Lettre à l'absente
17 juillet 1906
Depuis que pour un autre amour
Tu m'as quitté seul dans la peine
J'ai senti grandir chaque jour
Les noirs horizons de la haine
J'ai voulu que ton souvenir
S'efface et meurt dans ma pensée
Ma douleur servait à nourrir
Mes désirs, ma fièvre insensée
J'étais fou de ton doux baiser
Encor plus fou de ta caresse
Etait-ce donc pour m'éprouver
Que tu partis, belle maîtresse
Mais non, tu voulais un amant
Un favori de la fortune
Ton amour valait de l'argent
Brillant comme le clair de lune
J'aurais aimé nous voir heureux
Les soirs d'hiver quand la nuit sombre
Cruelle pour les pauvres gueux
Sème de la gaieté dans l'ombre
Je rêvais un bonheur parfait
Là-haut dans ma pauvre mansarde
Où glissait un rayon discret
De la lune qui nous regarde
Mais tu n'aimais que le plaisir
Où le coeur s'abreuve aux orgies
Ta lèvre effleura d'un désir
La lèvre impure des folies
Ma lettre part de l'hôpital
Où me retient la maladie
Où je souffre d'un affreux mal
Qui bientôt va m'ôter la vie
Je vois dans le jour de demain
La Mort rapide et fugitive
Tenant une faux dans sa main
Déjà vers moi sombre elle arrive
Derrière elle en procession
Mes amis suivent le cortège
Et malgré la froide saison
Malgré les blancs manteaux de neige
Ils viennent faire leurs adieux
A ma dépouille à ma misère
Vois il n'y a pas que les vieux
Qui dorment dans le cimetière
J'étais fou de ton doux baiser
Encor plus fou de ta caresse
Viens demain je veux t'embrasser
Comme on embrasse une maîtresse
Honoré HARMAND