PLUME DE POÉSIES
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 Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 5

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James
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Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 5 Empty
MessageSujet: Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 5   Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 5 Icon_minitimeSam 14 Juil - 16:54

LIVRE 5


P63

Mais Aman, dont l'esprit est tendre et généreux,
Plaint tousiours de Ionas le destin rIgoureux,
Regardant sans plaisir la fin d'vne tempeste,
Qui couste à la Iudée vne si chére teste.
En ce temps, pour l'instruire, et pour le consoler,
Vne voix vient du ciel, en ces mots, luy parler.
Aman, il vit encor par ma vertu secrette,
Ce prophéte fameux que ton ame regrette,
Cesse donc de le plaindre, et sçache que ma main,
Va faire par sa bouche éclorre vn grand dessein:
Que Niniue bien-tost par Ionas maistrisée,

P64

Le fera voir plus grand que son maistre Elisée.
Le son de cette voix est suiuy d'vn éclair,
Qui remplit de clarté les campagnes de l'air.
Cet éclair est suiuy d'vn innocent tonnerre,
Qui confirme la paix, loin d'annoncer la guerre
Et quand l'vn ébloüit les yeux des matelots,
L'autre fait tremousser le vaisseau sur les flots.
Aman, à cet auis que le seigneur enuoye,
D'vne sainte frayeur accompagne sa joye.
De-nouueau, Lycidas adore la grandeur
Du dieu qui fait briller sa gloire et sa splendeur;
Et l'ame de-nouueau saintement curieuse,
Pour des faits que conduit cette main glorieuse:
L se fait raconter du maistre de Ionas,
La vertu plus qu'humaine et les divins combats.
Et les prémiers exploits que fit, à sa parole,
Le célébre disciple, instruit dans son école.
Voicy donc tous les faits qu'Aman luy raconta,
Les reprenant du iour qu'Elie au ciel monta.
Elisée affligé du départ de son maistre,
Réglant le cours des pleurs que son deüil faisoit naistre:
Fit cesser sagement, par le vouloir des cieux,
Et le deüil de son ame, et les pleurs de ses yeux.
Eloigné de son maistre à son maistre il succéde,
Déja l'esprit d'Elie est vn bien qu'il posséde:
Déja par cet esprit il a veu le Iourdain,
Rendre à ses volontez vn hommage soudain,
Et se r'ouurir d'abord pour luy faire passage,
Aux coups du cher manteau qu'il a receu pour gage.
En suite, pour tenter des miracles nouueaux,
Iérico luy présente et son fonds et ses eaux,
Le fonds est infécond, et les eaux quoy que belles,
Ont des venins secrets qui les rendent mortelles.
Luy, qui pour le païs est plein de charité,
Le rend le siége heureux de la fertilité;
Et chassant de ses eaux les qualitez contraires,
Change leurs flots malins, en des flots salutaires.
De-là, Dieu le conduit vers les murs de Bethél,
Mais de ce lieu rebelle aux loix de l'immortel,
Accourent des enfans, dont la langue indiscrette,

P65

Lance ses traits piquans contre le saint prophéte.
Le prophéte qui void dans ce discours mocqueur,
Le fiel malicieux dont regorge leur coeur,
Et qui sent rejalir sur le dieu qu'il adore,
Le reproche outrageux qui son front deshonore;
Demande à ce grand dieu, dont il fait son appuy,
Quil venge son ministre, et se venge auec luy.
Et sa voix maudissant cette maudite engeance,
Semble former l'arrest d'vne prompte vengeance.
Que dis-je, qu'elle semble! Elle est cause en effet,
Que Dieu venge d'abord l'injure qu'on luy fait.
Assez prés de la ville est vne forest sombre,
Où le ciel a logé des animaux sans nombre:
Forest épouuantable où l'on entend tousiours,
Et rugir des lions et grommeler des ours:
De ce repaire affreux sortent deux ours énormes,
Qu'on prendroit, à les voir, pour deux monstres informes;
Dieu se sert pour punir les moqueurs imprudens,
De l'yuoire aceré de leurs tranchantes dents.
Leur poil qui se herisse, et leurs gueules beantes,
Leurs yeux étincelans, et leurs pattes sanglantes
Saisissent les enfans d'vne soudaine horreur;
Ils pensent par la fuite éuiter leur fureur;
Mais ils en sont surpris, et leurs cris pitoyables
Ne sçauroient qu'irriter ces vengeurs effroyables.
Ils en serrent les vns, ils les font expirer;
Les autres, par leurs dents se sentent déchirer;
L'vn se void arracher cette langue insolente,
Qui contre le prophéte étoit si médisante;
Ils ouurent de cet autre, ou la teste, ou le flanc,
Et de cet autre encore ils succent tout le sang.
En vain à leur secours ils appellent leurs peres;
En vain les bras tendus, ils demandent leurs méres;
Pour sauuer ces objets d'vne tendre amitié;
La force est invtile, et vaine la pitié.
Qu'on ne déplore poiôt leur rigoureux supplice,
Qu'en pensant à leur mort, on pense à leur malice;
Ils auoient sans raison le prophéte outragé,
La terre en est purgée, et le ciel est vengé.
Ainsi, lors qu'vn essein de bruyantes abeilles,

