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 Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXIII. HUITIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. LES VAPEURS.

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Denis Diderot. (1713-1784)  CHAPITRE XXIII.  HUITIÈME ESSAI DE L'ANNEAU.  LES VAPEURS. Empty
MessageSujet: Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXIII. HUITIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. LES VAPEURS.   Denis Diderot. (1713-1784)  CHAPITRE XXIII.  HUITIÈME ESSAI DE L'ANNEAU.  LES VAPEURS. Icon_minitimeLun 3 Sep - 10:57

CHAPITRE XXIII.

HUITIÈME ESSAI DE L'ANNEAU.

LES VAPEURS.


Il y eut un temps, comme on voit, que les femmes, craignant que leurs
bijoux ne parlassent, étaient suffoquées, se mouraient: mais il en vint
un autre, qu'elles se mirent au-dessus de cette frayeur, se défirent des
muselières et n'eurent plus que des vapeurs.

La favorite avait, entre ses complaisantes, une fille singulière. Son
humeur était charmante, quoique inégale. Elle changeait de visage dix
fois par jour; mais quel que fût celui qu'elle prît, il plaisait. Unique
dans sa mélancolie, ainsi que dans sa gaieté, il lui échappait, dans ses
moments les plus extravagants, des propos d'un sens exquis; et il lui
venait, dans les accès de sa tristesse, des extravagances
très-réjouissantes.

Mirzoza s'était si bien faite à Callirhoé, c'était le nom de cette jeune
folle, qu'elle ne pouvait presque s'en passer. Une fois que le sultan se
plaignait à la favorite de je ne sais quoi d'inquiet et de froid qu'il
lui remarquait:

«Prince, lui dit-elle, embarrassée de ses reproches, sans mes trois
bêtes, mon serin, ma chartreuse(42) et Callirhoé, je ne vaux rien; et
vous voyez bien que la dernière me manque...

(42: Chatte d'un gris-cendré.)

-Et pourquoi n'est-elle pas ici? lui demanda Mangogul.

-Je ne sais, répondit Mirzoza; mais il y a quelques mois qu'elle
m'annonça que, si Mazul faisait la campagne, elle ne pourrait se
dispenser d'avoir des vapeurs; et Mazul partit hier...

-Passe encore pour celle-là, répliqua le sultan. Voilà ce qui s'appelle
des vapeurs bien fondées. Mais vis-à-vis de quoi s'avisent d'en avoir
cent autres, dont les maris sont tout jeunes, et qui ne se laissent pas
manquer d'amants?

-Prince, répondit un courtisan, c'est une maladie à la mode. C'est un
air à une femme que d'avoir des vapeurs. Sans amants et sans vapeurs, on
n'a aucun usage du monde; et il n'y a pas une bourgeoise à Banza qui ne
s'en donne.»

Mangogul sourit et se détermina sur-le-champ à visiter quelques-unes de
ces vaporeuses. Il alla droit chez Salica. Il la trouva couchée, la
gorge découverte, les yeux allumés, la tête échevelée, et à son chevet
le petit médecin bègue et bossu Farfadi, qui lui faisait des contes.
Cependant elle allongeait un bras, puis un autre, bâillait, soupirait,
se portait la main sur le front et s'écriait douloureusement: «Ahi... Je
n'en puis plus... Ouvrez les fenêtres... Donnez-moi de l'air... Je n'en
puis plus; je me meurs...»

Mangogul prit le moment que ses femmes troublées aidaient Farfadi à
alléger ses couvertures, pour tourner sa bague sur elle; et l'on
entendit à l'instant: «Oh! que je m'ennuie de ce train! Voilà-t-il pas
que madame s'est mis en tête d'avoir des vapeurs! Cela durera la
huitaine; et je veux mourir si je sais à propos de quoi: car après les
efforts de Farfadi pour déraciner ce mal, il me semble qu'il a tort de
persister.»

«Bon, dit le sultan en retournant sa bague, j'entends. Celle-ci a des
vapeurs en faveur de son médecin. Voyons ailleurs.»

Il passa de l'hôtel de Salica dans celui d'Arsinoé, qui n'en est pas
éloigné. Il entendit, dès l'entrée de son appartement, de grands éclats
de rire et s'avança, comptant la trouver en compagnie: cependant elle
était seule; et Mangogul n'en fut pas trop surpris. «Une femme se
donnant des vapeurs, elle se les donne apparemment, dit-il, tristes ou
gaies, selon qu'il est à propos.»

Il tourna sa bague sur elle, et sur-le-champ son bijou se mit à rire à
gorge déployée. Il passa brusquement de ses ris immodérés à des
lamentations ridicules sur l'absence de Narcès, à qui il conseillait en
bon ami de hâter son retour, et continua sur nouveaux frais à sangloter,
pleurer, gémir, soupirer, se désespérer, comme s'il eût enterré tous les
siens.

Le sultan se contenant à peine d'éclater d'une affliction si bizarre,
retourna sa bague et partit, laissant Arsinoé et son bijou se lamenter
tout à leur aise et concluant en lui-même la fausseté du proverbe.






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