PLUME DE POÉSIES
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 Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 9

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Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 9 Empty
MessageSujet: Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 9   Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 9 Icon_minitimeLun 7 Mai - 14:56

LIVRE 9




Le monarque s'enferme, et, dans sa solitude,
Se livrant tout entier à son inquietude,
S'escrie; ô justes cieux, quel crime ay-je commis,
Pour revoir, contre moy, s'unir les ennemis?
Perfide bourguignon, pour venger ta malice,
Il n'est point aux enfers d'assés rude supplice;
Tu te perds pour me perdre, et, d'un courroux brutal,
Renonces à ton bien, pour me faire du mal.



C'est Betford, non pas moy, qui merite ta haine;
Tu n'as que trop senty combien pese sa chaisne,
Et jusques à quel point son orgueil outrageux
Est dur à supporter aux hommes courageux.
Qui te fait preferer le voleur de ta gloire
Au prince, qui le donte, et t'offre sa victoire?
Quel funeste retour, quel caprice du sort
Te rejette à la mer, en arrivant au port?
Lasche, est-ce que l'honneur ne te peut jamais plaire?
Ne sçais-tu donc aymer que ce qui t'est contraire?
Si tu pouvois languir, sous Betford, abatu,
Trompeur, contre Betford, pourquoy m'implorois-tu?
Parmy tant de demons, que le sein de la terre,
En faveur de l'anglois, a vomis pour la guerre,
Plus malfaisant que tous, est un spectre odieux,
Dont le corps n'est formé, que d'oreilles et d'yeux.
Il court, et dans son cours fuit les communes routes;
Il est tousjours en veille, et tousjours aux escoutes;
Sur son coeur desfiant tout fait impression,
Et jamais rien n'eschappe à son attention.
Quelque chose pourtant, qu'il voye, ou qu'il entende,
Il l'entend, et la voit, ou diverse, ou plus grande,
Et produit mesme erreur, dans les foibles esprits,
Que son souffle glaçant de son froid a surpris.
Les fausses visions, les sombres fantaisies,
Les soucis envieux, les pasles jalousies,
Le depit, le chagrin, la colere et l'ennuy,
Comme un essaim bruyant, volent autour de luy.



Ce fut par ses conseils, que l'archange rebelle
Fit perdre l'innocence à la race mortelle;
Quand, outré de voir l'homme en sa place estably,
Il luy fit du seigneur mettre l'ordre en oubly.
Ce demon, qu'affligeoit le credit de la sainte,
Croyant voir le temps propre à luy donner atteinte,
Du superbe Amaury resveille le courroux,
Et par luy veut d'Agnes rendre Charles jaloux.
Il se coule en son ame, et sa langue infectée
Du venin dont le monstre à l'haleine empestée,
Par l'oreille du roy, le verse dans son sein;
Le succes est heureux, et respond au dessein.
Ce mal, dit Amaury, des maux est bien le pire,
Que Philippes te manque, et de toy se retire;
Mais, à parler sans feinte, en cet evenement,
Il n'est rien arrivé, contre mon jugement.
Je creus qu'il le feroit, et qu'il le devoit faire;
Pardon, si ce discours te semble temeraire;
Je creus qu'il le feroit, des l'instant que j'appris
Qu'Agnes l'avoit eleu, pour venger ton mespris.
Elle est sa seule idole, elle est sa seule reyne;
Il en fait son oracle, et sa loy souveraine;
Il veut ce qu'elle veut, et, sans deliberer,
Suit tout ce qu'à son ame elle veut inspirer.
Devant ce vif eclat, et cette ardente flamme,
Il n'a pas, comme toy, l'art de glacer son ame;
Il n'a pas, comme toy, contre tant de beauté,
La vertu du desdain, et de la dureté.



Il n'a point, comme toy, de celeste Pucelle,
Qui la chasse avec honte, et le desface d'elle,
Qui le force à marcher sous ses saints estandards,
Et le face trembler au feu de ses regards.
Agnes a de ses yeux desployé la puissance;
Elle a de ton mespris demandé la vengeance;
Qu'eust pû faire un amant, mis entre Agnes et toy,
Que se ranger vers elle, et te manquer de foy.
Charles, à ce discours, un mot seul ne replique;
Mais sa poignante aigreur profondement le pique;
Il trouve Amaury juste en son fier sentiment,
Et se laisse emporter à son emportement.
Sa prudente raison veut en vain l'en distraire;
Sa passion s'oppose au flambeau qui l'eclaire;
En vain de ce penser il se veut divertir;
Plus il y fait d'effort, moins il en peut sortir.
Ainsi quand le taureau, que le frelon agite,
Dans un marais bourbeux, d'un saut, se precipite,
Et que ses roides pieds sentent, à leur grand faix,
Ceder la noire vase, et le limon espais;
Il a beau s'elancer, par cent secousses fortes,
Aux bords, qui tout autour ceignent ces ondes mortes,
Les efforts qu'il employe à s'en debarasser,
Ne luy servent à rien, qu'à s'y plus enfoncer.
Cependant vient la nuit, sur l'aile du silence,
Aux travaux des mortels apporter allegeance;
Charles, de sa douleur amerement rongé,
Ne sent point, par la nuit, son travail allegé.



L'incomparable Agnes, par la sainte chassée,
Se revient estaler à sa triste pensée;
Il se la represente avec tous ses appas,
Et ne voit, dans ses yeux, que de charmans eclats.
Je t'excuse, dit-il, Philippes, je t'excuse,
Ce n'est ni trahison, ni malice, ni ruse;
C'est cette voix magique, et ces yeux tout-puissans,
Qui, pour te revolter, ont corrompu tes sens.
Agnes, superbe Agnes, quelle subite rage,
À me ravir ce prince anime ton courage?
Quel aveugle transport, contre ta volonté,
À conjurer ma perte engage ta fierté?
En cette occasion, ta gloire imperieuse
À ton propre desir te rend injurieuse;
Je voy tes mouvemens, je lis dans ton secret;
Tu ne veux point ma perte, ou la veux à regret.
Pour ton propre malheur, tu prendrois ma desfaitte;
Je connois ton esprit, je sçay ce qu'il souhaitte;
Tu fais, dans ton depit, ce que tu ne veux pas;
Tu poursuis mon amour, et non pas mon trespas.
Ton courroux, envers moy, seul te rend inhumaine;
Mais non, je me repais d'une esperance vaine;
Tu m'estimes coupable, et peux facilement
Vouloir que l'on m'immole à ton ressentiment.
Tu peux avoir, sans feinte, employé tes caresses,
Pour faire, à mon rival, oublier ses promesses,
Pour regaigner son coeur, par tes divins appas,
Et les faire acheter, au prix de mon trespas.



Tu l'as pû, tu l'as fait; la chose est trop certaine;
En vain d'autres pensers mon coeur flatte sa peine;
Tu resolus ma mort, des le moment fatal,
Que tu m'abandonnas, pour chercher mon rival.
Agnes, injuste Agnes, d'une amitié si tendre,
Estoit-ce là le fruit que je devois attendre?
Apres tant de respects, ton prince, et ton amant,
Meritoit-il, ingrate, un si dur traittement?
Si je t'avois despleu, sans recourir aux armes,
Tu me punissois trop, me derobant tes charmes;
Sans me persecuter de ces maux superflus,
C'en estoit un trop grand, que de ne te voir plus.
Mais non, je ne fus point l'autheur de ta retraitte;
Par un autre que moy, l'injure te fut faitte;
Je la vis seulement, et la crainte des cieux
Ne rendit, envers toy, coupables que mes yeux.
Mon coeur fut innocent, et ressentit l'outrage,
Que souffrit ta beauté, que souffrit ton courage;
Mes yeux mesmes, mes yeux en furent offensés,
Et leurs tristes regards te le dirent assés.
Contre moy, cependant, ta vengeance s'exerce;
Au plus beau de mon cours, ta fureur me traverse;
Elle t'arrache à moy, m'enleve mes amis,
Et me punit du mal que je n'ay point commis.
De semblables discours, durant l'ombre müette,
S'entretient la douleur de son ame inquiëte;
Il veille, et le soleil se monstre à peine aux cieux,
Que le fils de Gillon vient s'offrir à ses yeux.



