PLUME DE POÉSIES
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 Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE IX

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MessageSujet: Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE IX   Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE IX Icon_minitimeDim 3 Fév - 16:04

CHAPITRE IX
Où l’on voit comment Abeille fut conduite chez les Nains.


La lune s’était élevée au-dessus du lac, et les eaux ne reflétaient plus que le
disque émietté de l’astre. Abeille dormait encore. Le Nain qui l’avait observée
revint vers elle sur son corbeau. Il était suivi cette fois d’une troupe de
petits hommes. C’étaient de très petits hommes. Une barbe blanche leur pendait
jusqu’aux genoux. Ils avaient l’aspect de vieillards avec une taille d’enfant. À
leurs tabliers de cuir et aux marteaux qu’ils portaient suspendus à leur
ceinture on les reconnaissait pour des ouvriers travaillant les métaux. Leur
démarche était étrange ; sautant à de grandes hauteurs et faisant d’étonnantes
culbutes, ils montraient
une inconcevable agilité, et en cela ils étaient moins semblables à des bommes
qu’à des esprits. Mais en faisant leurs cabrioles les plus folâtres, ils
gardaient une inaltérable gravité, en sorte qu’il était impossible de démêler
leur véritable caractère.

Ils se placèrent en cercle autour de la dormeuse.

- Eh bien ! dit du haut de sa monture emplumée le plus petit des Nains ; eh bien
! vous ai-je trompés en vous avertissant que la plus jolie princesse de la terre
dormait au bord du lac, et ne me remerciez-vous pas de vous l’avoir montrée ?

- Nous t’en remercions, Bob, répondit un des Nains qui avait l’air d’un vieux
poète ; en effet, il n’est rien au monde de si joli que cette jeune demoiselle.
Son teint est plus rose que l’aurore qui se lève sur la montagne, et l’or que
nous forgeons n’est pas aussi éclatant que celui de cette chevelure.

- Il est vrai, Pic ; Pic, rien n’est plus vrai ! répondirent les Nains ; mais
que ferons-nous de cette jolie demoiselle ?

Pic, semblable à un poète très âgé, ne répondit point à cette question des
Nains,
parce qu’il ne savait pas mieux qu’eux ce qu’il fallait faire de la jolie
demoiselle.

Un Nain, nommé Rug, leur dit :

- Construisons une grande cage et nous l’y enfermerons.

Un autre Nain, nommé Dig, combattit la proposition de Rug. De l’avis de Dig, on
ne mettait en cage que les animaux sauvages, et rien ne pouvait encore faire
deviner que la jolie demoiselle fût de ceux-là.

Mais Rug tenait à son idée, faute d’en avoir une autre à mettre à la place. Il
la défendit avec subtilité :

- Si cette personne, dit-il, n’est point sauvage, elle ne manquera pas de le
devenir par l’effet de la cage, qui deviendra, en conséquence, utile et même
indispensable.

Ce raisonnement déplut aux Nains, et l’un d’eux, nommé Tad, le condamna avec
indignation. C’était un Nain plein de vertu. Il proposa de ramener la belle
enfant à ses parents, qu’il pensait être de puissants seigneurs.

Cet avis du vertueux Tad fut repoussé comme contraire à la coutume des Nains.

- C’est la justice, disait Tad, et non la coutume qu’il faut suivre.

On ne l’écoutait plus, et l’assemblée s’agitait tumultueusement, lorsqu’un Nain,
nommé Pau, qui avait l’esprit simple, mais juste, donna son avis en ces termes :

- Il faut commencer par réveiller cette demoiselle, puisqu’elle ne se réveille
pas d’elle-même ; si elle passe la nuit de la sorte, elle aura demain les
paupières gonflées et sa beauté en sera moindre, car il est très malsain de
dormir dans un bois au bord d’un lac.

Cette opinion fut généralement approuvée, parce qu’elle n’en contrariait aucune
autre.

Pic, semblable à un vieux poète accablé de maux, s’approcha de la jeune fille et
la contempla gravement, dans la pensée qu’un seul de ses regards suffirait pour
tirer la dormeuse du fond du plus épais sommeil. Mais Pic s’abusait sur le
pouvoir de ses yeux, et Abeille continua à dormir les mains jointes.

Ce que voyant, le vertueux Tad la tira doucement par la manche. Alors elle
entr’ouvrit les yeux et se souleva sur son coude. Quand elle se vit sur un lit
de mousse, entourée de Nains, elle crut que ce qu’elle voyait était un rêve de
la nuit et elle frotta ses yeux pour les dessiller, et afin qu’il y entrât, au
lieu de la vision fan
tastique, la pure lumière du matin visitant sa chambre bleue, où elle croyait
être. Car son esprit, engourdi par le sommeil, ne lui rappelait pas l’aventure
du lac. MaiS elle avait beau se frotter les yeux, les Nains n’en sortaient pas ;
il lui fallut bien croire qu’ils étaient véritables. Alors, promenant ses
regards inquiets, elle vit la forêt, rappela ses souvenirs et cria avec angoisse
:

- Georges ! mon frère Georges !

