PLUME DE POÉSIES
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 Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I BILLET

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James
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Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I BILLET Empty
MessageSujet: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I BILLET   Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I BILLET Icon_minitimeLun 26 Nov - 21:04

PARTIE I BILLET

du chevalier, à Madame De Senanges.
j' ai passé chez vous hier, dans l' espoir de
vous faire ma cour : on m' a dit que vous étiez
sortie : il m' a semblé pourtant que la voiture
du Marquis étoit à votre porte. C' est sans
doute une méprise de vos gens. Que je leur en
veux ! Ils m' ont privé du plaisir de vous voir ;
j' espere que je serai plus heureux aujourd' hui.
autre billet du chevalier.
voilà huit jours de suite que je me présente
à votre porte, sans pouvoir vous rencontrer,
tandis que le marquis... pardonnez à
mon trouble... ô ciel ! Quel avenir j' envisage ! ...
pourriez-vous ? ... mais non... cependant
vous me fuyez, vous ne répondez pas
même à mes lettres... quelle froideur ! Quel
dédain ! L' ai-je mérité ? ...
autre billet du chevalier.
j' oublie un moment toute mon infortune,
pour ne m' occuper que de vos intérêts. Apprenez,
madame, les bruits qui courent et qui
m' indignent. On dit que le marquis... je
mourrai avant de le croire ; mais le public, cet
inexorable public ! ... imposez-lui silence, ménagez
votre gloire, et, s' il le faut, ajoutez à
mon malheur. Le marquis ! ... il auroit su vous
plaire ! Lui ! Vous ignorez peut-être... ah !
Connoissez-le tout entier ; voici une lettre qu' il
a écrite, il y a quelques mois, et dont lui-même
a donné des copies ; ainsi je ne le trahis
point. Vous y verrez l' opinion qu' il a des femmes,
vous verrez son systême de scélératesse avec
elles, vous verrez enfin s' il devoit même vous
approcher.
copie de la lettre du Marquis , au chevalier
de .
es-tu fou, chevalier, avec tes sermons, que
tu qualifies de conseils, et ton intolérance sur
tout ce qui regarde la galanterie ? Tu veux que
l' on soupire toujours, qu' on ne trompe jamais,
qu' on soit de bonne foi, et avec qui ? Avec les
femmes ! Pauvre chevalier ! De la bonne foi
avec des êtres dont l' essence est le manege, et
qui estiment l' amour, bien plus par les ruses qu' il
suggere, que par les jouissances qu' il donne !
Tu vas te rejeter sur les exceptions ; j' y croirai,
si tu l' exiges ; mais, que veux-tu ? Je n' en ai
jamais rencontré.
Quant au plaisir de changer, tu ne l' as point
assez approfondi, mon cher, pour le discuter
avec moi. Le plus volage est, sans contredit,
le plus philosophe ; et cette philosophie, par
exemple, est merveilleusement adoptée par ce
sexe charmant, dont tu es le tendre apologiste.
Une sauvage, abandonnée à l' impulsion de
la nature, change pour satisfaire aux lubies de
son tempérament ; une femme policée, pour
tâcher de s' en faire un. L' une obéit à ce qu' elle
a, l' autre cherche ce qu' elle n' a pas : toutes deux
vont au même but, ont les mêmes principes,
et emploient les mêmes moyens, comme les
plus sûrs dans tous les cas. Il n' y a point de
caractere à qui l' inconstance ne réussisse. La
coquette change par systême ; elle a l' air de
multiplier ses charmes, en multipliant ses adorateurs.
La prude, par équité : elle s' impose extérieurement
tant de privations, qu' il est juste
que son intérieur n' en souffre pas ; rien au
monde n' est plus exigeant que l' intérieur d' une
prude. Les étourdies y trouvent leur compte ; ce
sont toujours quelques bluettes de bonheur
qu' elles attrapent en courant. Les femmes voluptueuses,
et je pourrois te citer ce qu' il y a de
mieux dans ce genre, m' ont juré dans des
quarts-d' heures d' épanchement, que le physique y
gagnoit, et que la volupté n' y perdoit pas.
