PLUME DE POÉSIES
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 Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 12

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Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE  12 Empty
MessageSujet: Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 12   Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE  12 Icon_minitimeLun 7 Mai - 15:02

LIVRE 12




Lors que Charles, armé de la nouvelle foudre,
Mit du vaste Paris les terraces en poudre,
Et, par tant de hauts faits, et d'actes plus qu'humains,
Fut prest à le tirer des estrangeres mains;
Le prince tenebreux, qu'une telle puissance
Du sort de ses anglois mettoit en desfiance,
Caché dans le milieu d'un tourbillon obscur,
Prit luy-mesme, par tout, la defense du mur.



À l'assaut general de la tremblante ville,
Il rendit, en tous lieux, l'escalade inutile,
Et, lors que la guerriere à la breche monta,
Plus que le fier Talbot il la luy disputa.
De toute sa fureur, et de toute sa rage,
Aydant et protegeant un si brave courage,
Sur son large pavois, il consomma l'effort,
Du javelot fatal qui luy portoit la mort.
Bref, dans le ferme espoir que la vaillante sainte
Mourroit de son dard propre, à la seconde atteinte,
Il en guidoit le vol à son but destiné,
Si l'angelique bras ne l'eust point destourné.
Mais voyant que le coup, d'une fuitte soudaine,
Loin d'elle, par les airs, se va perdre en la plaine,
Renonçant à la force, et recourant à l'art,
Il fait, contre Amaury, voler le bruyant dard.
Vers son flanc il le dresse, et, brisant sa cuirasse,
Le perce d'outre en outre, et l'estend sur la place,
Puis en soldat se change, et va, du mesme pas,
Annoncer à Gillon ce malheureux trespas.
Ton fils n'est plus, dit-il, et la brillante vie,
Par la sorciere, enfin, luy vient d'estre ravie;
Le camp, tesmoin du crime, en a fremy d'horreur.
Et finissant ces mots luy souffle sa fureur.
D'un si funeste avis son ame est accablée,
Ses sens sont confondus, sa raison est troublée;
De douleur il s'enflamme, et, voulant eclater,
Au creux de ses poumons sent sa voix arrester.



Ses pieds, voulant courir, demeurent immobiles;
Ses yeux, voulant pleurer, sont de larmes steriles;
Son front d'un marbre blanc a la froide pasleur,
Et, dans son coeur saisi, se glace la chaleur.
Apres un long silence, il voit qu'on luy rapporte
Son fils, non plus son fils, mais sa despoüille morte;
Voit le dard de la sainte enfoncé dans son flanc,
Et voit de sa blessure encor jalir le sang.
La nature opprimée, à cet affreux spectacle,
D'un violent effort, surmonte tout obstacle,
Et son mal outrageux, par la contrainte, aigry,
Luy fait pousser, alors, un effroyable cry.
Ainsi quand le Vesuve, en ses veines souffreuses,
A conceu, par le vent, des flammes tenebreuses,
Et que de tout son mont l'accablante espaisseur
L'empesche d'exhaler leur fumeuse noirceur;
S'il se joint à ses feux une flamme nouvelle,
Malgré l'enorme poids, son sommet estincelle,
Et, par ses rocs crevés, d'un eclat vehement,
Enfin, donne passage à son embrasement.
Gillon baigne de pleurs son visage farouche;
Sur le corps de son fils il s'elance, et s'abouche;
Müet il le contemple, et, des bras le pressant,
Laisse dire à ses pleurs la douleur qu'il ressent.
Sur l'un de ses genoux, enfin, il se redresse,
Et ces mots douloureux au pasle corps addresse.
Que vois-je, miserable, est-ce toy, mon enfant?
Ainsi, pres de ton roy, te vois-je triomphant?



Ah! Fils, dont la valeur à ton pere inhumaine
Condanne sa vieillesse à cette horrible peine;
Si par moy tu vescus, si ton sang fut le mien,
Comment as-tu, sans moy, disposé de mon bien?
Ta rage à mon bonheur a trop porté d'envie,
Rens moy mon sang, crüel, crüel, rens moy ma vie;
Mais, je nomme crüel celuy qui ne l'est pas;
Je le suis, non pas toy; j'ay causé ton trespas.
Je sçavois le venin dont la fille estoit pleine;
Je sçavois de quels maux te menaçoit sa haine;
Je sçavois à quel point ton courage irrité
Devoit, contre toy-mesme, ayder sa cruauté.
Je devois te garder de ta propre vaillance;
Ton trespas est un mal qu'a fait ma negligence;
La nature et les cieux t'avoient mis sous ma loy,
Et tu vivrois encor, si j'eusse eu soin de toy.
J'ay donné lieu tout seul au monstre sanguinaire,
De faire, contre toy, ce qu'il a voulu faire;
Amaury, je l'avoüe, et ma coupable erreur
Me donne de moy-mesme une trop juste horreur.
Ma mort, dans un instant, effacera mon crime;
La lumiere desplaist à l'esprit qui m'anime;
Il brusle de desir de se rejoindre à toy;
Il s'en va me quitter; attens le, et le reçoy.
Charles, à qui la dure et sensible nouvelle
Venoit d'ouvrir le sein, d'une pointe mortelle,
Sur ce moment arrive, et Gillon l'avisant;
Ta sainte, luy dit-il, te fait ce beau present.



C'est icy l'ennemy qu'a donté sa puissance,
Au lieu du fier tyran, qui t'usurpe la France;
De la traistresse main l'inevitable dard,
Là, comme tu le vois, percé de part en part.
Mais, au moins de son zele, au moins de son courage,
Un si sanglant trespas est un clair tesmoignage;
Non, il n'estoit point lasche, et ce sein mi-party
Donne à la calomnie un trop vray dementy.
Des drappeaux assaillans il est mort à la teste;
Il est mort, des remparts ayant fait la conqueste;
Il est mort, par devant, et mort victorieux;
Auroit-il pû, grand roy, mourir plus glorieux?
Mais, sa mort est ensemble illustre et detestable,
De la haine des tiens c'est l'effet execrable;
Ce que n'a pû l'anglois, par sa valeur, rompu,
Helas! Par trahison, la sorciere l'a pû.
Elle en veut à ta vie, et sa main criminelle
A commencé ton meurtre, en perçant ton fidelle;
Elle va l'achever, espuisant de ton flanc
Tout ce qui s'y contient de magnanime sang.
Charles, le ciel est juste, et punit qui l'offense;
Qui neglige sa grace esprouve sa vengeance;
Il t'avoit descouvert l'abysme, où tu tombois;
Ton sens opiniastre a mesprisé sa voix.
Quelque mal qu'aujourd'huy son courroux te suscite,
Crois-le tousjours moins grand que n'est ton demerite;
Et, parmy les rigueurs du plus aspre tourment,
Souffre, et, sans murmurer, croy souffrir justement.



D'une sorciere, ô dieu, tu t'es fait une idole,
Tu t'es fait une loy de sa vaine parole;
Ta guerre est son ouvrage, et ses magiques faits
T'ont rendu, pour ta perte, ennemy de la paix.
De ton aveuglement tu vois quelle est la suitte;
Tu vois où la traistresse a ta gloire conduitte;
Je la voy, contre toy, venir le bras levé,
Et, par elle, du jour tu vas estre privé.
Grand roy, fay, si tu peux, mentir ma prophetie;
Quant à moy, dont ce fer a la trame accourcie,
De mon fils genereux je suy les nobles pas,
Et le vais avertir de ton proche trespas.
Il acheve ces mots, à voix entrecoupée,
Des ombres de la mort la paupiere occupée;
La force l'abandonne, et son crüel ennuy
Le fait, sur son fils mort, tomber mort, comme luy.
À ce tragique objet, à cette amere plainte,
Charles, d'un trait fatal, sentit son ame atteinte;
D'horreur, en tout son corps, tout son sang se glaça,
Et son poil, sur son front, d'horreur se herissa.
Au trouble, où l'a jetté ce discours lamentable,
Il croit de ce trespas la Pucelle coupable,
Et le dard, qu'Amaury dans le flanc a receu,
Rend la chose apparente à son esprit deceu.
Puis, la premiere erreur attirant la derniere,
Il peut de trahison soupçonner la guerriere;
Il peut s'imaginer que, pour suyvre Betford,
Elle a quitté son prince, et conspiré sa mort.