Les Nains s’empressaient autour d’elle ; et, de peur de les voir, elle se
cachait le visage dans les mains.

- Georges ! Georges ! où est mon frère Georges ? criait-elle en sanglotant.

Les Nains ne le lui dirent pas, par la raison qu’ils l’ignoraient. Et elle
pleurait à chaudes larmes en appelant sa mère et son frère.

Pau eut envie de pleurer comme elle ; mais, pénétré du désir de la consoler, il
lui adressa quelques paroles vagues.

- Ne vous tourmentez point, lui dit-il ; il serait dommage qu’une si jolie
demoiselle se gâtât les yeux à pleurer. Contez-nous plutôt votre histoire, elle
ne peut manquer d’être divertissante. Nous y prendrons un plaisir extrême.

Elle ne l’écoutait point. Elle se mit debout et voulut s’enfuir. Mais ses pieds
enflés et nus lui causèrent une si vive douleur qu’elle tomba sur ses genoux en
sanglotant de plus belle. Tad la soutint dans ses bras et Pau lui baisa
doucement la main. C’est pourquoi elle osa les regarder et elle vit qu’ils
avaient l’air plein de pitié. Pic lui sembla un être inspiré, mais innocent, et,
s’apercevant que tous ces petits hommes lui montraient de la bienveillance, elle
leur dit :

- Petits hommes, il est dommage que vous soyez si laids ; mais je vous aimerai
tout de même si vous me donnez à manger, car j’ai faim.

- Bob ! s’écrièrent à la fois tous les Nains ; allez chercher à souper.

Et Bob partit sur son corbeau. Toutefois les Nains ressentaient l’injustice
qu’avait cette fillette de les trouver laids. Rug en était fort en colère. Pic
se disait : « Ce n’est qu’une enfant et elle ne voit pas le feu du génie qui
brille dans mes regards et leur donne tour à tour la force qui terrasse et la
grâce qui charme. » Pau songeait : « J’aurais peut-être mieux fait de ne pas
éveiller cette jeune demoiselle qui nous trouve laids. » Mais Tad dit en
souriant :

- Mademoiselle, vous nous trouverez moins laids quand vous nous aimerez
davantage.

À ces mots, Bob reparut sur son corbeau. Il portait sur un plat d’or une perdrix
rôtie, avec un pain de gruau et une bouteille de vin de Bordeaux. Il déposa ce
souper aux pieds d’Abeille en faisant un nombre incalculable de culbutes.

Abeille mangea et dit :

- Petits hommes, votre souper était très bon. Je me nomme Abeille ; cherchons
mon frère et allons ensemble aux Clarides, où maman nous attend dans une grande
inquiétude.

Mais Dig, qui était un bon Nain, représenta à Abeille qu’elle était incapable de
marcher ; que son frère était assez grand pour se retrouver lui-même ; qu’il
n’avait pu lui arriver malheur dans cette contrée où tous les animaux féroces
avaient été détruits. Il ajouta :

- Nous ferons un brancard, nous le couvrirons d’une jonchée de feuilles et de
mousses, nous vous y coucherons, nous vous porterons ainsi couchée dans la
montagne et nous vous présenterons au roi des Nains, comme le veut la coutume de
notre peuple.

Tous les Nains applaudirent. Abeille regarda
ses pieds endoloris et se tut. Elle était bien aise d’apprendre qu’il n’y avait
pas d’animaux féroces dans la contrée. Pour le reste, elle s’en remettait à
l’amitié des Nains.

Déjà ils construisaient le brancard. Ceux qui avaient des cognées entaillaient à
grands coups le pied de deux jeunes sapins.

Cela remit à Rug son idée en tête.

- Si, au lieu d’un brancard, dit-il, nous construisions une cage ?

Mais il souleva une réprobation unanime. Tad, le regardant avec mépris, s’écria
;

- Rug, tu es plus semblable à un homme qu’à un Nain. Mais ceci du moins est à
l’honneur de notre race que le plus méchant des Nains en est aussi le plus bête.

Cependant l’ouvrage se faisait. Les Nains sautaient en l’air pour atteindre les
branches qu’ils coupaient au vol et dont ils formaient habilement un siège à
claire-voie. L’ayant recouvert de mousse et de feuillée, ils y firent asseoir
Abeille ; puis ils saisirent à la fois les deux montants, ohé ! se les mirent
sur l’épaule, hop ! et prirent leur course vers la montagne, hip !
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