Tu vois que je m' appuie d' autorités respectables ;
et d' ailleurs, j' ai sur cela une pratique
soutenue, qui complete l' évidence de mes
raisonnemens. Voilà donc les femmes décidées
volages. Pourquoi diable veux-tu que nous ne le
soyons pas ? Ce sentiment romanesque, dont tu
me parles, quand il est porté à un certain excès,
est, en quelque sorte, le néant de l' ame ;
il éteint son feu que tu prétends qu' il concentre ;
il l' endort, lui ôte le mouvement, la vie ;
et je ne connois que l' infidélité, qui puisse
rétablir la circulation. Encore est-il des coeurs
désespérés, sur lesquels elle ne peut rien.
Eh, que devient l' honnêteté, vas-tu me dire ?
Tout ce qu' elle peut, chevalier : tu verras qu' il
est très-honnête de mourir d' ennui, de tenir
à un lien qui pese, de se piquer d' un héroïsme
bourgeois, et de s' abrutir par délicatesse.
Connois-tu rien de plus lourd à porter, qu' une
chaîne où le procédé vous retient, quand le
plaisir vous appelle dans une autre ? La vie est
un éclair, il faut que nos goûts lui ressemblent,
qu' ils soient brillans et rapides comme elle. Tu
as peut-être rencontré quelquefois dans la société,
de ces couples soi-disant amoureux et arrangés
depuis des siecles, qui, en secret excédés
l' un de l' autre, se gardent par ostentation,
et pour donner un vernis de moeurs à
leur commerce ? Ne conviendras-tu point que
ces prétendus traits d' un amour exemplaire,
sont révoltans pour un homme un peu profond,
et qui a réfléchi sur la portée du coeur humain ?
Je voudrois qu' il y eût peine de bannissement
pour tous ceux qui s' aimeroient plus de vingt
jours de suite. Je me défie des femmes trop
tendres, et dissertant à perte de vue sur les charmes
d' une union durable, sur l' assortiment des
ames, et ces lieux communs de la vieille galanterie.
Ces raisonneuses-là sont quelquefois plus
perfides que d' autres. Vivent les folles ! Les
théologiennes, en fait de sentiment, sont au
coeur, ce qu' est au palais d' un buveur, de l' eau
bien clarifiée : on est, avec elles, désaltéré si
tristement ! On languit dans leurs bras, et l' on
a soif d' autre chose.
Toi qui, je l' espere, nous soutiendras bientôt
qu' il est monstrueux d' être infidele, sais-tu
qu' il faut l' être, pour l' intérêt même des femmes
qu' on aime ? Ayez une maîtresse que rien
n' inquiete, que rien n' alarme : sûre de vos
hommages, convaincue de votre sentiment, elle en
accepte les preuves avec tranquillité, c' est-à-dire
sans reconnoissance. Une femme tranquille ne
tarde pas à être froide. Sa sécurité devient
présomption, elle se fie à ses charmes, regarde
l' amour comme une dette, croit l' amant trop heureux
quand il s' acquitte. Vous lui êtes cher, si
vous voulez ; mais vous cessez d' être piquant :
elle-même ne fait plus de frais, elle est aimable
quand elle peut, pense toujours l' être assez, se
repose de tout sur votre ivresse, et finit par
perdre la sienne. Donnez-lui une rivale ; tout se
réveille et se ranime : sa haine pour celle qui lui
ravit votre coeur, met en action l' amour qu' elle
a pour vous ; vous redevenez intéressant, les
insomnies commencent, viennent ensuite les
billets du matin. On s' emporte, on se désespere,
on pleure, et l' on s' embellit en pleurant. Pour
mettre ces dames tout-à-fait dans leur jour, il
est d' obligation de les tourmenter ; leur esprit y
gagne, leur ame aussi. Les femmes quittées sont
surprises elles-mêmes des ressorts de leur
imagination ; elles font plus cent fois pour
ramener un infidele, qu' elles n' avoient fait pour le
séduire ; et je ne les trouve vraiment aimables,
que quand elles sont très-malheureuses. Qu' en
arrive-t-il ? Les consolateurs surviennent, on les
écoute, on se familiarise avec leurs propositions :
on y cede, et ce sont des effets qui rentrent : le
commerce va, les désoeuvrés y trouvent leur
compte, tout le monde est content.
