PLUME DE POÉSIES
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 Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE I ANDRÉ

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MessageSujet: Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE I ANDRÉ   Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE  I  ANDRÉ Icon_minitimeDim 3 Fév - 18:15

LES AMIS DE SUZANNE

I

ANDRÉ

vous avez connu le docteur Trévière. vous vous rappelez sa large face ouverte et
lumineuse et son beau regard bleu.
Il avait la main et l'âme d'un grand chirurgien. On admirait sa présence d'esprit dans les
circonstances difficiles.
Un jour qu'il faisait, à l'amphithéâtre, une grave opération, le patient, à demi opéré,
tomba dans une extrême faiblesse. Plus de chaleur, plus de circulation ; l'homme
passait. Alors Trévière le saisit à deux bras, poitrine contre poitrine, et secoua avec la
puissance d'un lutteur ce corps sanglant et mutilé. Puis il reprit son scalpel et le mania
avec cette audace prudente qui lui était habituelle. La circulation était rétablie, l'homme
était sauvé.
En quittant le tablier, Trévière redevenait naïf et bonhomme. On aimait son gros rire.
Quelques mois après l'opération que je viens de rappeler, il se fit, en essuyant son
bistouri, une piqûre à laquelle il ne prit pas garde et qui lui inocula une affection
purulente dont il mourut en deux jours, à l'âge de trente-six ans. Il laissait une femme et
un enfant qu'il adorait.
On voyait, tous les jours de soleil, sous les sapins du bois de Boulogne, une jeune
femme en deuil qui faisait de la guipure et regardait par-dessus son aiguille un petit
garçon à quatre pattes entre sa pelle, sa brouette et des petits tas de terre. C'était Mme
Trévière. Le soleil caressait la chaude pâleur de sa face et un trop-plein de vie et d'âme
s'échappait en effluves de sa poitrine, parfois oppressée, et de ses grands yeux bruns
pailletés d'or. Elle couvait du regard son enfant, qui, pour lui montrer les « pâtés » de
terre qu'il avait faits, levait sa tête rousse et ses yeux bleus, la tête et les yeux de son
père.
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MessageSujet: Re: Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE I ANDRÉ   Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE  I  ANDRÉ Icon_minitimeDim 3 Fév - 18:15

Il était rond et rose. Puis il s'amincit en grandissant, et ses joues, tiquetées de taches de
rousseur, pâlirent. Sa mère s'inquiétait. Parfois, tandis qu'il s'amusait à courir dans le
Bois avec ses petits camarades, s'il frôlait la chaise où elle brodait, elle le saisissait au
vol, lui soulevait le menton sans rien dire, fronçait le sourcil en examinant ce visage pâlot
et secouait imperceptiblement la tête, tandis qu'il reprenait sa volée. La nuit, au moindre
bruit, elle se relevait et restait nu-pieds, penchée sur le petit lit. Des médecins, anciens
camarades de son mari, la rassurèrent.
L'enfant n'était que délicat. Mais il lui fallait la pleine campagne.
Mme Trévière fit ses malles et partit pour Brolles, où les parents de son mari étaient
cultivateurs. Car vous savez que Trévière était fils de paysans et que, jusqu'à douze ans,
il dénicha des merles en revenant de l'école.
On s'embrassa sous les jambons pendus aux solives de la salle enfumée. La mère
Trévière, accroupie devant les tisons de la grande cheminée et ne lâchant pas la queue
de la poêle, regardait d'un oeil méfiant la Parisienne et sa bonne. Mais elle trouva le
petit « bien mignon et tout le portrait de son père ». Quant au bonhomme Trévière, sec
et roide dans sa veste de gros drap, il était bien content de voir son petit-fils André.
On n'avait pas fini de souper, et déjà André donnait de gros baisers à son grand-papa,
dont le menton piquait, piquait. Puis, monté tout droit sur les genoux du bonhomme, il lui
enfonçait le poing dans la joue, en lui demandant pourquoi c'était creux.
« Parce que je n'ai plus de dents.
- Et pourquoi tu n'as plus de dents?
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MessageSujet: Re: Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE I ANDRÉ   Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE  I  ANDRÉ Icon_minitimeDim 3 Fév - 18:15