P66

Vole aux yeux d'vn berger, bourdonne à ses oreilles,
Et fichant dans sa peau de subtils aiguillons,
Le contraint de courir les fertiles sillons;
Le ciel à son secours ameine vn grand orage,
Qui surprenant l'essein le punit de sa rage.
Cependant, Elisée établit son renom,
Et fait voler par-tout la gloire de son nom.
Il void régner Ioram, dont Achab est le pere,
Le ciel, de ce faux-dieu, le supplice differe,
L'excite, par le saint, à des exploits guerriers,
Et ne le frapera que couuert de lauriers.
Il marche, auec deux roys, armez pour sa querelle,
Contre le moabite, à son sceptre rebelle;
Aprés sept iours de marche, il campe en vn desert,
Dont l'aride terrein le consume et le pert.
Le ciel en a banny les sources desirées,
Que la soif fait chercher aux troupes altérées.
À leur yeux ne se montre aucun ruisseau naissant,
Aucun bourbeux amas de limon croupissant,
Et le vulgaire suc des herbes et des plantes,
Leur refuse en ce lieu ses liqueurs distillantes.
L'air qu'ils hument par-tout, loin de les soulager,
Augmente leur supplice aueque leur danger,
Et dans l'étrange soif dont le feu les tourmente,
Leur langue est desseichée, et leur paupiére ardente,
En vain leur industrie, et leur subtilité,
Dans la terre ou dans l'air cherchent l'humidité,
L'air ne leur montre point de nuée épaissie;
Contre leurs plus grans soins la terre est endurcie;
Et leur ardent trauail n'exprime aucune humeur,
S'il ne la fait sortir de leur propre suëur,
Si quelque autre liqueur au camp se doit attendre;
C'est le sang que Moab est tout prest à répandre.
Ioram perd la constance en ces extrémitez;
Et par cet accident croit ses jours limitez.
Iosaphat plus pieux, et plein d'vn sage zéle,
Est d'auis qu'on consulte vn prophéte fidéle,
Et la voix d'Elisée est l'oracle diuin,
Où le camp doit chercher l'arrest de son destin.
Les trois roys assemblez vont trouuer le prophéte,
Pour apprendre le sort que le ciel leur appreste,

P67

À l'aspect de Ioram le saint est indigné;
Sans Iosaphat, dit-il, ie t'aurois dedaigné;
Mais puisque sa voix juste est jointe à ta semonce,
I'en reçois la demande, et luy dois ma réponse.
Déja le saint, qui cherche au son des instrumens,
De l'obscur auenir les clairs pressentimens;
Sent, par les graues tons d'vne lyre harmonique,
Reueiller les ardeurs de l'esprit prophétique;
Il estale au-dehors les transports du dedans,
Par son air extatique et par ses yeux ardans,
Et par le mâle son d'vne forte parole,
Qui se fait craindre mesme aux roys qu'elle console,
Sans le secours, dit-il, de la pluye et des vens,
Dieu prépare à ce camp des flots clairs et mouuans
Où roys, chefs et soldats trouueront vn reméde,
À la soif qui les brûle, au feu qui les posséde.
Il vous promet encor, qu'au milieu des combats,
Moab trébuchera par l'effort de vos bras:
Que vous desolerez sa terre, et sa prouince,
Et mettrez aux abois la valeur de son prince,
À peine le soleil, par son brillant retour,
Rendoit à l'vniuers les richesses du jour;
Qu'à leurs yeux enflammez, qu'à leur gosier aride,
Vient s'offrir le torrent d'vne eau claire et rapide,
Qui des tertres d'Edom prenant son juste cours,
Porte aux iuifs alterez le desiré secours;
Et coule sous leurs pas, sans que leur, teste essuye
Les attaques du vent, ni les traits de la pluye. v
V chacun d'vn tel miracle est surpris et rauy,
Chacun void dans les flots, son desir assouuy,
Les vns sans prendre haleine, et d'vne ardeur plus prompte,
Abandonnent leur soif au torrent qui la dompte;
Les autres boiuent l'onde auec plus de loisir,
Et ménageant leur soif font durer leur plaisir.
Tous courent rafraichir leurs poumons et leurs veines;
Tous courent ardemment à la fin de leurs peines;
Et de ce pur crystal l'innocente liqueur
Amortit leur brasier, et leur rend la vigueur.
Moab du haut sommet de la proche montagne,
Voit des flots inconnus humecter la campagne,

