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 Gonzalve Desaulniers (1863-1934) Préface

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Gonzalve Desaulniers (1863-1934) Préface Empty
MessageSujet: Gonzalve Desaulniers (1863-1934) Préface   Gonzalve Desaulniers (1863-1934) Préface Icon_minitimeLun 22 Oct - 11:03

Les bois qui chantent

Je dédie ce livre à ma femme.



Préface
M. Gonzalve Desaulniers nous offre l'aventure peu commune d'un
poète reconnu, estimé depuis des années, dont les vers ont sonné maintes
fois dans nos réunions littéraires ou patriotiques, ont même volé
jusqu'aux rives de France, et qui en est encore à publier son premier
livre. Les bardes allaient ainsi semant leurs virelais au hasard de leurs
longs pèlerinages bien avant de songer à les écrire. Il y a quarante ans,
davantage peut-être, que M. Desaulniers, alors en pleine jeunesse, sentit
germer sa vocation poétique. Vocation, il est vrai, enchevêtrée à
beaucoup d'autres, qui devait tour-à-tour le pousser vers la presse, la
politique, les oeuvres d'avance nationale, les joûtes d'une carrière
d'avocat extrêmement remplie, et finalement l'asseoir sur le siège
honoré du magistrat. Mais ces activités elles-mêmes se sont toujours
mêlées pour lui de certain élan chaleureux, de certaine vision large et
qu'on pourrait dire poétique. Apôtre, dans le journalisme, d'un
libéralisme élevé; défenseur, au barreau, des droits de la parole et des
causes qu'on croyait perdues; missionnaire en tout temps de nos affinités
françaises, il a su mettre à tout cela comme un souffle idéal, comme un
rythme exalté et généreux. Il n'est pas même un magistrat tout à fait
comme un autre; les pandectes n'ont pas raidi sa conversation, ses
manières; s'il est grave quand il faut, rien n'a pu le faire solennel, et
jusqu'en ses verdicts paraît l'aisance de l'homme du monde. La toge
posée, il se délecte comme jadis à des soirées d'art ou de lettres où se
poursuit l'inutile Beauté, où il jette les factums par dessus les moulins.
Serait-ce trop de conclure qu'il fut toujours, en tout, et peut-être avant
tout poète?

Il est temps, dès lors, que finisse la tradition orale où flottaient
vaguement ses vers. Ce recueil nous les livre enfin, moulés dans un
galbe définitif, soustraits ainsi au risque de l'oubli. Et ce fait marque un


bon moment dans l'histoire de nos lettres canadiennes. Elles
s'enrichissent par là d'une oeuvre sérieuse et brillante, ayant son
caractère à part et comblant une lacune que garderait, à son défaut, la
suite de notre poésie. Avez-vous remarqué que Crémazie, Lemay,
Fréchette, ces artisans de notre renaissance poétique, ont pris surtout du
romantisme la conception épique, l'émotion tourmentée, la période
pompeuse, l'image grandiose et éclatante? tandis que Nérée
Beauchemin, précurseur en cela des écoles futures, dépassa, lui, la mode
romantique et s'installa avec Coppée, Sully-Prud'homme et les
parnassiens, en un cénacle épris surtout de précision, de finesse et de
ciselure! Il semble qu'un grand et fort courant ait été négligé; celui
qu'avaient ouvert Chénier, Vigny et Lamartine : le torrent du lyrisme
pur, où l'âme épanche ses rêves en effusions plus libres, avec la chaleur,
l'abandon des forces spontanées; poésie faite surtout d'imagination, de
tendresse, de mélancolie et de grâce; dont la musique est mélodie plutôt
qu'accord de gammes savantes; dont l'art se dissimule sous une
splendeur égale et discrète. Poésie franchement idéaliste, partant de la
nature pour la dépasser, soucieuse de refaire et d'agrandir la réalité
plutôt que de s'asservir à elle; dédaignant, dans la forme, les contrastes
heurtés, les traits durs, les couleurs criantes; gardant aux sentiments, aux
êtres, une ligne onduleuse et fluide, des demi-teintes fondues, des reflets
vaporeux, certain vague mystique et berceur. M. Desaulniers, le premier
chez nous, représenta cette influence distincte, la conception
lamartinienne et purement lyrique de l'art; je ne sais après lui que Robert
Choquette qui l'ait reprise et poursuivie.

Or s'il est vrai que le lyrisme ait paru vieillir et faire place à
beaucoup de théories plus froides, il n'en reste pas moins un des
éléments éternels, intrinsèques, de la poésie, et aucun vrai poète, même
en le niant, ne lui échappe. C'est par lui que la poésie est un chant, un
essor, s'élève au-dessus des idées vulgaires et des platitudes réelles,
divinise les soupirs de l'âme, transforme l'univers en l'exaltant. Nul
caprice esthétique ne saurait bannir du poème l'idéal et l'enthousiasme,
ses deux ailes nécessaires, en faire un simple bruissement de mots et de
syllabes. Mêmes les écoles où le lyrisme restreint ses envolées, se revêt
de formules compassées et plastiques, lui rendent hommage en le
déguisant. M. Desaulniers reste donc dans la tradition la plus haute en
s'avérant poète lyrique, disciple de ce Lamartine qui le fut de Pindare et
de Sapho. Il a d'ailleurs sa personnalité; il sait renouveler l'imagerie des
maîtres, infuser leur esprit à des thèmes présents. A côté d'harmonies
fraternelles aux leurs, il module des airs plus légers où l'observation
fine, le sentiment ténu, même le marivaudage subtil, confinent à la
chanson, jettent une note souriante, spirituelle et vive. Le chantre de
Milly se reconaîtrait dans Le Golfe, dans Le Tisserand, dans Soir
gaspésien; mais M. Desaulniers réclame pour lui seul Caprice, Comme
dans un rêve, Les fleurs jalouses et Vous souvenez-vous?

Que nous importent, après tout, ses ascendances mentales? Prenons
son oeuvre pour ce qu'elle est. Parcourons ces poèmes, et surtout les
plus étendus, ceux où l'auteur développe à l'aise sa pensée, son
inspiration, sa technique. Il est incontestable que ces alexandrins semés
en jets prodigues, se suivant comme les flots déferlent, sont beaux,
symboliques, expressifs, se pressent tous d'un mouvement large vers une
impression unique et intense. Ils ont la fermeté de la réflexion et la
mollesse du songe, l'émotion concentrée et chaude, l'éclat d'images
révélatrices, l'aisance d'une langue pure et choisie. Ce sont des vers
classiques où l'âge de nos jours se déverse, qu'elle emplit de vie
bouillonnante, sans en briser le moule parfait. La plupart ont jailli en
face de la nature; ils en dégagent le calme, le mystère, les voix
sympathiques et profondes, surtout la nostalgie pénétrante.

Oh! que le son du cor est triste au fond des bois! Les bois eux-mêmes
sont tristes, et ils n'en sont que plus charmeurs. Mais parfois ils sourient,
et alors ils nous baignent de joie à nous faire pleurer. Ces sensations se
dressent, vivantes, dans les églogues comme Les Pins, Vita et Mors,
Matin, Lettre de la montagne. Le poète communie aux sèves, aux vieux
troncs, aux feuillages, entre dans leur silence, s'absorbe dans leur vie
secrète (Le Silence des bois). Sous ces ramures quasi sacrées il aime à
replacer l'homme primitif, l'Indien qui y régnait et dans l'ombre y circule encore.
C'est le thème de plusieurs morceaux : Naouitha, La Fille des bois,
La Chanson des bois, Le Pardon des bois. Et sans doute cet Indien s'idéalise
de pied en cap : c'est un Indien travaillé, sculpté;
c'est l'Indien de Châteaubriand; il pense et soupire comme René, il parle
comme Atala et Chactas. Mais, tout factice qu'il soit, il exprime
noblement des idées, des aspirations humaines, les rêves de coeurs naïfs,
les regrets d'une race disparue. L'amour de la fille des bois, c'est
l'amour séculaire chantant en elle sa chanson magique, la même que
dans le coeur d'une princesse. Si les Grecs peuplaient leurs forêts de
nymphes purement imaginaires, nous est-il défendu de voir ces fantômes
mi-réels rôder autour de nos érables?

L'amour civilisé lui-même prend volontiers chez le poète un tour
idyllique et sylvain. Ce sont les grèves, les sentiers ombreux, les champs
de marguerites, qu'il voudrait pour décor aux confidences et aux
baisers : ce sont eux qui, par contre, lui en révèlent la brièveté fugace
(Ne cherchons pas, Automne, etc.) Et ces appels ou ces regrets
empruntent à la nature une sincérité fraîche, une tendresse profonde et
tranquille.

En dehors de ces bois qui chantent et de ces coeurs qui chantent sous
bois, c'est la patrie encore qui inspirent M. Desaulniers : la patrie
nouvelle et l'ancienne, elles ne font pour lui qu'une seule France.
Canada eût pu nous fournir, tout comme les strophes de Routhier, un
vibrant hymne national. Mouettes de France claironne la revanche de
nos frères longtemps attendue. Enfin, dans un récit palpitant d'une
flamme héroïque, les deux patries se joignent, s'enlacent et scellent à
nouveau leur alliance dans le sacrifice et le sang. Et si l'on admet tout
d'abord l'idéalisme transcendant et la fièvre extatique du thème, Pour la
France est une pièce purement admirable, pénétrée d'essence poétique,
soulevée d'une exaltation hautaine, dite en des vers où chaque mot porte
juste, éveille une sensation, sonne une musique délicieuse : l'un des plus
beaux cris, en somme, qu'ait suscités la dernière guerre.
Enthousiasme, harmonie, justesse, éclat discret et soutenu, balance
entre la pensée et l'image, correction et grâce de la strophe, cela résume
la poésie de M. Desaulniers, en fait la plus rapprochée qui soit chez nous
de la grande manière lyrique. Et l'idéal qu'elle exemplifie n'a pas
succombé, quoi qu'on dise, au flux des modes changeantes et à l'assaut
des couches nouvelles. Cet idéal survit aux évolutions esthétiques parce
qu'il se fonde sur des instincts permanents et impérissables. Pourvu qu'il
s'exprime fortement, en formules simples et directes, en une langue
dégagée de caprices transitoires, il n'a guère risque de vieillir. C'est
pourquoi les meilleurs poèmes de Gonzalve Desaulniers gardent encore
toute leur jeunesse, celle que gardent Le Lac et Le Cor, la jeunesse des
choses toujours vraies. Nous ne saluons pas cette oeuvre comme une
plante d'herbier, mais comme une tige bien vivante qui, surgie de
lointaines racines, s'épanouit pour nous, pare le sol que nous foulons. Ce
livre marque à la fois une date historique pour nos lettres, date qui se
placerait, en droit, entre Fréchette et Nelligan, et des heures très
charmantes que les plus modernes, les plus difficiles d'entre nous
passeront à le lire. LOUIS DANTIN.
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