- Parce qu'elles étaient devenues noires et que je les ai semées dans le sillon pour voir
s'il n'en pousserait point des blanches. » Et André riait de tout son coeur. Les joues de
son grand-père, c'était bien autre chose que les joues de sa maman !
On avait réservé à la Parisienne et au petit la chambre d'honneur, où étaient le lit nuptial,
dans lequel les bonnes gens n'avaient couché qu'une fois, et l'armoire de chêne,
bourrée de linge, fermée à clef. La couchette qui avait toutefois servi à l'enfant de la
maison avait été tirée du grenier pour le petit-fils. On l'avait dressée dans le coin le plus
abrité, sous une tablette chargée de pots de confitures.
Mme Trévière, en femme ordonnée, fit, pour se reconnaître, trente-six petits tours sur le
plancher de sapin qui craquait. Mais elle eut la déception de ne découvrir aucun porte-
manteau.
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MessageSujet: Re: Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE I ANDRÉ   Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE  I  ANDRÉ Icon_minitimeDim 3 Fév - 18:15

Le plafond à poutres saillantes et les murs étaient blanchis à la chaux. Mme Trévière
remarqua peu les images coloriées qui égayaient cette belle chambre ; pourtant, elle vit
au-dessus du lit nuptial une gravure représentant des enfants en veste noire et en
pantalon blanc, un brassard au coude, un cierge à la main, défilant dans une église
gothique. Elle lut au-dessous cette formule gravée, avec les noms, date et signature
remplis à la main : Je, soussigné, certifie que Pierre-Agénor Trévière a fait sa première
communion, dans l'église paroissiale de Brolles, le 15 mai 1849.
Gontard, curé.
La veuve lut et poussa un soupir, un de ces soupirs de femme raisonnable et forte qui
sont, avec les larmes d'amour, les plus beaux trésors de la terre. Ceux qui sont aimés ne
devraient pas mourir.
Quand elle eut déshabillé André :
« Allons, lui dit-elle, fais ta prière. » Il murmura :
« Maman, je t'aime. » Et, sur cette dévotion, laissant tomber sa tête et fermant les, deux
poings, il s'endormit en paix.
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MessageSujet: Re: Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE I ANDRÉ   Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE  I  ANDRÉ Icon_minitimeDim 3 Fév - 18:15

A son réveil, il découvrit la basse-cour. Surpris, émerveillé, enchanté, il vit les poules, la
vache, le vieux cheval borgne et le cochon. Le cochon surtout le ravit. Et le charme dura
des jours et des jours. Quand c'était l'heure du repas, on parvenait à grand-peine à le
ramener, couvert de paille et de fumier, avec des toiles d'araignée dans les cheveux et
du purin dans les bottines, les mains noires, les genoux écorchés, les joues roses, riant,
heureux.
« Ne m'approche pas, petit monstre ! » lui criait sa mère.
Et c'étaient des embrassements sans fin.
Assis devant la table, sur le bord de la bancelle, et mordant un énorme pilon de volaille,
il avait l'air d'un petit Hercule dévorant sa massue.
Il mangeait sans s'en apercevoir, oubliait de boire et babillait.
« Maman, qu'est-ce que c'est qu'un poulet vert ?
- Cela ne peut être qu'un perroquet », répondit trop légèrement la Parisienne.
C'est ainsi qu'André fut induit à désigner par le nom de perroquets les canards de son
grand-père, ce qui rendait ses récits prodigieusement obscurs.
Mais il ne s'en laissait pas facilement imposer.
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MessageSujet: Re: Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE I ANDRÉ   Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE  I  ANDRÉ Icon_minitimeDim 3 Fév - 18:16