P68

Et comme les rayons du soleil renaissant,
Ont coloré les eaux d'vn éclat rougissant,
Il croid que les trois roys, et leurs troupes guerriéres,
Ont de leur propre sang fait couler des riuiéres,
Et que le desespoir où la soif les a mis,
Leur a fait préuenir le choc des ennemis.
Les payens abreuuez de ces vaines pensées,
Poussent vers nostre camp leurs troupes insensées,
Et dans le fol espoir d'vn facile butin,
Vont s'exposer aux coups d'vn tragique destin.
Israël les reçoit, les bat, et les surmonte;
Triomphe par leur fuite et jouït de leur honte.
D'abord, Moab succombe, et ses plus grands efforts,
Sont de faire en tombant des montagnes de morts,
Et sa premiere audace en son sang étouffée,
Laisse aux trois roys vainqueurs, vn illustre trophée.
On voit, alors tomber, sous leurs bras redoutez,
Les temples, les autels, les bourgs et les citez.
Le prince de Moab recoigné dans sa ville,
Tente, pour échapper vn effort inutile;
Mais, enfin, des trois roys il émeut la pitié,
Lors que le desespoir surmontant l'amitié,
Il immole son fils sur ses foibles murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles.
Aprés ce grand succés, qu'Elisée a prédit,
Cent miracles fameux augmentent son crédit;
Il finit les mal-heurs d'vne femme fidéle,
Dont l'espoux sous Achab, auoit montré son zéle,
(conseruant plusieurs saints que l'aspre Iezabel,
Destinoit aux rigueurs d'vn supplice cruël.)
D'vn peu d'huile qu'elle a, ce prince des prophétes,
Remplit plusieurs vaisseaux, elle aquite ses dettes,
Et les durs créanciers qui troubloient son repos,
Ne luy font plus ouïr leurs insolens propos.
En suite, vne autre femme, à qui le saint s'adresse,
Void rendre pas ses voeux féconde sa vieillesse;
De la part du seigneur il luy promet vn fils,
Dont elle deuient mére, au temps qu'il a préfix;
Mais ce fils perd le jour dés sa plus tendre enfance,

P69

Et sa mort de bien prés succéde à sa naissance,
La mere, en son ennuy qui n'a point de pareil,
Recherche du prophéte, et l'aide, et le conseil;
Luy, par cette vertu qui la mort peut contraindre,
R'allume les esprits qui venoient de s'esteindre,
Et dés que ce grand saint, d'vn soin officieux,
Ioint la bouche, à sa bouche, et les yeux à ses yeux;
L'enfant, priué de vie, en recouure l'vsage,
Au simple attouchement de son sacré visage,
Et comme vn cierge esteint s'allume de nouueau,
Au feu brillant que jette vn lumineux flambeau;
Ainsi l'enfant jouït de la clarté prémiére,
Quand la vertu du saint luy preste sa lumiére.
Ses disciples, vn jour, menacez du trépas,
Par l'imprudent apprest d'vn dangereux repas,
Il dissipe leur crainte, et d'vn soin salutaire
Il rend douce à leur goût, la coloquinte amere,
Puis, en ce mesme temps, multipliant le pain,
D'vne troupe nombreuse il soulage la faim.
Il fait, vn autre iour, nager sur l'eau flotante,
Le fer dur et pesant d'vne hache tranchante,
Et les mains dont naguére il s'estoit échapé
Le reprennent sur l'eau qui l'auoient vsurpé,
De ses faits en tous lieux la merueille est semée,
Aux climats estrangers vole sa renommée;
Et le chef syrien, Naman, de lépre atteint,
Pour en estre guery vient consulter le saint;
Il sent que son cerueau, que son coeur et son foye,
Sont de ce cruël mal et le siége et la proye,
Ce venin dont la rage a saisy tout son corps,
Le corrompt au-dedans et le change au-dehors:
Il altére son sang, rend son regard farouche;
Defigure son front, empoisonne sa bouche;
Le trouble quand il veille, et l'agite en dormant,
Dans son esprit confus mille songes formant,
Où des plus noirs objets les images sont peintes,
Qui l'exposent sans cesse à d'horribles atteintes.
Naman qui n'ose entrer dans la sainte maison,
De la main du prophéte attend la guérison.
De toucher vn lépreux, le saint homme dédaigne;
Luy mande qu'au Iordain par sept fois il se baigne;