Le demon l'aveuglant, par sa funeste haleine,
Il conçoit, pour la fille, une subite haine,
Redoute sa fureur, et, pour la destourner,
Fait, par tout, aussi-tost, la retraitte sonner.
Par son ordre, en cent lieux, cent trompettes bruyantes
Rappellent des remparts les trouppes combatantes;
À leur son tout s'arreste, et le son redoublé,
D'un juste estonnement, laisse le camp troublé.
De surprise et d'effroy, les trouppes sont müettes;
Une voix de tonnerre, alors, suit les trompettes;
Trahison, dit la voix, et ce terrible son
À tous serre le coeur, et le change en glaçon.
L'espouventable cry, coup sur coup, se redouble;
L'air, jusqu'au firmament, s'en emeut et s'en trouble;
Les chefs et les soldats des deux partis divers,
D'une frayeur commune, en tombent à l'envers.
Satan, qui suit tousjours sa pointe criminelle,
Voulant des boulevards retirer la Pucelle,
Poussa l'horrible cry, de ses ardens poumons,
Et, par luy, fit trembler les plaines et les monts.
Des temples sourcilleux les tours en chancellerent,
De la vieille cité les murs s'en ebranslerent,
Vers sa source, à grands flots, la Seine en rebroussa,
Et le tertre voysin sa cime en abbaissa.
Par cet ordre estonnant, la guerriere interditte
Du haut de la terrace en bas se precipite,
Renonce à la victoire, et, sans songer à soy,
Va, le fer à la main, au secours de son roy.



Soldats, amis, dit-elle, où donques est le traistre?
Qui de vous le connoist? Qui me le fait connestre?
Charles vit-il encore? Et ces mots finissant
Elle le voit, vers elle, à grands pas, s'avançant.
Elle l'entend qui crie; à moy, lasche, traistresse,
Viens terminer ton sort, sous ma main vengeresse;
Par ce tranchant acier, bien que trop noblement,
Viens de tes trahisons souffrir le chastiment.
À ces mots outrageux, le bras tombe à la sainte;
Une pasleur de mort, sur son visage, est peinte;
Sa raison s'ebloüit, et son coeur abatu
Cherche, en luy, vainement, son antique vertu.
Tel demeure celuy, qu'une foudre soudaine,
En tombant, a frisé du vent de son haleine;
De mouvement privé, privé de sentiment,
Et d'une demy-vie animé seulement.
Charles, qui voit la sainte abbaisser son espée
Bien que d'un noir ombrage il ait l'ame occupée,
Sent son bras valeureux, par sa gloire, forcé,
À retenir le coup, par sa fureur, poussé.
Il luy dit, toutesfois; va-t'en, monstre funeste,
Va, chés les ennemis, faire de la celeste;
Va les perdre à leur tour, et remplir l'univers
Des effets malheureux de tes crimes divers.
Assés a parmy nous regné ton insolence,
Assés ton artifice, assés ta violence;
Va-t'en, et de ma main n'attens point le trespas;
Tu merites cent morts, mais tu ne mourras pas.



Ma colere, en ton sang, ne peut estre assouvie,
Pour ta punition, je te laisse la vie;
Tu souffriras le jour, et, sans voir le tombeau,
Tu seras à toy-mesme un eternel bourreau.
Va, delivre mon camp de ta peste fatale;
Cesse de l'abuser par ta ruse infernale;
Ne couvre plus tes sorts, du sacré nom des cieux,
Et, de ton traistre aspect, ne soüille plus nos yeux.
Des avant que le prince eust finy ce langage,
On vit l'air espaissy former un gros nüage,
Dont le sein tenebreux ne renferme, au dedans,
Que flamboyans eclairs, et que foudres ardens.
Et des-ja du tonnerre on entend le murmure;
Des-ja cent feux brillans percent la nüe obscure;
Et chacun, du tres-haut observant la fureur,
Au monarque l'impute, et blasme son erreur.
La sainte se resveille, et voit Dieu qui s'appreste
À lancer son grand dard sur la royale teste;
À cette horrible veüe, elle tremble et fremit,
Et du fond de son coeur, pour le prince, gemit.
Pour luy, forçant soudain la douleur qui l'oppresse,
Au seigneur des seigneurs ce discours elle addresse;
Clemence inepuisable, ocean de bonté,
Doux juge, qui connois l'humaine infirmité,
Qui previens le pecheur par ta grace excessive,
Et qui veux, non sa mort, mais qu'il change, et qu'il vive;
Pardonne au jeune roy le mal qu'il a commis,
Et garde ton courroux, pour tes seuls ennemis.



Il a failly, grand dieu, mais sa faute est legere;
Il n'a fait que bannir une simple bergere,
Et son transport aveugle, eclatant contre moy,
N'a pas creu que le coup en rejalist sur toy.
Ne fais point avorter le fruit de ta victoire;
Si ce n'est pas pour luy, que ce soit pour ta gloire;
J'ay promis de ma guerre un bon evenement;
Je l'ay fait en ton nom, et par ton mandement.
Ne donne point matiere aux peuples de la France,
De croire tes arrests sujets à l'inconstance,
Et ne la donne point aux orgueilleux anglois,
De te croire impuissant à maintenir tes loix.
La sainte, de souspirs, anime ce langage,
Et d'un ruisseau de pleurs arrose son visage;
Mais le ciel tousjours gronde, et, par les vastes airs,
Tousjours, de plus en plus, fait voler ses eclairs.
Ainsi quand, sous le coup d'une rouge tempeste,
Quelque royal palais sent allumer son faiste,
Et que le feu rongeant, de toutes parts semé,
En fait voir l'edifice à-demy consumé;
L'eau, que, pour amortir la flamme qui l'embrase,
Cent secourables mains versent de plus d'un vase,
Souvent, loin d'affoiblir sa devorante ardeur,
Du grand embrasement redouble la grandeur,
La fille continüe; ah! Ta colere ardente,
Plus je croy l'adoucir, plus se rend vehemente;
Ton puissant bras se leve, et, devenu moins doux,
S'en va, sur le monarque, appesantir ses coups.