Amaury, dit le prince, enfin donc la crüelle
M'a revolté Philippe en faveur du rebelle,
Et, quelque engagement qu'il eust aveque moy,
Elle a pû le resoudre à me manquer de foy.
Ô dieu! Quelle raison porte cette inhumaine,
À payer mon amour, d'une si forte haine?
Qui luy fait prodiguer tout ce qu'elle a d'attraits,
Pour troubler mon triomphe, et me ravir la paix?
Devois-je recevoir un si sensible outrage,
De celle à qui mon coeur rend un fidelle hommage,
Et voir entrer en ligue, avec mes ennemis,
Celle à qui, sans combat, j'estois desja sousmis?
D'un orgueilleux depit sa fiere ame emportée
Ainsi, d'entre les mains, m'a la victoire ostée;
Et, non moins que devant, je me trouve en danger,
De tomber, sous le joug du rebelle estranger.
Amaury, dont l'esprit, en cette amere plainte,
Ou voit, ou pense voir, jour à perdre la sainte,
La haine et l'interest le rendant eloquent,
Le vient aigrir encor, par ce discours piquant.
En ce qu'a fait Agnes, je ne voy rien d'estrange;
Un affront enduré, veut enfin qu'on le venge;
La nature l'inspire, et, necessairement,
Au desplaisir receu joint le ressentiment.
Il faut estre Amaury pour souffrir une offense,
Et ne pas aussi-tost courir à la vengeance;
Il faut estre Amaury, pour n'abandonner pas
Ceux qui, dans l'amitié, font gloire d'estre ingrats.



Agnes estoit Agnes, et la peine sensible,
Que causa ta foiblesse à son coeur inflexible,
Forçant la passion qui l'amenoit vers toy,
L'a portée à venger le mespris de sa foy.
Je ne suis point suspect, quand je parle pour elle,
Tu sçais qu'elle me hait, d'une haine mortelle,
Et si rien aujourd'huy me met de son costé,
Ce n'est que la justice, et que la verité.
À quoy qu'elle se porte, elle est trop excusable;
Tu dois seul de son crime estre jugé coupable;
Que dis-je? Ah! Non pas toy, mais l'esprit furieux,
Qui, pour regner sur nous, ose abuser des cieux.
En parlant toutesfois d'une chose celeste,
Un langage si libre est-il assés modeste?
Peut-on bien, sans peché, la soupçonner de rien?
Et le mal qu'elle fait seroit-ce point un bien?
Ouy, prens pour bien le mal que nous luy voyons faire,
Si c'est l'esprit de Dieu, qui l'eschauffe et l'eclaire,
Si son bras est le bras du monarque des roys,
Si son coeur a, pour fin, le salut des françois.
Mais si, comme chacun à bon droit le soupçonne,
Sa valeur est fatale au bien de ta couronne;
Si ses faits si brillans, et si prodigieux,
Pour cause, ont les enfers voilés du nom des cieux;
Juge à quoy ta fortune est par elle reduitte,
Ce que pour l'avenir te promet sa conduitte,
Et de combien de maux seront, pour toy, suyvis
Philippes et la belle, à tes armes ravis.



Je te vois, des cette heure, au fond du precipice,
Accuser ton erreur, accuser sa malice,
Mais, plus que sa malice, accuser ton erreur,
D'avoir poussé ta gloire, en ce gouffre d'horreur.
Charles, avec ces mots, sent couler en son ame
L'ingenieux poison de cet injuste blasme,
Et, dans son fier regard, fait lire clairement,
Qu'il n'a pas, pour la sainte, un meilleur sentiment.
Le rusé favory qui sur luy tient la veüe,
Et qui de ce discours luy connoist l'ame emeüe,
Prend coeur pour ses desseins, et, voulant redoubler,
Se voit, par la guerriere, en ce moment, troubler.
Tout est fait, tout est prest, brave prince, dit-elle;
Desormais à Paris la fortune t'appelle;
Tu ne peux, sans le perdre, icy plus t'arrester,
Et tu le gaigneras, si tu te sçais haster.
Ce fils, ce doux espoir de la triste Angleterre,
Du seul bruit de son nom, la rengage à la guerre;
Betford marche desja, desja ses bataillons
Reviennent de nos champs occuper les sillons.
Charles, le temps est cher. Mais Charles, à la sainte;
Betford n'est pas, dit-il, ce qui cause ma crainte;
En vain, pour nous combattre, il a ce camp formé,
Et ton bras à le vaincre est trop accoustumé.
Je crains du bourguignon la fatale puissance,
Fatale à ma grandeur, et fatale à la France;
Le bonheur l'accompagne, et ceux qu'il a quittés
Ont, par leurs ennemis, esté tousjours dontés.



Il m'avoit, l'inconstant, sa parole engagée;
Agnes l'y fait manquer, par nous desobligée;
N'eust-il point mieux valu la souffrir parmy nous?
Nous pouvions bien luy faire un traittement plus doux.
Il acheve ces mots, d'une voix foible et basse;
Amaury les soustient, d'un ton remply d'audace,
Et, son fiel, sur la sainte, à grands flots respandant,
Abandonne la bride à son courroux ardent.
Ainsi lors que d'un lac la solide chaussée,
Par un filet d'eau vive est sourdement percée,
Et que, pour desormais s'ecouler librement,
Cette porte est monstrée au captif element;
L'eau vient, de toutes parts, à l'estroitte ouverture,
S'entrepresse au passer, sort, boüillonne, et murmure,
Et, sur les champs voysins respandant sa fureur,
Destruit, par ses degasts, l'espoir du laboureur.
Le roy n'est plus, dit-il, pour l'esprit qui t'inspire,
Ne le trouvant porté qu'au mal de son empire;
Qu'au mal de tous les siens; si c'est mal toutesfois,
D'armer le bourguignon, en faveur de l'anglois;
Si c'est mal, d'offenser la genereuse belle,
Qui seule a, dans ses mains, le coeur de l'infidelle;
Et si c'est mal, enfin, d'avoir, en l'offensant,
Privé l'estat françois d'un secours si puissant.
Le ciel, me diras-tu, le ciel, dont tu te pares,
Dont tu couvres l'horreur de tes actes barbares,
Le difficile ciel desapprouvoit son bras;
Et pourquoy? Si le tien ne luy desplaisoit pas.



C'estoit une ame haute, un courage invincible,
Qui, pour servir son prince, estimoit tout possible,
Et, pour ses interests, avoit autant que toy,
De chaleur, de vigueur, de constance, et de foy.
Elle eust pû, comme toy, l'assister de ses armes;
Mais tu l'eus pour suspecte, et redoutas ses charmes;
Tu redoutas ses yeux, et creus que ton pouvoir
Cesseroit, au moment qu'elle les feroit voir.
Nous avons, par ta peur, perdu son assistance;
Seule, tu l'as forcée à chercher sa vengeance,
À rechercher Philippe, et, par tous ses appas,
Luy faire de son roy conspirer le trespas.
Il estoit devenu nostre amy veritable;
Il va nous devenir adversaire implacable;
Contre l'anglois naguere il nous servoit d'appuy,
Et voilà qu'à l'anglois il en sert aujourd'huy.
Tous deux ont assemblé des trouppes infinies,
Et poussent, contre nous, leurs brigades unies;
Chasse-les, si tu peux, par l'effort de tes coups;
Mais tu ne sçais chasser, que ceux qui sont pour nous.
Ils nous vont enlever nos nouvelles conquestes;
Et toy seule, sur nous, attires ces tempestes;
Pour n'avoir pû souffrir de rivale à la cour,
Tu nous ravis le throsne, et peut-estre le jour.
D'un semblable transport, la guerriere surprise
Veut respondre au jaloux, puis change et le mesprise,
Et, tournant vers le roy ses regards flamboyans,
L'estonne, et l'eclaircit, par ces mots foudroyans.



