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 Gérard De Nerval (1808-1855) Lettres à Aurélia V

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Inaya
Plume d'Eau
Inaya


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Gérard De Nerval (1808-1855) Lettres à Aurélia  V Empty
MessageSujet: Gérard De Nerval (1808-1855) Lettres à Aurélia V   Gérard De Nerval (1808-1855) Lettres à Aurélia  V Icon_minitimeJeu 30 Aoû - 23:23

V

Me voilà encore à vous écrire, puisque je ne puis faire autre chose que de
penser à vous, et de m'occuper de vous, de vous si occupée de tant d'autres, si
distraite, si affairée, non pas tout à fait indifférente peut-être, j'ai lieu de
le croire aujourd'hui, mais bien cruellement raisonnable, et raisonnant si bien!
Oh! femme, femme! l'artiste sera toujours en vous plus forte que l'amante! Mais
je vous aime aussi comme artiste; il y a dans votre talent même, une partie de
la magie qui m'a charmé: marchez donc d'un pas ferme vers cette gloire que
j'oublie; et s'il faut une voix pour vous crier: courage! s'il faut un bras pour
vous soutenir; s'il faut un corps où votre pied s'appuie pour monter plus haut
vous savez que tout mon bonheur est de vivre, et serait de mourir pour vous!
Mourir! grand Dieu; pourquoi cette idée me revient-elle à tout propos, comme
s'il n'y avait que ma mort qui fût l'équivalent du bonheur que vous promettez;
la Mort! ce mot pourtant ne répand cependant rien de sombre dans ma pensée: elle
m'apparaît, couronnée de roses pâles, comme à la fin d'un festin; j'ai rêvé
quelquefois qu'elle m'attendait en souriant au chevet d'une femme adorée, non
pas le soir, mais le matin, après le bonheur, après l'ivresse et qu'elle me
disait: Allons, jeune homme! tu as eu ta nuit comme d'autres ont leur jour! à
présent, viens dormir, viens te reposer dans mes bras; je ne suis pas belle moi,
mais je suis bonne et secourable, et je ne donne pas le plaisir, mais le calme
éternel!
Mais où donc cette image s'est-elle déjà offerte à moi? Ah! je vous l'ai dit:
c'était à Naples, il y a trois ans. J'avais fait rencontre à la Villa Reale
d'une Vénitienne qui vous ressemblait; une très bonne femme, dont l'état était
de faire des broderies d'or pour les ornements d'église.
Le soir, nous étions allés voir Buondelmonte à San Carlo; et puis nous avions
soupé très gaiement au café d'Europe; tous ces détails me reviennent, parce que
tout m'a frappé beaucoup, à cause du rapport de figure qu'avait cette femme avec
vous. J'eus toutes les peines du monde à la décider à me laisser l'accompagner;
parce qu'elle avait un amant dans les officiers suisses du Roi. Ils sont rentrés
depuis neuf heures, me disait-elle, mais demain, ils peuvent sortir de la
caserne au point du jour, et le mien viendra chez moi tout à son lever
assurément; il faudra donc vous éveiller bien avant le soleil, le pourrez-vous?
D'abord, lui dis-je, il y a un moyen fort naturel, c'est de ne pas dormir du
tout. Cette pensée la décida à me garder, mais voilà qu'à une certaine heure,
nous nous endormîmes malgré nous. Vous allez croire que l'aventure se complique
après cela. Pas du tout; elle est de la dernière simplicité. Les aventures sont
ce qu'on les fait et celle-là m'était trop indifférente après tout pour que je
cherchasse à la pousser au drame, surtout avec un suisse personnage probablement
peu poétique. Avant le jour cette femme m'éveilla en sursaut au bruit des
premières cloches. En un clin d'oeil, je me trouvai habillé, conduit dehors et
me voilà sur le pavé de la rue de Tolède, encore assez endormi pour ne pas trop
comprendre ce qui venait de m'arriver. Je pris par les petites rues derrière
Chiaia et je me mis à gravir le Pausilippe au-dessus de la grotte.
Arrivé tout en haut, je me promenais en regardant la mer déjà bleuâtre, la ville
où l'on n'entendait encore que le bruit du matin et les deux îles d'Eschia et de
Nisita où le soleil commençait à dorer le haut des villas. Je n'étais pas
fatigué le moins du monde [...?...] je marchais à grands pas, je courais, je
descendais les pentes, je me roulais dans l'herbe humide, mais dans mon coeur il
y avait l'idée de la mort.
O Dieu! je ne sais quelle profonde tristesse habitait en mon âme, mais ce
n'était autre chose que la pensée cruelle que je n'étais pas aimé! J'avais vu
comme le fantôme du bonheur, j'avais usé de tous les dons de Dieu, j'étais sous
le plus beau ciel du monde, en présence de la nature la plus parfaite, du
spectacle le plus immense qu'il soit donné aux hommes de voir, mais à cinq
lieues de la seule femme qui existât pour moi et qui ignorait alors jusqu'à mon
existence.
N'être pas aimé et n'avoir pas l'espoir de l'être jamais. Cette femme étrangère
qui m'avait présenté votre vaine image et qui servait pour moi au caprice d'un
soir, mais qui avait ses amours à elle, ses intérêts, ses habitudes, cette femme
m'avait offert tout le plaisir qui peut exister en dehors des émotions de
l'amour. Mais l'amour manquant tout cela n'était rien.
C'est alors que je fus tenté d'aller demander compte à Dieu de mon incomplète
existence. Il n'y avait qu'un pas à faire: à l'endroit où j'étais, la montagne
était coupée comme une falaise, la mer grondait en bas, bleue et pure; ce
n'était plus qu'un moment à souffrir. Oh! l'étourdissement de cette pensée fut
terrible. Deux fois je me suis élancé et je ne sais quel pouvoir me rejeta
vivant sur la terre que j'embrassai. Non, mon Dieu! vous ne m'avez pas créé pour
mon éternelle souffrance. Je ne veux pas vous outrager par ma mort, mais donnez-
moi la force, donnez-moi le pouvoir, donnez-moi surtout la résolution qui fait
que les uns arrivent au trône, les autres à la gloire, les autres à l'amour!
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Gérard De Nerval (1808-1855) Lettres à Aurélia V
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