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 Robert Desnos. (1900-1945) VIII. À Perte De Vue.

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MessageSujet: Robert Desnos. (1900-1945) VIII. À Perte De Vue.   Robert Desnos. (1900-1945)  VIII. À Perte De Vue. Icon_minitimeDim 28 Oct - 21:19

VIII. À Perte De Vue.

Corsaire Sanglot s’ennuyait! L’ennui était devenu sa raison de vivre. Il le
laissait croître en silence, admirant chaque jour qu’il ait pu encore augmenter.
C’était l’Ennui, grande place ensoleillée, bordée de colonnades rectilignes,
bien balayée, bien propre, déserte. Une heure immuable avait sonné dans la vie
du corsaire et celui-ci comprenait maintenant qu’ennui est synonyme d’Éternité.
En vain était-il réveillé chaque nuit par le tic-tac insolite de la pendule,
tic-tac qui s’amplifiait, emplissant de sa respiration la chambre où il était
couché, ou bien, vers minuit, une présence obscure interrompait-elle son rêve.
Ses pupilles, dilatées dans l’obscurité, cherchaient celui ou celle qui venait
sans nul doute de s’introduire dans le logis. Mais personne n’avait forcé la
porte et bientôt le bruit calme de l’horloge se confondait avec la respiration
du dormeur.


Corsaire Sanglot sentait croître une estime nouvelle pour lui- même et en lui-
même. Depuis qu’il avait compris et accepté la monotonie de l’Éternité, il
avançait droit comme un bâton à travers les aventures, lianes glissantes, qui ne
l’arrêtaient pas dans sa marche. Une exaltation nouvelle avait succédé à la
dépression. Une espèce d’enthousiasme à rebours qui lui faisait considérer sans
intérêt l’échec de ses plus chères tentatives. La liberté du temps l’avait enfin
conquis. Il s’était confondu avec les patientes minutes qui se suivent et se
ressemblent.

C’était l’ennui, grande place où il s’était un jour aventuré. Il était trois
heures de l’après-midi. Le silence recouvrait jusqu’au bourdonnement sonore des
frelons et de l’air chauffé. Les colonnades découpaient sur le sol jaune leurs
ombres rectilignes. Nul passant sinon, de l’autre côté de cette place qui
pouvait avoir trois kilomètres de rayon, un personnage minuscule qui circulait
sans but défini. Corsaire Sanglot constata avec terreur qu’il était toujours
trois heures, que les ombres étaient immuablement tournées dans la même
direction. Mais cette terreur elle-même disparut. Le corsaire accepta finalement
cet enfer pathétique. Il savait que nul paradis n’est permis à qui s’est rendu
compte un jour de l’existence de l’infini et il consentait à rester, sentinelle
éternellement debout, sur cette place chaude et éclairée brillamment par un
soleil immobile.

Qui donc a comparé l’ennui à la poussière? L’ennui et l’éternité sont absolument
nets de toute souillure. Un balayeur mental en surveille soigneusement la
propreté désespérante. Ai-je dit désespérante? L’ennui ne saurait pas plus
engendrer le désespoir qu’il ne saurait aboutir au suicide. Vous qui n’avez pas
peur de la mort essayez donc un peu de l’ennui. Il ne vous servira plus à rien
par la suite de mourir. Une fois pour toutes vous auront été révélés le tourment
immobile et les perspectives lointaines de l’esprit débarrassé de tout
pittoresque et de toute sentimentalité.

C’est à cette époque de sa vie qu’il advint à Corsaire Sanglot une étrange
aventure. Elle ne l’émut pas outre mesure.

À peine prêtait-il une méprisante attention au paysage romantique dans lequel
son corps se déplaçait : un sentier creux longeant le mur d’un cimetière
derrière lequel apparaissait le sommet de quelques cyprès et de deux
gigantesques pins parasols tandis que le ciel roulait sur lui-même, ballonné de
nuages gris et noir et crevé en éventail du côté de l’ouest par les rayons du
soleil qui faisait plus lugubrement encore saillir les arêtes monstrueuses des
lourds cumulus. Était-il trois heures? Il était plutôt cinq heures du soir en
septembre. La désolation du crépuscule au manteau ténébreux gagnait du terrain.
Le seul bruit entendu était l’inexplicable roulement d’une voiture du fait de
l’encaissement du chemin, qui rendait invisible la route sans doute proche à
moins qu’en raison du plafond céleste très bas les bruits ne se propageassent
plus loin qu’à l’ordinaire. Soudain, et ceci le Corsaire Sanglot ne le vit pas,
les trente mille pierres tombales du cimetière se dressèrent et trente mille
cadavres dans leur chemise de toile paysanne à carreaux apparurent rangés comme
pour une parade. Un petit nombre d’entre eux se détachèrent et, s’agrippant aux
pierres, vinrent s’accouder au faîte du mur. C’est à ce moment que le Corsaire
Sanglot vaguement oppressé aperçut leurs têtes. Elles jaillirent brusquement au-
dessus du mur et le regardèrent en ricanant, mais lui, il poursuivait son
chemin. Leurs éclats de rire retentirent longtemps derrière lui, le roulement de
l’invisible voiture s’amplifia rapidement Quand le corsaire arriva au débouché
du chemin sur la route, il vit un corbillard de grande taille, un corbillard
pour géant, traîné par quatre forts chevaux percherons dont les sabots, en
partie dissimulés par un bouquet de poils, martelaient durement le sol, mais un
corbillard vide, sans cercueil et sans cocher.