En ces termes, dit-elle, et mesme ta presence,
Oser de ses decrets blasmer la providence,
L'oser mesme ton nom, l'oser en me parlant,
Ah! C'est estre, à vray dire, un peu trop insolent.
Ah! C'est trop escouter l'indigne jalousie,
Dont, pour mes grands succes, on a l'ame saisie;
C'est faire trop d'injure au bras du tout-puissant,
Et trop de ses faveurs estre mesconnoissant.
On a donc pû si-tost bannir de sa memoire
Du dieu liberateur l'eclatante victoire;
Quand, pres de ses hauts murs, le fidelle Orleans,
Sous le poids de mes coups, vit tomber ses geans.
On ne se souvient plus de ce hardy passage,
Qui de tant de cités eloigna le servage;
On ne se souvient plus du sacre glorieux,
Dont l'objet triomphant s'offre encore à nos yeux.
Cependant ces exploits, ces merveilles insignes,
D'une memoire illustre à jamais seront dignes;
Ces miracles fameux, si grands, si relevés,
Sans Agnes, par nos mains, viennent d'estre achevés.
Jusqu'icy, malgré tout, j'ay tenu ma promesse,
Sans les charmes impurs de cette enchanteresse;
Les cieux ont veu, par moy, leur ordre executé,
Sans avoir eu besoin des traits de sa beauté.
Ils me verront encor, sans cette ayde funeste,
De leur ordre immüable executer le reste;
Sans elle, ils me verront des perfides tyrans
Attaquer les drappeaux, et dissiper les rangs.



À la mercy des traits, ils me verront, sans elle,
Aller porter la guerre au pied du mur rebelle,
Et seule me verront, par mille grands efforts,
Maistriser la terrace, et la joncher de morts.
Charles, telle à Paris sera ma destinée;
C'est ainsi que la chose est, là haut, ordonnée;
Sans que le bourguignon, qui trouble tes esprits,
Puisse nuire au dessein, pour ta gloire, entrepris.
Ses forces, que tu crains, n'y mettront point d'obstacle;
Son projet est destruit, par un autre miracle;
Ces murs, qui, sous tes loix, viennent de se ranger,
Du costé de la Flandre escartent tout danger.
Loin de fondre sur nous, il faut que sa tempeste,
Contre leurs boulevards, se consume et s'arreste;
Du traistre bourguignon le dessein est failly;
D'assaillant qu'il estoit, il se trouve assailly.
Non, ne crains que le ciel en ce reste de guerre;
Rien ne peut à ton cours s'opposer, sur la terre;
Tout te rit desormais, et tu seras vainqueur,
Pourveu que de peché tu preserves ton coeur.
Charles, à ce discours, se remplit de tristesse,
Et ne peut, sans rougir, penser à sa foiblesse;
Apres tant de bienfaits receus du firmament,
De sa flamme il a honte, et se hait d'estre amant.
Il sent sa passion, et, devant la Pucelle,
Sent, par sa passion, sa vertu criminelle;
D'un heroique effort, il tasche à l'estouffer,
Et, par la grace enfin, d'elle peut triompher.



Au party le plus juste aussi-tost il se range,
Revere la guerriere, et luy donne loüange;
Il la donne aux bontés du monarque des roys,
Mais du coeur seulement, et non pas de la voix.
Amaury le regarde, et voit qu'il l'abandonne;
Un si soudain retour le surprend, et l'estonne;
La parole luy manque, et l'air audacieux
S'efface sur son front, et s'esteint dans ses yeux.
Son desplaisir l'accable, et son ame hautaine
Est ensemble agitée, et de peur, et de haine;
Il se sent, pour la fille, un trop foible rival,
Et, moins il est puissant, plus il luy veut de mal.
Sur ce temps un grand bruit, comme d'un grand tonnerre,
S'eleve jusqu'aux cieux, fait retentir la terre;
Trouble le sein de l'air, et, pour quelques momens,
Ebransle la cité jusques aux fondemens.
C'est l'anglois, c'est Betford, dont l'approche attendüe,
Parmy le camp françois, venoit d'estre entendüe,
Et le camp genereux, emeu de ce rapport,
N'avoit pû retenir son belliqueux transport.
Il brusle de combattre, et sa flamme guerriere
Le force à mettre au vent la royale banniere;
Il n'attend aucun ordre, et, marchant à grands pas,
Ne roule, en son esprit, qu'assauts, et que combats.
Tous sortent, à l'instant, de la sainte muraille,
Tous, à cris redoublés, demandent la bataille,
Et tous, mesme à leurs chefs, donnent de la terreur;
L'indiscrette vertu degenere en fureur.



Charles court au tumulte, et, d'une voix severe,
Reprime l'insolence, et la fougue tempere;
Il rappelle aux drappeaux les soldats ecartés,
Forme ses bataillons, jette sur les costés
Du gendarme serré les brigades luysantes,
Loge, dans le milieu, les machines pesantes,
En revoit l'attirail, et, par tout se portant,
Jusqu'aux moindres besoins, sa prevoyance estend.
La sainte l'accompagne, et ne voit pas, sans joye,
Avec quelle grandeur son addresse il employe;
Elle le fortifie, en sa noble chaleur,
Et luy monstre Paris, pour prix de sa valeur.
Luy, qui, pour ses desseins, voit tout si favorable,
Ne retient plus du camp le transport indontable,
À son feu l'abandonne, et, d'une ardente voix,
Mesme au fort de son cours, le pousse vers l'anglois.
Ainsi quand jadis Rome, en sa fameuse arene,
De barbares plaisirs espouventable scene,
Deschaisnoit ses lions, qui de sang affamés
Estoient, par cent barreaux, à peine renfermés;
Quoy que, pleins de courroux, ils suyvissent leur chasse,
Leurs hardis gouverneurs, espandus par la place,
Contre les fiers taureaux leur fureur animans,
Secondoient, de longs cris, leurs longs rugissemens.
De son costé Betford, dans le fond de son ame,
Ne sentant pas brusler une moins vive flamme,
Meine son camp, vers Rheims, dans l'espoir apparent
D'arrester les progres du nouveau conquerant.



Il s'avance à grand bruit, comme un foudre qui gronde,
Et qui d'un proche eclat menace le bas monde;
Il s'avance à grands pas, et, dans son viste cours,
Parle à ses bataillons, et leur tient ce discours.
Compagnons, que le voeu d'une illustre vengeance
Arme, pour restablir l'Angleterre en la France,
Et qui, dans un projet si digne de vos coeurs,
Ne sçauriés reüssir que de Charles vainqueurs;
Bien que, par vos efforts, vous pussiés, sans nulle ayde,
Aux maux de nostre empire apporter le remede,
Et que vostre courage ait peine à supporter,
Que, dans son entreprise, on pense à l'assister;
Les destins toutesfois, amis de la justice,
Du puissant bourguignon vous rendent la milice,
Et veulent que, vers nous, se rangeant desormais,
Il vienne reparer les torts qu'il nous a faits.
Sous luy ce que l'Escaut, ce que la Meuse embrasse,
En faveur de l'anglois, se leve et se ramasse;
De deux si braves corps Charles enveloppé,
Ne peut qu'il ne se voye, ou mort, ou dissipé.
Oublions nostre honte, oublions sa victoire;
Nous verrons nos malheurs suyvis de nostre gloire;
Aux despens du françois, nous l'allons relever,
Et, par un coup fatal, nos travaux achever.
Conduit, par sa fortune, au coeur de nostre terre,
Engagé dans nos rets, par son heureuse guerre,
Assailly par deux camps, et par deux camps destruit,
De son aveugle audace il recevra le fruit.



