L'heure des larmes
20 juin 1906
Il est des jours heureux qui s'écoulent rapides
Il est des amours fous qui comblent les grands vides
Creusés par nos sombres douleurs.
Mais il est des jours lents et des heures amères
Où nos yeux dans la nuit voient s'enfuir les chimères
Comme le plaisir, de nos coeurs.
Ainsi s'en va la joie et son brillant cortège
Le plaisir la prolonge et le regret l'abrège
C'est la loi de notre Destin.
Aujourd'hui l'homme gai s'efforce de sourire
Demain sur son passé qui chaque jour expire
Vous le verrez signer sa fin.
J'étais cet homme heureux candidat de la veille
J'admirais l'espérance, et sa page vermeille
Brillait éclatante à mes yeux.
Ce soir tout est changé dans les lois de ma vie
Le bonheur disparu chante son agonie
Au jour qui passe, malheureux.
L'amour ne sourit plus à ma folle espérance
L'heure des larmes sonne et je sens ma souffrance
Grandir l'ombre du souvenir.
Un spectre m'apparaît et sur sa face blême
Je lis de mon trépas la sentence suprême
Si jeune et parler de mourir.
Je me rappelle encor les heures insensées
Je sens comme un frisson les ivresses passées
Du temps qui ne reviendra plus
Pourquoi me souvenir de ces folles caresses
Pourquoi chercher ainsi dans mes grandes tristesses
La gaieté des jours disparus.
Fuyez doux souvenirs et vous amantes chères
Epargnez à mon coeur vos amours passagères
Que l'oubli vient vite effacer.
Déjà la nuit descend et je crains l'heure brève
Qui va sonner pour moi dans le jour qui s'achève
L'Angélus qui me fait pleurer.
En suivant la marche de mes inspirations, vous pourrez voir que deux jours
séparent l'inspiration de « L'heure heureuse ». Vous pourrez comprendre combien
la gaieté est passagère dans un coeur qui a eu à déplorer l'abandon de certaines
amitiés qui semblent le tuteur de notre joie ici-bas. Hier j'étais heureux
content de chaque jour espérant même en le jour du lendemain dont je préparais
la fécondité. Aujourd'hui je suis désabusé et je tombe de plus haut après avoir
grimpé sur des branches qui cassent, comme a dit Victor HUGO. Voilà ce que je
reçois pour soutenir mon courage de la veille des pleurs le lendemain.
Honoré HARMAND