ELEGIES LA MEMOIRE
Tais-toi, ma soeur ! Le passé brûle.
Son nom, c' est lui ; ne le dis plus :
Se reprendre à des biens perdus,
C' est marcher au flot qui recule.
Empreint d' une ardente douceur,
À peine effleure-t-il ma bouche,
Comme une flamme qui me touche,
Ce nom brûle... tais-toi, ma soeur !
Femme, tu vois un coeur de femme
Au fond de nos yeux consternés,
Lorsqu' à s' éteindre condamnés,
Trop de fièvre en usa la flamme.
Au mal qui fait longtemps souffrir,
Crois-moi, l' homme est plus inflexible ;
Il nous défend d' être sensible,
Il ne défend pas d' en mourir !
Ce qu' il sait de science amère
Pour mentir à son propre amour ;
Ce qu' il peut inventer un jour
Contre son idole éphémère ;
Ce que j' ai ressenti tout bas
De sa haine... ou de son délire,
Tout haut je ne veux pas le dire,
Pour que Dieu ne me venge pas !
Car j' ai là comme une prière
Qui pleure pour lui nuit et jour ;
C' est la charité dans l' amour,
Ou c' est sa parole première.
Qu' elle enfermait d' âme et de foi,
Sa voix jeune et si tôt parjure !
J' en parle à Dieu sans son injure,
Pour que Dieu l' aime autant que moi.
Je garde au coeur la fraîche empreinte
De ce qu' il fut dans sa candeur :
Et, quand Dieu pèsera mon coeur,
Crois-tu qu' il en brise l' étreinte ?
Lui n' est plus lui, même à ses yeux ;
D' autres n' ont que son faux hommage :
Je le plains, mais sa belle image,
Je ne la lui rendrai qu' aux cieux !