II. Histoire d'un phoque
Je crains vraiment de fatiguer l'attention du public avec mes malheureuses
pérégrinations à la recherche de l'abbé de Bucquoy. Toutefois, les lecteurs de
feuilletons ne doivent plus s'attendre à l'intérêt certain qui résultait naguère
des aventures attachantes, dues à la liberté qui nous était laissée de peindre
des scènes d'amour.
J'apprends qu'on menace en ce moment un journal pour avoir dépeint une passion,
- réelle pourtant, - qui se développe dans les récits d'un voyage au Groenland.
Ceci m'empêcherait peut-être de vous entretenir d'un détail curieux que je viens
d'observer à Versailles, où je m'étais rendu pour voir si la Bibliothèque de
cette ville contenait l'ouvrage que je cherche.
La Bibliothèque est située dans les bâtiments du château. Je me suis assuré de
ce fait, qu'elle est encore, - comme la plupart des nôtres, - en vacances.
En revenant du château par l'allée de Saint-Cloud, je me suis trouvé au milieu
d'une fête foraine, qui a lieu tous les ans à cette même époque.
Mes yeux se sont trouvés invinciblement attirés par l'immense tableau qui
indique les exercices du Phoque savant.
Je l'avais vu à Paris l'an dernier, - et j'avais admiré la grâce avec laquelle
il disait papa-maman et embrassait une jeune personne, - dont il exécutait tous
les commandements.
J'ai toujours eu de la sympathie pour les phoques, depuis que j'ai entendu
raconter en Hollande l'anecdote suivante.
Ce n'est pas un roman, - si l'on en croit les Hollandais. - Ces animaux servent
de chiens aux pêcheurs; ils ont la tête du dogue, l'oeil du veau et les fanons
du chat. - Dans la saison de la pêche, ils suivent les barques, et rapportent le
poisson, quand le pêcheur le manque ou le laisse échapper.
En hiver, ils sont très frileux, et chaque pêcheur en a un, qu'il laisse se
traîner dans sa cabane, et qui, le plus souvent, garde le coin du feu, en
attendant quelque chose de ce qui cuit dans la marmite.