À ton ire, ô seigneur, pour vengeance, suffise
Que nous ayons perdu la muraille conquise,
Et que, par nostre erreur, ou par nostre forfait,
Ton miracle achevé demeure sans effet.
Ne fay point ressentir au chef du grand coupable,
De ton foudre allumé la pointe inevitable;
Songe que ton honneur à son salut est joint,
Et qu'enfin cette teste est celle de ton oint.
Sur l'endroit le plus haut de la voute azurée,
Brille, entre mille feux, une nüe eclairée,
Affreux lit de justice, où, ranimant les corps,
Dieu s'en viendra juger les vivans et les morts.
C'est là mesme qu'il sied, quand d'insignes offenses,
Sur les coeurs endurcis, attirent ses vengeances;
Et de là mesme encor, qu'il lance, avec horreur,
Les formidables traits de sa juste fureur.
Au son injurieux de la voix criminelle,
Qui fit l'indigne outrage à la Sainte Pucelle,
Embrasé de courroux, sur la nüe, il monta,
Et son foudre enflammé vers le prince jetta;
Mais elle, au coup mortel opposant sa requeste,
Au milieu de la cheute arresta la tempeste;
Et, le courroux divin par son zele forcé,
R'appella dans les cieux le tonnerre lancé.
Soit, dit le tout-puissant, je t'accorde qu'il vive,
Mais puis que de ton bras de-luy-mesme il se prive,
Qu'avec honte et mespris il t'esloigne de soy,
Que de trahison mesme il accuse ta foy;



Pour chastier l'ingrat, et je veux, et j'ordonne
Qu'à son sens reprouvé ta vertu l'abandonne,
Que l'enfer, contre luy, puisse tout, fors la mort;
Que, pour se relever, il face un vain effort;
Que, malgré l'apparence, à la fraude secrette
Il esprouve tousjours sa fortune sujette,
Et que plus il croira donter ses ennemis,
Plus il soit prest de vivre à leurs ordres sousmis.
Par la bouche des vents, et la voix du tonnerre,
Dans sa sainte fureur, Dieu s'explique à la terre;
Le camp, contre son roy, le connoist irrité;
Mais la seule Pucelle entend sa volonté.
Les cieux, qui dans leur cours, comme elle, l'entendirent,
À son ordre immuable, en tremblant, applaudirent;
Le destin recueillit le decret souverain,
Et soudain le grava, sur l'eternel airain.
La fille, sans remede, à partir obligée,
En tristesse profonde amerement plongée,
Les yeux enflés de pleurs, et le coeur de sanglots,
Part, au temps que le jour s'esteignoit dans les flots.
Rodolfe degagé du milieu de la fange,
Seul, tout blessé qu'il est, aupres d'elle se range;
Et, l'esprit combatu de mille maux pressans,
Sur ses pas desolés, marche à pas languissans.
Mais le camp des françois, qui n'agit que par elle,
Et qui, pour sa valeur, brusle d'un noble zele,
Ne la vit pas plustost, par le prince, chasser,
Qu'au milieu de sa flamme il se sentit glacer;



Puis, pesant à loysir la grandeur de l'injure,
Contre luy, de courroux, il s'enflamme et murmure;
Et dit, que cet outrage, ayant perdu Paris,
De leurs fameux exploits leur derobe le prix.
Oyant gronder aux cieux la foudre espouventable,
Il la croit voir tomber, sur le chef du coupable,
Et, bien qu'il n'ait au crime en rien participé,
Dans sa punition, craint d'estre enveloppé.
La tenebreuse nuit, qui l'univers embrasse,
Des sentimens mutins favorise l'audace,
Et, d'un trouble si grand, le demon satisfait,
Pour l'anglois, jusqu'au bout, en veut pousser l'effet.
Il se mesle aux soldats, et, d'un aspre langage,
À secoüer le joug excite leur courage,
Et, pour mieux reüssir, du fier arragonnois
Il prend la ressemblance, et contrefait la voix.
Qu'attendons-nous, dit-il, au danger où nous sommes,
François, non pas françois, mais les moindres des hommes?
Qu'attendons-nous encor? Que le bras tout-puissant
Avec le criminel ecrase l'innocent?
Sur nous, comme sur luy, va tomber sa tempeste;
Mais, deust-elle en tombant, espargner nostre teste,
Pourrions-nous consentir à suyvre l'inhumain,
Qui vient de nous priver de l'heroique main?
De cette main celeste, à qui la triste France
Alloit ce mesme jour devoir sa delivrance,
Et qui, par la vertu, nous menant à l'honneur,
Couronnoit nos exploits du supreme bonheur.



Pourrions-nous bien songer à servir le barbare,
Qui pareil traittement à chacun nous prepare,
Qui ne voit rien d'aymable, à l'egal des flateurs,
Et qui n'est ennemy que de ses bienfacteurs?
Pour peu que desormais on tarde à se resoudre,
Les cieux, aveque luy, nous reduiront en poudre,
Fuyons, fuyons, soldats, et destournons de nous
L'ingratitude humaine, et le divin courroux.
Parmy ces mots ardens, qu'en cent lieux il redouble,
Il leur souffle l'esprit de revolte et de trouble,
Deçà, delà s'elance, et, courant devant eux,
Par force, apres ses pas, traisne leurs pas douteux.
Mais, plus que le demon, la guerriere bannie,
Avec tant d'injustice, et tant d'ignominie,
Les trouble, les revolte, et contraint leurs esprits
D'abandonner le prince, avec rage et mespris.
Chacun part, et partant, contre luy, s'entr'anime;
La nuit, tousjours plus noire, ayde à couvrir leur crime,
Et, pour les ramener au chemin du devoir,
Leurs chefs joignent, en vain, l'artifice au pouvoir.
Villandrade, Archambauld, Rieux, Coulouces, Vignoles,
En vain, à les flatter, consomment leurs paroles,
En vain, pour les forcer, ont les armes au poin;
Leur rage est plus puissante, et les emporte au loin.
Ainsi quand le pilote est frappé du tonnerre,
Si le vaisseau qui roule, et, par les vagues erre,
Monstrant aux aquilons, ou la pouppe, ou le flanc,
Heurte de tout son poids, sur la creste d'un banc;



Du choq impetüeux la haute masse tremble,
Et de son vaste corps les membres desassemble;
Les matelots, en vain, espars de tous costés,
Taschent d'en retenir les morceaux eclatés;
L'impitoyable vent, joint à l'onde barbare,
Malgré tous leurs efforts, par force les separe,
Et, sur les flots chenus, en differens climats,
Par l'immense ocean, disperse ses eclats.
Charles, bien que son camp au besoin l'abandonne,
Bien que, sans fin, le ciel, sur luy, tonne et retonne,
Contre le ciel s'obstine, et, plustost que partir,
À tomber, sous l'anglois, peut mesme consentir.
Qu'ils partent, dit le prince, et que la France voye
Si Betford, par leur fuitte, enfin m'a veu sa proye;
Je n'en suis point en peine, et n'ay que du mespris,
Pour le foible secours de ces lasches esprits.
C'est assés de mon bras, assés de mon courage,
Pour obliger ma ville à me rendre humble hommage;
Je veux seul, sur ces murs, monter victorieux,
Et, s'il m'y faut mourir, j'y mourray glorieux.
Barbazan, qui survient, parle en la mesme sorte,
Et, par son propre exemple, à se perdre l'exhorte;
Tanneguy veut qu'il parte, et, d'un ton vehement,
Saintrailles, comme luy, presse son partement.
Charles, opiniastre, à leurs conseils resiste;
L'ame des deux guerriers en est confuse et triste;
Ils rechargent pourtant, mais c'est tousjours en vain;
Pour ceder, ou flechir, son coeur est trop hautain.



Enfin, cent autres chefs accourent, hors d'haleine,
L'avertir qu'ils ont pris une inutile peine,
Que tout s'est dissipé, qu'il n'a plus de soldats,
Et qu'il voit, en eux seuls, tout ce qu'il a de bras.
Puis chacun, d'une voix, à partir le convie,
S'il ayme son honneur, s'il veut sauver sa vie;
Luy monstre l'anglois proche, et dit qu'en ce malheur
Il faut, pour son salut, oublier sa valeur.
Tanneguy l'envisage, et, craignant sa response,
Avec authorité, cet arrest luy prononce;
Il le faut, luy dit-il; il y va de ton bien;
Pour ce coup, ton pouvoir reconnoistra le mien.
Puis il luy prend la bride, et la trouppe fidelle
Autour de luy s'amasse, et l'entraisne avec elle;
Ainsi, pour son salut, Charles violenté
Malgré luy, par les siens, est mis en seureté.
Le soldat cependant, à la faveur de l'ombre,
S'escarte, se desbande, et ne fait plus de nombre;
Des remparts il s'esloigne, et, desormais sans bruit,
Tire, à pas incertains, où le sort le conduit.
Les uns passent la Marne, et les autres la Seine;
L'Oise, dans tout son cours, en voit sa rive pleine;
Le camp, qui n'est plus camp, deserteur de son roy,
Par tout, porte sa honte, et son manque de foy.
Ce fut, alors qu'enflé d'une arrogante gloire,
Le prince des enfers celebra sa victoire,
Et qu'ayant un succes conforme à son desir
Il fut, dans ses tourmens, capable de plaisir.