P70

Et promet à ses maux vn prompt soulagement,
S'il va plonger son corps dans l'humide element;
Naman, quoy que d'abord méprisant ce reméde,
Le trouue, apres l'essay, fauorable à son ayde;
Et sept fois dans le fleuue à peine il s'est plongé,
Que de sa lépre infame il se voit soulagé.
De son sang corrompu la masse est rajeunie;
Son teint est vif et frais, sa peau deuient vnie;
De tout excés impur ses esprits nettoyez;
Rendent son coeur joyeux, et ses sens égayez.
Ainsi du froid serpent le corps se renouuelle
Aux feux de la saison si charmante et si belle;
Et le dos émaillé des plus viues couleurs,
Foule superbement les herbes et les fleurs.
Le payen nettoyé de cette lépre immonde,
Croit que le dieu du saint, est le seul dieu du monde;
Il veut combler de biens le prophéte fameux,
Qui fait de ses présens vn refus généreux;
Et punit d'vn des siens l'auarice indiscrette,
Pour les prophanes dons qu'il a pris en cachette.
Mais aprés qu'Elisée auec tant de bonté,
Au braue syrien a rendu la santé;
L'orgueilleux Benhadab qui régit la Syrie,
Du généreux prophéte attaque la patrie,
Le prophéte inspiré, découure ses desseins;
Israël trouue en luy l'art de les rendre vains;
Ioram, par ses auis, éuite les surprises,
Et rompt de Benhadab toutes les entreprises.
Le syrien voyant ses secrets découuers,
Fait chercher Elisée et le destine aux fers:
Le saint est en Dothan, où des troupes l'entourent,
Là, par l'ordre de Dieu, des anges le secourent.
Il voit d'vn oeil content leurs escadrons armez
Rouler en sa faueur sur des chars enflamez;
Et pour les faire voir, Dieu mesme à sa priére,
D'vn timide valet dessille la paupiére.
Mais quand ses ennemis l'abordent furieux,
Pour garentir sa teste il offusque leurs yeux;
Ce coup le leur déguise, et leur erreur extrême,
Fait que pour le chercher ils parlent à luy-mesme;
Le ciel qui de leurs mains a voulu le sauuer,

P71

A fait qu'en le voyant, ils n'ont sçeu le trouuer;
Et mesme Dieu permet que leur trouppe perfide,
Pour marcher contre luy le choisissent pour guide,
Tels qu'on void dans les eaux les crédules poissons,
Quand ils mordent l'appast des trompeurs hameçons;
De leur propre butin ne pouuoir se défendre,
Et se voir pris, enfin, par ce qu'ils veulent prendre.
Tels ces gens abusez, en leurs foibles esprits,
Croyant prendre Elisée, eux-mesmes en sont pris,
Le saint en Samarie ayant sçeu les conduire,
Peut, alors, d'vn seul mot les perdre et les détruire;
Mais bien-loin de les perdre, il est si généreux,
Qu'il s'oppose à Ioram qui veut tonner sur eux;
Et content de montrer qu'on ne sçauroit surprendre,
Ceux que le ciel protége, et que Dieu veut défendre,
Les renuoye à leur prince, et veut par leur rapport
Le faire apperceuoir qu'il n'est pas le plus fort,
Benhadab, toutefois, transporté du furie,
Pour surprendre Ioram attaque Samarie;
Ce roy, par vn long siége, est réduit aux aboïs,
De la pâle famine il sent les dures loïx,
La troupe de ses gens que ce fleau défigure,
N'est de ce qu'elle estoit qu'vne triste peinture.
Les voyant, on croit voir des phantosmes errans;
Leurs corps sont affoiblis, leurs visages mourans;
Leur pas est chancelant, leur parole étonnée;
Et l'on conte leurs os sous leur peau décharnée.
D'étrangers alîmens ils font tous leur repas;
Et souhaittent tousiours les choses qu'ils n'ont pas;
Au defaut de ce pain qu'ils demandent sans cesse;
Ils ne refusent rien à la faim qui les presse,
Et l'on vid en ces iours vn prodige nouueau,
Dont auec quelque horreur i'entreprens le tableau.
Deux meres, dont chacune embrasse un fils unique,
Eprouuant de la faim la rigueur tyrannique:
De manger leurs enfans font vn horrible accord,
Et peuuent se résoudre à viure par leur mort.
Vn de ces innocens a veu son sang répandre,
Et leur corps est remply de sa chair ieune et tendre.

