PLUME DE POÉSIES
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 Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT IV

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MessageSujet: Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT IV   Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT IV Icon_minitimeVen 2 Mar - 0:25

LUTRIGOT CHANT IV

Dez que l' astre du jour achevant sa carriere,
dans le sein de Thetis eût caché sa lumiere,
Lutrigot tout rempli de projets éclatans,
va relire avec soin ses escrits importans,
et content de sa peine, et de son grand ouvrage,
ce narcisse orgueilleux se mire à chaque page.
Il ne consulte plus que son ambition,
il veut bien qu' il paroisse avant l' impression,
il le lit à Garrine, il le lit à Rigelle,
il va le reciter de ruelle en ruelle,
il mandie en tous lieux quelque aplaudissement,
et par son ton de voix il impose aisément.
Tel avec moins de bruit, moins d' art, et moins d' haleine,
le savoyard chantoit sous la samaritaine.
Déja quelques rieurs avoient presque en tous lieux
porté de Lutrigot le renom jusqu' aux cieux,
et son ame en secret d' un tel plaisir pâmée,
joüissoit de sa gloire, et de sa renommée;
quand Terpsicore aprit par la voix des flateurs,
que cet autheur sçavant charmoit ses auditeurs.
Elle vole à l' instant aux rives de Permesse,
à vanter le lutrin cette muse s' empresse,
Apollon et ses soeurs veulent bien l' écouter;
mais ce dieu peu credule ose encor en douter.
Je veux croire, dit-il, que c' est un beau poëme,
mais Terpsicore enfin l' avez-vous leu vous-méme?
Non, lui répond la muse. Et bien, repart le dieu,
amenez promptement Lutrigot en ce lieu.
Il doit être permis aux jours des saturnales
de chercher des plaisirs, des jeux, et des regales,
qu' il vienne donc ce soir; mais pour nous divertir,
poursuit-il en riant, il faut nous travestir.
Que tout jusqu' aux autheurs, se déguise, et se pare.
Le dessein du dieu plait, et chacun s' y prepare.
Il étoit encor jour; mais à peine la nuit
a chassé de Paris la lumiere, et le bruit,
que Terpsicore prête à faire un prompt voïage,
descend de l' Helicon, et sans nul équipage,
pour se rendre bien-tôt chez l' autheur du lutrin,
va monter sur Pegaze, et se met en chemin.

Cette muse le trouve apliqué sur son livre.
Lutrigot, lui dit-elle, il est temps de me suivre,
ramasse tes escrits, sors, et viens de ce pas
recevoir un honneur que tu n' attendois pas,
viens, Apollon te mande, et t' attend au Parnasse.
Lutrigot dans son coeur sent une noble audace,
regarde avec transport cet excés de bonté,
prend tous ses vers, et suit cette divinité.
La muse pour se joindre à la celeste troupe
remonte sur Pegaze, et met l' autheur en croupe.
Cependant les neuf soeurs dans le sacré valon
attendoient Lutrigot au palais d' Apollon.
Dans une sale et vaste, et richement meublée,
estoit avec plaisir la sçavante assemblée,
et pour mieux se masquer, les muses avoient pris
les habits negligez de plusieurs beaux esprits.
Dans leurs noirs vestemens la modestie éclate.
L' une porte un rabat, et l' autre une cravate,
l' une est en just-au-corps, cét autre est en manteau,
plusieurs ont la sotane, et toutes le chapeau;
mais plus d' une perruque et noire, et mal peignée,
de linge assez mal propre étoit accompagnée.
Apollon deguisé placé dans un fautueil,
faisoit à tout venant un obligeant accueil,
en petit collet méme il paroissoit aimable,
il étoit au haut bout d' une fort longue table,
et les sçavantes soeurs, sous son autorité,
occupoient sur deux bancs l' un et l' autre côté.

Sur d' autres bancs aussi d' une longueur égale
se mettoient les autheurs qui venoient dans la sale,
dont plusieurs par Phebus estimez, et loüez,
jadis par Lutrigot avoient esté joüez.
Tout ce que de sçavant se trouve sur Parnasse,
y vient pour écouter, et chacun prend sa place.
Mais Pegaze conduit par une deité,
fend sans cesse les airs d' un vol precipité,
et ne songe qu' à voir sa croupe soulagée
de l' importun fardeau dont on l' avoit chargée.
Lutrigot ébloüi, muet, et chancelant,
craint toûjours qu' il ne ruë, ou ne bronche en volant.
Dans ce vague chemin, ce cavalier timide,
se croit dans le danger, et se tient à son guide.
Ainsi par un beau temps le voïageur nouveau,
voïant branler la nef qui le porte sur l' eau,
se prend au mât prochain, ne sçait ce qu' il doit faire,
et redoute un peril qui n' est qu' imaginaire.
Mais à la fin Pegaze aussi ferme que prompt
porte, et laisse sa charge au haut du double mont.