Par son abbaissement, relevons nostre estime;
Aux foudres de nos mains donnons-le, pour victime;
Dans les flots de son sang, son orgueil estouffons,
Et de tous ses lauriers, par un seul, triomphons.
Philippes, contre luy, fait marcher sa puissance,
Gardons bien que son cours le nostre ne devance,
D'une palme si noble, amis, soyons jaloux,
Et ne permettons pas qu'on la cueille, sans nous.
Betford, en s'esloignant des campagnes normandes,
Ainsi parle à ses chefs, ainsi parle à ses bandes;
Tous, par cent cris guerriers, approuvent son discours,
Et, vers Rheims à-l'envy, precipitent leur cours.
Mais, au fort de leur cours, et de leur esperance,
Soissons, Laon, Saint-Quentin, les quittent pour la France;
D'un tel evenement, tous demeurent surpris,
Et l'esperance meurt, en leurs tristes esprits.
La terreur vient alors, et, dans leurs rangs meslée,
Souffle à chaque soldat son haleine gelée;
Elle accroist le peril, et figure à leurs yeux,
Charles du bourguignon desja victorieux.
Elle le represente en forme plus auguste,
Qui protegé du ciel, en sa querelle juste,
Dresse, en haste, vers eux, ses formidables pas,
Et, le fer à la main, les devoüe au trespas.
Par ces impressions, leur morne fantaisie,
Se trouve, tout à coup, d'espouvente saisie,
Et, de quelque raison qu'on pense les toucher,
Tous, contre le françois, refusent de marcher.



Betford monte en fureur, et ses trouppes gourmande;
Mais en vain il leur parle, en vain il leur commande;
La terreur les rend sourds, et luy-mesme à la fin
N'est pas, plus qu'eux, exempt de son mortel venin.
Desormais plein de trouble, et craignant sa desfaitte,
Par l'avis de ses chefs, il conclud la retraitte,
Et, rassemblant soudain ses escadrons espars,
Fait tourner, vers Paris, ses volans estandards.
À faire ferme, en vain, son courage l'incite;
Tout orgueilleux qu'il est, la bataille il evite;
L'effroy, de plus en plus, maistrise ses esprits;
Quoy que loin du danger, il se tient des-ja pris,
Et, sans conter pour rien le jour qu'il a davance,
Il croit, mesme en fuyant, perdre sa diligence.
Charles remply d'ardeur, le suit rapidement,
Court tousjours, pour l'atteindre, et tousjours vainement;
Mais, la cinquiesme nuit, resolu de le joindre,
Avant qu'on vist le jour aux bords du Gange poindre,
Et par un combat seul, apres tant de combats,
Des deux peuples rivaux terminer les debats;
Aux bandes il s'addresse, et leur tient ce langage;
Chers et vaillans guerriers, achevés vostre ouvrage;
Betford, à cette fois, peut tomber sous vos coups,
Et ce rare bonheur ne depend que de vous.
À vos yeux abatus je demande une veille;
Non moins que le profit, l'honneur vous le conseille,
Et ce leger travail, à vos bras valeureux
Doit produire un repos durable autant qu'heureux.



Ainsi quand un nocher, à qui le feu de l'ourse
Fait descouvrir la fin de son errante course,
Pour recueillir le fruit de ses travaux passés,
Redonne un nouveau coeur aux matelots lassés;
Sans quitter le timon, par des mots pleins de flamme,
Il rappelle leurs mains, à la voile, à la rame,
Et promet à leurs voeux, pour ce dernier effort,
Que le prochain soleil les verra dans le port.
La chaleur des françois se rallume en leurs veines;
D'enseignes, de guidons les campagnes sont plaines;
La lune, au front d'argent, favorable leur luit,
Et leur fait voir le jour, au milieu de la nuit.
Mais estant disparüe, une heure avant l'aurore,
Et l'oeil de l'univers dormant sous l'onde encore,
Pres du camp de l'anglois, le monarque arrivé
Alloit voir son projet hautement achevé;
Lors que le prince affreux de l'infernale plage
Vit fondre en precipice, au travers de l'ombrage,
Les esprits tenebreux qu'au secours de Betford,
Il avoit envoyés, du sejour de la mort.
À leur veüe il s'emeut, et, par sa violence,
Forçant leur voix muëtte à rompre le silence,
Apprend d'eux tous les soins, que, jusqu'à ce moment,
Ils avoient, pour l'anglois, pris inutilement.
Il apprend d'Orleans le secours admirable,
Des remparts de Gergeau la perte lamentable,
Du roc de Baugency l'infortuné destin,
Et du choq de patay la deplorable fin.



Il apprend du vainqueur la marche triomphante,
Des boulevards troyens la conqueste eclatante,
Et ce qui, plus que tout, renverse ses desseins,
Le grand sacre accomply, dans les remparts de Rheims.
Il apprend que Betford, redevenu timide,
Devant le dard françois, fuyoit d'un cours rapide,
Qu'il estoit sans resource, et qu'il alloit perir,
À moins que tout l'enfer ne l'allast secourir.
À la dure nouvelle, au milieu de sa flamme,
Le tyran des bas lieux sent frissonner son ame,
Tient les anglois destruits, et saisy de douleur,
N'impute qu'à luy-mesme un si cruel malheur.
Puis s'embrasant soudain, et dissipant sa glace,
Il quitte des lieux bas la voute la plus basse,
Sous qui, par ses fureurs, sans cesse devoré,
Il se cache aux demons, des demons reveré.
Climats egalement inconnus et celebres,
Royaume de la mort, region de tenebres,
Tempestüeux, aveugle, et brüissant chaos,
Dont le ciel, pour jamais, a banny le repos;
Souffrés qu'icy mon chant donne une foible image
Des horreurs, qu'en son sein renferme vostre ombrage,
Et qu'à l'humaine veüe, au moins par quelques traits,
De vos antres maudits j'expose les secrets.
Dans le profond abysme, où du monde est le centre,
Le terrestre element forme un spacieux ventre,
Une obscure, inegale, immense cavité,
Un nouvel univers de spectres habité.



Il fut fait, pour servir de prison douloureuse,
À la trouppe d'esprits altiere et malheureuse,
Qui, suyvant un archange, en son souslevement,
Le suyvit dans sa cheute, et dans son chastiment.
Il fut fait, pour servir de closture eternelle,
À la nature humaine, impie et criminelle,
Et pour y dispenser les tourmens eternels,
Aux transports effrenés de ses sens criminels.
L'orgueil ambitieux, la colere brutale,
L'avare faim de l'or, l'incontinence sale,
La paresse, l'envie, et l'appetit gourmand,
Ont tous, là, leur supplice, et tous, diversement.
Là, sont divers cachots, là, sont diverses gesnes;
On n'entend, là, que foüets, que secousses de chaisnes,
Que plaintives clameurs, que grincemens de dents,
Que sanglots redoublés, et, que souspirs ardens.
Dans son tour estendu, cette affreuse contrée,
D'un seul rayon de jour, n'est jamais penetrée,
Et l'air, qu'on y respire, est semé d'une poix,
Qui ne cede, qu'à peine, aux efforts de la voix.
Par tout la terre y fume, et contremont, sans cesse,
De ses marais bourbeux, leve une nüe espaisse,
De son fonds boüillonnant, pousse une exhalaison,
Qui redistille en peste, en venin, en poison.
Tout y sert à punir les infidelles ames;
Mais, plus que tout encor, les devorantes flammes,
Qui, par une puissance inconnüe à nos feux,
Brusle mesme l'esprit des esprits malheureux.