P72

Aussi-tost que sa mére de sa propre main,
Enfoncé dans sa gorge vn acier inhumain.
Mais de la chair du mort l'autre mére assouuie,
Espargne de son fils et le sang et la vie,
Quand celle qui du sien a causé le trépas,
L'inuite à l'égorger pour vn second repas.
Toutes-deux, quand Ioram sur les murs fait la ronde,
Luy montrent de leur coeur la blessure profonde.
Seigneur, ren-moy iustice, et me donne secours,
(dit celle dont le fils a veu trancher ses iours)
Pren pitié d'vne femme, et console vne mére,
Dont vn proche trépas est la moindre misére;
Puis-qu'vn aspre desir de prolonger ses ans,
La contraint de trancher les iours de ses enfans.
Reduite par la faim à ce mal-heur extréme,
De voir languir mon fils, et de languir moy-mesme,
Sans que pour éuiter d'en estre consumez,
Aucun espoir vint luire à nos yeux affamez.
Seule auec ce cher fils j'attendois sans murmure,
Cette mort dont en moy tu peûs voir la figure,
Quand ma voisine osa m'inspirer le dessein
D'immoler l'innocence à nostre extréme faim;
D'égorger nos deux fils, pour en nourrir leurs méres:
Ie porte au mien des coups cruëls, mais nécessaires;
Aprés qu'elle eut iuré dans le funeste accord,
Que le sien par ses mains auroit le mesme sort,
Elle rostit mon fils, et ie la vis ensuite,
Manger à gros morceaux sa chair à demi-cuite.
Ie ne l'imitay point, car l'horreur de la voir,
M'en ostoit le desir, ainsi que le pouuoir.
Et ie meurs maintenant, parce que la traistresse
Refuse son enfant à la faim qui me presse;
Pour elle i'ay meurtry le cher fruit de mon flanc;
Ie viens de la nourrir de ma chair, de mon sang;
Et l'ingrate pourtant, l'injuste, la cruëlle,
Loin de faire pour moy, ce que i'ay fait pour elle;
Vient icy pour défendre à la face du roy;
Et son ingratitude, et son manque de foy;
Est preste à soûtenir vn horrible parjure;

