peut se contraindre,
il a sceu l' art de plaire, et de se faire craindre,
il est en prose, en vers, le docteur des docteurs,
la gloire de son siecle, et l' effroi des autheurs.
Siecle heureux garde toi d' attirer sa colere,
il t' a promit, dit-on, d' être un peu moins severe,
conserve par tes soins le bien dont tu joüis,
Lutrigot te fait grace en faveur de Louis.

Garrine alloit poursuivre, et le prudent Rigelle
se plaisoit au recit de ce censeur fidelle;
mais à quelques pas d' eux ils oüirent parler
deux hommes disposez à s' entrequereller,
et Garrine à ce bruit obligé de se taire,
reconnut Lutrigot, et Garbin le libraire.
Ils s' aprochent tous deux, et pretendent sçavoir
quel sujet de debat a pû les émouvoir.
à l' instant Lutrigot devenant plus affable,
j' ai trouvé, leur dit-il, un esprit intraitable,
mon lutrin l' épouvente, et ce libraire altier
craint d' y perdre ses soins, son encre, et son papier;
cependant tout y brille avec tant d' avantage
qu' on sera dans l' extase en lisant cet ouvrage.
Je sçai, repart Garbin, que les autheurs souvent
promettent des monts d' or, et nous donnent du vent.
Vous nous vantez ici vôtre poëme epique,
que n' avez-vous pas dit de vôtre poëtique?
Et de vôtre longin, ce sublime traité
que par ses beaux escrits, Dacier vous a gâté.
Il auroit fait bien pis, si d' un trait de prudence
vous n' eussiez à genoux imploré sa clemence.
J' aime vos interêts, et plus encor les miens,
vos ouvrages devoient me combler de tous biens;
mais à peine aujourd' hui le peuple les achete.
Je n' ai plus de creance à la foi d' un poëte.

Sans Rigelle et Garrine on auroit vû long-temps
disputer en ce lieu ces esprits mécontens;
mais ces mediateurs craignant leur violence,
les prierent enfin d' agir d' intelligence,
conclurent un marché qu' ils desiroient tous deux.
C' est ainsi qu' en nos jours deux ministres fameux
estallant à l' envi leur sagesse profonde,
mirent d' accord deux rois les plus puissants du monde.
La troupe se separe, et le sage Garbin
promet avec serment d' imprimer le lutrin.




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