Il est vray que ce feu, qui brusle sa matiere,
En la bruslant tousjours, tousjours la laisse entiere,
Et qu'en son action, sa piquante chaleur,
Par l'horreur de l'ombrage, augmente la douleur.
Une fausse clarté, qui ne se rend visible,
Que pour rendre aux regards cette horreur plus horrible,
Quelquesfois sort de l'ombre, et permet d'entrevoir
Ce qu'endure le crime, en cet empire noir.
Elle fait entrevoir, dans un coin de ce gouffre,
Un meslange confus de bitume et de souffre,
Qui compose le lac, où demeurent plongés
Ceux qu'aux plaisirs impurs leurs sens ont engagés.
Elle y fait entrevoir les affreuses figures
Des anges devenus ministres de tortures,
Et l'innombrable amas des crüels instrumens,
Destinés par le ciel à ses grands chastimens.
Sous l'aspect d'un dragon, le hideux roy des ombres,
Dans l'antre le plus creux des vastes plaines sombres,
Sur un throsne bruslant, formé d'ardens charbons,
Regne sur les dannés, comme sur les demons.
D'un sifflement affreux, le terrible monarque
Gouverne le chaos, prescrit l'ordre à la Parque,
Et, punissant chacun, comme il l'a merité,
Est, bien que tourmentant, plus que tous, tourmenté.
Comme quand au milieu de la campagne aride,
Qui boult, sous les rayons de la zone torride,
L'orgueilleux Basilic, ce redoutable roy,
Dont les peuples rampans reconnoissent la loy,



Le trespas dans les yeux, la couronne à la teste,
Pour revoir son empire, en sa grotte, s'appreste;
Un son avant-coureur, par les airs espandu,
Dans ces incultes champs, est soudain entendu;
Tout fuit son fier regard, avec inquietude,
Et redouble au desert la vaste solitude.
Ainsi, lors que Satan se prepare à sortir,
L'on oit, d'un bruit aigu, les enfers retentir;
Les haves habitans des provinces d'Averne
S'escartent du chemin de sa rouge caverne,
Et mesme les demons, par crainte, ou par respect,
Sur sa route ombrageuse, evitent son aspect.
Il part, et, tout d'un vol, perce la noire plage;
La terre ouvre son sein, et luy donne passage;
De la nuit eternelle, il passe à l'autre nuit;
Le monde, en mesme temps, le reçoit et le fuit.
Tournant, deçà, delà, ses oeillades sanglantes,
Il voit du camp poussé les enseignes dormantes;
Il voit, ah! Quelle veüe? Il voit son cher Betford,
Sous le dard du françois, prest à souffrir la mort.
Il voit le françois proche, et la terreur volante,
Qui, precedant son cours, horrible et turbulente,
Contre l'anglois troublé, chasse les songes vains,
Les credules soupçons, les doutes incertains,
Le pasle estonnement, la surprise müette,
Le desordre confus, et la fuitte inquiëte.
À ce mortel objet, de rage transporté,
Il se descouvre au monstre, et, d'un ton irrité;



Que fais-tu, luy dit-il, imprudente, ou maligne,
À jamais de ta charge, et de ma grace indigne?
Est-ce là donc l'espoir que j'avois mis en toy?
Sçais-tu donques ainsi dispenser ton effroy?
Je ne demande plus comment cette Pucelle
A pu surmonter l'art de ma trouppe fidele;
Seule, tu l'as fait vaincre, et, par ton seul effort,
Charles, loin d'estre pris, s'en va prendre Betford.
Ah! Ma chere terreur, si ta foible memoire
Garde encor quelques traits de nostre vieille gloire;
Tandis que tu le peux, vueille te repentir;
Voy cet embrasement, et m'ayde à l'amortir.
Respans, à pleines mains, tes glaces infernales,
Dans les boüillans esprits de ces bandes fatales,
Et fay rouler soudain, en rapides torrens,
Ton venin le plus froid, au travers de leurs rangs.
Ne crains point leur bonheur, je rendray tout facile;
He! Du moins une fois, puisses-tu m'estre utile.
Sur l'armée, à ce mot, le fier dragon volant,
De l'abysme souffreux de son gosier bruslant,
Pousse de noirs frimats, et des vapeurs immondes,
Couvre l'air alentour de tenebres profondes,
Renforce les broüillards, les nuages grossit,
Et, par l'ombre d'enfer, les ombres espaissit.
Le camp, qui, jusqu'alors, avoit gardé sa route,
S'en escarte à l'instant, ne marche plus qu'en doute,
Tire à droit, tire à gauche, et, dans un fond pressé,
Enfin, apres cent tours, demeure embarassé.



La terreur, cependant, obeit à son pere,
De cent fantosmes vains bastit une chimere,
Et, l'elançant aux yeux des bataillons françois,
Leur trouble la raison, et leur oste la voix.
En vain, à leur secours, les astres ils invoquent;
Un cheval qui hannit, deux fers qui s'entrechoquent,
Un cry, que le besoin, ou la peur, fait jetter,
Et les airs agités les peuvent agiter.
Une haleine, un souspir, et mesme le silence
Aux chefs, comme aux soldats, font perdre l'assurance,
Et tous, par leur destin, se jugent condannés
À finir, en ce lieu, leurs jours infortunés.
À ce commun effroy Gillon, meslant sa crainte,
Sans retien, plus qu'aucun, s'abandonne à la plainte,
Plus qu'aucun, sans retien, monstre de la douleur,
Et par tout, à grands cris, deplore son malheur.
Puis se ressouvenant, que, d'une ardeur pressée,
La sainte, vers l'anglois, s'estoit seule avancée,
Il songe à profiter de son esloignement,
Et, contre sa vertu, s'emporte indignement.
Parmy l'ombrage espais, de rang en rang, il passe,
Et verse son venin d'une voix sourde et basse;
L'effroy, que la terreur, entre eux, vient de jetter,
Sert au lasche vieillard, pour se faire escouter.
Braves, dit-il, aux uns, mais braves sans lumiere,
Vous allés maintenant connoistre la sorciere,
Et ressentir l'effet des noirs enchantemens,
Qui de son faux eclat vous ont rendus amans.



Vostre naufrage approche, et je voy la tourmente
Tousjours, de plus en plus, devenir vehemente;
Pour avoir à ses loix vos coeurs assujettis,
Vous allés, dans l'abysme, estre tous engloutis.
Trouvant vostre fortune à ces termes reduitte,
Par cet esprit infame, et sa folle conduitte,
Croyés vous juste encor, qu'il reçoive de vous
Un culte, dont les saints pourroient estre jaloux;
Que, par vous, sur la France, une quenoüille regne;
Qu'entre ses bataillons son roy mesme la craigne;
Bref que, pour contenter ses caprices legers,
Vostre valeur perisse au milieu des dangers.
Aux autres; vous mourrés, pour avoir jugé sainte
Celle, dont la vertu n'est qu'une pure feinte;
Vous mourrés, pour avoir, par vostre aveuglement,
Donné poids et vigueur à son deguisement.
Vous dirés, je le sçay, que de vostre creance
Vous avés, pour garant, la divine ordonnance,
Que vous suyvés le ciel, d'où son illustre envoy
A paru trop visible aux yeux de vostre foy.
Donques, seuls entre tous, vous ignorés encore
Ce qu'aucun desormais sur la terre n'ignore,
Les coupables motifs de cette fiction,
La honte et la douleur de nostre nation.
Ouvrés, ouvrés les yeux, reconnoissés l'intrigue,
Qui de nos mescontens a ranimé la ligue;
Sans vous plus figurer, qu'un complot criminel
Soit un ordre absolu du conseil eternel.



Aux autres; vous, dit-il, dont la haute vaillance,
En la guerriere seule, avoit son esperance,
Voyés à quoy, par elle, est vostre espoir reduit,
Voyés où vostre sort est, par elle, conduit.
Mon fils, vous le sçavés, et moy-mesme, à son dire,
N'estions bons qu'à flestrir l'honneur de cet empire;
Nous fuyons le combat, et nos bras, toutesfois,
Sont icy preparés à combattre l'anglois.
Au contraire, soldats, la françoise Bellonne,
Cette fille au grand coeur, que jamais rien n'estonne,
Aveque son grand coeur, ne paroist mesme pas
Aux lieux, où nostre crainte affronte le trespas.
Ce grand coeur, à la fin, tesmoigne de la crainte;
Il monstre, au vray peril, que sa valeur est feinte,
Et se tirant du piege, où le sort nous a mis,
Nous laisse en butte aux coups de nos fiers ennemis.
L'amazone du ciel, dont la gloire est sans tache,
Se voyant proche d'eux, honteusement se cache;
Pour se mettre à couvert du malheur qui nous suit,
Cét ange de lumiere a recours à la nuit.
Ainsy, dans tous les lieux, où sa haine le porte,
Gillon vomit son fiel, en differente sorte,
Et le camp, de sa peste, en tous lieux, infecté,
Ne traitte pas la sainte, avec plus d'equité.
Satan, qui pour son but voit ce moment propice,
Aiguillonne sa rage, anime sa malice,
Et pour gaigner creance, et n'estre point suspect,
Du grand-prestre Renaud prend la forme et l'aspect.



