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 François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE IV

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MessageSujet: François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE IV   François Coppée. (1842-1908) HENRIETTE   IV Icon_minitimeSam 14 Juil - 0:08

IV


ette rivale future, Mme Bernard des Vignes l'introduisit elle-même dans sa
maison, au moment où son fils, qui venait d'atteindre sa vingtième année,
commençait ses études de droit.
Elle s'appelait Henriette Perrin et était une simple ouvrière en journées. Une
amie de Mme Bernard, personne extrêmement charitable, lui avait chaudement
recommandé cette jeune fille. A peine âgée de dix-neuf ans, orpheline de père et
de mère, elle n'avait pour vivre que son gain,-trois francs par jour et
nourrie,-et trouvait encore moyen, avec d'aussi faibles ressources, d'aider une
tante très âgée chez qui elle demeurait. Mme Bernard fut séduite au premier
abord par cette jolie enfant, si gracieuse, si décente, et s'habillant avec le
goût instinctif des fillettes de Paris, qui vous ont tout de suite l'air d'une
dame dans une robe à vingt sous le mètre, chiffonnée de leurs mains
industrieuses. L'ouvrière fut aussi prise en amitié par Léontine, la vieille
femme de charge, qui fit sur elle, à sa maîtresse, les rapports les plus
favorables.
-Cette pauvre petite! disait-elle à Mme Bernard. Ça vous arrive à pied, du fond
de Vaugirard, dès huit heures du matin, et à jeun encore. Je lui donne son café
au lait, et bien vite elle s'installe au petit salon, dans l'embrasure de la
fenêtre, tranquille comme Baptiste, sans faire plus de bruit qu'une souris. Ah!
c'est mam'zelle Silencieuse! Toute la journée, elle tire son aiguille. Et je te
couds, et je te couds... Jolie avec ça. Madame a remarqué ses beaux cheveux
blonds... Et une taille à tenir dans les deux mains... Comme Madame me l'a
permis, je lui apporte ses repas sur un guéridon. Car Madame a bien raison: pour
une jeunesse, ça ne vaut rien, l'office et la société des domestiques. Elle
mange très proprement, sans laisser tomber une miette de pain. Alors, des fois,
nous faisons un bout de causette. Elle a bien du mal, allez! madame.
Figurez-vous que, sans elle, sa tante serait, à l'heure qu'il est, avec les
vieilles priseuses qu'on voit se chauffer au soleil, sur les bancs, devant la
Salpêtrière. Si jeune, si courageuse, et des charges de famille! Si ça ne fait
pas pitié!
Mme Bernard reconnut bientôt par elle-même que la jeune ouvrière méritait
réellement tout ces éloges, trouva toujours en elle un petit être doux, timide,
laborieux, touchant, et, pour lui marquer son intérêt, lui assura trois journées
de travail par semaine. Elle prit l'habitude, quand elle traversait le petit
salon, de voir, près de la fenêtre, cette gentille tête blonde penchée sur son
ouvrage, et elle s'arrêtait souvent pour adresser à Henriette quelques paroles
encourageantes. Il y avait même apparemment un charme qui émanait de cette
enfant, car lorsque Mme Bernard ne la voyait pas à sa place accoutumée, elle
songeait, avec une nuance de regret:
-Tiens! ce n'est pas son jour.
C'était ainsi depuis quelques mois, quand Mme Bernard reçut une lettre d'une
orthographe incertaine et d'une écriture maladroite, par laquelle Henriette
prenait congé d'elle, la remerciait de ses bontés et lui annonçait qu'elle avait
trouvé un emploi régulier chez une couturière en vogue.
-Cette petite aurait bien pu venir m'annoncer cela elle-même, se dit Mme
Bernard, un peu choquée. Il me semble que j'ai été assez bonne pour elle...
Après tout, le temps de ces gens-là est précieux. C'est leur gagne-pain. Tant
mieux si elle a trouvé une bonne place.
Et elle n'y pensa plus.
Mais, quelques jours plus tard, étant entrée dans la chambre de son fils pour
renouveler les fleurs des jardinières, elle vit une lettre tombée sur le tapis,
la ramassa pour la poser sur le bureau, jeta machinalement un regard sur
l'enveloppe, y lut le nom d'Armand Bernard et reconnut avec stupéfaction la
calligraphie enfantine de l'ouvrière. Un soupçon soudain lui glaça le coeur.
Avait-elle ou non le droit de lire cette lettre? Elle ne s'arrêta pas même trois
