Chapitre VII. De la rime et des vers sans rime.
Quant à la rime, je suis bien d'opinion qu'elle soit riche, pour ce qu'elle nous
est ce qu'est la quantité aux Grecs et Latins. Et bien que n'ayons cet usage de
pieds comme eux, si est-ce que nous avons un certain nombre de syllabes en
chacun genre de poème, par lesquelles, comme par chaînons, le vers français lié
et enchaîné est contraint de se rendre en cette étroite prison de rime, sous la
garde, le plus souvent, d'une coupe féminine, fâcheux et rude geôlier et inconnu
des autres vulgaires. Quand je dis que la rime doit être riche, je n'entends
qu'elle soit contrainte et semblable à celle d'aucuns, qui pensent avoir fait un
grand chef-d'oeuvre en français quand ils ont rimé un imminent et un éminent, un
miséricordieusement et un mélodieusement, et autres de semblable farine, encore
qu'il n'y ait sens ou raison qui vaille; mais la rime de notre poète sera
volontaire, non forcée ; reçue, non appelée ; propre, non aliène ; naturelle,
non adoptive ; bref, elle sera telle que le vers tombant en icelle, ne
contentera moins l'oreille qu'une bien harmonieuse musique tombant en un bon et
parfait accord. Ces équivoques donc et ces simples, rimés avec leurs composés,
comme un baisser et abaisser, s'ils ne changent ou augmentent grandement la
signification de leurs simples, me soient chassés bien loin; autrement qui ne
voudrait régler sa rime comme j'ai dit, il vaudrait beaucoup mieux ne rimer
point, mais faire des vers libres, comme a fait Pétrarque en quelque endroit, et
de notre temps le seigneur Loys Aleman en sa non moins docte que plaisante
Agriculture. Mais tout ainsi que les peintres et statuaires mettent plus grande
industrie à faire beaux et bien proportionnés les corps qui sont nus, que les
autres; aussi faudrait-il bien que ces vers non rimés fussent bien charnus et
nerveux, afin de compenser par ce moyen le défaut de la rime. Je n'ignore point
que quelques-uns ont fait une division de rime, l'une en son, et l'autre en
écriture, à cause de ces diphtongues ai, ei, oi, faisant conscience de rimer
maistre et prestre, fontaines et Athènes, connaistre et naistre. Mais je ne veux
que notre poète regarde si superstitieusement à ces petites choses, et lui doit
suffire que les deux dernières syllabes soient unissones, ce qui arriverait en
la plus grande part, tant en voix qu'en écriture, si l'orthographe française
n'eût point été dépravée par les praticiens. Et pour ce que Loys Megret, non
moins amplement que doctement, a traité cette partie, lecteur, je te renvoie à
son livre; et ferai fin à ce propos, t'ayant sans plus averti de ce mot en
passant, c'est que tu gardes de rimer les mots manifestement longs avec les
brefs, aussi manifestement brefs comme un passe et trace, un maître et mettre,
une chevelure et hure, un bast et bat, et ainsi des autres.