Visible, malgré l'ombre, il en revest l'image,
Il en imite l'air, il en feint le langage,
Et, sous ce voile saint, sa fureur redoublant,
Fait entendre ces mots au camp morne et tremblant.
Enfin, soldats, enfin, voicy l'heure fatale,
Qu'a prescrite à vos jours la furie infernale,
Celle, à qui les demons du courage ennemis,
Pour vous deshonnorer, ont le vostre sousmis.
Enfin voicy le point si souhaitté, par elle,
Où se doit achever sa trame criminelle;
Vous n'avés plus, soldats, qu'à luy tendre le sein,
Pour luy faire accomplir son tragique dessein.
Que n'a dit, que n'a fait, ce monstre d'arrogance
Pour disposer, par vous, du throsne de la France?
Et de quelles couleurs cet esprit deguisé
N'a-t'il, aupres de vous, dans cette veüe, usé?
Cette impie, avant tout, vous a jetté dans l'ame,
Que le ciel l'embrasoit de sa plus vive flamme;
Et de sa fausse ardeur vos sens preoccupés
Ont aisement, par elle, en suitte, esté pipés.
La trompeuse a du roy la sagesse surprise,
A traitté son estat en province conquise,
A terny son renom, son salut negligé,
Enfin l'a dans ce gouffre ingratement plongé.
Elle a fait tout ce mal, pour mettre sa cabale,
En estat d'envahir la puissance royale;
Elle a fait tout ce mal, pour la venger des maux,
Sous qui l'ont fait gemir ses glorieux rivaux.



Je ne les nomme point les barbares complices
De ce maudit projet, de ces noirs artifices,
Par qui sont leurs desirs à leur fin parvenus;
À vos propres despens, ils vous sont trop connus.
L'inhumaine à son prince eust peut-estre fait grace,
S'il en eust supporté l'insupportable audace,
S'il eust au gouvernail les malcontens admis,
Et son sceptre, et son throsne, à leurs ordres sousmis.
N'ayant pu l'y forcer, elle a juré sa perte,
À son dernier malheur elle a la porte ouverte,
Et par un art dannable, en servant leur courroux,
Elle a tramé la mort du monarque et de vous.
Ces remparts asservis, ces levemens de sieges,
À vos coeurs martiaux estoient autant de pieges;
Sa fausse pieté vous les avoit tendus,
Et, pour ne les pas voir, vous vous estes perdus.
Nous avons penetré ce perilleux mystere;
Et c'est ce qui la rend à Gillon si contraire,
Si contraire à son fils, et si contraire à moy,
Qui, pour son imposture, avons manqué de foy.
Pour renverser l'estat, trouvant vain l'artifice,
Desormais, par la force, elle veut qu'il perisse,
Dans l'espoir qu'a du moins, son esprit enragé,
D'en voir, entre les siens, le debris partagé.
Que nous reste-t-il plus, en ce mortel orage,
Où sous la trahison doit perir le courage;
Que de rendre, en mourant, nostre destin plus doux,
Engageant la traistresse à perir, avec nous?



Donc, à nostre douleur immolons la traistresse;
Mais, c'est armer trop tard vostre main vengeresse;
La perfide a, d'abord, son chastiment preveu,
Et, par sa prevoyance, à sa vie a pourveu.
Dans la peur d'esprouver vostre tranchante espée,
À la faveur de l'ombre, elle s'est eschappée,
Et, voyant sa malice arrivée à son but,
L'infidelle, en sa fuitte, a cherché son salut.
Que dis-je, son salut? A cherché l'Angleterre,
Par qui sa trahison nous va faire la guerre,
Qu'elle va ramener, les flambeaux dans les mains,
Pour nous faire souffrir cent trespas inhumains.
Mourons, puisqu'il le faut, contentons son envie;
Mais songeons, en mourant, à venger nostre vie;
Vengeons la sur Betford, et, plus que sur Betford,
Sur celle qui, par luy, nous vient donner la mort.
Resveillons de nos bras la valeur endormie;
Espargnons l'ennemy, pour perdre l'ennemie;
N'attaquons que sa teste, et que, de toutes parts,
Sur elle seulement, se lancent tous nos dards.
En cette extremité, n'ayons d'yeux que pour elle,
Et ne soyons crüels, que contre la crüelle.
Là finit le demon, et le françois troublé
Sent son coeur, par ces mots, de tout point, accablé.
N'ayant plus d'esperance, il dispose son ame
À voir, par les anglois, coupper sa foible trame,
Et se croit si peu loin de ce terrible pas,
Que mesme, par l'attente, il previent son trespas.



Ainsi, quand du fievreux la cervelle embrasée
A d'humeur et d'esprits sa substance espuisée,
Et que de forts liens le malade enchaisné
À cent trespas honteux s'estime condanné;
Rien ne luy vient frapper, l'oreille, ni la veüe,
Qu'il ne prenne, en tremblant, pour le coup qui le tüe,
Et, rien de son effroy ne le pouvant guerir,
Il se livre à la mort, par la peur de mourir.
Mais Charles, dans l'exces de la peine commune,
Monstra seul le visage à l'adverse fortune,
Et, bien que, plus qu'aucun, oppressé de douleur,
Fit, seul, voir son courage, au dessus du malheur.
Amaury l'esprouva, quand, poussé de sa haine,
Et jugeant, comme tous, leur desfaitte certaine,
Dans les abois, au moins, il voulut, pres du roy,
Noircir de la guerriere, et le coeur, et la foy.
Il le cherche, il le trouve, et luy tient ce langage;
Charles, nostre vaisseau s'en va faire naufrage;
Rien, dans un mal si grand, ne nous peut secourir,
Et c'est vous seul, helas! Qui nous faites perir.
Souffrés qu'on vous reproche, en perdant la lumiere,
Que nos jours sont, par vous, à leur heure derniere;
Accordés aux mourans ce peu de liberté,
Et vueillés une fois oüir la verité.
Que dis-je? Ah! Sans sujet, Amaury vous accuse;
On vous a fait agir, par audace, et par ruse;
Avec peine et regret, vous avés consenty
À prendre, contre nous, un si crüel party.



Pour chacun, cependant, ce malheur est extreme;
Nous y perdons la vie, et vous le diademe;
La traistresse, à ce point, vostre regne a conduit;
De ses braves conseils voilà l'illustre fruit.
Gillon, comme son fils, deteste la Pucelle,
Dit qu'en ce noir abysme ils ne sont que par elle,
Et que Charles, enfin, va tomber sous l'anglois,
Pour n'avoir pas, en tout, suyvi son propre choix.
Mais luy qui n'est point lasche, et qui sçait en son ame,
Avec combien de tort l'un et l'autre la blasme,
D'un oeil mal satisfait leurs discours reprimant,
Monstre, par ce discours, son royal sentiment.
Quoy! De mon infortune, accuser la guerriere,
La fille à qui je dois, l'honneur et la lumiere;
Quoy! Vouloir qu'aujourd'huy son infidelité,
M'ait, dans ce lieu d'horreur, seule, precipité.
Non, non, nul n'est moins qu'elle, en ce point, condannable;
Du crime pretendu je suis seul le coupable,
Et, soit bon, soit mauvais, qu'on juge le dessein,
C'est l'enfant de ma teste, et le fruit de mon sein.
Il est vray qu'au moment que je l'eus consultée,
D'une excessive joye, elle fut transportée,
Que, dans mon mouvement, le sien me confirma,
Et que, par son ardeur, mon feu se renflamma.
Que si ce haut projet doit tromper mon attente,
Si pour y reüssir ma force est impuissante,
Si nous y succombons, de foiblesse, ou d'effroy,
La faute, encore un coup, n'en regarde que moy.