« Maman, sais-tu ce que grand-père m'a dit ? Il m'a dit que c'étaient les poules qui
faisaient les oeufs. Mais je sais bien que non. Je sais bien que c'est le fruitier de
l'avenue de Neuilly qui fait les oeufs ; alors on les porte aux poules pour qu'elles les
réchauffent. Car, comment veux-tu, maman, que les poules fassent des oeufs,
puisqu'elles n'ont pas de mains? » Et André continua à explorer la nature. En se
promenant dans la forêt avec sa maman, il éprouvait toutes les émotions de Robinson
Crusoé. Un jour, tandis que Mme Trévière, assise sous un chêne au bord de la route,
travaillait à sa guipure, il trouva une taupe. C'est très grand, une taupe. Il est vrai que
celle-là était morte. Elle avait même du sang au museau. Sa maman lui cria :
« André! veux-tu bien laisser ces horreurs... Tiens, regarde vite là, dans l'arbre. » Et il
aperçut un écureuil qui sautait dans les branches.
Sa maman avait raison : un écureuil vivant est plus joli qu'une taupe morte.
Mais il était parti trop vite, et André demandait si les écureuils ont des ailes, quand un
passant, dont la face mâle et franche était encadrée d'une belle barbe brune, tira son
chapeau de paille et s'arrêta devant Mme Trévière.
« Bonjour, madame ; vous vous portez bien ? Comme on se retrouve ! voilà votre petit
bonhomme ? Il est très gentil.
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MessageSujet: Re: Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE I ANDRÉ   Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE  I  ANDRÉ Icon_minitimeDim 3 Fév - 18:16

On m'avait bien dit que vous logiez ici chez le père Trévière... Excusez-moi. Je le
connais depuis si longtemps !
- Nous sommes venus ici parce que mon petit garçon avait besoin du grand air. Mais
vous, monsieur, je me rappelle que vous habitiez déjà dans ces parages quand j'avais
mon mari. » Comme la voix de la jeune veuve s'éteignait, il reprit d'un ton grave :
« Je sais, madame. » Et, très naturellement, il inclina la tête comme pour saluer au
passage le souvenir d'un grand deuil.
Puis, après un moment de silence :
« C'était le bon temps! Que de braves gens il y avait alors, qui sont partis depuis! Mes
pauvres paysagistes!
Mon pauvre Millet! C'est égal. Je suis resté l'ami des peintres, comme ils m'appellent
tous là-bas, à Barbizon. Je les connais tous. Ce sont de bons enfants.
- Et votre fabrique ?
- Ma fabrique ? elle va toute seule. » André vint se jeter entre eux.
« Maman! maman! il y a sous une grosse pierre des bêtes au Bon Dieu. Il y en a au
moins un million, vrai !
- Tais-toi et va jouer », lui répondit sèchement sa mère.
L'ami des peintres reprit de sa belle voix chaude :
« Cela fait plaisir de se revoir! Les amis me demandent bien souvent ce qu'est devenue
la belle Mme Trévière. Je leur dirai qu'elle est toujours et plus que jamais la belle Mme
Trévière. Au revoir, madame.
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MessageSujet: Re: Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE I ANDRÉ   Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LES AMIS DE SUZANNE  I  ANDRÉ Icon_minitimeDim 3 Fév - 18:16