Il disparut. Les morts assis sur le mur du cimetière regardaient le ciel en
silence. Celui-ci, bousculé par des courants aériens élevés, roulait sur lui-
même par masses de nuages gris et noirs où l’on eût souhaité la lumière de
l’orage et qui, modifiant profondément la couleur du jour finissant donnait à la
nature un aspect bitumineux, pesant, lourd. L’ennui orageux des saisons chaudes
enveloppa le Corsaire Sanglot dans le tissu éponge de son peignoir ténébreux.
C’est lui qui, d’un doigt vigilant, déplaçait les aiguilles illusoires du
cadran. C’est lui qui égarait les promeneurs sur les grandes places
ensoleillées, bordées de colonnades et qui, d’un mouvement perpétuel, agitait
son océan étale, ignorant les tempêtes malgré un ciel menaçant de nuages gris et
noirs et trop huileux pour qu’on pût jamais s’y noyer.

Paysages divers propres aux évocations depuis la caverne où la Sibylle et son
serpent familier présidaient aux chutes d’Empires, jusqu’au tunnel du
métropolitain décoré d’affiches monotones et humoristiques : « Dubonnet », nom
ridicule destiné à l’exorcisme des fantômes familiers des souterrains, en
passant par les forêts de Bondy fleuries d’espingoles et de tromblons, peuplées
de bandits à chapeaux coniques, les manoirs de pierres dures, aux salles
voûtées, hantées par les corbeaux sympathiques et les hiboux volumineux, les
appartements de petits bourgeois où, sous un prétexte futile, salière renversée
ou léger reproche, la discorde aux seins de fulmi-coton entre sans frapper et
heurte deux époux débonnaires et leurs fils pusillanimes, leur met dans la main
de jusque-là inoffensifs couteaux de table (exception faite pour les blessures
aux doigts en coupant du pain -- on doit rompre le pain et non le couper, ceci
en souvenir de N.- S.) ou en hachant du persil (herbe dangereuse en raison de sa
ressemblance avec la petite ciguë, plante vénéneuse, dont Socrate fut condamné à
boire une purée meurtrière par l’impitoyable tribunal d’une ingrate patrie, ce
qui permit à ce héros cher aux pédérastes de faire preuve d’un grand courage à
l’instant suprême et le grandit au moment même où ses ennemis pensaient
l’abattre) et transforme la paisible salle à manger en un lieu d’effroyable
tuerie, le sang jaillissant des carotides tranchées, souillant tour à tour la
soupière en porcelaine de Limoges, la suspension à gaz et le buffet imitation de
la Renaissance, les coins de rues éclairées par un réverbère, vert en raison de
l’arrêt des autobus, où des ombres patibulaires tiennent des conciliabules
jusqu’à l’instant où un pas sonore retentit et les avertit que l’instant est
proche où, dissimulés dans les coins de portes cochères ils bondiront sur le
passant mal inspiré, les prés tendres à deux heures de l’après-midi quand le
touriste désoeuvré se débraille et s’agenouille sur la jeune bergère aux jupes
troussées haut, paysages, vous aller n’êtes que du carton-pâte et des portants
de décors. Un seul acteur : Frégoli, c’est-à-dire l’ennui, s’agite sur la scène
et joue une sempiternelle comédie dont les protagonistes se poursuivent sans
cesse, obligé qu’il est de se costumer dans les coulisses à chaque incarnation
nouvelle.

Peu de temps après, Corsaire Sanglot passait dans une rue de Paris.

MONOLOGUE DU CORSAIRE SANGLOT
DEVANT UNE BOUTIQUE DE COIFFEUR
RUE DU FAUBOURG-SAlNT-HONORÉ

« Je n’ai jamais eu d’amis, je n’ai eu que des amants. J’ai cru longtemps eu
égard à mon attachement pour mes amis, à ma froideur pour les femmes que j’étais
plus capable d’amitié que d’amour. Insensé, j’étais incapable d’amitié. La
passion que j’ai apportée dans mes relations avec plusieurs comment aurais-je pu
la distraire, la reporter sur d’autres objets. Je me souviens que cette passion
fut réciproque dans quelques cas. Comment ai-je pu confondre avec l’amitié, vase
grise et molle, ces rencontres tumultueuses, cette furieuse attirance, cette
quasi-haine, ces débats de conscience, ces disputes, cette tristesse en leur
absence, cette émotion quand, maintenant, que nous avons presque cessé de nous
voir, je pense à eux. Ceux qui, incapables de sentir le caractère élevé de mon
commerce, ne m’ont offert que de l’amitié, je les ai méprisés. Mes amis n’ont
passé qu’un instant dans ma vie. À la première passante nous nous sommes
abandonnés non sans jalousie. Je me suis égaré dans des alcôves sans échos, eux
aussi. J’ai cru à l’oubli profond du sommeil sur les seins des maîtresses, je me
suis laissé prendre à la tendresse du sphynx femelle, eux aussi. Rien maintenant
ne saurait reprendre pour nous de la vie ancienne. Étrangers l’un à l’autre
quand nous sommes en présence, nous renaissons à cette communion de pensée de
jadis dès que nous nous quittons. Et le souvenir n’y est pour rien. Confronté à
l’ami de jadis, l’ami idéal évoqué dans la solitude demanderait à qui on le
compare et de quel droit? lui, fiction née spontanément de la mélancolique
notion de l’étendue.

Et maintenant je n’ai plus pour décors à mes actions que les places publiques :
place La Fayette, place des Victoires, place Vendôme, place Dauphine, place de
la Concorde.

Une poétique agoraphobie transforme mes nuits en déserts et mes rêves en
inquiétude.

Je parle aujourd’hui devant une vitrine de postiches et de peignes d’écaille et
tandis que machinalement je garnis cette maison de verre et de têtes coupées et
de tortues apathiques, un gigantesque rasoir du meilleur acier prend la place
d’une aiguille sur l’horloge de la petite cervelle. Elle rase désormais les
minutes sans les trancher.

D’anciennes maîtresses modifient leur coiffure et je ne les reconnaîtrai plus,
mes amis quelque part avec des inconnus boivent l’apéritif fatidique d’une
débutante affection.

Je suis seul, capable encore et plus que jamais d’éprouver la passion. L’ennui,
l’ennui que je cultive avec une rigoureuse inconscience pare ma vie de
l’uniformité d’où jaillissent la tempête et la nuit et le soleil. »

Le coiffeur sortit à ce moment et du seuil considéra le promeneur arrêté.

« Voulez-vous être rasé? Monsieur, je rase doucement. Mes instruments nickelés
sont des lutins agiles. Ma femme, la posticheuse aux cheveux couleur de
palissandre, est renommée pour la délicatesse de son massage et son adresse à
polir les ongles, entrez, entrez, Monsieur. »

Le fauteuil et la glace lui offrirent leur familière pénombre. Déjà, la mousse
emplissait le plat à barbe. Le coiffeur apprêtait son blaireau. Il était deux
heures du matin, la nuit confondait les ombres des bustes de cire. Les parfums
de la boutique flottaient lourdement. La mousse sur les bâtons de savon à barbe
séchait en craquant. Corsaire Sanglot sentait une présence obscure au-dessus de
sa tête. Il rejeta violemment les draps et la mer mourant à ses pieds l’enivra
d’air salin. Le sable était fin. Corsaire Sanglot s’égara ensuite dans un vaste
palais planté de hautes colonnes, si hautes même que le plafond était invisible.
Puis son historiographe le perdit de vue et de mémoire.

Le Corsaire continua sa marche. Un palais l’arrêta longtemps. Construit avec des
carapaces de homards et de langoustes, il dressait au milieu de montagnes
blanches sa structure légère et sa masse rouge aux tours où l’on avait pris soin
d’employer des crustacés cuits et brune aux murailles qui étaient faites de
carapaces de crabes tourteaux, et le vent du large le faisait doucement osciller
sur ses bases fragiles.

Prends garde, ne sois pas mon ami. J’ai juré de ne plus me laisser prendre à ce
terrible piège à loup, je ne serai jamais le tien et si tu consens à tout
abandonner pour moi, je ne t’en abandonnerai pas moins un jour.

Je connais d’ailleurs, pour l’avoir éprouvé, l’abandon. Si tu désires cette
hautaine luxure c’est bien, tu peux me suivre. Autrement, je ne demande que ton
indifférence, sinon ton hostilité.





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Robert Desnos. (1900-1945) VIII. À Perte De Vue.
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