Toy seul, ô Barbazan, vaillant ou temeraire,
Ne pus monstrer le dos à l'heureux adversaire,
Et, bien que ton dessein eust un funeste effet,
Tu rendis du demon le triomphe imparfait.
Tu gardas, seul, ton poste, et, contre l'Angleterre,
Tu creus suffire seul, pour achever la guerre,
Fus seul toute l'armée, et, d'un esprit vainqueur,
Vis l'immense Paris plus petit que ton coeur.
Ainsi quand, sur un mont de la romaine terre,
L'immortelle famille, au maistre du tonnerre,
Par crainte, ou par devoir, ceda l'auguste lieu
Destiné pour demeure à ce supreme dieu;
Entre les moindres dieux, l'inebranslable terme
Seul, contre Jupiter, osa bien tenir ferme,
Et, sans que de sa place on le pust deloger,
Avec le roy des cieux, son temple partager.
Cependant la Pucelle en ses larmes plongée,
Languissante de corps, d'ame decouragée,
Traisne ses pas confus, dans les champs obscurcis,
Et, par ces tristes mots, esvente ses soucis.
Falloit-il donc, seigneur, pour ma seule vengeance,
Retenir, dans les fers, la miserable France?
Falloit-il que ses maux vissent ton saint arrest
Manquer de fermeté, pour mon seul interest?
Falloit-il qu'une simple et vile creature,
Pour n'avoir enduré qu'une legere injure,
Quand les usurpateurs s'en alloient desconfits,
Attirast ton courroux, sur l'aisné de tes fils?



Mais c'est trop presumer, de croire que sa teste
Pour mon seul interest, attire ta tempeste;
Devant tes saints regards mon interest n'est rien;
Si ton ire s'emeut, ce n'est que pour le tien.
Par l'equitable exces de ce rude supplice,
À toy, non pas à moy, tu veux faire justice;
Aussi, dans les effets de ton aspre courroux,
Je ne t'ose prier de te monstrer plus doux.
Si toutesfois, Seigneur, ce courroux si terrible
Ne croyoit point du roy l'offense irremissible;
Si, par mes humbles voeux, il pouvoit s'allentir;
S'il se pouvoit calmer, par un vray repentir;
J'offre de ramener, ô majesté clemente,
À ton sacré troupeau cette brebis errante,
Et luy faire adoucir ton ardente fureur,
Par un amendement egal à son erreur.
Alors, parmy le bruit des foudres enflammées,
Elle entend eclater ses voix accoustumées;
Voix douces autresfois, mais qui sont maintenant,
Par leur severité, dignes du dieu tonnant.
Elle reprend; ô voix, ô mes celestes guides,
Les ordres de là haut sont-ils donc si rigides?
Quoy! Me commandés-vous d'oublier mon envoy,
Et, dans l'aveuglement, laisser perir mon roy?
Doit-il, par cent combats, avoir vaincu l'orage,
Pour venir faire au port un si triste naufrage?
Par ma priere, au moins, ne peut-il eviter
Le foudre que, sur luy, je voy prest d'eclater?



Je cede, ô tout-puissant, ta volonté soit faitte;
Rens la foible bergere à sa foible houlette;
Je te rens ce harnois, bien que non sans regret,
Et, malgré mon desir, j'observe ton decret.
Où du vaste Paris se rapproche la Seine,
S'eleve vers les cieux, au milieu de la plaine,
Des temples renommés le temple le plus beau,
À l'apostre françois erigé pour tombeau.
C'est l'edifice saint, qui par son prestre, donne
Au front des nouveaux roys la royale couronne;
C'est luy, qui les reçoit, quand leurs illustres jours,
Par l'eternelle nuit, sentent borner leur cours.
Là, s'honnore le saint, qu'on invoque aux batailles;
Là, cent drappeaux conquis sont pendus aux murailles,
Et, par tout le dedans, ne laissent aucuns lieux,
Qu'ombragés des tesmoins d'un combat glorieux.
Pres la maison sacrée, et, sous sa haute masse,
Un nombre de maisons en cité se ramasse,
Qui, ceinte d'un bas mur, et d'un marais bourbeux,
De l'apostre françois porte le nom fameux.
Le long du court chemin de l'une à l'autre ville,
Sept obelisques droits font une droitte file,
Et, d'un espace egal, l'un de l'autre distans,
À l'oeil des voyageurs s'offrent, de temps en temps.
Là, si le bruit commun peut tenir lieu d'histoire,
Furent les reposoirs du martyr plein de gloire,
Quand son chef abatu, par des bras inhumains,
Fut porté, dans la tombe, avec ses propres mains.



Sous le dernier de tous, en achevant sa plainte,
Vers les murs du martyr, se rencontre la sainte,
Et, tout proche, descouvre un vieux chesne étesté,
Pour faire ombre au portail, autresfois là planté.
Aux flammes des eclairs, dont l'horreur continue,
Elle apperçoit le tronc, avec sa teste nüe,
Et sans deliberer, luy consigne, aussi-tost,
De son noble harnois le precieux depost.
D'une tremblante main, elle se le detache;
Sous son grand corselet, le corps de l'arbre cache;
Pend ses deux grands braçards, d'un et d'autre costé,
Et tient son grand pavois, sur le dos, rejetté.
Puis, du brillant armet, qu'appesantit sa creste,
Le tronc enorgueilly se sent charger la teste,
Et reçoit sur le tout, en escharpe pendant,
Le terrible fardeau du coutelas ardent;
Enfin du grand poignard, que de pleurs elle lave,
Sur l'escorce du tronc, ces termes elle grave;
La mourante Pucelle, apres son vain assaut,
Consacre ce trophée à l'honneur du tres-haut.
Au pied du saint trophée alors elle s'incline,
Et parle, en cette sorte, à l'essence divine;
J'adore, ô tout-puissant, la rigueur de ta loy,
Et laisse à ta justice ordonner de mon roy.
Pour son bien desormais, je n'ay plus que des larmes;
Je depose ma force, en deposant ces armes;



Mon bras n'est plus ton bras, et ma tonnante voix
Ne fera plus fremir les rebelles anglois.
Si pour te satisfaire, il en faut davantage,
S'il faut, avec mon sang, reparer ton outrage,
S'il ne peut s'expier que par mon seul trespas,
Vienne encore la mort, je ne la fuiray pas.
Mais, si de mes travaux tu me dois recompense,
Si j'ay droit d'esperer en ta sainte clemence;
Puis qu'il m'est defendu, par tes severes loix,
D'employer cette espée, et porter ce harnois;
Vueille du moins, Seigneur, que ces armes fatales
Soient l'eternel effroy des armes infernales,
Que, par leur seul effort, l'anglois soit abbatu,
Et que le françois vainque, en leur seule vertu.
Elle acheve ces mots, et le ciel, qui l'exauce,
Soudain, mais lentement, s'eclaircit et se hausse,
Murmure sans fureur, enfin, calme son bruit,
Et rend, au lieu d'eclairs, les astres à la nuit.
En suitte, vers l'endroit, d'où se leve l'aurore,
Le bleu du firmament, de rouge se colore,
Et forme un court soleil, dont le front radieux
Lance un trait de clarté, sur le tronc glorieux.
Sous le brillant eclat de ces flammes heureuses,
Les armes, tout à coup, deviennent lumineuses;
Devant leurs rayons d'or, l'ombre fuit à l'entour,
Et ce lieu, desormais, ne connoist que le jour.
Que je meure à present, dit alors la guerriere,
Sans peine et sans regret, je perdray la lumiere;



Je revere ta loy, je benis ta bonté;
Soit faite en moy, Seigneur, ta sainte volonté.
Là, s'arrestent ses pleurs, et là, sa plainte cesse;
Le miracle evident amoindrit sa tristesse;
Bien que l'air soit obscur, à l'instant elle part,
Et remet sa conduitte à celle du hazard.
À la France, à son prince, à soy-mesme ravie,
Elle marche, à pas lents, de son frere suyvie;
Sans rien dire, elle va, le coeur plein de soucy,
Et son frere affligé va, sans rien dire, aussy.
Le demon, dont la rage à la perdre obstinée
De la terre et des cieux la voit abandonnée,
Fait, sur sa vie, encore un dannable dessein,
Et croit, plus que jamais, ne le pas faire en vain.
Il l'observe, il la suit, il vole sur sa teste;
Avec elle il s'avance, avec elle il s'arreste,
Et, sans la quitter plus, n'attend plus que le temps
D'accomplir son projet, et voir ses voeux contens.
C'est ainsi qu'un vautour, amoureux du carnage,
De deux camps ennemis observant le passage,
Quitte le coupeau vert d'un pin desmesuré,
Où long-temps, sans pasture, il estoit demeuré;
Suspendu, dans les airs, sur l'une et l'autre armée,
Il les suit nuit et jour, d'une rage animée,
Brusle, s'impatiente, et famelique attend,
Du massacre preveu l'espouventable instant.
À ses voeux criminels la fortune propice
Poussant la fille errante au dernier precipice,



D'un insensible cours, la meine au bois obscur,
Qui du royal Compiegne environne le mur.
Une vaste forest, en ce coin de la France,
Sous ses rameaux touffus, cache une terre immense,
Où l'oeil de l'univers, du plus haut de son tour,
N'a jamais fait passer la lumiere du jour.
Ses gros troncs chevelus, en grandeur admirables,
Ne semblent pas des ifs, des faux, ni des erables,
Mais de nouveaux geans, qui, contraires aux vieux,
Opposent leurs grands bras à la cheute des cieux.
Sous leur fueillage espais, des racines bossües
Rampent de tous costés, dans les routes moussües,
Et, non moins par leurs noeuds, que par leur dureté,
Remplissent le chemin d'horreur et d'aspreté.
Le fonds est inegal, et, d'espace en espace,
Un vallon tournoyant, une colline basse,
De sourcilleux rochers, et d'escumeux torrens,
Y repaissent les yeux d'objets tout differens.
Avec les vistes cerfs, les sangliers solitaires
Ont tousjours, dans ces forts, leurs tranquilles repaires,
Et les chevreuls legers, sous leur sombre espaisseur,
Lors qu'ils sont poursuyvis, se moquent du chasseur.
En ce noble desert la Pucelle arrivée,
Et, sur le firmament, par son zele, elevée,
Prend à desdain la terre, et pour s'en detacher
Dans le plus creux du bois, resout de se cacher.
Icy, dit-elle alors, ta carriere est finie;
Affranchis-toy du monde, et de sa tyrannie;



Desormais le suyvant, tu ne peux que perir,
Tu vescus autresfois, tu n'as plus qu'à mourir.
Du reste de tes jours fais un saint sacrifice
Au pied des saints autels du soleil de justice,
Et, ne t'arrestant plus qu'aux merveilles des cieux,
Pour nul objet mortel, ne laisse ouvrir tes yeux.
Mets ton bonheur unique, et ton unique gloire,
À pouvoir, sous ces rocs, enterrer ta memoire,
Et n'apprehende point l'horreur de ce sejour,
Puis qu'un autre pareil fut ton premier amour.
L'innocente retraitte est la plus seure voye,
Pour faire arriver l'homme a l'eternelle joye;
Tu commenças par elle à vivre heureusement,
Fay respondre ta fin à ton commencement.
Acheve icy ta vie, en priant pour la France,
Et, du moins par tes voeux, ayde à sa delivrance.
Là s'arreste la sainte, et, ferme en ce propos,
À son coeur agité donne quelque repos.
Loin du commerce humain, sa course vagabonde
L'engage tousjours plus, dans la forest profonde,
Et luy descouvre, enfin, apres mille destours,
Un lieu propre à servir de sepulchre à ses jours.
Entre vingt bas rochers, une orgueilleuse roche,
Par les plaines de l'air, des estoilles s'approche,
Et regarde, à son pied, les sommets inegaux
Des chesnes les plus grands, et des pins les plus hauts.
La figure en estonne, et paroist monstrueuse;
Sa cime represente une teste hideuse,



Le reste un corps hideux, qui de foudres chargé
Represente un tiphée, en montagne changé.
Au feu de mille estés, une mousse sechée
Se voit en mille endroits, sur son dos attachée;
En mille autres, son dos, de mousse desarmé,
Brusle, sous les rayons du soleil enflammé.
Un ruisseau tortüeux, coulant d'un doux murmure,
Fait, autour de sa base, une molle ceinture,
Offrant aux animaux de la terre et de l'air,
Dans leur soif embrasée, un crystal frais et clair.
Vers le hautain coupeau de l'effroyable masse
Le roc, en plus d'un lieu, s'entrouvre et se crevasse,
Et d'un art naturel, sans maillets ni cizeaux,
Forme d'affreux palais aux princes des oyseaux.
Au creux le plus estroit, et le moins accessible,
La sainte va choisir sa demeure terrible,
Tombeau, non pas demeure, où, sur le nud rocher,
Malaisement encor peut-elle se coucher.
Là, des pechés d'autruy faisant la penitence,
Elle prie, elle pleure, en faveur de la France;
Et son aride bouche, en conjurant les cieux,
S'humecte des torrens, qui roulent de ses yeux.
Rodolfe, compagnon de sa triste aventure,
Des chesnes d'alentour, tire leur nourriture;
Le gland repaist leur corps, mais, dans un tel malheur,
Leur corps, plus que de gland, se repaist de douleur.
En cette austere vie, et cette humble priere,
Une lune commence, et finit sa carriere,



Leur force diminüe, et leurs pieds desormais,
À peine, de leurs corps peuvent porter le faix.
Satan, dont la profonde et veillante malice,
Pour les exterminer, voit le moment propice,
Contre eux, plus que jamais, sa fureur animant,
Vers le fier bourguignon vole soudainement.
Au prince belliqueux la pensée il inspire,
De sousmettre Compiegne aux loix de son empire,
Et le luy monstre aisé, luy faisant voir ses tours,
Du costé des françois, hors d'espoir de secours.
Philippes se resveille, et ses trouppes ramasse;
Il propose la prise, et le sac de la place,
Et fait, dans ce projet, entrer egalement
Le courageux picard, et le nombreux flamand.
L'une et l'autre province, à la gloire invitée,
Marche, sous ses drappeaux, vers la ville indontée;
Et Ligny, de son roy l'ennemy le plus grand,
Sous le rebelle duc, l'attaque en entreprend.
À travers la forest, sa guerriere puissance,
D'un formidable pas, vers la ville s'avance;
Au bruit de ses clairons, par l'echo, redoublé,
Du paisible desert le silence est troublé.
La fille, sur le roc, dans son antre, couchée,
Des objets de la terre est si fort detachée,
Est si fort attachée à l'objet qu'elle suit,
Qu'au milieu du tumulte elle ignore le bruit.
Rodolfe l'entend seul, et, dans la sage crainte
Du peril que couroit la pudeur de la sainte,



Prend sa course vers elle, et la presse ardemment
D'abandonner ce lieu, dans le mesme moment.
Ton honneur, luy dit-il, je ne dis pas ta vie,
À quitter ce sejour ta prudence convie;
Les crüels partisans de l'infidelle anglois,
Pour te prendre, et te perdre, occupent tout ce bois.
Ils viennent d'une armée assieger nos retraittes;
Escoute leurs tambours, escoute leurs trompettes;
Elle entend les tambours, les trompettes entend,
Craint la rage ennemie, et part au mesme instant.
Ainsi lors que le cerf, sous l'espaisse ramée,
Evite des longs jours la chaleur enflammée,
Et, du fort le plus sombre habitant l'espaisseur,
N'apprehende rien moins, que l'assaut du chasseur;
Si de cors et d'abois la musique terrible
Vient troubler, tout à coup, sa retraitte paisible,
Il fuit, à bonds legers, par des fonds tournoyans,
Le son des cors aigus, et des chiens aboyans.
À la faveur du bois, Rodolfe, qui la guide,
La sauve des liens du bourguignon perfide,
Et, d'un pas assuré, par ces destours errant,
Vers la nuit, dans Compiegne, avec elle, se rend.
Là, triste, elle choisit une sainte demeure,
Où, comme en sa caverne, elle souspire et pleure;
L'habitant effrayé reprend un nouveau coeur,
Et ne craint plus de voir le bourguignon vainqueur.
Il s'estime trop fort, pour garder ses murailles,
D'avoir le bras fameux du grand dieu des batailles;



Et rend graces au ciel, du merveilleux secours,
Dont il vient soustenir ses chancelantes tours.
De la mer d'orient, l'aube à peine est sortie,
Que de vingt escadrons la place est investie;
À peine du soleil le mur est eclairé,
Que de vingt bataillons il se trouve serré.
Ligny prend ses quartiers, et plein de violence,
Des la premiere nuit, ses approches commence,
D'un feu continüel, les defenses abat,
Fait breche à la muraille, et s'appreste au combat.
Le peuple espouventé recourt à la Pucelle,
Par cent cris douloureux, à son ayde l'appelle,
L'en conjure à genoux, luy monstre son danger;
Mais aucune raison ne l'y peut obliger.
Mes succes, leur dit-elle, ont leur borne trouvée;
Le vouloir du tres-haut m'a de force privée;
Vous me croyés en vain propre à vous secourir,
Je ne suis plus que fille, et ne puis que mourir.
Du royaume des cieux l'invincible milice
Qu'à mes voeux, autresfois, j'esprouvay si propice,
Par l'ordre du seigneur, aigry contre le roy,
Sans espoir de retour, s'est derobée à moy.
Des divins jugemens les claires interpretes,
Mes voix, mes saintes voix, desormais sont müettes;
Cet obstiné silence, et ce delaissement,
Esteignent, dans mon sein, tout guerrier mouvement.
Je crains l'ire de Dieu, je crains la perfidie;
Et peut-estre des-ja la trame en est ourdie;



Permettés qu'en ce lieu j'accomplisse mes jours,
Et, dans vos propres bras, cherchés vostre secours.
Sa response, en chacun, redouble l'espouvente;
Ils pensent, en ces mots, voir leur perte evidente;
Et Flavy, plus qu'aucun de douleur oppressé,
D'un si sage refus, se tesmoigne offensé.
Toy, dont le bras, dit-il, est le bras de la France,
Nous priveras-tu seuls de ta forte assistance?
Nous, de qui ta pudeur vient de la recevoir,
Au fort de son peril, et de son desespoir;
Auras-tu, dans ces murs, rencontré ton asyle,
Pour leur estre, au besoin, laschement inutile?
Quand tu rendras plus doux leur sort infortuné,
Que leur donneras-tu, que ce qu'ils t'ont donné?
Toy seule, s'ils sont pris, auras causé leur prise;
Philippes, pour toy seule, attaque leur franchise,
Et sans toy, tu le sçais, nos malheureux remparts
N'auroient point veu, sur eux, fondre ses estandards.
Par ce reproche amer, la fille infortunée
Aux combats defendus est puissamment traisnée;
Son destin à ces mots la contraint de ceder,
Et rien ne sçauroit plus sa perte retarder.
Çà, dit-elle, un cheval, un harnois, une espée;
Que du sang bourguignon la terre soit trempée,
Qu'elle le soit du mien, et que ce mur batu
Essaye à s'affranchir, par ma foible vertu.
Bien que desja sur moy l'ardente foudre eclate,
Mourons, mourons plustost que de paroistre ingrate;



Allons, où nous conduit l'inevitable sort;
Allons, où nous attend l'inevitable mort.
Dans ce transport guerrier, le saint cloistre elle quitte,
Et contre l'ennemy sa valeur sollicite;
Rodolfe l'arme, et s'arme, et tous deux vifs et pronts
Sortent, et font sortir quatre gros escadrons.
Un double bataillon suit la cavallerie;
La fille vers le camp s'elance de furie,
Et va droit au quartier, où vingt canons bruyans
Couvrent les boulevards de boulets foudroyans.
Sa redoutable main, à vaincre accoustumée,
Bien que du fer celeste, en ce temps, desarmée,
Bien que sans le pouvoir, qu'elle eut jadis des cieux,
Sçait pourtant faire encor des exploits glorieux.
Elle conserve encor l'impression guerriere,
Qu'elle receut jadis de l'ange de lumiere,
Quand, d'un souffle divin son esprit animant,
Des vengeances du ciel il l'a fit l'instrument.
Elle attaque la garde, et la garde, en defense,
Au valeureux assaut fait, d'abord, resistance;
Mais, bien-tost, sous le poids des grands coups redoublés,
Ses rangs sont confondus, et ses esprits troublés.
Sur eux, de toutes parts, le fer de sang avide
Satisfait pleinement sa fureur homicide,
Et l'effroy qui les glace, aydant à leur malheur,
De la sainte guerriere augmente la valeur.
Rodolfe la seconde, et, d'une ardeur fatale,
Plus qu'aucun, apres elle, au combat se signale;



Du soldat, qui les suit, leur exemple est suyvi,
Et, sur le bourguignon, tous chargent à-l'envy.
Elle le rompt, enfin, et du succes flatée
Sent d'un nouveau laurier sa vaillance tentée,
Avance vers un gros, qu'elle voit avancer,
Et va ses escadrons, comme un foudre, enfoncer.
La fille, ainsi des murs tousjours plus esloignée,
Estime, en se perdant, la victoire gaignée;
Et son sens aveuglé, par son astre malin,
La conduit au passage, où l'attend son destin.
Autour d'elle aussy-tost, tout le camp se ramasse;
C'est alors, mais trop tard, qu'elle voit sa disgrace;
Elle la voit prochaine, et condanne en son coeur,
L'ardeur qui l'a livrée aux chaisnes du vainqueur.
En ce terrible estat, rien pourtant ne l'estonne;
Aux siens, sans s'emouvoir, la retraitte elle ordonne.
Et couvre les derniers, soit du corps, soit du bras;
Tandis que les premiers vont aux murs, à grands pas.
Ligny, de son costé, la retraitte leur couppe,
Oppose un mur de fer au progres de leur trouppe,
De fleches et de dards, les charge, par les flancs,
Et, d'un choq vigoureux, tasche à rompre leurs rangs.
Mais le trait de Rodolfe, et l'escu de la sainte,
La font tousjours marcher, sans desordre, et sans crainte,
Devant tous, va Rodolfe, et la sainte, apres tous,
Soustient toute l'armée, et rend vains tous ses coups.
Et desja, du rempart, une gresle meurtriere
Facilite aux françois leur penible carriere,



Tient l'ennemy pressant de leur teste ecarté,
Et fait à leurs regards descouvrir la cité.
Alors des bourguignons l'impatiente rage,
Voyant la sainte fille eschapper le servage,
S'excite, se ranime, et, son feu renflammant,
Descharge tous ses coups, sur elle seulement.
Ainsi, quand, hors du bois, une meute inhumaine
A surpris une laye, au milieu de la plaine,
Et que de ses petits au gaignage amenés,
Elle tient à l'ecart les dogues acharnés;
Plus leurs flancs descousus souffrent de ses defenses,
Plus leurs dents, sur son col, exercent leurs vengeances;
Plus elle est pres du bois, et plus les chiens ardens
Enfoncent, dans son corps, les pointes de leurs dents.
La sainte, tout autour, voit tout jurer sa perte;
D'un orage de dards, elle se sent couverte;
De javelots sans nombre, elle se sent presser,
Et, de plus d'un espieu, sent ses armes percer.
Rodolfe accourt alors, et, se rangeant pres d'elle,
L'ayde à mieux soustenir la tempeste mortelle,
Et tous deux pleins d'espoir, quoy qu'en dix lieux blessés,
Malgré tout, en cedant, s'approchent des fossés.
Satan, qui desormais les voit en asseurance,
Prend du jeune Flavy la voix et l'apparence,
Et, remarquant le vieux, sur les voysines tours,
Va, l'aborde, et luy tient ce furieux discours.
Quoy dit-il, cette place à ta garde commise
Sera, par ta foiblesse, à Philippes sousmise,



Et, pour sauver des fers la haine de ton roy,
Tu forgeras les fers de ce peuple et de toy.
À tort, en ce peril, ton ame est suspendüe,
La fille se doit perdre, ou la ville est perdüe;
Avec tant de drappeaux, avec tant d'estandards,
C'est la fille qu'on cherche, et non ces boulevards.
Rechasse de ces murs cette puissante armée,
Immolant cette hostie à sa rage enflammée;
Sauve toy par sa perte, et croy qu'en la perdant
Tu fais ce que du roy veut le courroux ardent.
Toute chose, mon frere, à sa mort te convie,
Ton monarque, tes murs, ta fortune et ta vie,
Et, si tant de raisons ne te suffisent pas,
Ton tout, ton Amaury, qui luy doit son trespas.
Entre tous, contre Artus, et contre la Pucelle,
Flavy fut d'Amaury l'amy le plus fidelle,
Et, s'il l'ayma vivant, d'un amour vif et fort,
D'un fort et vif amour, il l'ayme apres sa mort.
Le souvenir amer de cette mort fatale
Determine son ame inhumaine et brutale;
Il ne consulte point, et, relevant le pont,
Au desir de Satan barbarement respond.
Plus haut que tous les cieux, une loge secrette
Sert à l'estre incréé de profonde retraitte;
Quand par ses soins veillans, et ses pensers couverts,
Il veut deliberer du sort de l'univers.
De trois costés egaux, la loge inconcevable
Forme un triangle unique, en tout sens admirable,



Et d'un lieu si sacré le mystere inconnu
Confond le contenant, avec le contenu.
Dans ce moment crüel, Dieu tout sage, et tout juste,
S'enferme, et se recueille, en cette loge auguste,
Sur les peuples divers tourne, ses saints regards,
Et ne voit que pechés regner de toutes parts.
Il voit, sur tous, l'anglois, enflé de vaine gloire
À son merite seul imputer sa victoire,
Et voit Charles encor, loin d'implorer mercy,
Tousjours de plus en plus, dans sa faute, endurcy.
Pour leur crime commun, et leur commun supplice,
Alors sa tenebreuse et severe justice,
Resout que la guerriere, en tombant dans les fers,
Souffre de sa valeur triompher les enfers.
Et, dans cet instant mesme, en la main de la fille
Rompt la fragile espée, et sur l'arene brille;
Alors de sang couverte, et le bras desarmé,
Elle se tourne au ciel, et le trouve fermé.
La cour des bien-heureux, d'un regard lamentable,
Vit le sort inhumain de la fille indontable,
Le souhaita plus doux; mais les sacrés destins
Furent sourds à ses voeux, pour leurs secrettes fins.
Aux voeux de tout le ciel l'austere providence
Oppose l'immuable et terrible sentence;
Dans un profond respect, les anges et les saints
Reverent du seigneur les occultes desseins.
Rodolfe tombe alors; alors la foible sainte
Se sent le corps serré d'une robuste estrainte;



Des guerriers ennemis Vendonne le plus fort
Est celuy qui pretend à l'honneur de sa mort.
Dix autres, apres luy, soudain fondent, sur elle;
Le sang de tous costés de ses veines ruisselle;
Par sa propre foiblesse, et l'effort de leurs bras,
Elle tombe, et se peint des couleurs du trespas.
Sous un si pesant faix succombe sa puissance;
Elle perd, tout à coup, et veüe et connoissance;
Le vainqueur craint encore, et son timide coeur
À peine, en le voyant, s'ose croire vainqueur.
Ainsi quand la lionne, apres les grands ravages,
Dont elle a desolé les monts et les rivages,
Par le courage adroit des chasseurs nubiens,
Tombe, de traits percée, en leurs rudes liens;
Bien que le sang fumeux, qui jalit de ses veines,
L'estende morte, enfin, sur les jaunes arenes,
Le vaillant nubien, quoy que victorieux,
De sa victoire doute, et n'en croit pas ses yeux.
Son insensible corps, butin de l'adversaire,
Joint au corps moribond de son genereux frere,
Dans la tente du chef, et loin de la cité,
Sur les bras des vainqueurs, en triomphe est porté.
Pierre, le fier prelat, que cette longue guerre
A tousjours veu constant, pour la fiere Angleterre,
Au camp du bourguignon conduit, par sa fureur,
Eut, pour premier objet, ce spectacle d'horreur.
Il vit, ou pensa voir, la guerriere sans vie,
Et sa haine, d'abord, en parut assouvie;



Mais depuis, à son sens barbare et furieux,
Ce belliqueux trespas sembla trop glorieux.
Il vouloit bien sa mort, mais la vouloit infame;
Il l'avoit, en son coeur, destinée à la flamme,
Et, d'un supplice indigne, il desiroit couvrir
La honte qu'aux anglois elle avoit fait souffrir.
Dans ce desir crüel, de douleur il souspire;
Puis l'approche, l'observe, et voit qu'elle respire;
Il voit son chaste sein doucement s'elever,
Et pour la perdre mieux, resout de la sauver.
Il entreprend sa cure, il la veille, il la pense;
Le succes est heureux, et passe l'esperance;
Un si malin secours l'empesche de mourir,
Et la met, bien-tost mesme, en estat de guerir.
La fille, en son malheur, monstre sa patience,
Bien loin de murmurer, benit la providence,
Fait, des ordres divins, et sa regle et sa loy,
Et, sans plaindre ses maux, ne plaint que ceux du roy.
Ah! Mon prince, dit-elle, en ce terrible orage,
Ta royale grandeur va faire un grand naufrage;
Mais ce mal est un mal que tu t'es attiré,
En suyvant le transport de ton sens egaré.
Que te sert d'avoir eu le ciel si favorable,
Si ce n'est que pour estre, envers luy, plus coupable?
Que sert à ta valeur d'avoir sousmis l'anglois,
Si ton aveuglement te sousmet à ses loix?
Ton honneur est destruit, ta gloire est deplorée;
Du throsne, où tu regnas, la cheute est assurée;



Le ciel, non moins que toy, par ta faute, endurcy,
Pour venger mon injure, helas! Le veut ainsi.
Il allume sa foudre, il tonne sur sa teste;
Je l'esprouve de bronze à mon humble requeste;
Rien, de son trait fatal, ne te peut garantir,
Non pas mesme tes pleurs, non pas ton repentir.
Pusse-je, par la mort, qu'en ton lieu je souhaitte,
Rendre, pour ton salut, son ire satisfaitte;
Que je la cherirois cette honnorable mort!
Mais je souspire, en vain, apres un si beau sort.
C'est ainsi qu'une mere, et genereuse, et tendre,
Lors qu'au fond du sepulchre elle est preste à descendre,
Vers son fils bien-aymé, mais despourveu de sens,
Tourne, aveque douleur, ses regards languissans.
Elle endure cent maux, mais les maux qu'elle endure
Ne tirent de son coeur, ni plainte, ni murmure;
Ou si de quelque mal il se tesmoigne atteint,
Ce n'est que pour ce fils, qu'il murmure et se plaint.
Le barbare prelat, qui craint que cette proye
N'eschappe à sa fureur, et ne trompe sa joye,
Pour eviter du sort les perilleux retours,
À Philippes s'addresse, et luy tient ce discours.
C'est en vain, luy dit-il, que sous cette muraille
Ton courage s'arreste, et ton camp se travaille;
Tu fais, en l'attaquant, d'inutiles desseins,
Et cherches un bonheur que tu tiens en tes mains.
Tu tiens du nom françois la gloire et l'infamie,
Tu tiens du bourguignon l'implacable ennemie,



Tu tiens le bras donteur des anglois indontés,
Et tiens, en le tenant, la clef de cent cités.
Par un heur sans egal, tu l'as en ta puissance;
Mais tu l'as, sans l'avoir, du moins en assurance;
Le seul mur de Roüen te le peut conserver;
Icy le moindre effort te le peut enlever.
La France a, contre nous, ses forces rassemblées,
Et les nostres, d'abord, en seront accablées;
Le party seul à prendre est de partir soudain;
Tarde encore aujourd'huy, tu periras demain.
L'avis plaist à Philippe, et la ville assiegée
Des chaisnes, tout à coup, se trouve degagée;
Flavy, desormais libre, en son mur indonté,
Joüit de sa fureur, et de sa lascheté.
Par l'inhumain prelat, la fille infortunée,
Entre cent escadrons, vers Roüen, est menée;
Et Philippe, au milieu de tous ses estandards,
Pour elle, craint tousjours le variable Mars.
Celle qui fut jadis tout l'espoir de la France,
Maintenant de l'anglois est toute l'esperance;
Le caprice du sort a fait ce changement,
Ou plustost du Seigneur le secret jugement.
À Roüen elle arrive, et Rodolfe, avec elle,
Aux fers, comme aux combats, son compagnon fidelle;
En dix lieux differens, ainsi qu'elle, blessé,
Et, d'une main heureuse, ainsi qu'elle, pensé.
Vers une affreuse tour, où le crime et le vice,
Entre mille tourmens, attendent le supplice,



Sejour des malfaiteurs aux flammes destinés,
Ils sont, de place en place, indignement traisnés.
À chaque pas qu'ils font, le peuple emu de rage
D'opprobres insolens les couvre, et les outrage,
Et, par un bruit confus de cris injurieux,
Contre elle, et contre luy, se monstre furieux.
À moins que du grand fort, qui commande la porte,
On ne croit point, pour eux, de prison assés forte;
Pierre les y conduit, et deux sombres cachots
Reçoivent, de sa main, ces illustres deposts.
Rodolfe, au moins obscur, avec impatience,
Souffre, par les anglois, resserrer sa vaillance,
En horreur a la vie, et se plaint de la mort,
Qui le repousse d'elle et luy ferme son port.
Mais, dans un traittement plus indigne et plus rude,
La sainte ne tesmoigne aucune inquietude;
Elle benit les fers, s'accommode au malheur,
Et mesme, avec plaisir, esprouve la douleur.
Elle ayme des anglois la dure tyrannie,
Elle ayme sa misere, et son ignominie,
Et, lors que ses esprits sont le plus oppressés,
Sa vertu crie encor, que ce n'est pas assés.
Le monarque eternel, voyant l'infortunée
À son vouloir divin plainement resignée,
Ne sçauroit voir en elle un si saint mouvement,
Sans prendre, en sa faveur, un plus doux sentiment.
À la celeste cour, qui pour elle l'implore,
Il permet de flater le soin qui la devore;



Il permet d'assoupir, par de sacrés concerts,
Les maux qu'en sa prison luy causent les enfers.
Elle n'a plus alors, ni de mal, ni de trouble;
La force luy revient, ou plustost luy redouble;
Et, dans ce noir cachot, tout à coup à ses yeux,
De chantres immortels s'offre un choeur radieux.
De cent luths, de cent voix la douceur nompareille,
Dans ce lieu de supplice, enchante son oreille;
Et ces airs ravissans, cette vive clarté
En font un lieu de gloire et de felicité.
Elle se sent charmer, par la sainte musique,
Et joint sa voix aux voix du concert angelique;
La voute retentit à leurs saintes chansons,
Et, loin mesme au dehors, s'en respandent les sons.
La vigilante garde à la porte couchée,
Toute dure qu'elle est, de ces sons est touchée,
Et son coeur de rocher, sensible à leurs accords,
Se sent mesme attendrir, par leurs puissans efforts.
Plus à ces doux accens elle a l'ame attentive,
Plus elle a de respect, pour sa propre captive,
Et plus, dans ses transports, elle seme, en tous lieux,
L'admirable secours qu'elle reçoit des cieux.
De cette nouveauté, les anglois s'emerveillent;
Contre elle, du prelat les fureurs se resveillent;
Il ranime sa rage, il renforce sa voix,
Et dissipe, en tous lieux, le doute des anglois.
Ô foibles, leur dit-il, plus que les françois mesmes,
Ces bruits, contre le ciel, sont autant de blasphemes,



Et c'est trop l'offenser, que de le croire autheur
Des damnables effets d'un murmure enchanteur.
Croyés donques encor, que ses heureuses armes
Sont des effets du ciel, plustost que de ses charmes;
Croyés donc, que les maux, que vous avés soufferts,
Vous sont venus du ciel, et non pas des enfers.
La sorciere, en nul lieu, n'est pour vous innocente;
À vostre vie encor, dans ses fers, elle attente;
Quoy que pres du bucher, elle suit ses desseins,
Et cache ses demons, sous la forme de saints.
Resveillés, renforcés vos soupçons et vos craintes,
Lors que ses actions vous semblent les plus saintes,
Et vengés, par le feu, ses projets inhumains,
Avant que, par ses sorts, elle eschappe à vos mains.
Le triste souvenir de leurs peines souffertes,
La peur de s'exposer à de nouvelles pertes,
Leur esprit aveuglé, par l'esprit tenebreux,
Donnent à ce discours un succes trop heureux.
Ils rentrent, pour la fille, en leur rage premiere;
Ils la traittent d'infame, ils la nomment sorciere,
Et battus de l'orage, entre de si grands flots,
De sa mort seulement, esperent leur repos.
Cependant les bas lieux, par mille voix plaintives
Rappellent le demon aux douloureuses rives;
Ne pouvant plus souffrir, que la clarté du jour
À la nuit eternelle enviast son retour.
À sa bande il se tourne, et luy dit, je vous laisse;
Mon empire m'attend, et son besoin me presse;



Je vous laisse le soin du plus grand des exploits,
Par qui sera la France esclave de l'anglois.
Je vous laisse, en mon lieu, pour allumer la flamme,
Où doit nostre ennemie à la fin rendre l'ame;
De sa mort je vous charge, et l'enfer vous defens,
S'il ne vous en revoit, par le feu, triomphans.
À ce mot il s'abysme, et, par les plaines sombres,
Se monstre, enflé d'orgueil, aux yeux des pasles ombres,
Leur partage sa joye, et, pour quelques momens,
Fait, dans tout le chaos, suspendre les tourmens.

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Jean Chapelain (1595-1674) LIVRE 12
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