secondes devant ce scrupule. Il s'agissait de son fils, pour qui elle eût commis
un parjure, un meurtre, n'importe quel crime. Elle arracha vivement le papier de
son enveloppe, le déplia, et ces mots lui éclaboussèrent et lui brûlèrent les
yeux, comme un jet de vitriol.
«Mon Armand bien aimé, viens m'attendre ce soir à la sortie du magasin. Nous
passerons la soirée ensemble.
Je t'adore,
HENRIETTE»
Congestionnée, foudroyée, une sensation de brûlure à la racine de chacun de ses
cheveux, les genoux cassés par le choc de l'émotion, Mme Bernard tomba,
s'écroula dans le fauteuil de travail de son fils.
Ainsi, ce qu'elle redoutait, ce qu'elle osait à peine prévoir,-et seulement dans
un lointain avenir,-était un fait accompli. Son fils avait une maîtresse. Et
laquelle? La couturière de la maison! Pourquoi pas la bonne, la laveuse de
vaisselle? Oui! son Armand que, la veille encore, elle croyait pur comme une
primevère, son exquis et aristocratique enfant, pâle et mince, ayant l'air d'un
petit prince de sang royal, appartenait à cette gamine des faubourgs, à cette
fille du ruisseau de Paris. Il l'aimait sans doute, et il avait peut-être
couvert de baisers cette horrible lettre, qui était écrite comme une note de
blanchisseuse. Et elle n'avait rien vu, elle ne s'était méfiée de rien! Oh!
l'aveugle, la stupide!
Comment! c'était elle-même qui, par imbécile bonté, avait laissé pénétrer sous
son toit, protégé cette drôlesse? Mais voilà qui était plus fort. A présent,
elle se rappelait avoir attiré l'attention d'Armand sur l'ouvrière, avoir parlé
d'elle devant lui avec sympathie. Alors, c'était pour cela qu'elle avait
consacré à Armand toutes les minutes de son existence, pour cela qu'elle avait
supporté sans une plainte les longues années d'outrage et d'abandon de son
mariage, pour cela qu'elle avait renoncé à l'espoir, à la certitude du bonheur
en éloignant le colonel de Voris! C'était pour que cet enfant surveillé comme un
trésor d'avare, soigné comme une fleur de serre, pour que ce chef-d'oeuvre
maternel, sorti et créé de ses entrailles, de son dévouement, de son amour,
devînt, en un instant, au premier appel du sexe, à la première poussée des sens,
le régal d'une grisette, le caprice et l'amusement d'une fille! Et elle avait eu
la naïveté, la bêtise de le croire meilleur, plus délicat que les autres hommes!
Allons donc! Il l'avait bien dans les veines, le sang de son père, le sang de
vice et de débauche qui donnait au gros Bernard des apoplexies de désir devant
la pire des maritornes. Eh bien, là, vraiment! c'était du propre!
Brisée, navrée, un cloaque d'amertume et de dégoût dans le coeur, Mme Bernard
des Vignes restait assise, les yeux sur la fatale lettre, dans cette jolie
chambre, où tout,-les meubles élégants, la lumière discrète, les livres bien
reliés, jusqu'au fin parfum des menus objets en cuir de Vienne placés en ordre
sur le bureau,-tout lui rappelait les habitudes raffinées, l'enfance pure et
studieuse de son fils. Et cette lettre qu'elle tenait à la main, cette lettre
pareille à un crapaud rencontré dans le sable ratissé d'un parc anglais, cette
lettre qui puait le peuple, bousillée sur du papier acheté chez l'épicier, avec
ses deux grossières fautes d'orthographe et sa vulgaire écriture d'enfant des
écoles primaires, faisait monter une nausée aux lèvres de l'honnête femme.
Tout à coup, Armand entra, son portefeuille d'étudiant sous le bras, insoucieux,
léger, une belle flamme de jeunesse dans les yeux, et, surpris de trouver sa
mère chez lui:
-Tiens! tu es ici! s'écria-t-il joyeusement. Bonjour, maman.
Mais Mme Bernard s'était levée, raide, toute pâle. Elle jeta la lettre
d'Henriette sur le bureau, la montra à son fils d'un doigt frémissant; et, d'une
voix qu'il ne lui connaissait pas, d'une voix sonnant le métal et chargée
d'insulte et de colère:
-J'ai lu, dit-elle. Une autre fois, aie soin de ne pas laisser traîner les
lettres de ta maîtresse.
Elle ajouta encore, comme suffoquant:
-Une pareille fille!
Et, laissant le jeune homme stupéfait et pourpre de honte, la mère irritée
sortit en faisant claquer la porte.
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