Esperons pourtant mieux, et, contre cet orage,
Armons nous de raison, armons nous de courage;
Mais quand, par la fureur de l'implacable sort,
Nous devrions, malgré tout, souffrir icy la mort;
Quand l'arrest absolu du ciel inexorable,
Rendroit à nostre coeur ce pas insurmontable;
Mourons si noblement, que le siecle avenir
De nos derniers efforts garde le souvenir;
Tombons, comme des roys, et, vrays bras de la France,
Nous mesmes, en tombant, faisons nostre vengeance.
Il finit à ce mot. La sainte cependant,
Avoit pris un party genereux et prudent.
Durant la sourde marche, avant que de ses voiles
L'infernale vapeur eust caché les estoilles,
Pour mieux executer le dessein de son roy,
Elle en conceut un rare, et digne de sa foy.
La lune à peine aux cieux eut cessé de paroistre,
Qu'elle va de Betford les trouppes reconnoistre,
Y va seule, et sans bruit, et, dans le campement,
Voit, et chefs, et soldats dormir profondement.
Elle voit que le somme y donte toute chose,
Que le silence y regne, et que l'air y repose;
Bref que, comme assoupis, et les dards, et les traits
Y donnent, à la guerre, un visage de paix.
Aussi-tost vers l'armée, en haste, elle revole,
Et, devant que le jour illumine le pole,
Se promet que l'anglois passera, sans resveil,
Du sommeil ordinaire à l'eternel sommeil.



Mais, elle court, en vain, et ne trouve personne,
Son ame en est surprise, et son coeur s'en estonne;
Elle cherche le camp, et ne sçauroit penser,
Quel sujet impreveu l'empesche d'avancer.
Par tous les environs, l'oeil, en vain, elle jette;
En vain, l'oreille au bruit attentive elle preste;
L'ombre, au silence jointe, augmente son soucy,
Et son esprit douteux n'est, par rien, eclaircy.
Comme l'aigle, au retour d'un champ plein de carnage,
Arrivant par les airs, dans son aire sauvage,
Sent troubler son amour, lors qu'elle en voit partis,
D'un temeraire vol, ses genereux petits.
Pour descouvrir leur route, inquiëte et depite,
Deçà, delà, sans cesse, elle tourne, et s'agite,
Se porte, en un moment, de l'un à l'autre bout,
Par tout cherche des yeux, et cherche en vain par tout.
Ainsi, cherchant les siens, s'agite la guerriere;
La nuit enfin commence, à craindre la lumiere,
Et, du tombeau des eaux, le jour ressuscité
Au monde tenebreux vient rendre la clarté.
Alors, sur un vallon, qu'une double montagne
Forme, vers l'un des bouts de la vaste campagne,
Paroist un tourbillon, qui, par son espaisseur,
Des ombres de l'Erebe egale la noirceur.
Un si terrible objet plus que devant la trouble;
Mais, pour l'observer mieux, sa course elle redouble;
Quand Termes, qui d'horreur à le vallon quitté,
La voir venir, vers luy, d'un pas precipité.



Vers elle, il court alors, d'une course soudaine,
L'arreste de la main, et l'arreste avec peine;
Saint objet, luy dit-il, de nos feux innocens,
À qui la France un jour offrira de l'encens;
Si de ton propre bien tu n'es point ennemie,
Si tu veux de ta gloire esloigner l'infamie,
Fuy cet antre funeste, et ce mortel escueil,
Dont l'enfer se prepare à faire ton cercueil.
Tout, dans cette caverne, à ta perte jurée;
Les soldats ont, pour toy, leur haine declarée;
Les chefs, de ta disgrace attendent leur bonheur;
Charles les souffre, mesme, attaquer ton honneur;
Aupres de luy, Gillon, en grace, te precede;
Desormais, tout entier, Amaury le possede;
Et Renaud, secondant leur detestable effort,
A mis, en tous les coeurs, le desir de ta mort.
Par le dieu qu'elle sert, en suitte il la conjure
De ne s'exposer point à recevoir d'injure,
Et de ne point chercher les moyens de guerir
Des ingrats, qui cherchoient à la faire perir.
Mais elle, qui connoist ce que la providence
Demande à sa valeur, pour le bien de la France,
Et, malgré le courroux, qui la veut emouvoir,
Demeure tousjours ferme à suyvre son devoir;
Avec un fier sousris; ah! Termes, luy dit-elle,
Est-ce ainsi que t'est cher l'honneur de la Pucelle?
La voudrois-tu bien lasche? Ou si, pour la tenter,
Tu la viens, par la crainte, à la fuitte exhorter.



Crois-tu qu'elle commette une faute si grande?
Voilà, comme elle fuit, et comme elle apprehende.
Elle acheve ces mots, et soudain le laissant,
D'une vive clarté, par tout, resplendissant,
Pousse, et, du noir vallon, bannit l'ombre et la glace;
Le demon, devant elle, abandonne la place;
Il faisoit peur naguere, à present il a peur;
Les tenebres d'enfer se changent en vapeur,
Et le soleil, qui naist aux campagnes celestes,
La perce, la dissipe, et consume ses restes.
Alors, de Dieu remplie, elle parle aux françois,
Et sa voix ne tient rien de la mortelle voix.
Où sont ces braves coeurs, ces heroiques ames,
Qu'on voit tousjours brusler de belliqueuses flammes?
Qu'est devenu ce camp, dont les robustes bras
Devancent le mien mesme, en l'ardeur des combats?
Ses mains, contre Betford, sont sans doute occupées,
Et de rebelle sang font rougir leurs espées;
Car ces fronts estonnés, ces visages blesmis
Sont ceux qu'en me voyant prennent mes ennemis.
C'est là du bourguignon la morne contenance;
C'est ainsi que l'anglois se trouble en ma presence;
Dans cet abbatement, et dans cette pasleur,
Mes yeux remarquent trop l'effet de ma valeur.
Que dis-je? Ah! C'est mon camp, bien que non plus luy-mesme;
C'est luy, bien que changé d'un changement extreme;
C'est luy, mais qui, suyvant un fantosme d'erreur,
A l'esprit agité de panique terreur.



Une folle espouvante est le magique charme,
Qui luy glace le coeur, et la main luy desarme;
De ma bonne fortune il redoute l'exces,
Et, d'un oeil soupçonneux, regarde mes succes.
Luy, qui, par mon bras seul, a relevé sa gloire;
Luy, qui jamais, sans moy, n'eust connu la victoire,
Que, de tant de perils, seule j'ay retiré,
Et qui, sous mon enseigne, a tousjours prosperé.
Il a mis en oubly cette heureuse assistance,
Et laissé, contre moy, surprendre sa creance;
Lors que, pour me noircir d'un crime pretendu,
Le demon a, sur moy, tout son fiel respandu.
Mais l'a-t-il bien pû croire, et mes actes insignes
N'ont-ils point dementy ses paroles indignes?
Ouy, l'ingrat, le croyant, a douté de ma foy;
Pour feint, et pour profane, il a pris mon envoy;
Il a pris pour l'effet d'un lasche sortilege,
La valeur, que du ciel je tiens en privilege;
Et le françois vainqueur a pensé, de mes faits,
Pis que l'anglois vaincu n'en a pensé jamais.
Grace pourtant au ciel, cette fureur brutale
N'a pas, en tous, esté, pour la Pucelle, egale,
Et je vois un grand nombre, entre ces revoltés,
Que l'infernal poison ne m'a pas infectés.
Je vois un Barbazan, un La Hire, un Saintrailles,
Guerriers, à qui Betford doit tant de funerailles,
Qui sentent mon injure, ainsi qu'un attentat,
Contre le chef du prince, et le bien de l'estat.



