PLUME DE POÉSIES
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 François Coppée.(1842-1908)Le Fils.

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Inaya
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François Coppée.(1842-1908)Le Fils. Empty
MessageSujet: François Coppée.(1842-1908)Le Fils.   François Coppée.(1842-1908)Le Fils. Icon_minitimeVen 29 Juin - 8:53

Le Fils.

Se rappelant toujours cet ordre laconique,
Le fils du général entre à Polytechnique.
Il en sort en bon rang bourré d'algèbre et d'x;
Et - l'annuaire est là - Morel (Victor-Félix)
Depuis plus de vingt ans sert dans l'artillerie.

C'est l'officier modèle et, dans sa batterie,
Ses hommes qu'il a su conquérir par le coeur,
Étant bon sans faiblesse et juste sans rigueur,
Quand ils disent entre eux ce mot « le capitaine »,
Ont, dans leur regard jeune, une fierté soudaine.
Ils sentent, pour ce chef pourtant peu galonné,
L'affectueux respect qu'inspire un frère aîné.
Sur son ordre, ils sont prêts à toutes les prouesses,
Et ces braves garçons, pour défendre leurs pièces,
Se feraient avec lui tuer jusqu'au dernier.
D'ailleurs le capitaine est un beau cavalier
Et, sans abandonner les livres et l'étude,
De tous les rudes sports il garde l'habitude.
Il a l'air martial et fort comme pas un,
Quand il conduit, si bien campé sur son bai-brun,
Son long train de canons, d'affûts et de prolonges.
Alors, dans ses yeux clairs, flottent encor les songes
De sa jeunesse, hélas! si lointains maintenant,
Lorsque, sous son képi tout neuf de lieutenant,
Il rêvait de brandir au soleil de l'Argonne
L'acier de son épée et l'or de sa dragonne
Et de montrer à ses canonniers au trot lourd,
Là-bas, à l'horizon, la flèche de Strasbourg.

C'est l'intime douleur de ce soldat de race
De sentir que toujours de plus en plus s'efface
Et pâlit l'héroïque espoir de ses vingt ans.
Oh! longtemps il a pris patience, longtemps
Il s'est dit :

« La blessure est-elle bien fermée?
Travaillons! Il nous faut une invincible armée,
Et nous crierons alors vers l'Est : Quand vous voudrez! »

Que d'excellents soldats il nous a préparés,
Ce bon Français, dans la « réserve » et dans 1' « active »!
Combien de fois il s'est redit - âme naïve -
Le mot si décevant sur l'Alsace et sur Metz :
« Pensons-y tous les jours et n'en parlons jamais! »
Mais, un jour, il comprit qu'à force de silence,
Le pays oubliait l'atroce violence
Et la frontière ouverte, ainsi qu'un amputé
S'accoutume à la longue à son infirmité,
Et qu'ainsi la revanche était plus qu'incertaine.

Oui, c'est là le constant chagrin du capitaine.
Que sa triste carrière ainsi doive finir,
Qu'il reste un officier pauvre et sans avenir,
Il s'y résigne. On peut tout aussi bien combattre
Pour sa patrie avec trois galons qu'avec quatre.
Non, aujourd'hui, ce qui le navre, c'est qu'il sent
Que son pauvre pays vers l'abîme descend,
Grisé d'un idéal pour la race future,
Que démentent, hélas! l'histoire et la nature.
Il sait que sous les mots de paix, d'humanité,
La chimère souvent masque la lâcheté.
Longæ mafia pacis, a dit le vieux Tacite.
On devient veule et mou. Le plaisir seul excite.
Il faut jouir par tous les pores de la peau.
La vie est bonne. On craint la mort. Et le drapeau,
Muet témoin blâmant l'égoïsme et ses vices,
Semble un faux dieu qui veut de sanglants sacrifices.

