PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE X

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE X Empty
MessageSujet: Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE X   Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE X Icon_minitimeDim 3 Fév - 16:04

CHAPITRE X
Qui relate fidèlement l’accueil que le roi Loc fît à Abeille des Clarides.


Ils montaient par un chemin sinueux la côte boisée. Dans la verdure grise des
chênes nains, des blocs de granit se dressaient çà et là, stériles et rouilles,
et la montagne rousse avec ses gorges bleuâtres fermait l’âpre paysage.

Le cortège, que Bob précédait sur sa monture ailée, s’engagea dans une fissure
tapissée de ronces. Abeille, avec ses cheveux d’or répandus sur ses épaules,
ressemblait à l’aurore levée sur la montagne, s’il est vrai que parfois l’aurore
s’effraye, appelle sa mère et veut fuir, car la fillette en vint à ces trois
points sitôt qu’elle aperçut confusément des Nains terri
blement armés, en embuscade dans toutes les anfractuosités du rocher.

L’arc bandé ou la lance en arrêt, ils se tenaient immobiles. Leurs tuniques de
peaux de bêtes et de longs couteaux pendus à leur ceinture rendaient leur aspect
terrible. Du gibier de poil et de plume gisait à leurs côtés. Mais ces
chasseurs, à ne regarder que leur visage, n’avaient pas l’air farouche ; ils
paraissaient au contraire doux et graves comme les Nains de la forêt, auxquels
ils ressemblaient beaucoup.

Debout au milieu d’eux se tenait un Nain plein de majesté. Il portait à
l’oreille une plume de coq et au front un diadème fleuronné de pierres énormes.
Son manteau, relevé sur l’épaule, laissait voir un bras robuste, chargé de
cercles d’or. Un oliphant d’ivoire et d’argent ciselé pendait à sa ceinture. Il
s’appuyait de la main gauche sur sa lance dans l’attitude de la force au repos,
et il tenait la droite au-dessus de ses yeux pour regarder du côté d’Abeille et
de la lumière.

- Roi Loc, lui dirent les Nains de la forêt, nous t’amenons la belle enfant que
nous avons trouvée : elle se nomme Abeille.

- Vous faites bien, dit le roi Loc. Elle vivra parmi nous comme le veut la
coutume des Nains.

Puis, s’approchant d’Abeille :

- Abeille, lui dit-il, soyez la bienvenue.

Il lui parlait avec douceur, car il se sentait déjà de l’amitié pour elle. Il se
haussa sur la pointe des pieds pour baiser la main qu’elle laissait pendre, et
il l’assura que non seulement il ne lui serait point fait de mal, mais encore
qu’on la contenterait dans tous ses désirs, quand bien même elle souhaiterait
des colliers, des miroirs, des laines de Cachemire et des soies de la Chine.

- Je voudrais bien des souliers, répondit Abeille.

Alors le roi Loc frappa de sa lance un disque de bronze qui était suspendu à la
paroi du rocher, et aussitôt l’on vit quelque chose venir du fond de la caverne
en bondissant comme une balle. Cela grandit et montra la figure d’un Nain qui
rappelait par le visage les traits que les peintres donnent à l’illustre
Bélisaire, mais dont le tablier de cuir à bavette révélait un cordonnier.

C’était, en effet, le chef des cordonniers.

- Truc, lui dit le roi, choisis dans nos maga
sins le cuir le plus souple, prends du drap d’or et d’argent, demande au gardien
de mon trésor mille perles de la plus belle eau, et compose avec ce cuir, ces
tissus et ces perles, une paire de souliers pour la jeune Abeille.

À ces mots, Truc se jeta aux pieds d’Abeille et il les mesura avec exactitude.
Mais elle dit :

- Petit roi Loc, il faut me donner tout de suite les beaux souliers que tu m’as
promis, et, quand je les aurai, je retournerai aux Clarides vers ma mère.

- Vous aurez vos souliers, Abeille, répondit le roi Loc, vous les aurez pour
vous promener dans la montagne et non pour retourner aux Clarides, car vous ne
sortirez point de ce royaume où vous apprendrez de beaux secrets qu’on n’a point
devinés sur la terre. Les Nains sont supérieurs aux hommes, et c’est pour votre
bonheur que vous avez été recueillie par eux.

- C’est pour mon malheur, répondit Abeille. Petit roi Loc, donne-moi des sabots
comme ceux des paysans et laisse-moi retourner aux Clarides.

Mais le roi Loc fit un signe de tête pour exprimer que cela n’était pas
possible. Alors Abeille joignit les mains et prit une voix caressante :

- Petit roi Loc, laisse-moi partir et je t’aimerai bien.

- Vous m’oublierez, Abeille, sur la terre lumineuse.

- Petit roi Loc, je ne vous oublierai pas et je vous aimerai autant que Souffle-
des-Airs.

- Et qui est Souffle-des-Airs ?

- C’est mon cheval isabelle ; il a des rênes roses et il mange dans ma main.
Quand il était petit, l’écuyer Francoeur me l’amenait le matin dans ma chambre
et je l’embrassais. Mais maintenant Francoeur est à Rome et Souffle-des-Airs est
trop grand pour monter les escaliers.

Le roi Loc sourit :

- Abeille, voulez-vous m’aimer mieux encore que Souffle-des-Airs ?

- Je veux bien.

- À la bonne heure.

- Je veux bien, mais je ne peux pas ; je vous hais, petit roi Loc, parce que
vous m’empêchez de revoir ma mère et Georges.

- Qui est Georges ?

- C’est Georges et je l’aime.

L’amitié du roi Loc pour Abeille s’était beaucoup accrue en peu d’instants, et,
comme il avait déjà l’espérance de l’épouser quand elle
serait en âge et de réconcilier par elle les hommes avec les Nains, il craignit
que Georges ne devînt plus tard son rival et ne renversât ses projets. C’est
pourquoi il fronça les sourcils et s’éloigna en baissant la tête comme un homme
soucieux.

Abeille, voyant qu’elle l’avait fâché, le tira doucement par un pan de son
manteau.

- Petit roi Loc, lui dit-elle d’une voix triste et tendre, pourquoi nous
rendons-nous malheureux l’un l’autre ?

- Abeille, c’est la faute des choses, répondit le roi Loc ; je ne puis vous
ramener à votre mère, mais je lui enverrai un songe qui l’instruira de votre
sort, chère Abeille, et qui la consolera.

- Petit roi Loc, répondit Abeille en souriant dans ses larmes, tu as une bonne
idée, mais je vais te dire ce qu’il faudra faire. Il faudra envoyer, chaque
nuit, à ma mère un songe dans lequel elle me verra, et m’envoyer à moi, chaque
nuit, un songe dans lequel je verrai ma mère.

Le roi Loc promit de le faire. Et ce qui fut dit fut fait. Chaque nuit, Abeille
vit sa mère, et chaque nuit la duchesse vit sa fille. Cela contentait un peu
leur amour.







Revenir en haut Aller en bas
 
Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE X
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XII
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XIV
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XV
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE XVI
» Anatole France (1844-1924) Nouvelles. CHAPITRE II

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: