PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 10

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE  10 Empty
MessageSujet: Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 10   Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE  10 Icon_minitimeLun 7 Mai - 14:57

LIVRE 10

Mais, parmy ce grand trouble, et ce peril extreme,
Satan, d'une autre peur, est agité luy-mesme,
Et craint que l'habitant, par ce bruit alarmé,
Ne vueille aux fugitifs tenir son mur fermé.
Il y vole, en tremblant, et, pour couvrir sa rage,
Emprunte de Fascot la taille et le visage;
Puis se coule, dans l'ombre, au riche apartement,
Où la fiere Isabeau dormoit profondement.



Il sçait jusqu'à quel point l'inhumaine princesse,
Dans le sort de l'anglois, son amour interesse;
Il sçait que de sa cause elle est le seur appuy,
Et sçait qu'elle ne croit, ni n'espere qu'en luy.
D'un bras impetüeux, et d'une ardeur farouche,
Il tire le rideau de sa superbe couche,
Et desployant la voix, d'un ton affreux et haut,
En ces termes luy parle, et l'esveille en sursaut.
Rompés ce long sommeil, ô miserable reyne;
Ce repos infidelle au sepulchre vous meine;
Charles victorieux, pas à pas, suit Betford,
Et tient le fer levé, pour luy donner la mort.
Une terreur fatale a saisi nostre armée;
De ses rangs confondus la campagne est semée,
Et si, par vostre soin, il n'est pas garanty,
C'est fait, et de Betford, et de tout son party.
Dans un tel accident, si la tremblante ville
Aux drappeaux effrayés refusoit son asyle,
Que serions-nous plus tous que des objets d'horreur,
Sur qui viendroit le traistre assouvir sa fureur?
Mais, sur tous, quels effets d'une insolente rage
N'esprouveroit, sous luy, vostre masle courage?
Du nom de mere, en vain, vous croiriés l'esmouvoir;
La nature, entre vous, a perdu son pouvoir.
Tousjours se represente à sa triste memoire
De son premier danger l'espouventable histoire,
Et les sanglans trespas, qu'en ses plus jeunes ans
Vous fistes endurer à ses chers partisans.



Tousjours s'offre à ses yeux le thrône de la France,
Osté, par vos efforts, mesme à son esperance;
Le sceptre des françois, par luy tant souhaitté,
À ses bruslans desirs, par vos efforts, osté.
Vous luy fustes barbare, il vous sera barbare;
Et des-ja le crüel cent gesnes vous prepare,
À cent maux vous destine, et veut que, dans les fers,
Vous luy faciés raison de ceux qu'il a soufferts.
De ce foudre grondant, dont vous estes la butte,
Ô reyne, il est en vous de destourner la cheute;
Si vous faites, par art, que le bourgeois craintif
Ne ferme point ses murs à l'anglois fugitif.
Le bonheur des françois, l'interest de leur plaire,
Le peuvent revolter, contre leur adversaire;
Contre vous mesme encor, le peuvent revolter,
Pour mieux laver son crime, et mieux se racheter.
Pour peu que l'on le laisse en estat de nous nuire,
Ce jour est le dernier que nos yeux verront luire;
D'une porte, soudain, il nous faut asseurer,
Ou cent honteuses morts, ce jour mesme, endurer.
Sus donc, qu'attendés-vous, sur cette plume oysive?
Un moment davantage, et vous estes captive;
Ce peuple aura connu le malheur de l'anglois,
Et Charles vous mettra sous le joug de ses loix.
À ce mot il acheve, et la comble de crainte;
Puis, revestant sa forme, et despoüillant la feinte,
Par son horrible aspect, luy redouble la peur,
Et, la luy redoublant, luy redouble le coeur.



Il s'envole, et du lit à bas elle se jette;
Elle s'habille en haste, et se monstre inquiëte;
Puis sort, avec grand bruit, de son royal sejour,
D'armes accompagnée, et ceinte de sa cour.
Vers la porte qui joint l'orgueilleuse bastille,
S'avancent lentement, et soldats, et famille;
Chacun, sur leur chemin, cede plein de respect,
Et rien, dans cette pompe, aux regards n'est suspect.
On croit qu'un saint devoir, une sainte visite
À sortir des remparts l'antique reyne invite;
Sa trouppe, à ses deux flancs, marche, en ordre pressé,
Et, sans trouver d'obstacle, arrive au pont baissé.
La moitié des soldats, vers la plaine, desfile,
L'autre moitié demeure, au dedans de la ville;
L'essieu du char alors, sur le milieu du pont,
Comme par accident, sous la princesse rompt.
Autour du char pompeux, tout se range, et fait ferme;
Tandis qu'au proche toit elle passe, et s'enferme;
Et l'habile escuyer, la fraude secondant,
Feint de l'inquiëtude, en ce feint accident.
La porte, par cet art, se tient tousjours ouverte;
La fraude reüssit, sans estre descouverte,
Et Betford, par la reyne, en son trouble, averty,
R'anime, dans son coeur, son espoir amorty.
Tel un sage nocher, qui surpris de l'orage,
Entre mille perils, n'attend que le naufrage,
Et, des vents et des flots vivement poursuyvi,
Les voit à sa rüine obstinés à-l'envy;



À l'aspect du flambeau, que, sur l'onde abboyante,
À ses yeux, tout à coup, un haut phare presente,
Croit des flots et des vents pouvoir donter l'effort,
Et, bien qu'encore en mer, joüit des-ja du port.
Des murs, sur ce temps mesme, on descouvre en la plaine,
L'anglois qui, plein d'effroy, fuit à perte d'haleine;
Il fuit, quoy qu'esloigné du françois qui le suit;
C'est sa peur qui le presse, et son ombre qu'il fuit.
Des rapides coureurs la trouppe commandée,
Va, le trouve, et l'attire à la porte gardée,
Et, par elle soudain, les timides fuyards
Viennent mettre leur crainte, à l'abry des remparts.
La ville s'en remplit, et confuse, et surprise,
Pour disposer de soy, se trouve sans franchise;
Et l'unique party, dont luy reste le choix,
Est d'armer ses quartiers, et se joindre à l'anglois.
Sur le char restably, la princesse montée
Retourne en son palais, de fureur agitée,
Et, contre son fils propre, en ces mots eclatans,
S'en va, de place en place, aigrir les habitans.
Le voicy qui paroist, ce tyran formidable,
Le crime de mon sein, et son fruit detestable;
Le voicy qui s'approche, enflé du vain espoir
De vous voir expirer, sous son lasche pouvoir.
Il vient gros de vengeance, avec l'enchanteresse,
Vous punir de la mort que son ame traistresse,
Parmy tant de trespas moins deus et plus certains,
Manqua de recevoir, par vos vaillantes mains.



Armés-les aujourd'huy de cette belle rage,
Qui vous fit, sur les siens, faire un si grand carnage;
Et poussés, dans le coeur, qu'il vous vient presenter,
Le trait qu'il sceut alors, par la fuite, eviter.
Pour donter son audace, et desfaire ses charmes,
Le magnanime anglois vous vient offrir ses armes;
Par luy vous estes forts, et, s'il combat pour vous,
Il faut que le tyran tombe, enfin, sous vos coups.
L'espouventé bourgeois, par ce ferme langage,
Sent affoiblir sa peur, et croistre son courage,
Et desormais Betford, sur les hauts boulevards,
Refait des bataillons, de ses guerriers espars.
Charles en vain le suit, en vain tasche à l'atteindre,
Il voit perdre sa proye, et ne peut que s'en plaindre;
Seul il s'en tient coupable, et d'un si grand malheur
Souffre impatiemment la sensible douleur.
Ainsi quand des trouppeaux la terreur et la haine,
Un grand loup ravissant est surpris dans la plaine,
Et, loin du bois encor, n'oseroit esperer
D'eschapper à la dent, qui veut le devorer;
Si la peur, à son cours redoublant la vistesse,
Le met en seureté, de la mort qui le presse,
Le chien, dont tous les chiens suyvent la seure voix,
En longs gemissemens change ses fiers abois.
Sur ce temps Amaury, du mespris de la sainte,
Au monarque troublé faisant une aigre plainte;
Elle est, luy repart-il, en droit de mespriser
Ceux qui de leur bonheur sçavent si mal user.



Non, ne nous flatons point; nostre lasche poursuitte,
Fait triompher l'anglois, au milieu de sa fuitte;
D'un jour, pour nostre honneur, nous avons trop vescu,
Ne pas vaincre aujourd'huy, c'est demeurer vaincu.
L'orgueilleux confondu, par la juste response,
La prend pour son arrest, que son roy luy prononce,
Ne luy replique rien; mais deplore son sort,
Et, se croyant perdu, se resout à la mort.
Ah! Trop grande est, dit-il, la douleur qui te presse;
Il faut, par ton trespas, dementir la traistresse,
Il faut que, par ton sang, ton roy desabusé,
Reconnoisse qu'à tort elle t'a mesprisé.
À ce point t'a reduit l'insolente Pucelle,
Que, par ta seule mort, tu te peux venger d'elle;
Va donques t'en venger, en cherchant à mourir,
Et peris seulement, pour la faire perir.
Charles te croit, sans coeur, et consent à ta honte;
N'attens plus que de toy jamais il face conte;
Tu vois, avant ta fin, la fin de ton pouvoir;
Mais, ô! Vrayment sans coeur, si tu la peux bien voir.
Meurs, meurs, puisqu'en credit tu ne sçaurois plus vivre,
Et ton roy, par ta mort, de son charme delivre;
Meurs, et, pour arracher le bandeau de ses yeux,
Va trouver, chés l'anglois, un trespas glorieux.
La sainte, cependant, qui voit, à son espée,
La belle occasion, sans remede, eschapée,
Dissimule sa peine, et, par un trait prudent,
Tire mesme profit du terrible accident.



Par les rangs elle court, et, d'une heureuse addresse,
Dissipe, avec ces mots, la commune tristesse;
Genereux compagnons de mes actes guerriers,
Les cieux, avec grand soin, menagent vos lauriers,
Refusant à l'eclat d'une vertu si pure
L'honneur qu'elle cherchoit, parmy la nuit obscure.
Quand rien n'eust mis d'obstacle, au cours de vos exploits;
Quand vous auriés surpris les trouppes de l'anglois;
Quand vos bras, de leur sang, eussent fait des rivieres;
Quel astre, pour les voir, eust presté ses lumieres?
Quel oeil, dans le combat, eust vos coups demeslés?
La tenebreuse nuit vous eust tous egalés.
Mais, avant que deux fois, pour fournir sa carriere,
L'aurore au char du jour ait ouvert la barriere,
Malgré l'art criminel des tremblans favoris,
Le ciel, et vos efforts, vous mettront dans Paris.
Moderés cette ardeur, reprimés cette flamme,
Qui vos veines embrase, et consume vostre ame,
Et, du nouveau soleil attendant le retour,
Permettés à l'anglois, de vivre encore un jour.
Par ces mots, dans les coeurs, la guerriere surmonte
Du desordre passé le depit et la honte;
Et chacun desormais, dans son sein allumé,
Sent sa peine amortie, et, son trouble calmé.
Mais Charles oppressé d'une douleur mortelle,
Au quartier de Betford, durant ce temps, appelle
Les vieux et sages chefs, qui, par luy consultés,
Eclairoient son esprit, dans ses difficultés.



Dunois et Tanneguy, sur ce moment, arrivent;
Ils entrent chés le prince, et les chefs les y suyvent;
Le silence est profond, et tous, de toutes parts,
Sur les yeux du monarque attachent leurs regards.
Il les regarde tous; puis, d'un grave langage;
À quel point, leur dit-il, est reduit mon courage?
Que l'ennemy me manque, et, me fuyant tousjours,
Arreste mes progres, au plus beau de mon cours.
Betford, en se rendant à mes yeux invisible,
A trouvé le moyen de se rendre invincible;
Pour sa gloire il est lasche, et, par son seul effroy,
Il se peut dire encore aussi libre que moy.
Tout fugitif qu'il est, il est puissant encore;
Il maintient son honneur, lors qu'il se deshonnore;
Je le poursuis sans cesse, et le poursuis en vain;
Sa peur oste tousjours sa despoüille à ma main.
J'estois prest de l'atteindre, et de voir, par sa prise,
Sur le rebelle anglois, la France reconquise;
Lors qu'une vaine crainte, ouvrage des enfers,
Empesche mon soldat, de le mettre en mes fers.
Dans un malheur si grand, que faut-il que je face?
Dois-je, ou suyvre, ou quitter cette inutile chasse?
Amis, conseillés-moy, mais avec liberté,
Et reglés mon esprit, par ce doute, agité.
Dans toute l'assemblée, apres cette ouverture,
Il s'eleve un confus et paisible murmure;
Pareil à ce doux bruit, qu'on entend, quelquesfois,
Troubler innocemment le silence des bois;



Quand l'amoureux Zephire, en se plaignant de Flore,
Fait, de son sein bruslant, mille souspirs eclôre,
Et force les echos des roches d'alentour
À parler, avec luy, de son ardent amour.
Des-ja des moins âgés les raisons eloquentes
Divisoient le conseil, en deux parts differentes,
Soit pour suyvre Betford, soit pour l'abandonner,
Pour redoubler leur course, ou pour la terminer.
Le fameux Tanneguy, non moins vaillant que sage,
Au monarque, en son rang, tient ce masle langage;
Ah! Pourquoy douter, sire, et pourquoy consulter
Un point, dont, sans foiblesse, on ne sçauroit douter?
Quand nous serions sans coeur; quand la seure victoire
Ne nous tenteroit point du plaisir de la gloire;
Quand nous aurions l'esprit insensible à l'honneur,
Devrions-nous negliger les graces du bonheur?
Tant que fuira Betford, la raison de la guerre
Veut que nous le suyvions, jusqu'au bout de la terre;
Et, deust-il, en fuyant, nos foudres eviter,
De cette fuitte, au moins, devons-nous profiter.
Elle combat pour nous, et, plus que nos espées,
Sa peur nous fera voir ses trouppes dissipées;
Pour luy faire, sans nous, endurer le trespas,
Ses craintes, ses frayeurs, deviendront nos soldats.
Nourrissons seulement sa mortelle espouvente,
Par une pronte marche, une poursuitte ardente;
Si nous nous relaschons, il se rassurera,
Et le mal qui le presse, alors, nous pressera.



Poussons donc, sur ses pas, nos armes invincibles;
À luy, plus que jamais, faisons nous voir terribles,
Et, par nostre assurance, entretenant sa peur,
Gardons qu'il ne respire, et ne reprenne coeur.
Nous luy ferons, ainsi, perdre toute creance;
Nous tirerons à nous les peuples de la France,
Et Paris, qu'ont, pour fin, tant de rares exploits,
Nous ouvrira ses murs, et recevra nos loix.
La chose est evidente, et parle d'elle-mesme;
Il n'en peut arriver qu'un avantage extreme;
Quelle ombre de raison y voit-on de douter?
Le temps de vaincre, ô Dieu, se perd à consulter.
Ces mots avoient du roy calmé l'ame troublée,
Et fait, de cet avis, l'avis de l'assemblée;
Quand le vieillard Gillon, par sa crainte emporté,
Demanda qu'à son tour, le sien fust escouté.
Il connoist, de long-temps, la furieuse envie,
Qu'a son cher Amaury d'abandonner la vie,
Et le conte pour mort, si, Charles emouvant,
Il ne rompt le dessein de passer plus avant.
Cette frayeur l'anime, et, conduisant sa langue,
Luy fournit le sujet d'une longue harangue;
Elle joint de l'aigreur à ses bas sentimens,
Et luy dicte ces mots, adroits et vehemens.
Sire, quelque motif, qui, si loin de la Loire,
T'ait fait, contre Betford, poursuivre ta victoire,
Quel qu'en soit le succes, je n'y voy pourtant rien
Qu'un projet courageux, mais contraire à ton bien.



Car, quoy que de Paris l'indigne servitude
Te cause une crüelle et noble inquiëtude;
Quoy que l'espoir flateur d'affranchir ces rempars,
Te face, avec mespris, regarder les hazards;
Quoy que, sur ton bonheur, ta vertu se confie,
Et que l'evenement le conseil justifie;
Par combien de chemins as-tu pû, toutesfois,
Tomber, avec ton camp, sous le joug de l'anglois.
Combien de creux vallons, de bourbeux marescages,
De torrens debordés, et de sombres boscages,
Le rendoient aisement de tes forces vainqueur,
S'il eust pû se resoudre à tesmoigner du coeur?
À quoy mesme, au plus fort de la haute esperance,
De revoir, en ta main, le sceptre de la France,
Ton soldat s'est-il veu, dans la derniere nuit,
Par ta credulité, fatalement reduit?
C'est trop faillir, grand prince, et ces fautes sont telles,
Qu'elles tirent tousjours mille maux apres elles;
Crois-le, et te tiens heureux, que l'aveugle Betford
Ait si mal profité de la faveur du sort.
La volage fortune, à tes voeux indulgente,
N'a, par tant de bienfaits, surpassé ton attente,
Que pour mieux, dans le piege, à la fin, t'engager;
Charles ouvre les yeux, et connois ton danger.
Previens-le. Mais, qui sçait si tu le pourras faire?
N'entens-je pas la fille, ou brave, ou temeraire,
T'assurer hardiment, sur sa douteuse foy,
Que les murs de Paris tomberont devant toy;



Que l'orgueilleux anglois, devenu ta victime,
Presentera sa gorge à ton fer magnanime;
Et que ses bataillons de ta ville chassés
Passeront, sous ta pique, avec honte, baissés.
N'ois-je pas ces heros, ces amans de la gloire,
Par leurs discours enflés, te vouloir faire croire,
Que d'estre encore en doute, et de deliberer,
C'est trahir ta couronne, et la deshonnorer.
Que s'il falloit douter, c'estoit lors que la France
Avoit, dans Bourges seul, renfermé sa puissance,
Ou que, pour Orleans, tant de secours desfaits
Faisoient du mauvais sort craindre tous les effets;
Mais qu'ayant au Berry conservé la franchise,
La captive Sologne en liberté remise,
À trente boulevards le pesant joug levé,
Dans Rheims, triomphamment, ton grand sacre achevé,
Avancé vers Paris ta foudroyante armée,
Et, dans son dernier fort, l'Angleterre enfermée,
Sans plus deliberer, la raison de l'honneur
Oblige ton courage à suyvre ton bonheur.
Que si ce vent subtil se coule dans ton ame,
Si, par son doux effort, il en accroist la flamme,
Enfin, s'il la maistrise; ô combien j'apperçois
De malheurs preparés à l'empire françois!
Car, nous laisser mener aux grands mots de ces braves,
Seroit vouloir du sort vivre et mourir esclaves,
Vouloir tousjours rouler de destin en destin,
Et perdre le repos, pour le chercher sans fin.



Tous tes voeux, à ton sacre, avoient borné ta gloire;
De Betford, apres luy, tu voulus la victoire;
Et voilà que, Betford t'avoüant son vainqueur,
Le desir de Paris succede, dans ton coeur.
Ainsi, sans but certain, l'amour de la conqueste,
Fait courir ton vaisseau de tempeste en tempeste,
Et ces vastes desseins, qu'il te fait concevoir,
Te feront perdre tout, en voulant tout avoir.
Voy l'hyver qui s'approche, et menace la terre;
Juge si c'est un temps favorable à la guerre,
Et, si ton camp lassé, de repos se privant,
Souffrira, sans murmure, et la neige, et le vent.
Songe que c'est par trouble, et non par impuissance,
Qu'on a veu les anglois ceder à ta vaillance,
Et que, quand de ce trouble ils se seront remis,
Tu trouveras en eux de puissans ennemis.
Souviens-toy, sage prince, avant que te resoudre,
Qu'une legere erreur met les estats en poudre,
Et pense que le bien, et que le mal des roys,
Depend, ou de leur bon, ou de leur mauvais choix.
Ton destin t'a porté pres de la double route,
Qui d'Hercule, autresfois, mit la raison en doute,
Où se font les humains heureux, ou malheureux,
Suyvant l'objet plaisant, ou l'objet douloureux.
Pendant qu'il est en toy, prens la moins belle voye,
Qui, par le desplaisir, meine l'homme à la joye;
Et laisse le sentier peint, et semé de fleurs,
Où l'invite le ris, pour le mener aux pleurs.



La vague ambition, qui n'a point de limite,
Offrant l'ombre du bien, dans le mal, precipite,
Sur un char lumineux conduit à la prison,
Et dans un vase d'or fait prendre le poison.
Fuy le bien apparent, et t'attache au solide;
Des hauts murs de Paris fuy l'appast homicide,
Et, dans la profondeur de ses larges fossés,
N'enterre point le fruit de tes travaux passés.
Ne hazarde plus rien, la France t'en conjure,
Par l'eclat de tes faits, par ta grandeur future,
Par l'interest sacré du sceptre que tu tiens,
Par ton propre salut, par le salut des tiens.
À ce mot, vers son fils, il tourne le visage,
Et, de saisissement, n'en dit pas davantage;
Son discours s'arresta, mais ses vives douleurs,
Au defaut du discours, firent parler ses pleurs.
Charles, qui le regarde, et voit couler ses larmes,
Des valeureuses mains se sent tomber les armes,
Et bien que, par un sage et magnanime choix,
Il eust determiné de poursuyvre l'anglois,
Malgré son jugement, et malgré son courage,
Il s'en alloit ceder à ce rusé langage;
Quand la sainte apprenant, avec quel deshonneur,
On conseilloit la fuitte au milieu du bonheur,
Entre, observe le prince, et connoist à sa veuë,
Que les pleurs de Gillon ont sa tendresse emeuë,
Connoist son coeur tenté du doux nom de repos,
S'enflamme de colere, et luy parle en ces mots.



Charles, ah! D'où vous vient ce mouvement estrange,
Qui, d'instant en instant, vous change et vous rechange?
Serés-vous donc tousjours le joüet d'un pipeur?
Attendrés-vous d'agir que Gillon n'ait plus peur?
Je ne veux point icy, pour descouvrir sa ruse,
Pour monstrer de quel art sa crainte vous amuse,
Ravaler la grandeur de mon celeste envoy;
Je ne parle qu'à vous; oyés-moy, croyés-moy.
Le ciel veut que Paris tombe en vostre puissance,
Je n'ay plus que ce bien à donner à la France;
Ses murs vont, sous mes pieds, abbaisser leurs sommets,
Et tenés pour destin ce que je vous promets.
Enfin, quoy que Gillon le juge difficile,
Ou l'ennemy sommé vous rendra vostre ville,
Ou, dans moins de trois jours, si son bras la defend,
J'iray, dans son palais, vous mener triomphant.
Par les pleurs du vieillard, la raison terracée,
Par ces mots vigoureux, est soudain redressée;
Gillon cede à leur force, et les moins resolus
Reverent cet oracle, et ne balancent plus.
Ainsi quand, aux beaux jours, l'humide vent d'Afrique,
Pousse ses tourbillons sur un lac pacifique,
Jusques au fond l'ebransle, et d'un puissant effort,
Roule ses flots bossus, vers l'opposite bord;
Si l'aquilon paroist, à sa seule presence,
De l'orage escumeux cesse la violence;
Le lac perd sa furie, et, sans flots desormais,
Retourne de luy-mesme à sa premiere paix.



Charles sans douter plus, veut tenter l'aventure;
Chacun, du bon succes, non moins que luy, s'assure;
Le lasche Amaury mesme au dessein applaudit,
Et, dans son deshonneur, conserve son credit.
On repaist, et la faim, par la veille, aiguisée,
Sur les vivres anglois, à peine est appaisée,
Que, d'un transport subit, le soldat hors de soy,
Vient en foule, en tumulte, environner le roy.
Il demande qu'on marche, et le prince l'approuve;
Chacun, dans un moment, sous l'enseigne se trouve;
Jusqu'au suyvant matin, l'on devoit reposer;
Mais rien à cette ardeur ne se peut refuser.
Dans la place, aussi-tost, la trompette eclatante,
Sonne pour le depart, et les trouppes contente;
Elles passent, en ordre, aux vrays champs fortunés,
Que l'antique Helicon n'avoit qu'imaginés,
Feignant que, sous Saturne, au siecle d'innocence,
Les hommes et les dieux vivoient sans difference.
C'est l'heureuse contrée, où la paix, et l'amour,
Ont fondé leur empire, et choisi leur sejour.
De monts et de costaux, une inegale chaisne,
Sert de vaste couronne à la royale plaine,
Qui, d'un ciel tousjours pur, borde son horizon,
Et reçoit un soleil propre à chaque saison.
Ses fertiles guerets à l'humaine culture,
Prodiguent, à-l'envy, les biens de la nature,
Et, de tous leurs thresors, composent un thresor,
Qui, dans l'age de fer, rameine l'age d'or.



Quelque part que, sur elle, on estende sa veuë,
D'une riche abondance, on la trouve pourveuë,
Et les tuyaux des bleds, et les seps des raisins,
Se monstrent, en tous lieux, l'un à l'autre voisins;
On voit, sur un fonds vert, les humides prairies,
De cent vives couleurs, pompeusement fleuries,
Et, l'on voit par les plans, sur les sombres sentiers,
Se rompre, ou se courber, les branches des fruitiers.
On voit, en petits bois, les altieres fustayes,
S'elever au dessus des buissons et des hayes,
Et, parmy les taillis, on entend les oyseaux
Accorder leur ramage au murmure des eaux.
Par tout son large sein, cent sources bouillonnantes,
Roulent, sur le gravier, leurs ondes gazoüillantes;
Cent ruisseaux vagabonds y couppent les guerets,
Et joignent leur fraischeur à celle des forests.
Deçà, delà, par tout, mille palais champestres,
Accompagnés d'ormeaux, de tilleuls et de hestres,
Y font, en mesme lieu, des champs et des cités
Voir, avec agrement, les diverses beautés.
En paisibles replis, le cours de plus d'un fleuve
S'y promeine, s'y mesle, et la campagne abbreuve;
Secourant et comblant de cent biens, à la fois,
Le chef imperieux de l'empire françois;
Le populeux Paris, à qui, du Gange au Tage,
Il n'est mur si hautain qui refuse l'hommage;
Rempart, dont la grandeur, seule semblable à soy,
Seule peut contenir la grandeur de son roy;



Et dans qui la faveur des elemens propices
Entretient les plaisirs, les jeux et les delices.
Les yeux, par ces objets, demeurent enchantés;
Les pieds vont, sans effort, par les coeurs emportés;
Paris de plus en plus, et s'accroist, et s'approche;
Chacun, mesme en courant, sa lenteur se reproche;
Ces beaux champs, disent-ils, ont-ils rien de pareil,
En tout ce qu'en sa route eclaire le soleil?
Et devons-nous douter d'exposer nostre vie,
Pour revoir, sous nos loix, cette plaine asservie?
Pour rompre ses liens, precipitons nos pas,
Et monstrons à l'anglois ce que peuvent nos bras.
L'an des-ja vieillissoit, et, de feüilles sechées,
Les prés estoient bordés, et les terres jonchées;
L'esté, devant l'hyver, fuyoit aux chauds climats,
Et, dans l'air refroidy, s'engendroient les frimats.
On voyoit du soleil la lumiere decroistre;
Hors du gouffre de l'onde, il craignoit de paroistre,
Jettoit son rayon pasle, et, moins riche de jour,
En renfermoit l'eclat, dans un plus petit tour.
Tout va, d'un cours ardent, et la sainte animée
Renforce, par son feu, la flamme de l'armée;
Mais, avec desplaisir, elle voit, en marchant,
Le celeste flambeau panché, vers son couchant.
Paris est loin encore, et la nuit est prochaine;
Ils courent, mais, sans fruit; leur diligence est vaine;
La sainte le connoist, et contraint les soldats
De menager leur force, et moderer leurs pas.