Charles, bien qu'obsedé, prend part à mon offense,
Et de ces imposteurs reprime l'insolence;
Se ressouvenant trop, qu'en son auguste sein
Se conceut et forma le genereux dessein.
Consultés son grand coeur; il dira s'il estime
Qu'on me doive imputer la gloire de ce crime;
Et s'il voudroit qu'un autre, en ce beau manquement,
Eust la honte, ou l'honneur, de son evenement.
Par ce qu'a de plus noir l'infame calomnie,
Ma gloire, devant luy, ne peut estre ternie;
Et, malgré les enfers, malgré les ennemis,
Il obtiendra, par moy, le bien qu'il s'est promis.
Quoy! Deux effeminés, dont la naissance est vile,
Dont l'esprit est rampant, et dont l'ame est servile;
Que la seule fortune a, de terre, elevés,
Et l'artifice seul, en credit, conservés;
Ces petits avortons, des vapeurs de leur fange,
Pourroient-ils obscurcir l'eclat de ma loüange?
Non, ce n'est pas ma peine, et, sans emotion,
Je regarde leur rage, et leur presomption.
Ce qui fait ma douleur, c'est que la providence
Se tournant desormais, en faveur de la France,
Et monstrant à ses voeux le terme souhaitté,
Qui devoit l'affranchir de sa captivité;
Ces coupables jaloux de la brillante gloire,
Dont m'alloit revestir cette illustre victoire,
Par leur propre malice, et celle des enfers,
Au fugitif rebelle ont espargné les fers.



Ainsi par leur vigueur, ainsi par leur addresse,
Ces prudens conseillers, ces miroirs de sagesse,
Ont du throsne asservy confirmé le malheur,
De l'estat gemissant ont accreu la douleur,
Ont rejetté le prince, en de nouvelles peines,
Rendu de ses soldats les esperances vaines,
De son peuple abatu les travaux prolongés,
Et tous mesme, à perir, peut-estre rengagés.
Si vos coeurs, toutesfois, moins saisis d'espouvente,
Se vouloient souvenir de leur valeur ardente,
Nous pourrions, d'un laurier plus qu'aucun glorieux,
Couronner aujourd'huy nos fronts victorieux.
François, nous le pouvons. Un peu devant l'aurore,
J'ay reconnu l'anglois, qui reposoit encore;
Je l'ay laissé dormant, et facile à donter,
Si de l'occasion vous sçavés profiter.
Mais quand, pour luy, le somme auroit perdu ses charmes,
Qu'il seroit esveillé, qu'il seroit sur les armes;
L'avés-vous pas ainsi mille fois souhaitté?
N'aymerés-vous pas mieux un combat disputé?
Sus donc, vers l'ennemy, marchés en diligence;
Qu'il ressente l'effet de vostre repentance,
Repare vostre honte, et verse de son flanc,
Pour en laver la tache, un deluge de sang.
Là finit son discours, et sa bouche tonnante,
Dans le silence mesme, est encore eloquente;
De mille anges guerriers les escus flamboyans
Renforcent, par leur feu, ses regards foudroyans;



Et ce qui restoit d'ombre, en l'esprit de l'armée,
Fuit devant leur lumiere, et se tourne en fumée.
Comme, lors qu'en la mer, qui baigne le Levant,
Sous un ciel sans nüage, à la faveur du vent,
Un brigantin leger, à rames egalées,
De son ventre escumeux fend les ondes salées;
Si le petit poisson, des nochers redouté,
Arreste, sur les flots, son cours precipité;
En vain, pour l'ebransler, l'aquilon se resveille;
En vain, par tous les masts, la voile s'appareille;
Tant que, par le plongeon, l'inebranslable bord
Sente, pour l'arracher, faire un heureux effort;
Alors, sur l'onde emeüe, il reprend sa carriere,
Et son rapide vol laisse le vent derriere.
Ainsi, quand du venin, dont la malignité
Avoit le camp françois dans sa course arresté,
Par la puissante voix de l'heroique sainte,
Malgré l'art du demon, fut la puissance esteinte;
Tous sentirent leurs coeurs soulagés d'un grand poids,
Et plus rapidement coururent vers l'anglois.
Mais, desormais en vain, leur marche est si pressée;
La grande occasion sans remede est passée;
Leurs pas sont pleins d'ardeur, mais ils sont superflus;
Ils cherchent le rebelle, et ne le trouvent plus.
Sur la fin de la nuit la triomphante armée,
Au vallon tenebreux fut à peine enfermée,
Que le veillant dragon, en profitant du sort,
La voulut mettre en proye au malheureux Betford.



Revestu de l'habit d'un espion fidelle,
Il luy vint annoncer cette heureuse nouvelle,
Et, l'infernale flamme aux paroles meslant,
Luy redonna de vaincre un desir violent.
Par tout il resveilla les trouppes endormies,
Leur promit le trespas des trouppes ennemies;
Puis, laissant à Betford haster leur partement,
Revint du camp troublé nourrir l'estonnement.
Mais voyant, tout à coup, la celeste guerriere
Forcer l'ombre à ceder aux traits de sa lumiere,
Faire à ses mots ardens ceder la froide horreur,
Et, contre l'estranger, rechasser la terreur;
D'un mortel desplaisir la fiere ame oppressée,
Sous l'aspect effrayé d'une garde avancée,
Il retourne, en volant, aux bataillons anglois,
Et, s'addressant au chef, luy dit à haute voix;
Ton camp, sage Betford, loin de rien entreprendre,
Ne doit pas seulement songer à se deffendre;
Pars, pars, à l'heure mesme, et t'esloigne soudain;
Si tu le fais plus tard, tu le feras en vain.
Du sommet de ce tertre, où, pour garde lointaine,
L'on nous avoit posés, au dessus de la plaine,
Mes yeux ont descouvert un monde de soldats,
Qui vers toy, pour te perdre, accourent à grands pas.
Leurs nombreux escadrons couvrent toute la terre,
Et menacent les tiens d'une mortelle guerre;
Leur prince les conduit, et demande à son bras
Ta superbe despoüille, et ton crüel trespas.



Ton courage repugne à faire la retraitte;
Mais, si tu ne la fais, certaine est ta desfaitte;
Resous toy, pars soudain, menage les momens;
J'oy les cris des guerriers, et les hannissemens.
À la fin de ces mots, d'une haleine glaçante,
Il luy souffle l'esprit de trouble et d'espouvente;
Il le souffle à son camp, d'un visage estonné,
Et leur oste le coeur, qu'il leur avoit donné.
Betford saisi d'effroy, pour chercher un asyle,
Fait tourner ses drappeaux, vers la royale ville,
À courir, à voler, le soldat exhortant,
Sans souffrir qu'en sa marche il respire un instant.
Et sa fuitte, d'abord, avec ordre, conduitte,
Paroist une retraitte, et non pas une fuitte;
Et chacun, dans sa peur, sa raison conservant,
D'un pas viste et reglé, va tousjours en avant.
Le chef, pour amuser l'ennemy qui le presse,
Dans son quartier ouvert, tout son bagage laisse,
Laisse, deça, delà, ses vivres espanchés,
Et d'armets et d'escus tous les chemins jonchés.
Ainsi quand, par les monts de l'abyssine plage,
La tigresse legere, escumante de rage,
Court apres ses petits, qu'un negre hazardeux
Vient d'enlever, par ruse, à son antre hideux.
Le ravisseur adroit, par des globes de verre,
Que, d'espace en espace, il fait rouler en terre,
Trompant, d'un faux objet, l'animal redouté,
Dans cette illusion, trouve sa seureté.



La peur redouble, enfin, parmy le camp timide;
Tout y fuit desormais, d'une fuitte rapide;
Betford, plein de douleur, de honte, et de courroux,
Fuit aussi bien que tous, mais ne fuit qu'apres tous.
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Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 9
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