L'armée existe encore, oui, celle qu'on rêvait
Victorieuse, aux bords du Rhin. Qu'en a-t-on fait?
Elle sert maintenant à dompter des tumultes,
Avec l'ordre formel de subir les insultes
Et, sans jamais broncher, de recevoir les coups.
Elle applique des lois infâmes. Nos pioupious,
Au siège d'un couvent de femmes en cornette,
Ont armé leurs fusils du sabre-baïonnette,
- Quelle dérision! - comme si l'on allait
Les mitrailler avec des grains de chapelet.
L'abjecte politique ici répand ses lèpres.
Tel brave commandant - sa femme allant aux vêpres
Ne doit plus obtenir un grade mérité.
Au mess des lieutenants, où la franche gaîté
Régnait jadis, chacun se tient sur la réserve
Et parle peu, songeant que la Loge l'observe
Et que peut-être, à table, est assis un Judas.

Voilà le nouveau sort de nos pauvres soldats.
Mais ce qui, plus que tout, épouvante et désole
Le capitaine, c'est que des maîtres d'école,
Qui jadis montraient Metz et Strasbourg sur l'atlas,
Pervertis par Hervé, Jaurès et Thalamas,
Enseignent aux petits Français que la patrie
N'est plus qu'une stupide et vieille idolâtrie
Et que « Guerre à la guerre! » est le plus beau des cris.
Et Morel, accablé, songe aux futurs conscrits,
Dès l'enfance infectés de sottise primaire
Et certains - sauront-ils seulement la grammaire?
Qu'ils auront pour devoir, en cas d'invasion,
Le refus d'obéir et la désertion!

C'en est trop! Le vaillant homme se décourage.

Pourtant, lorsque, le soir, rongeant sa sourde rage,
Il rentre dans sa chambre et qu'il voit, sur le mur,
Des armes que le temps ternit d'un souffle obscur,
- Souvenirs vénérés, reliques de famille, -
Il relève son front chagrin et son oeil brille.
Oui, tout son patrimoine est là : Fusil d'honneur,
Paire de pistolets donnés par l'Empereur,
Insignes de combat aux formes surannées,
Hausse-cols avec l'aigle, épaulettes fanées,
Et près des vieilles croix au ruban tout pâli,
Le sabre d'Austerlitz et le sabre d'Isly.

Le patriote alors respire une bouffée
D'orgueil français devant son intime trophée.
Rassuré par l'aspect de ce trésor, le seul
Qu'il possède, il se dit qu'au temps de son aïeul,
La France en armes fut presque surnaturelle.
Il évoque, attendri, son père mort pour elle.
Dans l'avenir - lointain, qu'importe? - il reprend foi.
Chère patrie! Il se souvient qu'avant Rocroi,
Avant Denain, avant Zurich, sous la poussée
D'invasion, sa vie était bien menacée,
Mais qu'alors son génie immortel lui donna,
Pour la sauver, Condé, Villars et Masséna.
Puis le rêveur la suit dans sa longue légende.
Que de temps il fallut pour la faire si grande!
Mais il la voit, malgré guerres et factions,
Lentement devenir reine des nations
Et vaincre les malheurs dont son histoire est pleine,
Du bûcher de Rouen au roc de Sainte-Hélène.

« Non, la France n'est pas en décadence! Non!
Que le danger surgisse! Un seul coup de canon
Chassera les affreux nuages d'anarchie! »

C'est terrible pourtant, la frontière franchie,
La guerre, tant de sang!... Ce brave hésite un peu
Et, comme il est chrétien, il songe à prier Dieu.
Mais les armes sont là, de l'aïeul et du père.
L'héritage d'honneur ordonne qu'il espère.
Le capitaine alors, d'un coeur religieux,
Implore avec ardeur le ciel et les aïeux,
Et, l'âme d'un courage inébranlable emplie,
Fait un signe de croix devant la panoplie.
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François Coppée.(1842-1908)Le Fils.
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