Terpsicore s' arrête, et tâche enfin d' instruire
le docte et grand autheur qu' elle daigne conduire.
Ne trouve point étrange, et ne sois point surpris,
lui dit-elle en riant, de voir de beaux esprits,
tu trouveras ici les muses déguisées;
mais à te faire honneur elles sont disposées,
tout jusques à Phebus s' humanise aujourd' hui,
allons, et souviens-toi de t' adresser à lui.
Dans le palais du dieu le Parnasse s' assemble.
La muse et Lutrigot y vont d' abord ensemble,
ils entrent dans la sale, et nôtre vain autheur
va s' asseoir vis-à-vis du divin directeur.
Chacun regarde alors sa fiere contenance,
on cesse de parler, et Lutrigot commence.
Grand Apollon, dit-il, je reçois un honneur
qui fera desormais ma gloire, et mon bon-heur.
Je dois être sensible à cette grace insigne;
il est vrai qu' aujourd' hui je n' en suis pas indigne.
Qu' on ne m' accuse point que par des vers malins
j' ai cent fois plus médit que les autheurs latins,
on sçait que mon genie en sortant du college,
s' est lui-méme donné ce rare privilege.
On ne peut sans envie et sans temerité
blâmer et ma conduite, et ma sincerité.

Par le riche talent que mon esprit possede,
il faut, graces au ciel, que tout autheur me cede.
Dans l' empire françois je me fais redouter,
nul escrit sur les miens n' oseroit attenter,
et plus d' un bel esprit connoissant mon courage,
par crainte, ou par amour me donne son sufrage.
Des effets si publics montrent ce que je puis,
et mes escrits divers font voir ce que je suis.
ma pensée au grand jour par tout s' offre et s' expose ,
le moindre de mes vers dit toûjours quelque chose.
Jamais mortel n' a pris un si penible soin
pour ennoblir sa verve, et la porter plus loin;
aussi mes nobles vers sont lus dans les provinces,
sont recherchez du peuple, et receus chez les princes.
Et qui dans l' univers n' a pas vû mes escrits?
Mes satires ont pleu, chacun en est épris,
il n' est point aujourd' hui de courtaut de boutique
qui n' ait et mon longin, et mon art poëtique.
Mais bien qu' en ces escrits tout soit charmant, et beau,
rien n' y peut égaler mon poëme nouveau.
De tous les escrivains je suis enfin l' unique
qui change le burlesque en parfait heroïque:
tous les autres autheurs par leurs vers monstrueux
font de leur heroïque un burlesque ennuïeux.
Je n' aprehende point de tromper vôtre attente.
Vous y verrez briller l' epopée éclatante,
le grand, le merveilleux, en font les incidens,
tout parle, tout s' exprime en termes transcendans,
j' embellis noblement et l' art, et la nature.
Quand on l' ordonnera j' en ferai la lecture.

Apollon méprisant cet autheur effronté
rit quelque temps tout bas de tant de vanité;
mais voulant le joüer par une mascarade,
il feind d' être content d' un harangueur si fade,
et ne disant rien moins que ce que dit son coeur
il répond par ces mots au discours de l' autheur.
Inconcevable esprit que le ciel a fait naître
pour être des sçavans le regent, et le maître,
quel plaisir n' a-t' on pas de te voir en ce lieu,
tu n' en sçaurois douter de la bouche d' un dieu.
On sçait que tes escrits, qu' on peut sans complaisance
apeller l' elixir du sçavoir de la France,
te rendent redoutable à tout le genre humain.
Quand le grand Lutrigot a la plume à la main,
qu' il enfante les vers d' une docte satire,
chacun cache les siens, et n' oseroit plus lire.

Tout Phoebus que je suis peut-être aurois-je peur,
s' il falloit en champ clos combatre un tel autheur.
Il est vrai que je vois qu' un jour certain poëte
tâchera d' affoiblir le son de ta trompete;
mais cet esprit frivole, indiscret, et grossier,
que l' Egypte a nourri durant un lustre entier,
qui cherchoit le Parnasse au pied des piramides,
ne fera contre toi que des vers insipides.
Un quatrain seul poussé de ta bruïante voix
va d' abord l' étourdir, et le mettre aux abois.
Mais laissons tes hauts faits qu' à peine on pourra croire,
nous en avons le fruit, toi seul en as la gloire.
Il est temps maintenant de combler nos desirs,
tu peux donc nous donner de solides plaisirs,
en lisant ton lutrin tu vas te satisfaire,
tu vas par tes beaux vers nous instruire, nous plaire,
et toute l' assemblée a raison d' esperer
que tu ne liras rien qu' on ne doive admirer.

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