Ils vont, mais à regret, avec moins de vistesse,
Et d'un murmure egal condannent sa sagesse;
Elle, que satisfait cette noble chaleur,
De l'espoir du combat console leur douleur.
Puis elle parle au prince, et le prince, par elle,
Soudain, de ses herauts le plus antique appelle;
L'ordre qu'il en reçoit, est d'aller, à l'instant,
Sommer d'ouvrir les murs, l'anglois et l'habitant.
Le favory, qui cherche à se purger du blasme
De traistre conseiller, et de guerrier infame,
Prend cette occasion, comme venant des cieux,
Pour vivre, ou pour mourir, content et glorieux.
Il brusloit, des long-temps, de monstrer à la sainte,
Qu'on l'accusoit, à tort, de bassesse et de crainte,
Et qu'il n'estoit si haute, et si grande action,
Qui ne fust au dessous de son ambition.
Ainsi, le desespoir luy donnant du courage,
Vers Charles il s'avance, et luy tient ce langage;
Pour ranger la cité, sous ta royale loy,
Le heraut, grand monarque, iroit en vain sans moy.
Je sçay ce que peut d'elle obtenir ma presence;
J'entretiens dans ses murs plus d'une intelligence;
Et si, pour la reduire, il faut l'intimider,
Si l'artifice est propre à la persuader,
Permets moy seulement de l'aller reconnestre,
Et je m'ose vanter de t'en rendre le maistre.
Aux voeux du favory, Charles se conformant,
Sur un viste coursier, il s'esloigne au moment,



Et, suyvi du heraut, sous la muraille, arrive,
Que la clarté du jour estoit encore vive.
Aux premiers boulevards, l'un et l'autre arresté,
Le heraut prend l'habit des peuples respecté;
L'or, en bosse, par tout, y reluit sur la soye,
Et l'aiguille, en tous lieux, son addresse y desploye;
Il se couvre le front, d'un precieux bandeau;
Il se charge le dos, d'un superbe manteau;
D'un long tissu d'argent, par le corps il se serre,
Et porte, dans la bouche, ou la paix, ou la guerre.
En ce riche equipage, à lents et graves pas,
Il va, sans le penser, recevoir le trespas.
Telle on voyoit marcher, dans le siecle profane,
Vers l'autel inhumain de la noire Diane,
L'innocente victime, entre les saints bourreaux,
Pour tomber, et mourir, sous les sacrés couteaux.
De fueilles et de fleurs la teste couronnée,
De pourpre revestüe, et de rubans ornée,
Sans craindre, et sans sçavoir la rigueur de son sort,
Contente, et malheureuse, elle alloit à la mort.
À grands cris, en marchant, il appelle la garde;
Par ruse, ou par mespris, à paroistre elle tarde;
Il renforce sa voix, et, d'un grand chastiment,
Hardy sous ses habits, la menace aigrement.
Enfin, criant tousjours, la terrace il aborde;
De soldats et de chefs, alors elle se borde;
Soudain il leur enjoint, de livrer à son roy,
Les murs injustement asservis sous leur loy;



Aux françois promet grace, aux anglois assurance;
Mais, jure que leur mort suyvra leur resistance;
Protestant qu'il n'est point de juste cruauté,
Que n'exerce, sur eux, son monarque irrité.
Betford, qui du françois voit l'ame chancelante,
Qui ne voit pas l'anglois moins remply d'espouvente,
Et qui craint que l'effroy ne contraigne leur coeur
De sousmettre la place à la loy du vainqueur;
Pour obliger leur crainte à demeurer rebelle,
Des mortelles horreurs conçoit la plus mortelle;
L'inspire à Millington, en ce lieu commandant;
Millington à l'anglois parle, d'un ton ardent.
Aux arcs, aux traits, dit-il; que l'on mette par terre
Celuy qui foule aux pieds l'honneur de l'Angleterre;
Perisse l'insolent, sous l'effort de nos bras;
Son audace insensée est digne du trespas.
Repoussons cet outrage, avec d'autres outrages,
Apprenons au françois, à tenter nos courages,
Et que, par cet exemple, il sache, à l'avenir,
Comment nostre courroux sçait l'audace punir.
Satan mesle, à ces mots, son haleine infernale;
La fureur des anglois en devient plus brutale;
Dix traits, en cet instant, lancés sur le heraut,
Volent tous, vers son sein, et pas un ne le faut.
Tous l'atteignent au coeur, et leur pointe execrable
S'y moüille, et s'y rougit, d'un sang inviolable;
Le sacré droit des gens, en ce forfait affreux,
Sent abolir ses loix, et dissoudre ses noeuds.



Par ce noir attentat, la France et l'Angleterre,
Sentent eterniser leur inhumaine guerre;
Et desormais le feu n'en peut estre amorty,
Que par l'accablement du coupable party.
Le meurtrier furieux accourt à la despoüille,
Et, d'un second forfait, indignement se soüille;
Ce corps, de cent espieux, tient le fer occupé;
Cet habit, en cent parts, se trouve dissipé.
Comme si quelque enfant, d'une main indiscrette,
Vient harceler le dogue, en sa rage muëtte;
Quand la chienne des cieux, par ses rayons ardens,
Luy met au sein la flamme, et, le venin aux dents;
L'animal escumeux, quitant l'humide place,
S'elance contre luy, le heurte, le terrace,
Le mord, en mille endroits, impitoyablement,
Et fait mille lambeaux de son habillement.
Amaury plein de trouble, à l'acte parricide,
R'accourt vers le françois, d'une course rapide,
Et, contant son danger et l'angloise fureur,
Remplit tous les esprits de colere et d'horreur.
Charles, d'un feu soudain, s'enflamme le visage,
Et bruslant d'un courroux digne du grand outrage,
Bien que des-ja la nuit ait couvert l'horizon,
Veut, durant la nuit mesme, en tirer la raison.
Ne vengeons plus nos loix, vengeons celles du monde;
Dit-il, en s'escriant, comme un foudre qui gronde;
Que ce crime infernal, commis si laschement,
Sans sa punition, ne demeure un moment.



Contre les violens, usons de violence;
Faisons que leur supplice egale leur offense,
Et, dans leur sein barbare ensanglantant nos mains,
Monstrons-nous aujourd'huy justement inhumains.
Allons, dit Amaury, venger l'atroce injure;
Que l'anglois, sous nos coups, la paye avec usure;
J'applaniray la voye, et, de corps entassés,
Pour monter sur les murs, combleray les fossés.
Tout suit ce mouvement, et le camp redoutable
Va, d'un rapide vol, au boulevard coupable,
Et, de tout son grand poids, tombant sur les dehors,
Les ebransle, les ouvre, et les jonche de morts.
La defense est confuse, et l'attaque est reglée;
Herbert, d'un avant-main, trebuche sous l'anglée,
Et murmure, en mourant, que son cours soit borné,
Par celuy qu'à la mort il avoit destiné.
Glencarne s'efforçoit de retenir sa bande;
Quand, d'un puissant revers, le vient charger Yurande;
L'anglois a, du grand coup, le bras droit emporté;
Sa bande desormais fuit, avec liberté.
Le bras, loin de son corps, sur la sanglante terre,
De sa nerveuse main, l'espée encore serre,
Et, comme si d'Yurande il vouloit se venger,
Vers luy dresse sa pointe, et la semble alonger.
Betford, sur le chemin, qui meine vers la porte,
Avoit dressé, de pieux, une barriere forte;
Pour un second arrest aux estrangers efforts,
Si, trop foibles pour eux, se trouvoient les dehors.



Bien loin devant les siens, la terrible guerriere
Vole seule, et s'avance à la forte barriere;
À cheval elle y donne, et, d'un choq vigoureux,
La renverse, en eclats, sur le terrain poudreux.
Le françois animé, volant apres la sainte,
Pousse le foible anglois, qu'esparpille la crainte;
En un lieu seulement, le vaincu reprend coeur;
Mais c'est pour retomber, sous la loy du vainqueur.
Vitacre, de sa pique à deux mains empoignée,
Tenant Dorthe esloigné, tient la mort esloignée;
Et Dorthe, en le perçant, avec son trait lancé,
Par la pique dardée, est luy-mesme percé.
Le robuste Spenser, et l'agile Gamache,
Chacun la hache au poin, l'un à l'autre s'attache;
De plus d'un ferme coup, chacun se sent blesser;
Mais sous Gamache, enfin, mord l'arene Spenser.
Par tout, sur le vaincu, le vainqueur fait main basse;
Sa colere inhumaine à pas un ne fait grace;
Il suit de son transport l'aveugle mouvement,
Et ne refuse rien à son ressentiment.
En nul temps, la valeur n'a paru si brutale;
À l'exces du forfait le chastiment s'egale;
Le françois fait l'anglois, et, devant l'eternel,
On ne sçait qui des deux est le plus criminel.
Mon heraut, dit le prince, au milieu du carnage,
Reçoy de ma douleur ce premier tesmoignage;
Mon bras, sur la cité, le reste achevera;
Ce qu'on t'a fait souffrir, elle le souffrira.



Satan qui reconnoist, que leur rage effrenée,
Dans tout son vaste enclos, à la ville estonnée;
Et qui voit l'habitant, saisi d'un juste effroy,
Parler de recourir à la grace du roy.
Ah! Dit-il, c'en est fait; ils craignent cette sainte;
Retenons les pourtant, avec une autre crainte;
Ostons leur l'esperance, et faisons que, du roy,
Ils ne conçoivent pas un moins puissant effroy.
Soudain, sur tout le mur, et par toutes les places,
Il en fait, par cent cris, eclater les menaces;
Jure qu'il a pour eux, le courage endurcy,
Et qu'il refusera de les prendre à mercy.
La perte de l'espoir l'audace leur redonne;
Ainsi quand, à l'abord d'une affreuse lionne,
Le timide chasseur croit, en se prosternant,
Destourner de son chef le peril eminent;
Si le fier animal, pour luy moins magnanime,
Vient, les ongles ouverts, en faire sa victime;
Au defaut de l'espoir, la force de la peur,
Pour repousser la mort, luy redonne du coeur.
Cependant Amaury, dans sa furie extreme,
Vomit, sur la cité, blasfeme sur blasfeme,
Et se plaint de ses mains, dont les enormes coups
Luy paroissent encor trop legers et trop doux.
La France jusqu'alors, jusqu'alors l'Angleterre,
N'avoit point fait du feu l'instrument de la guerre,
Et le fer seulement, comme d'un mesme accord,
Leur servoit aux combats à se donner la mort.



L'une et l'autre, avec soin, pour sa plus grande gloire,
Dans les succes heureux, temperoit sa victoire,
Et, sauvant les vaincus, joüissoit du beau fruit,
Que, parmy les dangers, ses faits avoient produit.
Mais le demon veillant, conseillé par sa rage,
Veut mettre, avec le fer, les flammes en usage,
Et, par les noirs effets de leur crüelle ardeur,
D'un desordre si grand accroistre la grandeur.
Il forme ce projet, et, suyvant sa pensée,
Descend, où des enfers l'ombre est la plus pressée,
Plonge deux longs flambeaux, dans les feux eternels,
Puis revient accomplir ses desseins criminels.
Du profond de l'abysme un instant le rameine,
Où le camp, sur l'anglois, execute sa haine,
Où, des siens à la teste, avec plus de terreur,
L'inhumain favory signale sa fureur.
Invisible, il se mesle aux trouppes animées,
Fait voler, par les rangs, ses torches allumées,
Approche d'Amaury les detestables feux,
Et respond, par cette ayde, à ses horribles voeux.
Amaury, s'en armant, court vers les edifices,
Et veut, jusques sur eux, estendre ses supplices;
Les soldats, comme luy, s'arment d'ardens tisons,
Et portent la rüine aux tremblantes maisons.
La nuit, par tant d'eclairs, sent dissiper ses voiles,
Et, devant leur rougeur, voit paslir les estoilles;
Sous le nombre infiny de ces feux eclatans,
Le camp paroist, sans nombre, aux yeux des habitans.



Hors des murs elevés, et devant chaque porte,
Un amas de logis de differente sorte,
Regne, avec moins d'eclat que l'illustre cité,
Et d'un moins digne peuple est en foule habité.
Ces lieux, esloignés d'elle, eussent formé des villes;
Pres d'elle, ils ne sembloient que des bourgades viles;
Que de rustiques toits, construits pour recevoir
L'estranger, que sa gloire attiroit à la voir.
Quand la foudre guerriere eclate sur la France,
Contre ses moindres coups, ils manquent de defense,
Munis de seuls gazons, sans fossés, et sans tours;
L'usage des vieux temps les a nommés fauxbourgs.
Dans celuy que d'enhaut le magnifique Louvre,
Sous luy, vers le couchant, à sa droitte descouvre,
Les superbes vainqueurs, par le demon poussés,
Pour mettre tout en feu, marchent à pas pressés.
Amaury les conduit, et son profane exemple
Leur monstre à n'espargner, edifice, ni temple;
De la voix, de la main, il leur marque les lieux,
Où la flamme s'attache, et penetre, le mieux.
Par les cloisons, d'abord, on la voit se respandre,
De l'une à l'autre, en suitte, aux solives s'esprendre,
Noircir les gros chevrons, les degrés assieger,
Petiller dans la tuille, et les combles ronger.
Enfin, et tout d'un coup, forçant porte et fenestre,
De mille petits feux un grand feu vient à naistre,
Qui, parmy l'air obscur, ses boüillons agitant,
Renouvelle le jour au françois combatant.



L'anglois, saisi de peur, fuit le feu, qui le brusle,
Fuit le fer, qui le blesse, et vainement recule;
À peine est-il du feu, par la fuitte, eschappé,
Que, du fer, à l'instant, il se trouve frappé.
Ainsi lors qu'un vieux cerf, que l'ombre et le silence
Sembloient, sous un taillis, cacher en assurance,
Par plus d'un grand limier à grands abois poussé,
Est, du fort qui le couvre, en la plaine lancé;
L'espouvente le presse, et, quelque part qu'il aille,
L'image de la mort le suit, et le travaille;
Et, si la dent des chiens ne le dechire pas,
Par le fer des chasseurs, il reçoit le trespas.
Dans la terreur commune, un seul plein de constance
Des plus fameux heros egala la vaillance,
Et, pour quelques momens, d'un front audacieux,
Put servir de barriere au camp victorieux.
L'un des chefs hibernois, apres sa course faitte,
Avoit choisi ce lieu, pour derniere retraitte,
Et, dans ses foibles bras, autresfois triomphans,
Au defaut de leur mere, elevoit ses enfans.
Cent lumineux flambeaux tombent sur sa demeure,
Ses petits il regarde, et de tendresse pleure;
Sa valeur se resveille, et ses sens refroidis
Reprennent la chaleur, dont ils brusloient jadis.
Sur sa porte il descend, sous sa cuirasse brille;
Sa pertuisane empoigne, et garde sa famille;
Le françois, pour entrer, fait mille grands efforts;
De la pointe il l'arreste, et le tient au dehors.



Cent tisons, à l'instant, volent contre sa teste,
Encore que, sur luy, fonde, en vain, leur tempeste;
Mais, sous leur vol ardent, et leurs coups redoublés,
Il voit, plein de douleur, ses petits accablés.
Ses bien-aymés enfans, s'embrasent à sa veüe;
Ce n'est pas le françois, c'est ce feu qui le tüe;
Ce feu seul au trespas le porte, avec fureur,
Et seul, pour la clarté, luy donne de l'horreur.
Le barbare destin sa richesse a ravie;
Il ne luy reste plus qu'une imparfaitte vie;
Ce reste l'importune, et luy fait, dans la mort,
Chercher à s'affranchir des injures du sort.
Il veut finir ses jours, et sa rage depite,
Parmy les boutefeux, soudain le precipite;
Dans leur flamme il se darde, et, de quatre grands coups,
En met quatre par terre, et les ebransle tous.
Le vaillant bataillon, devant cette vaillance,
Par force, en plus d'un lieu, trouble son ordonnance;
Amaury s'en irrite, et, d'un bras furieux,
Luy lance un des flambeaux, et l'esteint dans ses yeux.
Le guerrier perd le jour; mais, bien que sans lumiere,
Il ne perd rien pourtant de sa vertu premiere;
Sa sensible douleur ayde à l'encourager,
Et son aveuglement luy cache le danger.
Le visage bruslé, les paupieres bruslantes,
Il court, sans but certain, aux brigades pressantes,
Par tout les fait tomber, sous son terrible choq,
Et semble, sous les traits, un immobile roc.



En cercle, autour de luy, tout le camp se ramasse,
Et renferme sa gloire, en un petit espace;
Un seul homme, sans veüe, occupe tout un camp,
Et ne peut se resoudre à luy ceder le champ.
Comme un fameux taureau, dans la forte estacade,
Enceint de tous costés du cavalier nomade,
Baisse l'horrible corne, et, d'un puissant effort,
Porte, de tous costés, l'espouvente et la mort.
Il sent, par mille dards, et par mille zagayes,
Son invincible corps, ouvert de mille playes;
Mais, pour estre plus foible, il n'est pas moins vaillant,
Et, dans les abois mesme, est tousjours assaillant.
Enfin, sa pertuisane en deux parts eclatée
Abandonne, et trahit sa valeur indontée;
Il sent, à cette fois, approcher son destin,
Et se prepare à faire une heroique fin.
Sur les pieds, il se plante, et, d'un ferme langage;
Venés, tigres, dit-il, achever vostre ouvrage;
Vous ne m'osterés rien, par vostre cruauté;
En m'ostant mes enfans, vous m'avés tout osté.
De fleches et de feux, une effroyable gresle,
Sur luy, de toutes parts, tombe, alors, pesle-mesle;
Il meurt, et de deux morts, par le fer, et le feu;
Comme si, pour l'abbattre, un trespas estoit peu.
Rien de luy ne demeure, et l'insolente flamme
Se permet de passer, jusqu'aux biens de son ame;
Elle consume encore un nom si glorieux,
Et le laisse ignorer aux siecles curieux.



Apres ce grand exemple, il n'est rien qui resiste;
Le combat est infame, et la victoire triste;
L'honneur ne peut souffrir tant de lasches rigueurs;
La peine est aux vaincus, et la honte aux vainqueurs.
Nul n'eschappe à son sort; et tout sexe, et tout âge
Esprouve du françois la fureur et la rage;
Tous y sont, sans pitié, sousmis egalement;
Mais l'anglois s'y voit seul exposé justement.
Hors luy, tout autre endure un injuste martyre;
Le vieillard egorgé, dans les sanglots, expire;
La vefve, sous le coup, perce l'air de ses cris,
Et la soeur, en mourant, plaint ses freres meurtris.
Pendant ce temps la sainte a laissé, loin derriere,
Des ennemis forcés la fragile barriere,
Et, contre un gros de reste employant son effort,
Devant elle le chasse, ou luy donne la mort.
Son coeur l'a, jusqu'au pont, presque seule, conduitte;
La terre icy luy manque, et borne sa poursuitte;
Elle voit les fossés convertis en marais,
Et ne voit sur les murs, que canons, et que grais.
Là, se suspend son ame, et ne sçait que resoudre;
Son bras luy promet bien de mettre tout en poudre,
Et, d'un peril si grand, ses belliqueux esprits,
Par ce qu'il a de beau, sont ardemment espris.
Mais sa raison luy dit, qu'encore qu'elle essuye
Des rocs et des boulets l'espouventable pluye,
Qu'elle aille au pied des murs, qu'elle aille à leur sommet,
En vain, de les garder, seule, elle se promet.