P73

Dont la terre et le ciel doiuent punir l'injure;
Ah! Perfide, oses-tu ciel et terre outrager;
Sans craindre que tous deux s'arment pour me venger;
Si d'vn juste remors ton ame est incapable,
Les morceaux deuorez de ce fils misérable,
Presseront, contraindront ton coeur plein de forfaits,
D'auouër, malgré-toy, le tort que tu me fais.
Grand roy! Fay-moy raison de ce monstre funeste,
Dont la présence aigrit la colére céleste;
Et crains auecque-moy que son impunité,
Ne soit fatale au prince, au peuple, à la cité.
Celle qui s'est portée à trahir sa voisine,
Peut aussi de l'etat conspirer la ruine,
Liurer aux ennemis, et la ville, et ton bien,
Et manger tes enfans comme elle a fait le mien;
Mais las! Quand pour autruy mon amour m'interesse,
Ie chancéle, ie tombe, et ie meurs de foiblesse.
Ouy, ie meurs, si ie pers vn repas qui m'est deû,
Pour le prix d'vn cher fils que i'ay déja perdu.
Ie crains mesme, qu'enfin, ce monstre sanguinaire,
Ayant mangé le fils, veüille manger la mére;
Et que l'on soit contraint, ce prodige arriuant,
De défendre vn corps mort qu'on néglige viuant.
À ces mots elle achéue, et sa triste voisine,
Dont l'amour maternelle échauffe la poitrine,
Pour garentir son fils, se fait entendre au roy,
Ta présence, dit-elle, a calmé mon effroy,
Ie trouue en toy, seigneur, vn assuré réfuge;
Vn prince généreux, vn équitable iuge,
Qui ne permettra pas qu'vn bras si criminel,
Arrache vn innocent du giron maternel,
Ie ne me défendray, quand ie suis accusée,
Que par la vérité qu'elle t'a déguisée.
Tu sauras donc, grand roy, que l'allant visiter,
Ie vis dans ses regars la fureur éclater,
Ie luy vis vne faim, ou plûtost vne rage,
Qui respiroit le sang, et cherchoit le carnage;
Elle me demanda si mon fils estoit gras,

P74

Et preste à l'arracher d'entre mes foibles bras,
Auprés de nos enfans mourrons-nous, (me dit-elle)
Et par vne tendresse à leurs méres cruëlle,
Verrons-nous quand leur chair peut tenir lieu de pain,
Triompher de nos iours la rigueur de la faim?
Qu'ils meurent pour nourrir celles dont la nature,
A tiré iusqu'icy leur longue nourriture.
Promets-moy que tes mains immoleront le tien;
I'offre de commencer en égorgeant le mien.
Ie mourois de frayeur, à ces mots ie respire;
Et pour sauuer mon fils, n'osant luy contredire,
Ie promets d'imiter le coup prodigieux
Que sa main aussi-tost ose faire à mes yeux;
Elle empoigne son fils, son fils qui se lamente,
Enfonce vn dur poignard dans sa gorge innocente;
Fend la jeune poitrine, et dans moins d'vn instant,
Remplit sa main du foye et du coeur palpitant;
Coupe ce corps qui saigne, et qui respire encore,
L'embroche, le rostit, et des yeux le deuore;
Elle se pleint du feu qui luy semble trop lent,
Elle mange, et m'inuite à ce repas sanglant.
Ie mangeay, ie l'auouë, et ie m'y vis contrainte,
Pour couurir le dessein de ma pieuse feinte;
Pour dérober mon fils à l'étrange fureur,
Dont les cruëls effets me donnoient tant d'horreur:
Et quand ie le refuse à sa main parricide,
Elle m'ose traitter d'ingrate et de perfide.
Ah tigresse! Ah démon! Prens-tu pour vn bien-fait,
De m'auoir donné part à ton cruël forfait;
D'auoir nourry mon corps par vn meurtre exécrable,
Qui rendra pour iamais mon ame inconsolable?
Et si ie t'ay promis d'immoler mon enfant,
Dois-je faire ce coup que le ciel me défend?
Dois-je mettre en effet vne promesse injuste,
Qui choque du tres-haut le decret tres-auguste;
Vne promesse encor que malgré moy ie fis,
Où ie ne m'engageay que pour sauuer mon fils?
Voila ce pauure enfant qui n'a point fait de crime,
D'vn monstre criminel sera-t-il la victime?
Grand roy, loin de souffrir que d'vn forfait nouueau

