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 Gérard De Nerval (1808-1855) II. - Adrienne

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Inaya
Plume d'Eau
Inaya


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Gérard De Nerval (1808-1855) II. - Adrienne Empty
MessageSujet: Gérard De Nerval (1808-1855) II. - Adrienne   Gérard De Nerval (1808-1855) II. - Adrienne Icon_minitimeJeu 30 Aoû - 22:27


II. - Adrienne

Je regagnai mon lit et je ne pus y trouver le repos. Plongé dans une demi-
somnolence, toute ma jeunesse repassait en mes souvenirs. Cet état, où l'esprit
résiste encore aux bizarres combinaisons du songe, permet souvent de voir se
presser en quelques minutes les tableaux les plus saillants d'une longue période
de la vie.
Je me représentais un château du temps de Henri IV avec ses toits pointus
couverts d'ardoises et sa face rougeâtre aux encoignures dentelées de pierres
jaunies, une grande place verte encadrée d'ormes et de tilleuls, dont le soleil
couchant perçait le feuillage de ses traits enflammés. Des jeunes filles
dansaient en rond sur la pelouse en chantant de vieux airs transmis par leurs
mères, et d'un français si naturellement pur, que l'on se sentait bien exister
dans ce vieux pays du Valois, où, pendant plus de mille ans, a battu le coeur de
la France.
J'étais le seul garçon dans cette ronde, où j'avais amené ma compagne toute
jeune encore, Sylvie, une petite fille du hameau voisin, si vive et si fraîche,
avec ses yeux noirs, son profil régulier et sa peau légèrement hâlée!...Je
n'aimais qu'elle, je ne voyais qu'elle, - jusque-là! A peine avais-je remarqué,
dans la ronde où nous dansions, une blonde, grande et belle, qu'on appelait
Adrienne. Tout d'un coup, suivant les règles de la danse, Adrienne se trouva
placée seule avec moi au milieu du cercle. Nos tailles étaient pareilles. On
nous dit de nous embrasser, et la danse et le choeur tournaient plus vivement
que jamais. En lui donnant ce baiser, je ne pus m'empêcher de lui presser la
main. Les longs anneaux roulés de ses cheveux d'or effleuraient mes joues. De ce
moment, un trouble inconnu s'empara de moi. - La belle devait chanter pour avoir
le droit de rentrer dans la danse. On s'assit autour d'elle, et aussitôt, d'une
voix fraîche et pénétrante, légèrement voilée, comme celle des filles de ce pays
brumeux, elle chanta une de ces anciennes romances pleines de mélancolie et
d'amour, qui racontent toujours les malheurs d'une princesse enfermée dans sa
tour par la volonté d'un père qui la punit d'avoir aimé. La mélodie se terminait
à chaque stance par ces trilles chevrotants que font valoir si bien les voix
jeunes, quand elles imitent par un frisson modulé la voix tremblante des
aïeules.
A mesure qu'elle chantait, l'ombre descendait des grands arbres, et le clair de
lune naissant tombait sur elle seule, isolée de noire cercle attentif. - Elle se
tut, et personne n'osa rompre le silence. La pelouse était couverte de faibles
vapeurs condensées, qui déroulaient leurs blancs flocons sur les pointes des
herbes. Nous pensions être en paradis. - Je me levai enfin, courant au parterre
du château, où se trouvaient de lauriers, plantés dans de grands vases de
faïence peints en camaïeu. Je rapportai deux branches, qui furent tressés en
couronne et nouées d'un ruban. Je posai sur la tête d'Adrienne cet ornement,
dont les feuilles lustrées éclataient sur ses cheveux blonds aux rayons pâles de
la lune. Elle ressemblait à la Béatrice de Dante qui sourit au poète errant sur
la lisière des saintes demeures.
Adrienne se leva. Développant sa taille élancée, elle nous fit un salut
gracieux, et rentra en courant dans le château. - C'était, nous dit-on, la
petite-fille de l'un des descendants d'une famille alliée aux anciens rois de
France; le sang des Valois coulait dans ses veines. Pour ce jour de fête, on lui
avait permis de se mêler à nos jeux; nous ne devions plus la revoir, car le
lendemain elle repartit pour un couvent où elle était pensionnaire.
Quand je revins près de Sylvie, je m'aperçus qu'elle pleurait. La couronne
donnée par mes mains à la belle chanteuse était le sujet de ses larmes. Je lui
offris d'en aller cueillir une autre, mais elle dit qu'elle n'y tenait
nullement, ne la méritant pas. Je voulus en vain me défendre, elle ne me dit
plus un seul mot pendant que je la reconduisais chez ses parents.
Rappelé moi-même à Paris pour y reprendre mes études, j'emportai cette double
image d'une amitié tendre tristement rompue, puis d'un amour impossible et
vague, source de pensées douloureuses que la philosophie de collège était
impuissante à calmer.
La figure d'Adrienne resta seule triomphante, - mirage de la gloire et de la
beauté, adoucissant ou partageant les heures des sévères études. Aux vacances de
ce suivante, j'appris que cette belle à peine entrevue était consacrée par sa
famille à la vie religieuse.
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Gérard De Nerval (1808-1855) II. - Adrienne
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