- Bonjour, monsieur Lassalle. » André reparut.
« Maman, est-ce que toutes les bêtes ne sont pas au Bon Dieu ? Est-ce qu'il y a des
bêtes au Diable ? Maman? tu ne me réponds pas... Pourquoi ?» Et il la tira par sa jupe.
Alors elle le gronda.
« André, il ne faut pas m'interrompre, quand je parle à quelqu'un. Tu m'entends ?
- Pourquoi ?
- Parce que ce n'est pas poli. » Il y eut quelques larmes qui finirent par un sourire dans
des baisers. Ce fut encore une jolie journée. On voit sur les campagnes de ces ciels
humides et traversés de rayons qui attristent et charment.
À quelques jours de là, par une grosse pluie, M. Lassalle, haut botté, fit une visite à la
jeune veuve.
« Bonjour, madame. Eh bien, père Trévière, plus solide que jamais ?...
- Le coffre est encore bon, mais les jambes ne valent plus rien.
- Et vous, la mère? toujours le nez sur la marmite, donc? vous goûtez la soupe. C'est
d'une bonne cuisinière. » Et ces familiarités faisaient sourire la vieille dont les prunelles
pétillaient entre les pommettes ridées.
Il prit André sur ses genoux et lui pinça les joues. Mais l'enfant se dégagea brusquement
et alla enfourcher les jambes de son grand-père.
« Tu es le cheval. Je suis le postillon. Hue ! Plus fort, plus fort !... » La visite se passa
sans que la veuve et le visiteur eussent échangé quatre paroles, mais leurs regards
avaient plusieurs fois croisé des lueurs, comme ces éclairs qui jaillissent entre ciel et
terre dans les chaudes nuits d'été.
« Papa, est-ce que vous connaissez beaucoup ce monsieur? demanda la jeune femme,
avec un air d'indifférence.
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- Je le connaissais avant qu'il portât culottes. Et qu'est-ce qui ne connaissait pas son
père dans le pays ? Des braves gens tout à fait, tout francs et tout ronds. Ils ont du bien.
M. Philippe... (nous l'appelons M. Philippe) n'emploie pas moins de soixante ouvriers
dans son usine. » André crut le moment venu d'exprimer son sentiment :
« Il est vilain, le monsieur », dit-il.
Sa maman lui répondit vivement que, s'il ne parlait que pour dire des sottises, il ferait
mieux de se taire.
Depuis lors, le hasard voulut que Mme Trévière rencontrât M. Lassalle à tous les
tournants de la route.
Elle devenait inquiète, distraite, songeuse. Elle tressaillait au bruit du vent dans les
feuilles. Elle oubliait sa guipure commencée et prenait l'habitude de soutenir son menton
dans le creux de sa main.
Un soir d'automne, tandis qu'une grande tempête, venue de la mer, passait avec de
longs hurlements sur la maison du père Trévière et sur toute la contrée, la jeune femme
eut hâte de renvoyer la bonne qui faisait le feu et de coucher André. Pendant qu'elle lui
tirait ses bas de laine et qu'elle tâtait à pleines mains les petits pieds froids, lui, écoutant
les grondements sourds du vent et les tintements de la pluie contre les vitres, il noua ses
deux bras sur le cou de sa mère penchée.
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« Maman, dit-il, j'ai peur. » Mais elle, en lui donnant un baiser :
« Ne t'agite pas, dors, mon chéri. » fuis elle alla s'asseoir près du feu et lut une lettre.
A mesure qu'elle lisait, ses joues se coloraient ; un souffle chaud lui montait de la
poitrine. Et, quand elle eut fini de lire, elle resta étendue dans son fauteuil, les mains
inertes et l'âme perdue dans un rêve. Elle songeait :
« Il m'aime ; il est si bon, si franc, si honnête ! Les soirées d'hiver sont bien tristes quand
on est seule. Il s'est montré si délicat avec moi ! Certainement, il a beaucoup de coeur.
J'en vois la preuve, rien qu'à la manière dont il m'a fait sa demande. » Alors ses yeux
rencontrèrent la gravure de la première communion. Je, soussigné, certifie que Pierre-
Agénor Trévière...
Elle baissa les yeux. Puis elle songea de nouveau.
« Une femme ne sait pas bien élever toute seule un garçon... André aura un père. »«
Maman ! » Cet appel, sorti du petit lit, la fit tressaillir.
« Que me veux-tu, André? Tu es bien agité ce soir!
- Maman, je pensais à une chose.
- Au lieu de dormir... A laquelle?
- Papa est mort, n'est-ce pas ?
- Oui, mon pauvre enfant.
- Alors il ne reviendra plus!
- Hélas ! non, mon chéri.
- Eh bien, maman, c'est bien heureux tout de même.
Parce que Je t'aime tant, vois-tu, maman! tant, que jet aime pour tous les deux. Et, s'il
revenait, je ne pourrais plus l'aimer du tout. » Elle le considéra quelque temps avec
inquiétude et retomba dans le fauteuil, où elle resta immobile, la tête dans les mains.
Il y avait déjà plus de deux heures que l'enfant dormait aux bruits de la tempête quand,
s'étant approchée de lui elle soupira tout bas : '« Dors ! il ne reviendra pas. » Et
Pourtant deux mois plus tard il revint. Il revint sous la grosse figure hâlée de M. Lassalle,
le nouveau maître de la maison. Et le petit André recommença de jaunir, de maigrir et
de tomber en langueur.
Maintenant il est guéri. Et il aime sa bonne comme autrefois il aimait sa mère. Il ne sait
pas que sa bonne a un amoureux.
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