D' ailleurs, une femme qu' on force à faire un
nouveau choix, doit conserver une reconnoissance
éternelle à l' amant qui lui procure le charme
inexprimable de la vengeance. Ma morale
est bonne, je t' en réponds ; je change par
indulgence pour moi, et par égard pour les autres.
Il ne m' est jamais arrivé de me reposer plus d' un
instant sur une même impression. Quand, par
hasard, je vais au spectacle, j' y apporte toujours
trois ou quatre intentions qui m' occupent,
m' exercent et me tiennent en haleine ; j' y brave
celle que j' ai eue, je lorgne celle que je veux
avoir, et j' inquiete celle que j' ai. Voilà les
entr' actes remplis. Ce mouvement éternel fixe les
yeux sur moi ; les unes me prônent, les autres
me déchirent, toutes me citent ; et dans le vrai,
celles qui ne m' ont pas eu, ne connoissent pas
encore toutes leurs ressources.
Une de mes folies, à moi, c' est de faire faire
aux femmes des choses extraordinaires ; il n' y
en a pas, qu' en les prenant dans un certain sens,
on n' amene au dernier période de l' extravagance ;
et quand il s' agit de se distinguer par quelque
bonne singularité, les plus réservées deviennent
intrépides.
J' ai, depuis quinze jours (cela commence à
être mûr), une petite femme qui n' a que le
souffle. C' est l' individu le plus frêle que je
connoisse ; il semble qu' on va la briser quand on la
touche. Son caractere a l' air d' être aussi foible
que son physique est délié, délicat et fragile ;
elle a peur de tout, ne va point au spectacle, de
peur des reculades ; craint le colisée (où il ne va
personne), à cause de la foule. Eh bien, cette femme
si craintive, si peu aguerrie, a eu le courage
de me prendre ; elle a celui de me garder, et elle
aura celui de me planter là, si je ne la gagne de
vîtesse. Mais ce n' est rien encore : je vais te
conter, à son sujet, une anecdote curieuse qui
pourra servir à l' histoire raisonnée et
philosophique des femmes de ce siecle.
L' idole en question s' avise d' aimer éperdument
la musique. Je lui fis naître, un soir, la
fantaisie de s' enivrer des délices de l' amour, au
son des instrumens les plus voluptueux, placés
à une certaine distance, pour toutes sortes de
raisons. La voilà folle de cette idée, toutes les
nuits elle ne rêve qu' à l' exécution du projet.
Nous prenons jour, et nous choisissons exprès,
afin d' avoir des difficultés à vaincre, celui qui
en offroit davantage. Elle étoit priée à un grand
souper, chez la jeune Duchesse De ; son mari
devoit en être. Comment se tirer de là ? Je le
répete, dans les jours d' action, rien n' est tel
que les femmes timides ; elles font des prodiges
de valeur. On mit d' abord la duchesse dans la
confidence. Il s' agissoit de tromper un mari ; tout
devient facile alors. On sert, on annonce, on se
met à table. Ne voilà-t-il pas que mon héroïne
joue les convulsions, l' évanouissement ? Tous
les convives se levent et cherchent à la secourir.
L' intelligente duchesse s' en empare, la conduit
dans son appartement, la fait sortir par une issue
secrétement pratiquée pour son usage, et lui
confie la clef d' une porte, par laquelle on pouvoit
s' évader en cas de besoin. Après cette expédition,
elle revient, rassure tout le monde, certifie
que la malade est couchée, et s' adressant au
mari : soyez tranquille, dit-elle, je vous
renverrai demain votre femme dans le meilleur état.
Tu vois d' ici la jolie pélerine, ensevelie sous
son coqueluchon, emprisonnée dans de petites
mules bien étroites, exposée à toutes les gaîtés
nocturnes des aimables libertins qui voyagent à
cette heure dans Paris, trembler, frémir, chanceler
à chaque pas, et de transes en transes, s' acheminer
vers ma demeure. Je l' attendois à l' entrée
de la rue où je loge ; j' apperçois la voyageuse,
et la recueille enfin plus morte que vive.
Elle me suit sous de longues galeries fort obscures
(car on avoit discrétement éteint les lumieres),
et je la conduis avec des précautions
tout-à-fait magiques, jusqu' à l' intérieur de mon
appartement. La volupté elle-même avoit pris
soin de le décorer. Le jeu des lumieres, multiplié
par le reflet des glaces, le choix des peintures
les plus analogues au moment, tout sembloit
y inviter au plaisir. Elle ne vit rien de tout cela.
à peine fut-elle entrée, qu' elle se laissa tomber
sur la plus molle, la plus sensuelle et la plus
employée des ottomanes, où, pendant plus d' une
heure, elle resta sans mouvement. Ce n' étoit
pas là mon compte.
Mes clarinets commencerent à jouer ; ils la
tirerent de sa léthargie. Elle reconnut et comprit
à merveille ce signal des grands événemens
de la soirée. J' avois recommandé que les premiers
airs fussent bien sourds, bien lents, et
interrompus par intervalle, afin de ne pas ébranler
trop tôt des organes affoiblis par la fatigue.
Ses sens se remirent, par degrés, à l' unisson , et
heureusement pour moi, reprirent leur activité.
Après ce prélude, le souper sort de dessous le
parquet, sur une table couverte de fleurs, et
éclairée par des girandoles. Tu t' imagines bien
que jamais souper ne fut plus délicat, ni plus
irritant. Tant qu' il dura, la musique fut vive,
gaie, pétulante, quelquefois même un peu bachique ;
elle se radoucit peu à peu, et nous indiqua
le moment d' entrer dans le boudoir. J' aime
bien mieux te peindre le triomphe, que de
t' en décrire le lieu. Mon orchestre, alors, part
comme un éclair. Une musique animée, rapide,
expressive, figure la chaleur, la vivacité, et
l' intéressante répétition des premieres caresses.
Ce calme passionné qui leur succede, cette
langueur, ce recueillement de l' ame, où l' oeil
détaille ce que la bouche a dévoré, ces momens
où l' on jouit mieux, parce qu' on est moins pressé
de jouir, sont imités par cette harmonie douce,
languissante, entrecoupée, qui ressemble à des
soupirs. Enfin, de transports en transports,
d' extases en extases, je parvins à lasser mes
musiciens. Ma belle et nonchalante maîtresse leur
demandoit encore quelques airs, et m' auroit
volontiers chargé de l' accompagnement ; mais
l' aurore qui commençoit à paroître, vint l' arracher
à son ivresse. Je la reconduisis chez son amie, et
pendant le chemin, elle m' avoua naïvement que
jamais concert ne l' avoit tant amusée. Le lendemain,
on la renvoya à son benêt d' époux. Ce
qu' il y a de réjouissant, c' est qu' elle contraignit
cet imbécille-là d' écrire à la duchesse, pour la
remercier du service qu' elle lui avoit rendu, et des
soins tout particuliers qu' elle avoit eus de sa
femme.
Tu t' imagines bien que ce coup d' éclat finit
l' intrigue. Il est impossible qu' après cette soirée
Madame De fasse quelque chose de saillant.
J' en ai tiré, je crois, tout le parti possible,
et je la rends de grand coeur à la société. Avoue,
chevalier, qu' en mille ans, ton raffinement de
sensibilité ne te donneroit pas des plaisirs aussi
vifs, aussi piquans, et sur-tout aussi neufs.
Adieu. J' ai été bien aise de t' initier une fois,
dans des mysteres inconnus aux amans vulgaires.
Cette lettre est une espece de code que je
compte publier un jour, pour l' encouragement
des dames et l' instruction des hommes. Il faut
bien éclairer son siecle, et mériter le beau titre
de citoyen.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James

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