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 Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE L

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MessageSujet: Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE L   Claude-Joseph Dorat (1734-1780) PARTIE I LETTRE L Icon_minitimeJeu 29 Nov - 10:18

PARTIE I LETTRE L

du chevalier, au baron.
ô mon guide ! ô mon ami ! Cher baron, vous
ne m' écrivez pas une seule lettre, que je ne la
regarde comme un bienfait. Votre morale m' éleve
et m' échauffe ; elle joint la véhémence qui
entraîne, à l' attrait qui persuade : mais à présent
que je suis foible pour m' y rendre, et sur-tout
que je me plais à l' être, tout ne sert qu' à enfoncer
plus avant le trait qui s' attache à mon coeur ;
les illusions de mon amour me sont plus que
toutes les vérités ensemble ; et pour mieux
m' enchaîner, il prend les caracteres de la vertu. Oui,
je suis plus vertueux, depuis que j' adore Madame
De Senanges. On ne l' aime point comme on
aime les autres femmes ; et je n' ai plus de l' amour
l' idée que vous vous en faites, que peut-être
je m' en faisois moi-même. ô sentiment qui
les réunis tous, émanation céleste, charme unique
des êtres jetés sur ce triste globe ; seul
dédommagement des peines de la vie, je te venge,
autant qu' il est en moi, des attentats de la raison,
par les impressions tendres et profondes
que tu me fais éprouver ! Ce sont elles que je
vous oppose, mon cher baron : si vous saviez ce
qu' un seul regard de Madame De Senanges porte
de plaisir à mon coeur, si vous pouviez concevoir
l' ivresse où je suis, si vous vous rappelliez
jusqu' à la volupté des peines qu' on souffre en
aimant, vous envieriez mon bonheur, loin de
chercher à le détruire ; et vous avoueriez enfin
que l' homme a tout, quand il idolâtre, quand
il divinise un objet qui lui fait tout oublier.
Que les soins ambitieux sont froids, pour se
mêler à ceux de l' amour ! Plaire à Madame De
Senanges, lui consacrer ma vie, n' exister que
pour elle, voilà ce que je veux, ce que je desire ;
tout le reste me paroît languissant et importun :
le besoin de briller, de m' agrandir, je ne
l' éprouve plus ; je n' ai plus que celui d' aimer et
d' être aimé.
Ah ! Croyez-moi, la bienfaisance ne m' en paroît
pas moins le devoir le plus saint, le plus
doux à remplir. Je suis digne de goûter les délices
qu' elle promet et qu' elle donne ; mais pour
être bornée, est-elle anéantie ? N' est-ce rien
que de se rendre digne du coeur honnête qu' on
a choisi, d' épurer ses affections pour le mériter ;
d' être vertueux sans témoins, pour l' être davantage ;
de faire le bien dans le silence ; de ne pas
desirer les regards publics, et de ne jamais
descendre aux bassesses de l' amour-propre qui
détruit le charme des plus belles actions, en
attaquant leur principe ? Tous les retours sur soi
sont autant de larcins à ce qu' on aime.
Cher baron, ma façon de penser n' est pas si
éloignée de la vôtre qu' elle paroît l' être d' abord.
Je me disois foible, il n' y a qu' un moment :
plus je m' examine, et plus je m' applaudis de
mon courage. Que de liens honteux j' ai brisés,
depuis que mon coeur s' est rempli d' amour pour
Madame De Senanges ! Elle y a réveillé ce tact
intelligent et prompt, qui avertit de ce qu' il faut
fuir, de ce qu' il faut chercher ; qui représente
toutes les bienséances, munit contre les séductions
dangereuses, et devient une espece de conscience
pour toutes les délicatesses de la sensibilité.
Sans cette femme adorable, je languirois
encore dans les chaînes de Madame D' Ercy ;
j' aurois fini peut-être par me vouer à l' intrigue,
m' endurcir dans le luxe, et acquérir un triste
crédit aux dépens de la considération.
Sans elle je verrois encore le marquis ; je me
serois familiarisé avec sa morale ; et pour courir
après l' éclat du moment, j' aurois perdu les
moeurs, le trésor de toute la vie. à peine l' ai-je
connue, j' ai pris en horreur tout ce qui ne lui
ressembloit pas ; mes yeux se sont détournés de
ce qui portoit l' affiche de l' indécence et de la
fausseté, pour se reposer sur les idées de
l' honnête et du vrai, les seules qu' on puisse avoir,
quand on l' approche. J' habite un monde nouveau
qu' elle a créé pour moi ; et je me suis estimé
davantage, à mesure que je l' ai plus aimée.
Eh bien, baron, direz-vous encore du mal de
l' amour, quand il produit de si nobles effets ?
Que sont, auprès de ce que je sens, les vaines
jouissances de l' ambition ? Vous aviez pourtant
trouvé le moyen de me réconcilier avec elle ;
c' étoit de me la faire envisager comme un secret
de plaire à Madame De Senanges : oui, qu' elle
ordonne, qu' elle ait seulement l' air de desirer ;
il n' est rien que je n' entreprenne ; il n' est point
d' élévation où je n' arrive, dans l' espoir de lui
en offrir l' hommage, et de lui dire : vous m' avez
fait ce que je suis ; si l' état a un citoyen de
plus, c' est à vous qu' il le doit : ma gloire est
l' ouvrage de vos charmes, et je n' en jouis que
parce qu' elle est un garant de plus pour mon
amour.
J' aime avec un excès... dont je ne me
croyois pas susceptible. Je n' imaginois pas que,
dans le tumulte du monde, on pût se recueillir,
s' isoler, être entiérement à un seul objet. Tout
ajoute à mes sentimens, tout, jusqu' à la
comparaison de ceux qui m' ont effleuré jusqu' ici.
à l' instant peut-être où vous m' écriviez des conseils,
cher ami, je m' enivrois de l' espoir de plaire ;
pouvois-je vous entendre ? Devois-je vous
écouter ? Oui, oui ; j' ai cru entrevoir un rayon
de bonheur... Madame De Senanges ! ... je ne
puis me résoudre à vous rien cacher ; votre ame
est un sanctuaire où je déposerois avec confiance
jusqu' aux foiblesses de la divinité que j' aime...
eh bien, Madame De Senanges... elle ne sera
pas toujours insensible ; quelques conversations,
sa tristesse quand elle me voit affligé, sa joie
quand mon front est plus serein, les querelles
charmantes qu' elle me fait ; le dirai-je ! Des
mouvemens de jalousie qu' elle n' a pu me cacher, me
livrent aux plus douces espérances. ô dieu ! Je
serois aimé ! Je lirois dans ses beaux yeux,
l' expression d' un sentiment que j' aurois inspiré !
Mon coeur tressaille ; tous mes sens sont agités,
et je ne suis plus, je ne veux plus être qu' à
l' amour.
La fin de votre lettre m' a alarmé ; qu' aurois-je
à craindre de Madame D' Ercy ? Elle a connu,
dites-vous, M De Senanges ; voudroit-elle
l' instruire ? ... ô ciel ! Quel soupçon ! Avez-vous
pu le former ? Puis-je l' avoir moi-même ?
Non ; je ne puis prendre sur moi de refuser toute
vertu à une femme qui m' a rendu sensible : non,
mon ami, nous nous trompons tous deux ; je
n' envisage aucuns malheurs ; les moindres que
je coûterois à Madame De Senanges, seroient le
terme de mes jours. Laissez-moi l' aimer, et
croyez qu' un amour comme le mien, suppose
toutes les qualités dignes de me conserver un
ami tel que vous.
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