PLUME DE POÉSIES
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 Joachim Du Bellay (1522-1560) Chapitre XI

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James
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James


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Joachim Du Bellay (1522-1560)   Chapitre XI Empty
MessageSujet: Joachim Du Bellay (1522-1560) Chapitre XI   Joachim Du Bellay (1522-1560)   Chapitre XI Icon_minitimeDim 16 Déc - 13:13

Chapitre XI. Qu'il est impossible d'égaler les anciens en leurs langues.
Toutes personnes de bon esprit entendront assez, que cela, que j'ai dit pour la
défense de notre langue, n'est pour décourager aucun de la grecque et latine ;
car tant s'en faut que je sois de cette opinion, que je confesse et soutiens
celui de ne pouvoir faire oeuvre excellent en son vulgaire, qui soit ignorant de
ces deux langues, ou qui n'entende la latine pour le moins. Mais je serai bien
d'avis qu'après les avoir apprises, on ne déprisât la sienne; et que celui qui,
par une inclination naturelle (ce qu'on peut juger par les oeuvres latines et
toscanes de Pétrarque et Boccace, voire d'aucuns savants hommes de notre temps)
se sentirait plus propre à écrire en sa langue qu'en grec ou en latin, s'étudiât
plutôt à se rendre immortel entre les siens, écrivant bien en son vulgaire, que
mal écrivant en ces deux autres langues, être vil aux doctes pareillement et aux
indoctes. Mais, s'il s'en trouvait encore quelques-uns de ceux qui de simples
paroles font tout leur art et science, en sorte que nommer la langue grecque et
latine leur semble parler d'une langue divine, et parler de la vulgaire, nommer
une langue inhumaine, incapable de toute érudition; s'il s'en trouvait de tels,
dis-je, qui voulussent faire des braves, et dépriser toutes choses écrites en
français, je leur demanderais volontiers en cette sorte; que pensent donc faire
ces reblanchisseurs de murailles, qui jour et nuit se rompent la tête à imiter,
que dis-je imiter? mais transcrire un Virgile et un Cicéron? bâtissant leurs
poèmes des hémistiches de l'un, et jurant en leur prose aux mots et sentences de
l'autre, songeant (comme a dit quelqu'un) des Pères conscrits, des consuls, des
tribuns, des comices, et toute l'antique Rome, non autrement qu'Homère, qui en
sa Batracomyomachie adapte aux rats et grenouilles les magnifiques titres des
dieux et déesses. Ceux-là certes méritent bien la punition de celui qui, ravi au
tribunal du grand juge, répondit qu'il était cicéronien. Pensent-ils donc, je ne
dis égaler, mais approcher seulement de ces auteurs, en leurs langues,
recueillant de cet orateur et de ce poète ores un nom, ores un verbe, ores un
vers et ores une sentence? comme si en la façon qu'on rebâtit un vieil édifice
ils s'attendaient rendre par ces pierres ramassées à la ruinée fabrique de ces
langues sa première grandeur et excellence. Mais vous ne serez déjà si bons
maçons (vous qui êtes si grands zélateurs des langues grecque et latine) que
leur puissiez rendre cette forme que leur donnèrent premièrement ces bons et
excellents architectes, et si vous espérez (comme fit Esculape des membres
d'Hippolyte) que par ces fragments recueillis elles puissent être ressuscitées,
vous vous abusez; ne pensant point qu'à la chute de si superbes édifices,
conjointe à la ruine fatale de ces deux puissantes monarchies, une partie devint
poudre et l'autre doit être en beaucoup de pièces, lesquelles vouloir réduire en
un serait chose impossible; outre que beaucoup d'autres parties sont demeurées
aux fondements des vieilles murailles, ou, égarées par le long cours des
siècles, ne se peuvent trouver d'aucun. Par quoi venant à réédifier cette
fabrique, vous serez bien loin de lui restituer sa première grandeur, quand où
soulait être la salle, vous ferez par aventure les chambres, les étables ou la
cuisine, confondant les portes et les fenêtres, bref, changeant toute la forme
de l'édifice. Finalement j'estimerai l'art pouvoir exprimer la vive énergie de
la nature, si vous pouviez rendre cette fabrique renouvelée semblable à
l'antique, étant manque l'idée, de laquelle faudrait tirer l'exemple pour la
réédifier. Et ce (afin d'exposer plus clairement ce que j'ai dit) d'autant que
les anciens usaient des langues qu'ils avaient sucées avec le lait de la
nourrice, et aussi bien parlaient les indoctes, comme les doctes, sinon que
ceux-ci apprenaient les disciplines et l'art de bien dire, se rendant par ce
moyen plus éloquents que les autres. Voilà pourquoi leurs bienheureux siècles
étaient si fertiles de bons poètes et orateurs. Voilà pourquoi les femmes mêmes
aspiraient à cette gloire d'éloquence et érudition, comme Sapho, Corynne,
Cornélie, et un millier d'autres, dont les noms sont conjoints avec la mémoire
des Grecs et Romains. Ne pensez donc, imitateurs, troupeau servile, parvenir au
point de leur excellence, vu qu'à grand'peine avez-vous appris leurs mots, et
voilà le meilleur de votre âge passé. Vous déprisez notre vulgaire, par aventure
non pour autre raison, sinon que dès enfance et sans étude nous l'apprenons, les
autres avec grand'peine et industrie. Que s'il était, comme la grecque et
latine, péri et mis en reliquaire de livres, je ne doute point qu'il ne fût (ou
peu s'en faudrait) aussi difficile à apprendre comme elles sont. J'ai bien voulu
dire ce mot, pour ce que la curiosité humaine admire trop plus les choses rares,
et difficiles à trouver, bien qu'elles ne soient si commodes pour l'usage de la
vie, comme les odeurs et les gemmes, que les communes et nécessaires, comme le
pain et le vin. Je ne vois pourtant qu'on doive estimer une langue plus
excellente que l'autre, seulement pour être plus difficile, si on ne voulait
dire que Lycophron fut plus excellent qu'Homère, pour être plus obscur, et
Lucrèce que Virgile, pour cette même raison.



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J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
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