P75

Elle ose ensanglanter son barbare cousteau;
Puny son parricide, et reprime vne audace,
Qui prouoque la foudre, et nos testes menace.
Au moins, pour garentir tes fidéles sujets,
Fay qu'elle porte ailleurs l'horreur de ses projets;
Qu'elle aille promptement au camp qui nous enserre;
Manger les fils de ceux qui nous liurent la guerre;
Ou si la chair des tiens pour elle a plus d'appas;
Et s'il faut qu'elle serue à ses sanglans repas;
Ie suis preste, grand prince! à deuenir sa proye;
Ie consens qu'elle mange, et mon coeur, et mon foye;
Pourueû que ce cher fils que ie mets en tes mains,
Euite la fureur de ses coups inhumains.
Ioram s'écrie, alors, ah! Couple trop funeste!
Euitez ma présence, allez ie vous déteste;
Puis, sans rien prononcer sur l'horrible debat,
Par qui s'accroist l'horreur du fleau qui le combat:
Il se plaint d'Elisée, il impute au prophéte,
La disette et les maux que causent la disette.
Il ordonne sa mort, transporté de fureur,
Puis change de dessein corrigeant son erreur;
Court luy-mesme aussi-tost chez le saint personnage,
Pour le mettre à couuert des ordres de sa rage;
Le saint, qui bien qu'absent, voit par l'esprit diuin,
Des projets de Ioram le principe et la fin,
Présage son abord, l'attend sans nulle crainte;
Ecoute constamment son reproche et sa plainte:
Et pour calmer son ame, et charmer sa douleur,
Luy promet dans vn iour la fin de son mal-heur;
Prédisant que du ciel la sage prouidence,
Doit faire à l'aspre faim succeder l'abondance.
Auant que le soleil se fust couché deux fois,
On vid l'éuénement qu'auoit marqué sa voix:
Bien que d'vn officier l'ame trop incrédule,
Iugeât qu'il les flattoit d'vn espoir ridicule.
Lâche incrédulité, qui fit rougir son front,
Et dont Dieu par sa mort depuis vengea l'affront;
Dieu donc, quand Samarie attend ses funérailles,
Du siége, et de la faim déliure ses murailles:
Et pour la garentir d'vne double fureur,

P76

Au camp des ennemis il porte la terreur,
Il séme aux enuirons le bruit épouuantable,
Que fait d'vn camp plus fort la marche redoutable;
Où les rapides chars et les cheuaux fougueux,
Font retentir les airs d'vn son impétueux;
Où le cry des soldats se mesle au bruit des armes;
Pour jetter en tous lieux d'éfroyables alarmes.
Des confus syriens le camp épouuanté,
Prens la fuite à ce bruit, dont l'air est agité;
Comme si des trois roys armez pour Samarie,
Ils eussent en fuyant deû craindre la furie.
Par ce bruit les hébreux vainqueurs des syriens,
Du camp abandonné vont piller tous les biens.
En ce bien-heureux iour cette troupe affamée,
S'enrichit du butin d'vne puissante armée;
Et la voix d'Elisée ayant conduit leur main,
L'abondance succéde aux rigueurs de la faim.
Ainsi quand l'âpre hyuer, par des lignes de neige,
D'vn bercail disetteux auoit formé le siége,
Les brebis par la faim, cause de leur maigreur,
Et tomboient de foiblesse, et béloient de douleur,
Mais lors que le printemps montrant sa jeune face,
Fait fondre doucement et la neige et la glace;
On void en vn moment tous les sillons blanchis,
De ces doux animaux par ses soins affranchis,
Qui vont tondre l'émail dont se pare la terre,
Et font aux champs fleuris vne innocente guerre.
Aprés ce grand succés, Dieu, dont les sages loix,
Disposent de la vie et du sceptre des roys,
Veut rendre en peu de iours la parole accomplie,
Qui jadis retentit aux oreilles d'Elie:
C'est que des syriens Hazaël sera roy;
Qu'Israël de Iehu reconnoîtra la loy;
Que des enfans d'Achab il fera le massacre,
Qu'il faut, pour ce grand coup, que Ionas le consacre.
Ce merueilleux mortel à qui d'vn beau destin,
Elie a fait reuoir le glorieux matin,
De son grand successeur écoutant la parole,
Auoit l'heur d'estre instruit en sa fameuse école.
Ionas comme porté sur l'aile de sa voix,

P77

Eut vne grande part à ces derniers exploits.
Il vit, comme Elisée, en ces grandes iournées,
De Benhadab mourant régla les destinées;
Comme il fit qu'en sa place Hasaël s'établit,
Quand ce premier trouua son tombeau dans son lit.
Mais quand du roy Ioram, que le ciel abandonne,
Sur le front de Iehu doit passer la couronne;
Le grand saint, de Ionas, choisit la digne main;
Pour luy donner le droit de prince souuerain.
Alors pour le sacrer, il prend l'huile sacrée,
Et d'vn pas diligent il vole en sa contrée;
Il le cherche, il le trouue, et faisant son employ,
De la part du seigneur il le déclare roy.
Mais aussi répandant cette huyle sur sa teste,
De la part du seigneur il luy parle en prophéte,
Le tres-haut, luy dit-il, qui t'éléue en ce rang,
De tous les fils d'Achab te demande le sang;
Il veut le voir couler pour la peine des crimes,
Qui de tant d'innocens ont fait tant de victimes,
Il veut qu'à ses enfans tu joignes Iézabel,
Et que du faux Baal tu purges Israël;
Commence par Ioram; vn sujet n'est point traistre,
Qui, par l'ordre de Dieu, s'arme contre vn faux maître;
Achéue par Baal; vn prince est plus pieux,
Qui seruant le vray dieu renuerse les faux-dieux.
Iehu, suiuy depuis d'vne nombreuse bande,
Fait ce que le seigneur par Ionas luy commande,
Il attaque Ioram et de sa propre main,
Luy plonge hardiment vn poignard dans le sein.
Aux autres fils d'Achab, il n'est pas moins séuére;
Et leur sang répandu fait détester leur pere.
L'infame Iézabel, par de justes efforts,
Void du haut d'vn palais précipiter son corps;
On le prend, on le jette, et cette reyne impure,
Dans le ventre des chiens trouue sa sépulture;
Et Iéhu void tomber la mére et les enfans,
Sous l'équitable effort de ses bras triomphans.
Tel void-on le berger en sa juste colére,
Auec les vipéreaux écraser la vipére,
De qui l'aspre morsure infectoit son troupeau;

P78

Et piquant ses brebis faisoit creuer leur peau.
Pour accomplir de Dieu la volonté supréme,
Iehu porte la guerre au sein de Baal mesme;
Baal void égorger ses sacrificateurs,
Il void fumer le sang de ses adorateurs,
Il void traitter, enfin, son culte de friuole,
Renuerser ses autels, son temple, et son idole.
C'est ainsi qu'vn tyran void brûler son palais,
C'est ainsi qu'on le noye au sang de ses valets,
Et les admirateurs de sa riche statuë,
Sont abatus ainsi, quand elle est abatuë:
Aprés que de Iéhu la vaillante fureur,
D'vn seruice idolâtre a renuersé l'erreur,
Il void borner, enfin, l'heureux cours de sa vie,
Et son fils, à son rang, régne dans Samarie.
En ce temps, Elisée épuisé de vigueur
Attend sa derniére heure en vn lit de langueur;
Et la mort, dont le coup ne peut rien sur sa gloire,
Veut au moins sur ses jours remporter la victoire.
Auant que d'expirer, il prédit à Ionas,
Au signe de trois dars qui partent de son bras:
Que du camp syrien la force redoutée,
Trébuchera trois fois sous sa main indomptée
Puis tournant vers le ciel, et les yeux et le coeur,
Il meurt auprés du roy qu'il déclare vainqueur.
Quand de son corps sacré, sa belle ame s'enuole,
Ce prince s'abandonne au deüil qui le désole:
Et pleurant ce depart qui l'accable d'ennuy;
Ô mon pere! Dit-il, ô mon plus cher appuy!
Donc la mort sur tes yeux répandant ses ténébres,
A terminé tes iours et tes actes célébres;
En tenant ce discours, ce prince ne sait pas,
Que la vertu du saint suruit à son trépas;
En effet, dés qu'vn mort que l'on portoit en terre,
Toucha les os du saint, que la tombe resserre;
Par le pouuoir diuin ses os rendus puissans,
Rendirent à ce mort l'vsage de ses sens;
La chaleur luy reuint dans ses veines glacées,
Il reprit les couleurs sur son teint effacées;
En suite, son oeil vid, et sa bouche parla,
Et son corps cheminant, iamais ne chancela.

P79

Ionas, depuis le iour de ce rare miracle,
Et succéde à son maistre, et deuient nostre oracle;
Il enseigne les iuifs, il annonce à leurs roys,
Du monarque eternel les ordres et les loix.
Ioas de son langage écoute les mystéres;
Amazia reçoit ses leçons salutaires.
Mais chez Iéroboam il trouue plus d'accés,
Il présage, il conduit ses belliqueux succés;
Et ie t'ay déja dit comme sa voix puissante
Rendit du prince hébreu la valeur triomphante
Lors que iusqu'à la mer étendant ses etats;
Il reprit le païs d'Emat, et de Damas.
C'est-là qu'Aman finit son récit mémorable.
Tandis la mer tranquille, et le vent fauorable,
Par vn soufle commode, et par vn doux effort,
Conduisent le nauire et le poussent au port.

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J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

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