Ainsi, quelques momens, douteuse et balancée,
Elle voit, dans les airs, une flamme elancée,
Parmy des tourbillons tenebreux et roulans,
En ondes, vers le ciel, sortir des toits bruslans;
Et craint que, par le feu, dans l'amour du pillage,
Le françois n'ait souffert quelque insigne dommage.
Comme, quand un nocher, apres mille terreurs,
Voit, aveque le port, la fin de ses erreurs;
S'il avient que le vent contraire à la marée
Du havre descouvert luy defende l'entrée;
Bien qu'il face, sans fruit, mettre la voile bas,
Que, sans fruit, sur la rame, il lasse tous les bras,
Sa barque, toutesfois, par cette resistance,
Se suspend sur le flot, et s'y tient en balance;
Jusqu'à ce que la vague, abandonnant le bord,
En haute mer l'entraisne, et le prive du port.
Ainsi, dans le moment, que la forte guerriere
Alloit, sur le rempart, terminer sa carriere,
Un autre mouvement en son coeur excité
L'esloigne, tout à coup, de la forte cité.
D'une soudaine peur, sa grande ame est atteinte,
Et le courage, en elle, alors, cede à la crainte;
Elle quitte les murs, retourne sur ses pas,
Et voit regner, par tout, la flamme et le trespas.
Par ces tristes objets saintement attendrie,
Du monarque des cieux la clemence elle prie
De moderer des siens la criminelle ardeur,
Et de leurs cruautés oublier la grandeur.



En priant elle pleure, et plus elle s'avance,
Et plus elle les voit aigrir leur violence,
S'abandonner, sans bride, à tout genre de maux,
Assouvir, sans pudeur, leurs appetits brutaux,
Poursuyvre le massacre, au milieu des rüines,
Et porter leur fureur, jusqu'aux choses divines,
Sans qu'en toute sa route, à ses humides yeux
S'offre rien que de noir, d'infame, et d'odieux.
Un desordre si grand, plus que devant, la trouble;
Sa colere s'accroist, sa douleur se redouble;
Elle veut s'escrier; mais son saisissement
Estouffe sa parole, en ce commencement.
Enfin, du puissant noeud, qui la langue luy serre,
Le depit la degage, et, d'un ton de tonnerre;
Cessés, cessés, dit-elle, un si dannable assaut;
C'est trop mal expier le meurtre du heraut.
Le fer, alors, s'arreste, et la flamme s'appaise;
Le feu, de tous costés, n'est plus que de la braise,
Et chacun, revenu de son lasche transport,
Regarde, avec horreur, les restes de la mort;
La guerre forcenée y reconnoist ses crimes,
Le regret suit la faute au coeur des magnanimes.
Amaury seulement, contre l'anglois outré,
Sans estre, ainsi que tous, en luy-mesme rentré,
Fierement aux vaincus toute pitié refuse,
Joüit de sa vengeance, et de son heur abuse.
La fille voit le prince, et rehaussant sa voix;
Ah! Charles, luy dit-elle, ah! Qu'est-ce que je vois?



Ah! La punition est pire que l'injure;
Nous avons violé les droits de la nature,
Et, contre les lieux saints, nos trouppes ont commis
Un forfait souhaitable, en nos seuls ennemis.
Le prince luy respond, ce mal est sans remede;
Mais la raison, enfin, au desordre succede;
Le camp n'est plus crüel, n'en veut plus qu'au butin,
Et peut estre employé, mesme avant le matin.
Les enfers, repart-elle, et leurs noires furies
L'ont rendu l'instrument de tant de barbaries;
Son bras a fait ces maux, non pas sa volonté,
Et son feu, desormais, sera moins emporté.
Que de nuit, toutesfois, il attaque la ville,
Il est trop perilleux, il est trop difficile;
Et jamais des soldats de pillage chargés,
Ne furent sagement au combat engagés.
Non, si nous voulons vaincre, et vaincre en assurance,
Ne commettons qu'au jour le salut de la France;
De ce haut point d'estime il ne faut pas tomber;
Il faut gaigner Paris, et non le derober.
Que, sur ce mesme champ, repose donc l'armée;
Jusques à ce qu'au ciel l'aube soit rallumée;
Nous la verrons, alors, s'elever au rempart,
Avec bien plus de gloire, et bien moins de hazard.
Le prudent Tanneguy loüe un discours si sage,
Et, se tournant au roy, poursuit, en ce langage;
Cependant, avec soin, nous purgerons ces lieux
De tant de sang versé, par nos bras furieux.



En suitte nous irons, aux diverses brigades,
Marquer, par tout le mur, l'ordre des escalades;
Et, vers le seul endroit, pour la breche, arresté,
On verra le canon des l'aurore pointé.
Charles approuve tout, et soudain la trompette
Aux regimens espars commande la retraitte;
Ils consentent à peine au repos ordonné,
Bien que, jusqu'à trois fois, la trompette ait sonné.
La sainte les exhorte à moderer leur flamme;
L'espoir du lendemain met le calme en leur ame;
On distribüe aux uns des arcs et des carquois,
Les autres sont munis de dards et de pavois,
Et l'on porte aux quartiers, pour monter aux courtines,
Des eschelles sans nombre, et des monts de fassines.
En suitte, autour des feux, par la plaine, allumés,
Mangent, deçà, delà, les soldats affamés;
Puis reposent en paix, sous les gardes placées,
Et rendent la vigueur à leurs forces lassées;
Tanneguy, dont les soins ne peuvent sommeiller,
Travaille, et fait, sans cesse, en tous lieux, travailler.
Le camp, devant le jour, la dure terre quitte,
Et l'attaque des murs, à grands cris, sollicite;
Le soldat, de luy-mesme, accourt à son drappeau,
En tumulte s'y range, et ce tumulte est beau.
Par ordre, chaque trouppe à son poste s'avance,
Pour un si noble assaut, resveille sa vaillance,
Prepare du trespas les divers instrumens,
Brusle d'impatience, et conte les momens.



Comme en ce froid climat, qui s'approche de l'Ourse,
Quand on s'appreste à faire une fameuse course,
Et que les pronts chevaux, ardens et deschargés,
Sur une mesme ligne, en ordre sont rangés;
Attendant le signal, ils rongent la barriere,
Forment un lac d'escume, au front de la carriere,
Grattent le champ des pieds, et, comme s'animans,
Font retentir le ciel d'aigus hannissemens.
Ainsi le camp françois, voyant l'heure prochaine,
Qui devoit terminer cette guerre inhumaine,
Aux boulevards captifs se dispose à donner,
Et fait l'air, tout autour, de ses cris resonner.
Vers le sombre orient l'un tourne sa paupiere,
Et haste du desir la tardive lumiere;
L'autre, suyvant le pole, observe, par raison,
Combien l'aube est encor, sous le noir horizon;
Presque tous, du regard, devorent la courtine,
Tous jurent de Paris le sac et la rüine,
Et quelqu'un, du penser prevenant ses exploits,
Mesme avant le combat, triomphe de l'anglois.
Revenir en haut Aller en bas
 
Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 10
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 3
» Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 4
» Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 5
» Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 6
» Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 7

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: