APPROVISIONNEMENTS*
LES troupeaux poussiéreux et gris
Qui promettent maigre ripaille
Ruminent, couchés sur la paille,
Dans tous les jardins de Paris.
Mais le passant mélancolique
Ne trouve dans tout ce bétail
Ni d’ensemble ni de détail
Empreint d’un charme bucolique;
Ces grands boeufs aux gens peu frugaux
Font rêver des repas d’Homère,
Et cet agneau tétant sa mère
N’est qu’un avenir de gigots.
Ils ont faim et froid, ils sont mornes.
L’un contre l’autre acoquinés,
Ils ont des airs de condamnés
Et baissent tristement leurs cornes.
Le pourceau dormant au soleil
Frémit au contact d’une mouche
Dont l’ardent aiguillon le touche
Et le fait geindre en son sommeil.
Et dans leurs clôtures de planches
Ils semblent, pauvres animaux,
Savoir qu’au bout de tous ces maux
Ils seront mangés par éclanches.
- Mais n’ayons pas naïvement
De pitié pour cette h’écatombe;
Car j’entends, dans le soir qui tombe,
Les durs clair ons d’un régiment,
Et, songeant au temps où nous sommes,
Sombre, j’ai murmuré bien bas:
« O troupeaux, ne vous plaignez pas
De la férocité des hommes! »